Graham Swift naît le 4 mai 1949 à Londres. Il fait ses études au Dulwich College de Londres, puis poursuit sa formation au Queens’ College de l’Université de Cambridge et à l’Université d’York.
Sa carrière d’écrivain débute en 1980 avec « The Sweet-Shop Owner », mais c’est « L’affaire Shuttlecock » (1982) qui lui apporte une première reconnaissance avec le prix Geoffrey Faber Memorial. Son roman « Le Pays des eaux » (1983), situé dans la région marécageuse des Fens, s’impose comme l’une des œuvres majeures de la littérature britannique d’après-guerre. Swift y développe des thèmes qui lui sont chers : le paysage, l’histoire, la famille, tout en s’inscrivant dans un courant influencé par le réalisme magique d’auteurs comme Borges et García Márquez.
Sa carrière est jalonnée de succès : « À tout jamais » (1992) remporte le prix du Meilleur livre étranger en France, tandis que « La dernière tournée » (1996) lui vaut le prestigieux Booker Prize. Plusieurs de ses œuvres sont adaptées au cinéma, notamment « Le Pays des eaux » (1992) avec Jeremy Irons et « La dernière tournée » (2001) avec Michael Caine. Son œuvre, traduite dans plus de vingt langues, continue de s’enrichir avec des publications régulières, dont récemment « Le grand jeu » (2020).
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Le dimanche des mères (2016)
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Résumé
Le 30 mars 1924, en Angleterre, les domestiques bénéficient de leur unique jour de congé annuel pour rendre visite à leur mère. Jane Fairchild, jeune bonne orpheline au service de la famille Niven, n’a personne à visiter. Son amant clandestin depuis sept ans, Paul Sheringham, héritier de la propriété voisine, profite de cette journée où les maisons sont vides pour l’inviter chez lui – une première en sept ans de liaison.
Ces retrouvailles ont un goût particulier : dans deux semaines, Paul épousera Emma Hobday, une jeune femme de son rang. Après leurs derniers moments d’intimité, il part rejoindre sa fiancée, laissant Jane seule dans la demeure. Elle y déambule nue, savourant cette liberté inédite, sans savoir qu’un événement dramatique va survenir.
Des décennies plus tard, Jane est devenue une romancière à succès. À quatre-vingt-dix ans passés, elle revient sur cette journée décisive, gardée secrète toute sa vie, qui l’a menée vers l’écriture.
Autour du livre
En concentrant son récit sur une seule journée du printemps 1924, « Le dimanche des mères » de Graham Swift saisit avec précision les bouleversements sociaux de l’Angleterre d’après-guerre. Les grandes familles aristocratiques, endeuillées par la perte de leurs fils sur le continent et fragilisées économiquement, voient leur monde s’effriter. La réduction du personnel domestique et le remplacement des chevaux par les automobiles symbolisent cette déliquescence d’un ordre ancien.
Cette mutation sociale transparaît dans la relation entre Jane et Paul. Leur liaison transgresse les codes établis : Paul considère Jane comme son égale, lui parle avec sincérité, l’autorise même à entrer par la porte principale. « Tu es mon amie », lui dit-il, brisant momentanément la barrière des classes. Cette liberté nouvelle s’incarne notamment dans la scène où Jane, seule dans la demeure des Sheringham, parcourt nue les différentes pièces, s’appropriant symboliquement cet espace jusque-là interdit.
La construction temporelle oscille entre le présent de cette journée cruciale et les échos futurs dans la vie de Jane. Devenue écrivaine reconnue, elle garde secret ce pan de son existence tout en méditant sur le pouvoir des mots et la nature changeante du langage. « Elle était obsédée par le caractère changeant des mots. Un mot n’était pas une chose, loin de là. Une chose n’était pas un mot. Cependant, d’une certaine façon, les deux – choses – devenaient inséparables. »
La figure de Joseph Conrad traverse le texte comme une référence tutélaire. Tel cet écrivain qui a changé de nom et de langue, Jane transcende sa condition première grâce à la littérature. Son statut d’orpheline, loin d’être un handicap, lui permet de se construire librement : « Partir avec une feuille vierge ou, plutôt, être soi-même une feuille vierge. N’être personne. »
La sensualité imprègne les pages sans jamais tomber dans la vulgarité, tandis que la tragédie qui survient ce jour-là prend une résonance particulière dans le contexte d’une société encore marquée par les deuils de la Grande Guerre. Swift marie ainsi l’intime et l’historique, le destin individuel et les mutations collectives dans ce texte salué par la critique britannique.
Aux éditions FOLIO ; 176 pages.
2. À tout jamais (1992)
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Résumé
Bill Unwin, universitaire quinquagénaire, se remet d’une tentative de suicide dans le jardin de son collège d’Oxford. Trois décès récents ont précipité son geste : celui de Ruth, son épouse actrice emportée par un cancer du poumon, de sa mère Sylvie, et de Sam, son beau-père américain qui avait fait fortune dans le plastique. Ces disparitions le poussent à réexaminer son passé, notamment le suicide de son père officier en 1946 à Paris, dont les véritables raisons lui échappent encore.
Dans sa convalescence, Bill se plonge dans les carnets de Matthew Pearce, son ancêtre victorien du XIXe siècle. Ce géomètre passionné de sciences naturelles connut une crise spirituelle majeure après avoir découvert des fossiles d’ichtyosaure et lu Darwin. Son adhésion à la théorie de l’évolution provoqua une rupture irrémédiable avec sa femme Elizabeth et son beau-père pasteur, le conduisant à abandonner sa famille pour partir vers le Nouveau Monde, où il périt noyé.
L’entrecroisement de ces deux destins forme le cœur du récit. Les questionnements de Matthew sur la foi et la science font écho aux interrogations de Bill sur le sens de l’existence après la perte des êtres chers. La quête de vérité sur leurs pères respectifs – l’un alcoolique, l’autre suicidé – les unit par-delà les siècles.
Autour du livre
En 1992, quelques années après la parution de « Possession » d’A.S. Byatt, « À tout jamais » s’inscrit dans une lignée d’œuvres britanniques qui entremêlent récits universitaires et quête historique. Les voix entrelacées de Bill Unwin et de son ancêtre Matthew Pearce tissent une réflexion sur la mort, l’amour et la science à travers deux époques charnières : l’Angleterre victorienne confrontée à Darwin et le monde contemporain hanté par l’arme nucléaire.
Les références constantes à « Hamlet » soulignent la dimension théâtrale qui sous-tend l’ensemble – Bill se décrit lui-même comme « trop vieux pour jouer Hamlet » à 52 ans. Cette intertextualité shakespearienne fait écho au métier de Ruth, l’épouse actrice, mais aussi aux multiples masques sociaux portés par les personnages, du professeur médiocre au scientifique victorien tourmenté.
Les critiques mitigées lors de la sortie du livre pointent une certaine dispersion narrative. Stephen Wall, dans le « London Review of Books », note que « les différents fils narratifs se dispersent plutôt que de concentrer l’attention », tandis que Richard Eder du « Los Angeles Times » juge l’œuvre « plus cérébrale qu’intelligente ». Cette complexité structurelle traduit néanmoins la fragmentation des certitudes dans un monde où la science ébranle les convictions, qu’il s’agisse de la théorie de l’évolution au XIXe siècle ou des armes de destruction massive au XXe siècle.
La transmission générationnelle occupe une place centrale, matérialisée par les carnets de Matthew Pearce légués de père en fils. Ces écrits intimes deviennent le point nodal où convergent les questionnements sur la foi, la science et l’héritage familial. Le motif récurrent du suicide – celui du père de Bill comme sa propre tentative – fait écho aux interrogations existentielles soulevées par les découvertes de Darwin.
La construction en miroir permet d’orchestrer un dialogue subtil entre passé et présent. Les crises spirituelles de Matthew face aux fossiles d’ichtyosaure résonnent avec les tourments contemporains de Bill. Les deux hommes cherchent un sens à leur existence dans un monde où chancellent les repères traditionnels, qu’ils soient religieux ou familiaux.
Aux éditions GALLIMARD ; 312 pages.
3. La dernière tournée (1996)
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Résumé
Dans le Londres des années 1990, quatre hommes se retrouvent au pub « La Diligence » à Bermondsey pour honorer les dernières volontés de leur ami Jack Dodds, boucher récemment décédé d’un cancer. Jack souhaitait que ses cendres soient dispersées depuis la jetée de Margate, station balnéaire du Kent où il rêvait de passer sa retraite.
Ray Johnson, agent d’assurance et parieur invétéré, Vic Tucker, entrepreneur de pompes funèbres, Lenny Tate, épicier au caractère explosif, et Vince Dodds, fils adoptif de Jack devenu vendeur de voitures d’occasion, s’embarquent donc pour ce périple dans une Mercedes luxueuse. Amy, la veuve de Jack, refuse de les accompagner, préférant rendre visite à leur fille handicapée June dans son institution.
Le trajet de soixante miles qui aurait pu durer deux heures s’étire sur une journée entière, entre haltes dans les pubs, visite impromptue à la cathédrale de Canterbury et recueillement au mémorial des soldats. L’urne funéraire, posée sur les genoux des passagers à tour de rôle, devient le catalyseur de confidences et de souvenirs enfouis : leur service pendant la Seconde Guerre mondiale, le sauvetage de Ray par Jack à El Alamein, la liaison secrète entre Ray et Amy, ou encore le drame de la fille de Lenny, séduite puis abandonnée par Vince.
Autour du livre
La structure narrative de « La dernière tournée » puise son inspiration dans « Tandis que j’agonise » de William Faulkner, un choix qui déclencha une polémique lors de l’attribution du Booker Prize en 1996. Swift reconnaît ouvertement cette influence tout en soulignant les différences fondamentales entre les deux œuvres. Salman Rushdie et Julian Barnes ont d’ailleurs pris sa défense, arguant qu’il s’agissait d’une référence assumée plutôt que d’un plagiat.
Les racines du récit s’ancrent dans la propre expérience de Swift. Né après la Seconde Guerre mondiale dans le sud-est londonien, il a grandi dans l’atmosphère particulière de Bermondsey, où se déroule l’action. La maison de sa mère avait été détruite pendant le Blitz en 1941, et son père, fonctionnaire au National Debt Office, fut lui aussi incinéré comme le personnage de Jack. Ces éléments autobiographiques nourrissent la justesse des observations sur cette génération d’après-guerre.
La dimension sociale transparaît à travers le parler cockney des personnages, qui transforme le vernaculaire populaire en langue littéraire sans jamais tomber dans le cliché ou le misérabilisme. Ces hommes ordinaires – boucher, croque-mort, vendeur de voitures d’occasion – accèdent à une forme de noblesse dans leur manière d’affronter les circonstances poignantes de leur existence.
L’adaptation cinématographique de 2001 par Fred Schepisi réunit des acteurs britanniques emblématiques : Michael Caine incarne Jack Dodds, Bob Hoskins prête ses traits à Ray Johnson, tandis qu’Helen Mirren endosse le rôle d’Amy. Le film conserve l’essence du texte tout en lui donnant une nouvelle dimension visuelle.
Couronné par le Booker Prize et le James Tait Black Memorial Prize en 1996, « La dernière tournée » s’inscrit dans la tradition du roman social britannique tout en la renouvelant. La construction chorale, où chaque personnage prend la parole à tour de rôle, tisse une tapisserie complexe de vies interconnectées sur fond de mutations sociales dans l’Angleterre d’après-guerre.
Aux éditions FOLIO ; 400 pages.
4. Le grand jeu (2020)
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Résumé
Brighton, été 1959. Sur la jetée victorienne de cette station balnéaire anglaise, trois jeunes artistes se produisent chaque soir dans un spectacle de variétés. Jack Robinson, maître de cérémonie charismatique, présente les numéros avec entrain. Le clou du spectacle met en scène Pablo le Magnifique, de son vrai nom Ronnie Deane, un illusionniste talentueux, et sa ravissante assistante Evie White. Le succès est immédiat.
L’histoire de Ronnie remonte à la Seconde Guerre mondiale, quand sa mère l’envoie, enfant, dans l’Oxfordshire pour échapper aux bombardements de Londres. Recueilli par les Lawrence, un couple sans enfant, il découvre la magie auprès de M. Lawrence qui l’initie à ses premiers tours de carte. Cette période heureuse forge sa vocation. Des années plus tard, sur les conseils de Jack qu’il a rencontré pendant son service militaire, Ronnie engage Evie comme assistante. Les fiançailles suivent rapidement.
Mais un soir de septembre 1959, après un dernier numéro éblouissant, Ronnie disparaît sans laisser de traces. Jack et Evie, qui ont développé des sentiments l’un pour l’autre, se marient plus tard. Cinquante ans après, devenue veuve, Evie se remémore cet été décisif et s’interroge encore sur la disparition mystérieuse de Ronnie.
Autour du livre
Dans « Le grand jeu », Graham Swift brode une trame qui jongle entre plusieurs époques, de la Seconde Guerre mondiale aux années 2000, avec comme point central l’été 1959 à Brighton. Cette construction temporelle crée un effet de miroir avec l’art de l’illusion pratiqué par le protagoniste : les souvenirs apparaissent et s’évanouissent, tout comme les tours de magie sur scène.
Le cadre historique s’avère particulièrement significatif : la fin des années 1950 marque le crépuscule du music-hall traditionnel britannique, menacé par l’avènement de la télévision. Swift saisit cette période charnière où les spectacles de variétés conservent encore leur pouvoir d’enchantement sur les foules estivales, tout en portant déjà les signes de leur déclin prochain.
Les critiques littéraires ont souligné la puissance évocatrice de certains passages, notamment dans The Guardian qui note « la qualité archétypale du récit, rappelant un conte populaire ». World Literature Today met en lumière la manière dont Swift « capture les vérités souvent tristes sur la maturation, l’amour et l’amitié ».
La symbolique de la magie transcende le simple cadre du spectacle pour devenir une métaphore des relations humaines. Les disparitions jalonnent le récit : celle du père de Ronnie en mer pendant la guerre préfigure sa propre évanouissement. Le titre original « Here We Are » fait écho à la formule traditionnelle des magiciens, soulignant l’importance de cet art dans la structure même du récit. Swift établit un parallèle entre les illusions scéniques et les apparences trompeuses de la vie réelle. Cette dualité se manifeste notamment dans le personnage d’Evie, dont la perspective de femme âgée teinte les souvenirs d’une mélancolie particulière, questionnant la nature même de la vérité et du bonheur.
La critique britannique Simon Baker note cependant que certains aspects du récit peuvent sembler « trop familiers » et que l’histoire se déroule parfois davantage par le biais de résumés que de scènes dramatisées. Néanmoins, comme le souligne Allan Massie dans The Scotsman, la description du dernier tour de magie de Pablo atteint une intensité remarquable, capable de tenir le public « entre l’étonnement et la croyance ».
Aux éditions FOLIO ; 208 pages.
5. J’aimerais tellement que tu sois là (2011)
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Résumé
Dans le Devon rural des années 1990, Jack Luxton perpétue la tradition familiale d’éleveur bovin aux côtés de son père taciturne et de son jeune frère Tom. Leur quotidien bascule avec le décès de leur mère, suivi par la crise de la vache folle qui décime leur troupeau. Tom, étouffé par cette vie, s’engage dans l’armée le jour de ses 18 ans, laissant Jack seul avec leur père qui finira par se suicider.
Soutenu par Ellie, sa voisine devenue son épouse, Jack vend la ferme familiale et le couple part gérer un camping sur l’île de Wight. Leur nouvelle existence, rythmée par les locations estivales et les vacances d’hiver au soleil, est bouleversée en novembre 2006 par l’annonce de la mort de Tom en Irak. Jack part seul assister aux obsèques, contre l’avis d’Ellie qui refuse de l’accompagner. À son retour, une violente dispute éclate. Ellie quitte la maison, laissant Jack seul avec un fusil, scrutant l’horizon dans l’attente de son retour.
Autour du livre
À travers les bouleversements de la société rurale britannique, « J’aimerais tellement que tu sois là » met en scène les transformations profondes qui ont secoué l’Angleterre des années 1990. La crise de la vache folle, suivie de l’épidémie de fièvre aphteuse, a précipité la fin d’un mode de vie ancestral. Les fermes familiales, souvent transmises de génération en génération, succombent sous le poids des dettes. Cette mutation économique s’accompagne d’un phénomène social tout aussi destructeur : l’acquisition massive de résidences secondaires par les citadins fortunés, qui fait flamber les prix et contraint les locaux à l’exil.
Swift excelle dans l’art d’entrelacer les temporalités, alternant entre présent et passé sans jamais perdre le fil conducteur. Les non-dits et les silences caractérisent les relations entre les personnages, particulièrement dans la famille Luxton où les sentiments restent enfouis. Cette pudeur émotionnelle, typique du milieu rural anglais, se manifeste notamment dans l’incapacité de Jack à exprimer son affection pour son frère Tom avant qu’il ne soit trop tard.
La narration adopte une structure en spirale qui suit le cheminement mental de Jack, hanté par ses souvenirs. Les événements se dévoilent progressivement, créant une tension qui culmine dans la scène finale. Les thèmes de la perte et du deuil s’incarnent à différentes échelles : perte des êtres chers, de la ferme familiale, et plus largement d’un mode de vie traditionnel. La mort de Tom en Irak ajoute une dimension contemporaine au récit, confrontant ce monde rural replié sur lui-même aux conflits internationaux.
Cette chronique d’une disparition annoncée transcende le simple constat sociologique pour interroger la transmission et l’héritage. Les fantômes du passé hantent le présent, tandis que la solitude et l’incommunicabilité minent les relations. Swift signe ici une méditation mélancolique sur la façon dont les changements sociétaux affectent les destins individuels, tout en questionnant la possibilité de préserver ses racines dans un monde en perpétuelle mutation.
Aux éditions FOLIO ; 432 pages.