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William Faulkner en 12 romans – Notre sélection

William Faulkner en 12 romans – Notre sélection

William Faulkner naît le 25 septembre 1897 à New Albany, dans le Mississippi. Issu d’une famille d’hommes d’affaires et de juristes sur le déclin, il grandit dans un Sud profondément marqué par la ségrégation raciale. Très tôt, il se démarque de son père en modifiant l’orthographe de son nom, de « Falkner » à « Faulkner ».

Pendant la Première Guerre mondiale, il s’engage dans l’aviation canadienne mais ne participe à aucun combat, l’armistice étant signé avant son premier vol. À son retour, il simule pourtant une blessure de guerre, première manifestation d’une tendance à l’affabulation qui le caractérisera toute sa vie.

Les années 1920 marquent ses débuts littéraires. D’abord poète, il se tourne vers le roman et publie son premier ouvrage, « Monnaie de singe », en 1925. Il voyage en Europe, notamment à Paris, où il travaille sur son deuxième roman. C’est avec la création du comté fictif de Yoknapatawpha, cadre de la plupart de ses œuvres futures, qu’il trouve sa voix.

La période 1929-1932 est particulièrement féconde : il publie quatre chefs-d’œuvre en très peu de temps – « Le bruit et la fureur » (1929), « Tandis que j’agonise » (1930), « Sanctuaire » (1931) et « Lumière d’août » (1932). Malgré ces succès littéraires, les difficultés financières le poussent vers Hollywood où il devient scénariste, travaillant notamment avec le réalisateur Howard Hawks.

Sa vie privée est tumultueuse. Marié à Estelle Oldham Franklin en 1929, il s’installe avec elle à Oxford, Mississippi, dans une maison antebellum baptisée Rowan Oak. Le couple, qui a une fille prénommée Jill, est marqué par l’alcoolisme. Faulkner entretient plusieurs liaisons, dont une passion particulière pour Meta Carpenter, la secrétaire d’Howard Hawks.

La consécration arrive en 1949 avec le prix Nobel de littérature. Dans son discours de réception, il affirme sa foi en l’humanité, déclarant que « l’homme ne fera pas que subir, il prévaudra ». Il consacre l’argent du prix à la création d’un fonds pour soutenir les nouveaux romanciers.

Les dernières années de sa vie sont partagées entre l’écriture, l’enseignement à l’Université de Virginie, et ses passions pour l’équitation et l’alcool. Il meurt le 6 juillet 1962 des suites d’une chute de cheval, laissant derrière lui une œuvre monumentale qui révolutionne la littérature américaine par sa sophistication narrative et son observation aiguë du Sud des États-Unis.

Son épitaphe, d’une simplicité éloquente, résume sa vie : « Il fit des livres et il mourut ». Son œuvre lui survit à travers de multiples prix et distinctions, dont le prix Pulitzer et le National Book Award, ce dernier lui étant décerné à titre posthume pour l’ensemble de sa carrière.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Le bruit et la fureur (1929)

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Résumé

Mississippi, années 1920. Dans le comté fictif de Yoknapatawpha, la famille Compson se désagrège lentement. Leurs terres sont vendues pour payer les études du fils aîné, la mère Caroline sombre dans l’hypocondrie, le père meurt d’alcoolisme. Les quatre enfants Compson portent chacun leur fardeau : Benjy, le plus jeune, est handicapé mental ; Quentin, brillant étudiant à Harvard, est tourmenté par des pensées morbides ; Jason est un homme amer et cruel ; et Caddy, la seule fille, cherche désespérément l’amour.

Le drame se cristallise autour de Caddy, qui tombe enceinte hors mariage. Son époux la répudie quand il découvre qu’il n’est pas le père de l’enfant. La petite Quentin, sa fille, est alors élevée par la famille Compson sous l’autorité tyrannique de son oncle Jason. Celui-ci, devenu chef de famille après la mort de son père, vole systématiquement l’argent que Caddy envoie pour l’éducation de sa fille. L’intrigue atteint son climax lors d’un week-end pascal, quand la jeune Quentin s’enfuit avec un artiste de foire, après avoir dérobé les économies de son oncle.

Autour du livre

Publié en 1929, « Le bruit et la fureur » naît d’une image mentale qui obsède Faulkner : celle d’une petite fille en culotte boueuse, juchée dans un arbre pour espionner un enterrement. De cette scène primitive émerge l’un des chefs-d’œuvre de la littérature américaine, classé sixième plus grand roman anglophone du XXe siècle par la Modern Library en 1998. Le titre provient d’un monologue de Macbeth : « La vie est une histoire racontée par un idiot, pleine de fureur et de bruit, et qui ne signifie rien ». Cette référence shakespearienne trouve son incarnation dans la structure même du roman : le premier narrateur, Benjy, est précisément cet « idiot » dont la conscience ne distingue ni passé ni présent.

L’innovation majeure réside dans le traitement du temps. Chaque partie propose une temporalité différente : temps éclaté chez Benjy, qui associe librement ses souvenirs ; temps obsessionnel chez Quentin, prisonnier du passé ; temps cupide chez Jason, focalisé sur l’immédiat ; et enfin temps cyclique avec Dilsey, qui accepte son écoulement inexorable. Pour faciliter la lecture de la première partie, Faulkner souhaitait initialement utiliser des encres de différentes couleurs afin de distinguer les strates temporelles. Ce projet, jugé irréalisable en 1929, s’est concrétisé en 2012 dans une édition limitée de la Folio Society, imprimée à 1480 exemplaires.

Le roman constitue aussi une métaphore du Sud après la guerre de Sécession. Les Compson incarnent une aristocratie sudiste incapable de s’adapter au monde moderne, prisonnière de ses mythes et de ses obsessions. Leur déchéance reflète celle d’une société condamnée par son refus du changement.

Faulkner considérait « Le bruit et la fureur » comme son œuvre la plus aboutie. « C’est celle qui m’a causé le plus de peine et d’angoisse », confiait-il, « comme une mère aime davantage l’enfant qui devient voleur ou meurtrier que celui qui devient prêtre. » Cette affection particulière transparaît dans le soin porté à sa construction, véritable cathédrale narrative où chaque détail fait sens.

Deux adaptations cinématographiques ont tenté de transposer cette œuvre complexe : en 1959 par Martin Ritt avec Yul Brynner, puis en 2014 par James Franco. Mais la structure si particulière du roman, son usage radical du monologue intérieur et ses multiples strates temporelles ont résisté à toute adaptation fidèle.

Aux éditions FOLIO ; 384 pages.


2. Tandis que j’agonise (1930)

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Résumé

Années 1930. Dans une ferme isolée du Mississippi, Addie Bundren se meurt à petit feu. Sous sa fenêtre, son fils aîné Cash façonne minutieusement les planches de son cercueil. Avant de rendre son dernier souffle, elle arrache à son mari Anse la promesse de l’enterrer à Jefferson, la ville de sa jeunesse, située à plus de 60 kilomètres. Une dernière volonté qui va entraîner la famille dans une odyssée aussi périlleuse qu’absurde.

La traversée du comté s’avère catastrophique. Une pluie diluvienne fait déborder les rivières et emporte les ponts. Le cercueil, mal arrimé sur la charrette, manque plusieurs fois de basculer. Cash se brise la jambe. Le corps d’Addie se décompose inexorablement sous la chaleur, attirant les vautours. Chacun des enfants Bundren cache ses secrets : Jewel est né d’une liaison adultérine avec le pasteur, Dewey Dell porte un enfant qu’elle ne veut pas, Darl sombre progressivement dans la folie. Après neuf jours d’errance, la famille atteint enfin Jefferson. Darl est interné pour avoir incendié une grange, Dewey Dell se fait duper par un apprenti pharmacien qui abuse d’elle, et Anse, à peine sa femme enterrée, se remarie avec une inconnue.

Autour du livre

Ce cinquième roman de William Faulkner naît dans des conditions singulières : il l’écrit en six semaines, entre minuit et quatre heures du matin, alors qu’il travaille à la centrale électrique de l’Université du Mississippi. Le manuscrit, rédigé entre octobre et décembre 1929, ne subira aucune modification avant sa publication en 1930. Le titre provient de L’Odyssée d’Homère, plus précisément du passage où Agamemnon raconte sa mort à Ulysse dans les Enfers.

L’originalité du roman réside dans sa construction polyphonique : quinze narrateurs se relaient au fil de cinquante-neuf chapitres pour livrer leur version des événements. Chaque chapitre porte simplement le nom du personnage qui prend la parole. Cette multiplicité des points de vue permet de saisir les motivations secrètes qui animent chaque membre de la famille Bundren. Même Addie s’exprime depuis son cercueil, dans un monologue posthume où elle livre sa vision désabusée du langage et des relations humaines.

La puissance du texte tient à son mélange de tragique et de grotesque. Les tableaux les plus sombres – la décomposition du cadavre, la folie qui guette Darl – côtoient des moments d’un comique grinçant, comme lorsque la famille tente de rafistoler la jambe cassée de Cash avec du ciment. Cette tension permanente culmine dans une fin où se mêlent accomplissement du devoir filial et révélation des égoïsmes individuels. La Modern Library classe « Tandis que j’agonise » parmi les cent œuvres majeures du XXe siècle, saluant sa capacité à transcender l’histoire d’une simple famille de métayers pour atteindre une dimension universelle.

Jean-Louis Barrault en tire une adaptation théâtrale dès 1935, contribuant à son succès en France. Plus récemment, James Franco en propose une version cinématographique présentée au Festival de Cannes en 2013. Graham Swift s’en inspire pour « La dernière tournée », couronné du Booker Prize en 1996, tandis que Suzan-Lori Parks en livre une relecture afro-américaine dans « Getting Mother’s Body ».

Aux éditions FOLIO ; 254 pages.


3. Sanctuaire (1931)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1929, dans le Mississippi, Temple Drake, fille d’un juge respecté, étudiante à l’université, accepte une escapade avec Gowan Stevens, un jeune homme alcoolique imbu de lui-même. Leur voiture fait une embardée à proximité d’une demeure délabrée occupée par des contrebandiers d’alcool durant la Prohibition. Gowan, ivre mort après une bagarre, abandonne Temple aux mains de la bande dirigée par Popeye, un bootlegger impuissant aux tendances sadiques.

La situation dégénère rapidement. Tommy, un simple d’esprit qui tente de protéger Temple, est abattu par Popeye. Ce dernier viole sauvagement la jeune femme avec un épi de maïs, avant de l’emmener dans un bordel de Memphis. Là, Popeye force Temple à avoir des relations sexuelles avec Red, un autre criminel, tandis qu’il les observe. La jeune femme sombre peu à peu dans une spirale infernale, entre alcool et prostitution.

Parallèlement, l’avocat Horace Benbow tente de défendre Lee Goodwin, accusé à tort du meurtre de Tommy. Lors du procès, Temple fait une apparition surprise et, contre toute attente, accuse Goodwin du viol et du meurtre. Condamné, Goodwin est lynché par la foule qui incendie la prison. Popeye est finalement arrêté et, ironie du sort, pendu pour un crime qu’il n’a pas commis, tandis que Temple trouve refuge à Paris avec son père.

Autour du livre

« Sanctuaire » naît dans des circonstances particulières : Faulkner le rédige en trois semaines en 1929, dans le but avoué de gagner de l’argent. Il confie avoir imaginé « l’histoire la plus horrible possible ». Le manuscrit initial provoque l’effroi de son éditeur qui refuse de le publier en l’état, craignant des poursuites judiciaires. Faulkner accepte alors de réécrire intégralement le roman, prenant même à sa charge une partie des frais liés aux modifications.

La publication en 1931 déclenche un scandale retentissant mais assure à Faulkner son premier succès commercial. Le contexte est particulièrement explosif : en pleine Prohibition, le roman met en scène alcoolisme, bordels et violence sexuelle. Les thèmes abordés – le viol, la corruption morale, la justice populaire – heurtent profondément la société américaine. La controverse est telle que Faulkner perd son poste de chef des Boy Scouts.

André Malraux salue dans sa préface « l’irruption de la tragédie grecque dans le roman policier ». Cette formule saisit parfaitement la singularité de l’œuvre : sous ses dehors de thriller sordide se déploie une réflexion implacable sur le mal et la justice. La structure narrative déconcerte : les ellipses obligent le lecteur à reconstituer lui-même les événements les plus troubles. Cette technique renforce paradoxalement l’impact des scènes de violence, suggérées plutôt que décrites.

Le titre même recèle une cruelle ironie : « sanctuary » désigne en anglais à la fois le refuge et le sanctuaire religieux. Or Faulkner montre précisément l’effondrement de tous les espaces censés protéger – la justice, la famille, la morale sociale. Le prénom de l’héroïne, Temple, parachève cette dimension allégorique : la jeune fille pure se mue littéralement en « temple profané ».

« Sanctuaire » connaît deux adaptations cinématographiques majeures. La première, « La déchéance de miss Drake » (1933) réalisé par Stephen Roberts, contribue à l’instauration du code Hays qui censurera Hollywood pendant plusieurs décennies. La seconde, « Sanctuaire » (1961), réunit Lee Remick et Yves Montand. En 1951, Faulkner donne une suite à l’histoire de Temple Drake dans « Requiem pour une nonne ».

Aux éditions FOLIO ; 384 pages.


4. Lumière d’août (1932)

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Résumé

Dans le Mississippi des années 1930, en pleine ségrégation raciale, une jeune femme enceinte, Lena Grove, quitte l’Alabama à pied. Elle est à la recherche de Lucas Burch, le père de son enfant qui l’a abandonnée après lui avoir promis de l’épouser. Son périple la mène jusqu’à Jefferson, où elle apprend que Lucas vit désormais sous le nom de Joe Brown.

Le chemin de Lena croise celui de Joe Christmas, un homme hanté par ses possibles origines afro-américaines malgré sa peau claire. Orphelin adopté par un méthodiste violent, Christmas vit depuis trois ans dans une cabane sur la propriété de Joanna Burden, dernière représentante d’une famille d’abolitionnistes yankees. Leur liaison passionnée tourne au drame quand Joanna, devenue fanatiquement religieuse, tente de le forcer à prier sous la menace d’une arme. Peu après, elle est retrouvée la gorge tranchée dans sa maison en flammes. Joe Brown désigne Christmas comme l’assassin et révèle ses supposées origines noires, provoquant une chasse à l’homme qui s’achève dans un bain de sang.

Autour du livre

Publié en 1932, « Lumière d’août » s’inscrit dans un contexte historique particulièrement chargé : la Grande Dépression frappe les États-Unis, la Prohibition est encore en vigueur et les lois Jim Crow institutionnalisent la ségrégation raciale dans le Sud. C’est dans cette Amérique fracturée que Faulkner compose son roman, initialement intitulé « Dark House ». Le titre définitif lui est inspiré par une remarque de son épouse Estelle sur la luminosité particulière du mois d’août dans le Mississippi, une clarté qui semble « provenir des temps classiques » et porter en elle quelque chose de la Grèce antique.

La structure narrative, moins expérimentale que celle du « Bruit et la fureur », s’articule autour de vingt-et-un chapitres qui font écho aux vingt-et-un chapitres de l’Évangile selon Saint Jean. Cette architecture christique se double d’un réseau de symboles religieux : Joe Christmas, dont les initiales rappellent celles du Christ, meurt à 33 ans dans une scène aux accents sacrificiels, tandis que Lena Grove évoque la Vierge Marie dans son périple.

Le roman révèle une Amérique hantée par ses démons : le racisme, la violence, le poids du passé. Les personnages principaux sont tous des marginaux : Joanna Burden, isolée par ses convictions abolitionnistes, le révérend Hightower, prisonnier de ses obsessions pour la guerre civile, et surtout Joe Christmas, figure tragique dont l’identité raciale indéterminée cristallise les anxiétés d’une société obsédée par la « pureté » du sang.

L’accueil critique fut initialement mitigé. Si certains lecteurs américains, notamment dans le Nord, saluèrent les innovations narratives, d’autres condamnèrent la violence du propos. En Allemagne, le roman connut un destin singulier : d’abord célébré par les critiques nazis qui y virent, par une lecture totalement erronée, l’apologie de la pureté raciale, il fut ensuite interdit. La traduction française par Maurice Coindreau en 1935 contribua significativement à la reconnaissance internationale de Faulkner. Time Magazine l’inclura plus tard dans sa liste des 100 meilleurs romans de langue anglaise du XXe siècle.

La force du livre réside dans sa capacité à transfigurer la réalité sociale du Sud en une méditation universelle sur l’identité et l’exclusion. La quête obstinée de Lena Grove s’oppose à l’errance tragique de Joe Christmas, créant une tension entre espoir et désespoir qui pulse à chaque page. Les thèmes du déracinement, de la culpabilité et de la rédemption s’entrelacent dans une narration qui refuse toute simplification morale.

Aux éditions FOLIO ; 640 pages.


5. Absalon, Absalon ! (1936)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1833, un homme mystérieux arrive dans le comté de Yoknapatawpha, Mississippi. Thomas Sutpen, accompagné d’esclaves et d’un architecte français, nourrit une ambition démesurée : établir une puissante dynastie familiale. Il acquiert cent miles carrés de terres indiennes et y fait ériger « Sutpen’s Hundred », domaine grandiose dominé par un manoir ostentatoire. Pour asseoir sa respectabilité, il épouse Ellen Coldfield, fille d’un marchand méthodiste, qui lui donne deux enfants : Henry et Judith.

Cette ascension fulgurante cache pourtant un secret. Aux Antilles, Sutpen avait déjà été marié à Eulalia Bon, qui lui avait donné un fils, Charles. Découvrant les origines métisses de sa femme après la naissance de l’enfant, il les avait abandonnés. Le destin le rattrape quand son fils Henry se lie d’amitié à l’université avec Charles Bon, ignorant qu’il s’agit de son demi-frère. Une idylle naît bientôt entre Charles et Judith. Lorsque Sutpen révèle la vérité à Henry, celui-ci refuse d’abord d’y croire. La guerre de Sécession éclate, les deux jeunes hommes s’engagent dans l’armée confédérée. À leur retour, Henry tue Charles pour empêcher ce mariage qui menace la « pureté raciale » de la famille.

Autour du livre

La genèse d’ « Absalon, Absalon ! » s’inscrit dans la fresque monumentale imaginée par William Faulkner autour du comté fictif de Yoknapatawpha, Mississippi. Sa publication en 1936 intervient au terme d’une période d’intense créativité, durant laquelle le romancier américain compose également « Sartoris », « Le bruit et la fureur », « Tandis que j’agonise », « Sanctuaire », « Lumière d’août » et « Pylône ».

Le titre puise sa source dans le Deuxième Livre de Samuel, écho au cri déchirant du roi David à l’annonce de la mort de son fils rebelle Absalom. Cette référence biblique résonne comme une prémonition : tel David pleurant son héritier, Sutpen verra sa lignée s’autodétruire. Le parallèle ne s’arrête pas là : dans les deux récits, la trahison filiale et la violence fratricide précipitent l’effondrement d’une dynastie.

L’innovation majeure réside dans l’architecture narrative : quatre voix s’entremêlent pour reconstituer le destin des Sutpen. Rosa Coldfield, Mr. Compson, Quentin et son camarade Shreve tentent chacun de percer l’énigme. Leurs versions se complètent, se contredisent parfois, créant un kaléidoscope où la vérité devient insaisissable. Cette polyphonie bouleverse les codes du roman traditionnel, anticipant les expérimentations du Nouveau Roman.

L’accueil initial s’avère mitigé. Les critiques contemporains peinent à pénétrer cette œuvre dense, aux phrases fleuves et aux perspectives multiples. Le Guinness des records de 1983 recensera d’ailleurs dans le chapitre 6 la plus longue phrase de la littérature anglophone : 1 288 mots enchaînés dans un souffle ininterrompu. Cette performance stylistique illustre la volonté de reproduire le flux de conscience des personnages, technique déjà expérimentée dans « Le bruit et la fureur ».

Au-delà de sa virtuosité formelle, l’œuvre dissèque les contradictions d’une société sudiste minée par le racisme et l’obsession généalogique. La quête forcenée de Sutpen pour établir une lignée « pure » révèle l’absurdité des préjugés raciaux. Sa chute préfigure celle du Sud lui-même, incapable de résoudre ses paradoxes moraux. Faulkner esquisse également une réflexion sur la transmission de l’histoire : chaque narrateur réinterprète les événements selon ses propres biais, montrant l’impossibilité d’atteindre une vérité objective. Cette dimension métanarrative fait d’ « Absalon, Absalon ! » un précurseur de la littérature postmoderne.

La reconnaissance internationale arrive en 1949, lorsque l’Académie suédoise couronne l’ensemble de l’œuvre de Faulkner du Prix Nobel de littérature. « Absalon, Absalon ! », avec « Le bruit et la fureur », pèse particulièrement dans la décision du jury. En 2009, l’Oxford American Magazine le consacre « meilleur roman gothique sudiste de tous les temps », confirmant sa stature de chef-d’œuvre. En 1983, le groupe canadien Rush s’en inspire pour sa chanson « Distant Early Warning », dont la conclusion répète trois fois le mot « Absalom ». Le parolier Neil Peart confie avoir été saisi par la puissance évocatrice du titre, puis s’être plongé dans le récit biblique originel.

Le récit partage des liens thématiques étroits avec « Le bruit et la fureur » à travers le personnage de Quentin Compson. Sa présence comme narrateur principal établit une connexion entre les deux romans, enrichissant notre compréhension de ce jeune homme tourmenté par le déclin du Sud. Son suicide, évoqué dans « Le bruit et la fureur », prend une dimension nouvelle à la lumière des révélations d’ « Absalon, Absalon ! ».

Aux éditions GALLIMARD ; 432 pages.


6. Sartoris (1929)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Mississippi, 1919. Le jeune Bayard Sartoris rentre de la Première Guerre mondiale, hanté par la mort de son frère jumeau John lors d’une mission aérienne. Issu d’une prestigieuse famille sudiste, il retrouve la demeure familiale de Jefferson où vivent son grand-père, le « vieux Bayard », directeur de la banque du coin, et sa tante Jenny, une octogénaire au caractère bien trempé. L’ombre tutélaire du patriarche défunt, le colonel John Sartoris, héros de la Guerre de Sécession, bâtisseur du chemin de fer régional, plane encore sur les lieux.

Rongé par la culpabilité de n’avoir pu empêcher la mort de son frère, Bayard sombre dans une spirale autodestructrice. Il cherche l’oubli dans l’alcool et les courses effrénées au volant de sa voiture de sport. Une violente sortie de route le cloue au lit pendant sa convalescence, période durant laquelle il se rapproche de Narcissa Benbow, une jeune femme de bonne famille. Leur mariage ne suffit pourtant pas à apaiser ses démons : malgré sa promesse de sagesse, Bayard persiste dans sa conduite suicidaire. Lors d’une nouvelle équipée, son grand-père qui l’accompagne succombe à une crise cardiaque. Dévasté par ce nouveau drame, Bayard disparaît en laissant derrière lui Narcissa qui attend leur enfant. Sa quête désespérée de rédemption s’achève dans le cockpit d’un avion expérimental, qui s’écrase le jour même où son fils voit le jour.

Autour du livre

« Sartoris » marque un tournant décisif dans la carrière de William Faulkner. Achevé en septembre 1927 sous le titre « Flags in the Dust », le manuscrit essuie initialement le refus de onze éditeurs, dont Horace Liveright qui publia ses deux premiers romans. Le texte, jugé trop diffus et mal structuré, subit une réduction drastique de 40 000 mots sous la supervision de Ben Wasson, l’agent de Faulkner, avant d’être publié en 1929 par Harcourt, Brace & Company sous le titre « Sartoris ».

Ce roman constitue la première pierre de l’édifice littéraire du comté fictif de Yoknapatawpha, territoire imaginaire inspiré du comté de Lafayette dans le Mississippi, qui servira de cadre à la majorité des futurs romans de Faulkner. Le Colonel John Sartoris, personnage central bien que déjà mort au début du récit, est modelé sur William Clark Falkner, l’arrière-grand-père de l’auteur, lui-même officier confédéré durant la Guerre de Sécession.

Le récit dépeint la déliquescence de l’aristocratie sudiste d’après-guerre à travers le prisme d’une famille noble déchirée entre son passé glorieux et un présent marqué par la violence et l’autodestruction. Jean-Paul Sartre salue particulièrement la maîtrise temporelle, décrivant une narration où passé et présent s’entremêlent en un « inextricable écheveau ».

La figure du jeune Bayard incarne la « génération perdue » de l’après-Première Guerre mondiale, tandis que les thèmes de la culpabilité, du poids des traditions familiales et de l’impossible rédemption préfigurent les grandes œuvres à venir comme « Le bruit et la fureur » ou « Lumière d’août ». Le texte original ne sera publié dans son intégralité qu’en 1973, sous le titre initial de « Flags in the Dust ».

Aux éditions FOLIO ; 473 pages.


7. Pylône (1935)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans les années 1930, un journaliste anonyme sillonne les rues de New Valois, ville imaginaire calquée sur La Nouvelle-Orléans. Sa mission : couvrir l’inauguration d’un aéroport et ses courses aériennes. Il y croise un trio d’aviateurs qui bouleverse sa vie : Roger Shuman, as du pilotage, Laverne, sa compagne mécanicienne, et Jack Holmes, parachutiste. Ces trois-là partagent leur vie et leur amour, défiant les normes sociales de l’époque, avec un jeune garçon dont la paternité reste flou.

Le reporter, rongé par l’alcool et criblé de dettes, s’immisce dans leur univers précaire fait de spectacles aériens et de combines pour survivre. Quand l’avion de Shuman est accidenté lors d’une course, le journaliste franchit une ligne rouge : il vole un appareil défectueux appartenant à Matt Ord, un homme d’affaires. Shuman accepte de piloter l’appareil pour la dernière course, motivé par l’appât du gain. Le drame survient : l’avion se désintègre en plein vol au-dessus du lac.

Autour du livre

La genèse de « Pylône » prend sa source dans une tragédie dont Faulkner fut témoin lors d’un meeting aérien à La Nouvelle-Orléans en 1934. Cette expérience, conjuguée à sa propre passion pour l’aviation, nourrit l’écriture du roman, achevé la même année. Le destin allait donner une résonance particulière à l’œuvre : quelques mois après sa publication, Dean, le frère cadet du romancier, périt dans un accident d’avion, précisément sur un biplan ayant appartenu à William Faulkner.

Ce huitième roman marque une rupture avec l’univers familier de Yoknapatawpha County. New Valois, double à peine voilé de La Nouvelle-Orléans, devient le théâtre d’une modernité mécanique qui bouleverse les rapports humains. La structure narrative, dense et stratifiée, établit un dialogue avec les œuvres phares du modernisme, notamment « Ulysse » de Joyce et « La Terre vaine » d’Eliot.

La transgression des normes sociales constitue l’un des axes majeurs du récit. Le trio formé par Shumann, Laverne et Holmes défie les conventions matrimoniales du Sud des années 1930, tandis que leur mode de vie itinérant les place en marge d’une société sédentaire. Cette marginalité se reflète jusque dans l’anonymat du reporter, figure centrale dont Faulkner dira qu’il n’a « jamais révélé son identité ».

L’adaptation cinématographique par Douglas Sirk en 1958, « La Ronde de l’aube » (« The Tarnished Angels »), avec Rock Hudson, illustre la puissance visuelle du récit, même si le film s’écarte sensiblement de l’atmosphère du roman. Par une ironie du sort, cette œuvre considérée comme mineure dans la bibliographie faulknérienne a donné naissance à l’une des adaptations les plus réussies de l’auteur.

Aux éditions FOLIO ; 339 pages.


8. Si je t’oublie, Jérusalem (1939)

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Résumé

La vie d’Harry Wilbourne bascule en 1937 quand il rencontre Charlotte Rittenmeyer dans un hôpital de La Nouvelle-Orléans. Jeune interne désargenté, il tombe éperdument amoureux de cette femme mariée qui sculpte et dessine. Leur passion les consume au point qu’ils décident de tout abandonner : elle quitte son mari fortuné et ses deux enfants, lui sa prometteuse carrière de médecin. Une aubaine – la trouvaille d’un portefeuille rempli d’argent – leur permet de s’enfuir vers Chicago.

Le couple s’installe dans la métropole du Nord. Harry devient laborantin dans un hôpital pendant que Charlotte décore des vitrines et vend ses sculptures. Mais leur existence laborieuse les éloigne peu à peu l’un de l’autre. Pour raviver la passion, Harry accepte un poste de médecin dans une mine reculée de l’Utah. L’entreprise fait faillite et le couple, démuni, part alors pour le Texas. Charlotte découvre qu’elle est enceinte. Ne voulant pas de cet enfant, elle supplie Harry de pratiquer un avortement. L’opération tourne mal et elle meurt. Harry est condamné à la prison à perpétuité.

Cette histoire alterne avec celle d’un prisonnier anonyme pendant la crue historique du Mississippi en 1927. Chargé de secourir les sinistrés, il sauve une femme enceinte mais le courant les emporte. Ils dérivent pendant des semaines sur le fleuve en furie. La femme accouche sur un îlot désert. Après un long périple, le détenu la conduit en lieu sûr avant de retourner de son plein gré en prison, où sa peine est allongée de dix ans.

Autour du livre

Initialement intitulé « If I Forget Thee, Jerusalem » par Faulkner – référence au Psaume 137 évoquant la captivité des Juifs à Babylone – le roman fut publié en 1939 sous le titre « The Wild Palms » choisi par l’éditeur. Cette œuvre singulière se distingue des autres créations de Faulkner par son absence d’ancrage dans le comté fictif de Yoknapatawpha, territoire habituel de ses récits.

La construction en contrepoint constitue l’originalité majeure du livre. Faulkner explique avoir d’abord écrit l’histoire de Charlotte et Harry, avant de ressentir la nécessité d’un contraste musical, d’une élévation du ton. Cette intuition donna naissance au récit du prisonnier, intercalé chapitre après chapitre. Les deux histoires, bien qu’indépendantes, se répondent et s’éclairent mutuellement : l’une met en scène un homme sacrifiant tout à l’amour d’une femme, l’autre un homme luttant pour s’en libérer.

L’influence du roman s’est manifestée bien au-delà des frontières américaines. Jorge Luis Borges en réalisa la traduction espagnole en 1940, ouvrant la voie à sa diffusion en Amérique latine. Le cinéma s’en est également emparé : Jean-Luc Godard y fait référence dans « À bout de souffle » (1960), la cinéaste Agnès Varda reconnaît s’en être inspirée pour la structure de « La Pointe Courte » (1955). Plus récemment, les frères Coen y ont puisé certains éléments de « O’Brother » (2000), notamment à travers le personnage de Vernon Waldrip et le motif de l’inondation.

La phrase finale de Harry Wilbourne – « Entre le chagrin et le néant, je choisis le chagrin » – résume la tension qui traverse l’œuvre. Les deux récits opposent différentes réponses face aux bouleversements de l’existence : la rébellion contre l’ordre établi face à l’acceptation stoïque, la passion dévastatrice face au devoir, l’expression de soi face à la discipline.

Aux éditions GALLIMARD ; 368 pages.


9. L’intrus (1948)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En mai 1942, dans la petite ville de Jefferson, Mississippi, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre : Lucas Beauchamp, un fermier noir, vient d’être arrêté pour le meurtre de Vinson Gowrie, un homme blanc. Les cinq frères de la victime, tous réputés pour leurs antécédents violents, s’apprêtent à faire justice eux-mêmes. La rumeur de lynchage aimante les habitants blancs qui se rassemblent devant la prison.

Charles Mallison, un lycéen de 16 ans, ne peut rester indifférent au sort de Lucas. Quatre années plus tôt, l’homme l’avait secouru après une chute dans un ruisseau glacé. Depuis sa cellule, Lucas demande l’aide de Charles : il faut exhumer le corps de Vinson pour prouver que la balle qui l’a tué ne provient pas de son arme. Dans le plus grand secret, Charles s’adjoint l’aide d’Aleck Sander, son ami noir, et de Miss Habersham, une septuagénaire blanche dont la détermination n’a d’égale que son mépris des conventions sociales. À leur grande surprise, ils découvrent dans la tombe le corps d’un autre homme, Jake Montgomery. Cette révélation déclenche une enquête qui va mettre au jour un vaste complot.

Autour du livre

Publié en 1948, « L’intrus » s’inscrit dans une période charnière de l’histoire américaine, alors que les tensions raciales s’exacerbent dans le Sud. Les personnages de Lucas Beauchamp et de sa femme Molly apparaissent déjà dans le recueil « Descends, Moïse » (1942). Le roman se distingue par sa construction en flux de conscience, technique narrative où les pensées des personnages s’entremêlent aux événements, créant une narration dense et stratifiée.

La dimension judiciaire sert de prétexte pour dépeindre une société sudiste prisonnière de ses contradictions. Faulkner met en scène trois générations confrontées à l’héritage de l’esclavage : les anciens, représentés par Miss Habersham, qui transcendent les préjugés raciaux ; la génération intermédiaire, incarnée par l’avocat Stevens, qui théorise sans agir ; et la jeunesse, personnifiée par Charles, qui passe à l’action.

Le succès critique fut immédiat. Eudora Welty salue notamment la veine humoristique qui traverse le récit, tandis que Dayton Kohler souligne la lucidité du regard porté sur la condition des Noirs américains. L’année suivante, Metro-Goldwyn-Mayer acquiert les droits d’adaptation pour 50 000 dollars et tourne le film dans la ville natale de Faulkner, Oxford. En 1950, le Nobel de littérature couronne l’ensemble de son œuvre.

Aux éditions FOLIO ; 320 pages.


10. Requiem pour une nonne (1951)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Mississippi, 1937. Temple Drake Stevens semble avoir construit une nouvelle vie, loin des drames qui ont marqué sa jeunesse. Mariée à Gowan Stevens, mère de deux enfants, elle occupe une position respectée dans la haute société locale. Pourtant, les blessures du passé ne cicatrisent pas : huit ans plus tôt, elle fut victime d’un enlèvement qui la précipita dans l’enfer d’une maison close, une tragédie dont son mari actuel porte une part de responsabilité en raison de son ivresse ce soir-là.

Dans l’espoir de trouver une oreille compréhensive, Temple embauche comme gouvernante Nancy Mannigoe, une femme noire au parcours marqué par la drogue et la prostitution. Les deux femmes nouent vite une relation intense et ambiguë. Mais tout bascule quand Nancy étouffe la fille de six mois des Stevens, un acte qui la conduit dans le couloir de la mort.

Autour du livre

Publié en 1951, « Requiem pour une nonne » est la suite de « Sanctuary ». Le romancier américain bouscule les codes narratifs en alternant passages romanesques et séquences théâtrales. Cette structure originale n’est pas le fruit du hasard : Faulkner cherchait à créer un effet de contrepoint, comparable à une orchestration musicale. Les dialogues intenses se heurtent aux méditations historiques sur le tribunal, le Capitole et la prison de Jefferson, générant une tension dramatique singulière.

Faulkner y interroge la possibilité d’une rédemption spirituelle à travers la souffrance et la reconnaissance de la culpabilité. Le titre lui-même recèle une double lecture : « nun » renvoie tant au sens élisabéthain de « prostituée » qu’à celui de « religieuse », soulignant l’ambivalence du personnage de Nancy, à la fois pécheresse et martyre.

L’une des répliques du livre est devenue emblématique de l’œuvre de Faulkner : « The past is never dead. It’s not even past. » (« Le passé n’est jamais mort. Il n’est même jamais passé. ») Cette citation a connu une postérité remarquable, reprise notamment par Barack Obama lors de son discours « A More Perfect Union » en 2008. Elle a même fait l’objet d’un procès en 2012 lorsque les ayants droit de Faulkner ont poursuivi Sony Pictures pour son utilisation dans « Midnight in Paris » – action finalement rejetée par le tribunal.

Le roman a suscité de nombreuses adaptations : Albert Camus en propose une version théâtrale en 1956, qui sera jouée à Paris, Londres et Broadway. Tony Richardson la porte à l’écran en 1961 sous le titre « Sanctuary ». En 2014, le compositeur Oscar Strasnoy en tire un opéra créé au Teatro Colón de Buenos Aires.

Aux éditions FOLIO ; 304 pages.


11. Le hameau (1940)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Mississippi, années 1930. Le hameau de Frenchman’s Bend voit arriver la famille Snopes, métayers sans le sou menés par Ab, un homme soupçonné d’incendies criminels. Son fils Flem, personnage taciturne et calculateur, s’emploie méthodiquement à gravir l’échelle sociale. D’abord simple commis chez les Varner, la famille la plus puissante du bourg, il saisit l’opportunité d’épouser leur fille Eula, compromise par une grossesse illégitime. Ce mariage de convenance lui permet d’acquérir terres et respectabilité. Tandis que Flem consolide son emprise sur le hameau par des manœuvres commerciales douteuses, son cousin Mink commet un meurtre qui le mène en prison. L’histoire culmine sur une escroquerie magistrale impliquant des poneys indomptables, prélude au départ de Flem vers de plus vastes horizons.

Autour du livre

« Le hameau » est le premier volet d’une trilogie (suivi par « La ville » et « Le domaine ») que Faulkner porta en gestation pendant plus d’une décennie. Les premières ébauches remontent à 1926, sous le titre provisoire « Father Abraham », mais le manuscrit fut abandonné après 18 000 mots. L’œuvre définitive, publiée en 1940, incorpore plusieurs nouvelles antérieures retravaillées : « Spotted Horses », « The Hound », « Lizards in Jamshyd’s Courtyard » et « Fool About a Horse ».

La structure quaternaire du roman – divisé en quatre parties bien distinctes – permet d’orchestrer une progression où l’ascension sociale des Snopes se mêle à des épisodes grotesques, notamment la passion déviante d’Ike Snopes pour une vache. Cette alternance entre réalisme social et touches macabres inscrit l’œuvre dans la tradition du « Gothic Southern », courant littéraire où l’étrange côtoie le quotidien pour mieux dépeindre les contradictions du Sud américain.

La dimension économique irrigue l’ensemble du récit : transactions douteuses, spéculations foncières et luttes de pouvoir dessinent une fresque sociale où l’ancien ordre aristocratique vacille face à l’émergence d’une nouvelle classe d’opportunistes sans scrupules. Le personnage de V.K. Ratliff incarne une forme de résistance morale face à cette mutation sociétale, tandis que Flem Snopes symbolise l’avènement d’un capitalisme prédateur.

L’adaptation cinématographique « Les Feux de l’été » (1958) par Martin Ritt, avec Paul Newman et Joanne Woodward, transpose librement certains éléments du roman. La critique universitaire a particulièrement souligné la complicité passive des habitants de Jefferson dans l’ascension des Snopes, ainsi que l’habileté de Faulkner à entrelacer les thèmes de l’amour et de l’argent. Les spécialistes considèrent unanimement « Le hameau » comme l’œuvre majeure de Faulkner des années 1930.

Aux éditions FOLIO ; 544 pages.


12. Parabole (1954)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

France, printemps 1918. Dans l’enfer des tranchées de la Première Guerre mondiale, un acte de désobéissance bouleverse l’ordre établi. Le caporal Stefan, réincarnation moderne du Christ, refuse de poursuivre cette guerre sans fin. Son escouade de 3000 hommes dépose les armes, provoquant une réaction en chaîne : les Allemands cessent également leurs attaques. Cette pause dans les combats met en lumière l’absurdité du conflit et menace les intérêts des hauts gradés. Le Généralissime, symbole d’une autorité qui prospère sur le chaos de la guerre, orchestre une rencontre avec le commandement allemand pour relancer les hostilités.

Autour du livre

La genèse de « Parabole » remonte à 1943, quand le réalisateur Henry Hathaway propose à Faulkner d’écrire un scénario sur le retour du Christ pendant la Première Guerre mondiale. Si le projet cinématographique n’aboutit pas, l’idée germe dans l’esprit de l’écrivain qui annonce dans une lettre son intention d’écrire « une petite chose de 10-15 000 mots, une parabole condamnant la guerre ». Cette « petite chose » se transforme en une œuvre monumentale qui occupe Faulkner pendant plus d’une décennie.

L’ambition du romancier américain est démesurée : créer « le meilleur travail de sa vie et peut-être de son temps ». « Parabole » se démarque du reste de son œuvre car il délaisse le Mississippi, son territoire de prédilection, pour se concentrer sur la Grande Guerre, son autre grande préoccupation littéraire. La dimension allégorique est puissante : le parallèle entre le caporal Stefan et Jésus-Christ structure l’ensemble du récit.

La réception critique fut contrastée. Un critique du Herald Tribune compare le roman à « une cathédrale imparfaite et inachevée dominant un quartier de cottages bien construits ». Malgré ces réserves, l’œuvre reçoit le Prix Pulitzer et le National Book Award en 1955. Les chercheurs ont depuis multiplié les angles d’analyse : Philip Blair Rice apprécie le traitement de la guerre, Dayton Kohler retient la dimension mythologique, tandis que Richard H. King y voit une tentative ambitieuse mais « ratée » d’écrire un roman politique.

« Parabole » puise dans des écrits antérieurs de Faulkner, notamment la nouvelle « Notes on a Horse Thief » et préfigure « Catch 22 » de Joseph Heller dans sa dénonciation de l’absurdité de la guerre.

Aux éditions FOLIO ; 640 pages.

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