Ursula K. Le Guin naît le 21 octobre 1929 à Berkeley, en Californie. Fille de l’anthropologue Alfred Kroeber et de l’écrivaine Theodora Kroeber, elle grandit dans un environnement intellectuel stimulant, entourée de livres et de visiteurs éminents. Passionnée de littérature dès son plus jeune âge, elle commence à écrire très tôt et soumet sa première nouvelle à onze ans.
Après des études de littérature française et italienne à Radcliffe College, elle obtient une maîtrise en français à l’université Columbia. En 1953, elle épouse l’historien Charles Le Guin, rencontré lors d’une traversée vers la France. Le couple s’installe à Portland en 1959, où ils élèvent leurs trois enfants.
Sa carrière d’écrivaine démarre véritablement à la fin des années 1950. Elle publie ses premières nouvelles de science-fiction au début des années 1960, mais c’est avec « Le Sorcier de Terremer » (1968) et « La Main gauche de la nuit » (1969) qu’elle accède à la reconnaissance critique et commerciale. Ces ouvrages marquent le début d’une production littéraire prolifique qui s’étendra sur près de soixante ans.
Le Guin développe une œuvre originale influencée par l’anthropologie, le taoïsme et le féminisme. Elle y aborde des thèmes comme le genre, la sexualité, les systèmes politiques alternatifs et l’écologie à travers ses deux univers majeurs : Ékumen (Hain) et Terremer. Son style singulier et sa capacité à transcender les genres littéraires lui valent de nombreuses récompenses prestigieuses.
Militante engagée, elle prend position contre la guerre du Vietnam et critique ouvertement les pratiques de l’industrie éditoriale. Son influence sur la science-fiction et la fantasy est considérable ; elle inspire de nombreux auteurs contemporains comme Neil Gaiman, David Mitchell ou Margaret Atwood.
Elle décède le 22 janvier 2018 à Portland, laissant derrière elle une œuvre riche de plus de vingt romans, une centaine de nouvelles, treize volumes de poésie et de nombreux essais qui ont durablement marqué la littérature du XXe siècle.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Le Sorcier de Terremer (Cycle de Terremer #1, 1968)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Sur l’île de Gont, dans l’archipel imaginaire de Terremer, Duny grandit avec un don naturel pour la magie. À l’adolescence, il repousse une invasion de guerriers kargues en invoquant un brouillard protecteur autour de son village. Le puissant mage Ogion, témoin de cet exploit, le prend sous son aile et lui révèle son véritable nom : Ged. Mais le jeune homme s’impatiente de la lenteur des enseignements d’Ogion. Il choisit alors de rejoindre la célèbre école des sorciers de l’île de Roke.
Là-bas, ses talents exceptionnels lui valent rapidement l’admiration des maîtres. Un autre étudiant, Jasper, le provoque lors d’un festin. Piqué dans son orgueil, Ged relève le défi et tente d’invoquer l’esprit d’une femme morte. Le sort tourne mal : une créature des ténèbres surgit et le blesse gravement au visage avant que l’Archimage ne parvienne à la chasser, au prix de sa propre vie.
Une fois guéri, Ged obtient son bâton de sorcier et devient le protecteur d’une communauté des Quatre-Vingt-Dix Îles. Mais une sombre entité le traque sans relâche. Au cours de ses tentatives pour lui échapper, il affronte des dragons, résiste aux tentations d’une pierre magique maléfique et manque plusieurs fois de perdre la vie. Sur les conseils d’Ogion, il comprend finalement qu’il doit cesser de fuir et affronter son ennemi. Son ami Algarrobo se joint à lui pour une ultime confrontation avec cette ombre mystérieuse qui semble détenir une part de son être…
Autour du livre
Ursula K. Le Guin n’imaginait pas écrire pour la jeunesse avant que Herman Schein, l’éditeur de Parnassus Press, ne lui propose en 1967 de composer un livre pour « les enfants plus âgés ». L’idée lui vient alors d’imaginer la jeunesse des grands mages comme Merlin ou Gandalf, qu’on ne rencontre habituellement que sous les traits de vénérables vieillards. Elle puise dans deux nouvelles publiées en 1964 dans le magazine Fantastic qui esquissaient déjà l’univers de Terremer. Son bagage en anthropologie, hérité de ses parents chercheurs, lui permet de concevoir des cultures complexes et crédibles pour les différentes îles de son archipel.
« Le Sorcier de Terremer » pose les fondations d’un système de magie original et cohérent, basé sur la connaissance des vrais noms des choses et des êtres. Le pouvoir s’accompagne de responsabilités : « Il ne faut pas changer une seule chose, un seul caillou, un seul grain de sable, sans savoir quel bien et quel mal en résulteront », prévient le Maître de l’école de Roke. Cette réflexion sur l’équilibre des forces s’inspire directement du taoïsme. Le Guin subvertit aussi les codes habituels de la fantasy en présentant un héros à la peau foncée, fait rarissime dans le genre à l’époque. Malgré le jeune âge du protagoniste, le récit aborde des thèmes profonds comme l’acceptation de sa part d’ombre ou le prix de l’orgueil.
Le Times Literary Supplement salue en 1968 « le récit le plus complet jamais écrit sur la formation d’un sorcier ». George Slusser décrit la saga comme « une œuvre de haut style et d’imagination ». Margaret Atwood considère ce livre comme l’une des « sources » de la littérature fantastique. Amanda Craig va jusqu’à le qualifier de « roman pour enfants le plus palpitant, sage et beau de tous les temps ». Il reçoit le Prix Boston Globe-Horn Book en 1969 et le Lewis Carroll Shelf Award en 1979.
Sci Fi Channel adapte l’histoire en 2004 dans une mini-série qui suscite la colère de Le Guin. Elle dénonce notamment le « blanchiment » du personnage de Ged, dont la couleur de peau est pourtant centrale dans l’œuvre. En 2006, le Studio Ghibli produit « Les Contes de Terremer », un film d’animation qui mélange librement des éléments des différents tomes. Si Le Guin apprécie la qualité visuelle, elle regrette l’utilisation de la violence et la présence d’un méchant à vaincre, ce qui contredit selon elle le message de ses livres.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 1800 pages.
2. Le Monde de Rocannon (Cycle de Hain #1, 1966)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans un futur lointain, la Ligue de Tous les Mondes envoie l’ethnologue Rocannon sur Fomalhaut II, une planète où cohabitent cinq espèces intelligentes dont le niveau technologique est médiéval. Sa mission initiale prend un tour dramatique quand des rebelles en guerre contre la Ligue détruisent son vaisseau et massacrent son équipage.
Seul survivant, Rocannon apprend l’existence d’une base ennemie dissimulée sur le continent. Sans moyen de communication avec la Ligue, il n’a qu’une solution : traverser la planète jusqu’à cette base pour utiliser les équipements de transmission des rebelles et prévenir la Ligue du danger. Il trouve cependant des alliés parmi les peuples autochtones : Mogien, un noble guerrier de la race des Angyar, Kyo, un membre du peuple télépathique des Fiia, et quelques serviteurs Olgyior.
Ensemble, ils entreprennent un périple à dos d’hippogriffes à travers des terres inconnues, tandis que les forces ennemies poursuivent leurs attaques contre les populations indigènes. Pour Rocannon, la course contre la montre commence : il doit atteindre la base ennemie avant que les rebelles ne transforment cette paisible planète en champ de bataille interstellaire.
Autour du livre
Premier roman d’Ursula K. Le Guin publié en 1966, « Le Monde de Rocannon » trouve son origine dans une nouvelle indépendante parue en 1964 sous le titre « Le Collier de Semlé ». Cette nouvelle, qui deviendra le prologue du roman, narre l’histoire de Semlé, une noble Angyar partie récupérer un collier ancestral auprès de l’ethnologue Rocannon. Son voyage spatial involontaire, qui lui fait perdre seize années à cause de la relativité temporelle, pose les jalons de l’univers plus vaste que Le Guin développera par la suite.
Ce livre inaugure le « Cycle de Hain », vaste fresque de science-fiction où Le Guin entremêle mythologie et anthropologie. Ce mélange des genres transcende les conventions : si les races autochtones évoquent l’heroic fantasy avec leurs analogues des elfes et des nains, leur description s’inscrit dans une démarche ethnologique rigoureuse. Le Guin y introduit également l’ansible, dispositif de communication instantanée qui deviendra un élément récurrent de la science-fiction, repris notamment par Orson Scott Card.
La réception critique souligne la singularité de ce premier roman. Robert Silverberg le qualifie de « space opera supérieur, divertissant, inventif et lettré ». Selon Roger Bozzetto dans Fiction 296, il s’inscrit dans une nouvelle tendance de la science-fiction qui s’éloigne des histoires du futur traditionnelles pour privilégier l’univers du conte. Les critiques contemporains notent la présence embryonnaire des thèmes qui feront la renommée de Le Guin : l’altérité, l’anthropocentrisme, les dynamiques coloniales. Si certains regrettent une écriture encore en maturation comparée à ses œuvres ultérieures, tous reconnaissent la puissance d’évocation et l’ambition du texte.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 190 pages.
3. Planète d’exil (Cycle de Hain #2, 1966)
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Résumé
Sur Gamma Draconis III, une colonie terrienne attend depuis six siècles des nouvelles de la Ligue de Tous les Mondes. Isolés après un mystérieux assaut ennemi, les colons survivent aux côtés des populations autochtones, les Hilfes, sans pouvoir partager avec eux leurs connaissances technologiques en raison d’un strict embargo culturel.
Dans ce monde où une année dure soixante ans terrestres, l’hiver approche, amenant avec lui la redoutable Sudaison : la migration massive des Gaal, un peuple nomade du Nord. Cette fois, les Gaal ne se déplacent plus en hordes dispersées mais forment une armée unie et organisée qui menace de tout dévaster sur son passage.
Jacob Agat Autreterre, membre du conseil des Hors Venus – nom donné aux colons par les autochtones – tente de convaincre le vieux chef Wold d’unir leurs forces contre l’envahisseur. Sa rencontre avec Rolerie, la petite-fille de Wold, née hors-saison, bouleverse les relations entre les deux peuples. Alors que les premières neiges tombent et que l’avant-garde des Gaal apparaît à l’horizon, l’avenir des Hors Venus et des Hilfes dépend de leur capacité à surmonter des siècles de méfiance mutuelle.
Autour du livre
Second volet du « Cycle de Hain » publié en 1966, « Planète d’exil » succède au « Monde de Rocannon » et pose les fondements de ce qui deviendra la marque de fabrique d’Ursula K. Le Guin : l’alliance entre science-fiction rationnelle et atmosphère imprégnée de mythologie. Le roman paraît initialement dans une édition Ace Double au format tête-bêche, couplé avec « Mankind Under the Leash » de Thomas M. Disch.
La particularité du roman réside dans son traitement des relations interculturelles. La confrontation entre Hors Venus et Hilfes transcende le simple conflit colonial pour interroger les mécanismes d’adaptation et de survie de communautés isolées. Le rythme cosmique singulier de Gamma Draconis III, avec ses années de soixante ans terrestres, impose une temporalité qui modifie profondément les structures sociales et les modes de pensée des différentes populations.
Les critiques littéraires soulignent unanimement la finesse anthropologique du récit. La construction des sociétés décrites, qu’il s’agisse des Hors Venus ou des Hilfes, témoigne d’une précision ethnographique remarquable. Ce talent pour créer des civilisations crédibles s’explique en partie par l’influence du père de l’autrice, l’anthropologue Alfred Kroeber, qui lui a transmis une sensibilité particulière pour l’observation des sociétés.
En 2017, les droits d’adaptation cinématographique ont été acquis par Los Angeles Media Fund. Toutefois, à ce jour, aucune information supplémentaire n’a filtré concernant la production d’un éventuel film.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 189 pages.
4. La Cité des illusions (Cycle de Hain #3, 1967)
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Résumé
Sur une Terre post-apocalyptique du lointain futur, un homme aux yeux jaunes émerge de la forêt, totalement amnésique. Recueilli par une petite communauté recluse qui le baptise Falk, il réapprend peu à peu à parler et à vivre.
Cette Terre n’a plus rien de familier : dépeuplée, retournée à l’état sauvage, elle se compose de microsociétés éparses sous la domination des mystérieux Shing. Ces êtres énigmatiques maintiennent une dictature bienveillante qui ne tolère qu’un seul interdit absolu : « Tu ne tueras point ». Maîtres des illusions et du mensonge télépathique, ils prétendent agir pour le bien de l’humanité qu’ils ont comme anesthésiée.
Après quelques années passées dans sa communauté d’adoption, Falk décide de partir vers l’ouest à la recherche de son identité. Son périple à travers l’Amérique du Nord le mène jusqu’à Es Toch, la cité des Shing. Là-bas, entre vérités et mensonges, entre illusions et manipulations, il devra démêler le vrai du faux pour découvrir qui il est réellement et affronter ces mystérieux maîtres de la Terre.
Autour du livre
Troisième volet du cycle de Hain paru en 1967, « La Cité des illusions » précède les chefs-d’œuvre que sont « La Main gauche de la nuit » et « Les Dépossédés », qui vaudront à leur autrice les prestigieux prix Hugo et Nebula. Premier roman d’Ursula K. Le Guin à paraître en format autonome, il se distingue des publications précédentes qui partageaient leur volume avec d’autres auteurs. L’autrice a d’ailleurs ajouté une introduction lors de la réédition en format cartonné chez Harper & Row en 1978, dans laquelle elle évoque sa satisfaction d’avoir pu utiliser sa propre traduction du « Tao Tö King », tout en regrettant la représentation peu convaincante des antagonistes Shing.
Le roman se démarque par son subtil mélange des genres, conjuguant les codes traditionnels de la science-fiction britannique avec l’imagerie du genre américain et une approche résolument anthropologique. La trame narrative s’articule autour du paradoxe du menteur – « Je suis un menteur » – qui soulève des questions philosophiques profondes sur la nature de la vérité et du mensonge. Cette réflexion sur la manipulation mentale et la domination politique fait écho aux préoccupations de Philip K. Dick, avec qui Le Guin entretenait des relations professionnelles étroites.
Les critiques ont souligné la singularité de cette œuvre dans le paysage de la science-fiction. Susan Wood met en avant la solidité conceptuelle du roman qui repose sur l’affirmation des valeurs humaines, tandis que Dena C. Bain note l’omniprésence d’un « mythos taoïste », caractéristique qui se retrouvera plus tard dans « La Main gauche de la nuit » et « Les Dépossédés ». Le thème de l’isolation, incarné par un protagoniste qui peine à établir des liens durables, confère au récit une dimension psychologique particulière.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 288 pages.
5. La Main gauche de la nuit (Cycle de Hain #4, 1969)
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Résumé
Dans un futur lointain, Genly Aï, un émissaire de l’Ekumen – une vaste confédération de planètes favorisant les échanges culturels et commerciaux – se rend sur Gethen, une planète glaciale que les premiers explorateurs ont baptisée Nivôse. Sa mission consiste à convaincre les principales nations géthéniennes de rejoindre l’alliance.
Sur cette planète hostile où règne un hiver permanent, les habitants présentent une particularité physiologique exceptionnelle : ils sont androgynes. Ni hommes ni femmes la plupart du temps, ils n’adoptent l’un ou l’autre sexe que pendant une courte période mensuelle appelée kemma. Dans ce contexte, Genly Aï, avec son identité masculine permanente, est perçu comme une aberration.
En Karhaïde, l’une des principales nations de Gethen, il trouve un allié en la personne d’Estraven, le Premier Ministre. Mais les intrigues politiques et la méfiance envers cet étranger « perpétuellement en rut » provoquent la disgrâce d’Estraven et l’exil de Genly Aï. Confronté à l’hostilité des autorités et aux conditions climatiques extrêmes, l’émissaire terrien doit à présent trouver un moyen de poursuivre sa mission diplomatique tout en luttant pour sa survie.
Autour du livre
Publié en 1969, « La Main gauche de la nuit » signe une révolution dans la science-fiction. Ce quatrième volet du cycle de Hain – qui peut néanmoins se lire de manière indépendante – émerge dans un contexte de profonds changements sociétaux. À l’époque, Ursula K. Le Guin ressent un malaise face à la deuxième vague féministe et s’interroge sur « la différence entre les hommes et les femmes ». Ces questionnements nourrissent l’écriture du roman, qui devient une méditation sur la sexualité et le genre.
La société géthénienne bouscule les fondements même de notre conception du genre et de la sexualité. Sur Gethen, l’absence de distinction sexuelle permanente influence tous les aspects de la civilisation : organisation sociale, politique, familiale et même rapport à la guerre. L’hypothèse sous-jacente suggère que le conflit armé pourrait être lié à la polarisation sexuelle de l’humanité. Cette théorie se trouve renforcée par l’absence historique de guerres sur Gethen, malgré l’existence de violences individuelles. Dans le chapitre « La question sexuelle », Le Guin décrit minutieusement la physiologie des Géthéniens pendant leur cycle : « Le cycle sexuel est en moyenne de vingt-six à vingt-huit jours. Pendant vingt et un ou vingt-deux jours le sujet est soma, en état de latence ou inactivité sexuelle. »
La narration alterne habilement entre plusieurs perspectives : le rapport de Genly Aï, le journal d’Estraven, des mythes géthéniens et des extraits d’études ethnologiques. Cette structure fragmentée, qualifiée de « nettement postmoderne », tranche avec la science-fiction traditionnelle de l’époque. Le Guin tisse sa trame narrative autour de thèmes universels : la loyauté, la trahison, la confrontation des préjugés culturels et leur influence sur la subjectivité d’un observateur externe.
Pour le critique Darko Suvin, « La Main gauche de la nuit » constitue « le roman le plus mémorable de l’année ». Harold Bloom l’a inclus dans son « Canon occidental » et déclare qu’avec ce texte, « Le Guin, plus que Tolkien, a élevé la fantasy au rang de haute littérature ». Le succès commercial confirme cette reconnaissance critique : plus d’un million d’exemplaires vendus en anglais en 2014. Les récompenses prestigieuses ne tardent pas : Prix Nebula 1969 et Prix Hugo 1970.
Plusieurs tentatives d’adaptation ont vu le jour. En 1995, le théâtre Lifeline de Chicago propose une version scénique. La BBC Radio 4 diffuse en 2015 une adaptation radiophonique en deux parties avec Kobna Holdbrook-Smith et Lesley Sharp. Côté audiovisuel, les projets se succèdent sans aboutir : Phobos Entertainment acquiert les droits en 2004 pour un long-métrage, puis Critical Content en 2017 pour une série télévisée avec Le Guin comme consultante. Malheureusement, aucun de ces projets n’a encore abouti à ce jour.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 350 pages.
6. Les Dépossédés (Cycle de Hain #5, 1974)
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Résumé
Sur la planète Urras et sa lune Anarres coexistent deux mondes que tout oppose. Urras incarne une société capitaliste luxuriante, où règnent l’argent et la propriété privée. Anarres, colonie fondée il y a deux siècles par des révolutionnaires anarchistes menés par Odo, prône l’égalité absolue et le rejet de toute possession. Sur cette lune aride où la survie dépend de la solidarité, Shevek s’affirme comme un physicien de génie. Ses recherches sur la nature du temps pourraient révolutionner les voyages spatiaux, mais l’hostilité de la bureaucratie scientifique d’Anarres freine ses avancées.
Contre l’avis de tous, Shevek décide de se rendre sur Urras pour poursuivre ses travaux. Premier Anarresti à quitter la colonie depuis sa fondation, il découvre une société d’abondance qui le fascine autant qu’elle le révolte. Les autorités d’Urras, qui convoitent le potentiel militaire de ses théories, tentent de le manipuler. À travers son regard se dévoilent les contradictions des deux systèmes : l’utopie égalitaire d’Anarres étouffe les individualités, tandis que la prospérité d’Urras repose sur l’exploitation d’une majorité par une élite. Dans ce contexte, Shevek doit choisir comment préserver l’intégrité de sa découverte scientifique.
Autour du livre
Le projet de ce roman est né d’une nouvelle que Le Guin considérait comme l’une de ses pires en trente ans d’écriture. L’histoire mettait en scène un physicien fuyant une planète-prison pour une planète-sœur plus prospère, avant de retourner noblement dans son monde d’origine après une histoire d’amour. Le personnage s’est progressivement transformé en Shevek, dont l’origine s’est précisée à travers les lectures de l’autrice sur l’anarchisme, notamment les écrits de Pierre Kropotkine. La vision de ce personnage, son « visage fin, ses yeux clairs, ses grandes oreilles », rappelant peut-être Robert Oppenheimer, a guidé l’écriture de cette œuvre majeure publiée en 1974.
L’originalité des « Dépossédés » réside dans sa construction narrative alternée et dans sa manière de traiter l’utopie anarchiste. Les chapitres impairs suivent le séjour de Shevek sur Urras tandis que les pairs retracent son parcours sur Anarres, créant une boucle temporelle qui résonne avec les théories physiques du protagoniste. Cette structure permet d’examiner minutieusement les mécanismes sociaux des deux mondes sans tomber dans un manichéisme simpliste.
La critique du capitalisme s’accompagne d’une réflexion nuancée sur les limites de l’utopie anarchiste. Si la société d’Anarres a aboli la propriété privée et l’État, elle n’échappe pas aux rigidités bureaucratiques ni à une forme de conformisme social. Le pravique, langue construite des Anarrestis, illustre cette ambivalence : conçue pour porter les idéaux révolutionnaires, elle proscrit les pronoms possessifs mais devient aussi un outil de formatage des esprits.
L’égalité entre les genres, les relations amoureuses libérées des conceptions possessives, l’éducation collective des enfants constituent autant d’aspects novateurs de la société anarchiste imaginée par Le Guin. La dimension écologique transparaît également à travers la description d’Anarres, planète aride où la survie collective dépend d’une gestion rigoureuse des ressources.
Baird Searles a qualifié le livre de « travail extraordinaire », louant la cohérence de son univers et la crédibilité de ses personnages. Gerald Jonas, dans le New York Times, a souligné sa capacité à renouveler le genre de l’utopie. Theodore Sturgeon y a vu l’accomplissement d’une fonction primordiale de la science-fiction : créer un autre système social pour en examiner le fonctionnement.
« Les Dépossédés » a remporté les prix Hugo, Nebula et Locus en 1974-1975, consacrant sa place dans l’histoire du genre. Une adaptation radiophonique a été réalisée par CBC Radio en 1987, sous forme de six épisodes de trente minutes. En octobre 2021, les sociétés 1212 Entertainment et Anonymous Content ont annoncé le développement d’une série limitée adaptée du roman.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 448 pages.
7. L’autre côté du rêve (1971)
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Résumé
Portland, début des années 2000. Dans un monde ravagé par la pollution et la surpopulation, George Orr vit secrètement avec un pouvoir qui le terrorise : ses rêves changent la réalité. Quand il se réveille, le monde s’est transformé selon ce qu’il a rêvé, et lui seul garde la mémoire du monde précédent. Pour se protéger de ce don qu’il perçoit comme une malédiction, il consomme illégalement des médicaments qui l’empêchent de dormir. Son addiction le conduit de force chez le Dr William Haber, psychiatre spécialiste du sommeil.
D’abord sceptique, Haber réalise vite que son patient dit la vérité. À l’aide d’une machine baptisée l’Amplificateur, il décide d’utiliser ce don pour créer un monde meilleur. Sous hypnose, il suggère à George des rêves qui devraient résoudre les grands problèmes de l’humanité : la guerre, la faim, le racisme. Mais l’inconscient de George interprète ces suggestions de manière imprévisible. Chaque tentative d’amélioration produit des effets secondaires catastrophiques : la fin des conflits humains provoque une invasion extraterrestre, la solution à la surpopulation décime l’humanité.
Désemparé face à cette manipulation de son esprit, George trouve une alliée en la personne d’Heather Lelache, une juriste qui croit en son histoire. Ensemble, ils tentent de résister au Dr Haber dont l’ambition ne cesse de grandir. Car le psychiatre ne se contente plus d’orienter les rêves de George : il cherche maintenant le moyen d’acquérir lui-même ce pouvoir pour façonner le monde selon sa vision…
Autour du livre
Publié en 1971, « L’autre côté du rêve » est un hommage explicite à Philip K. Dick. Le Guin elle-même l’a confirmé lors d’une interview en 2014 : « Je ne pouvais pas écrire un livre de Philip K. Dick, mais je pouvais lui voler certains de ses trucs. Extraire le lecteur de la réalité tout le temps, changer la réalité en eux, comme il le fait, je l’ai fait par le biais des rêves. »
Le récit déploie une critique musclée du behaviorisme et de l’utilitarisme. À travers l’opposition entre George Orr, personnage passif mais profondément éthique, et le Dr Haber, figure du scientifique manipulateur obsédé par le progrès, Le Guin interroge la légitimité d’imposer sa vision du bien commun. Les chapitres, ponctués de citations de Lao-Tseu, Victor Hugo et H. G. Wells, tissent un dialogue entre philosophie orientale et occidentale. Le nom même du protagoniste, George Orr, établit un parallèle avec George Orwell et sa vision dystopique de 1984.
Theodore Sturgeon, dans sa critique pour le New York Times, salue « une synthèse rare et puissante de poésie et de science, de raison et d’émotion ». Philip K. Dick lui-même considère ce livre comme « l’un des meilleurs romans, et le plus important pour comprendre la nature de notre monde ». Lester del Rey exprime néanmoins des réserves sur la seconde moitié du récit, estimant que « l’accumulation de merveilles fait perdre sa crédibilité à l’intrigue ».
« L’autre côté du rêve » a connu deux adaptations télévisuelles majeures. La première, réalisée en 1980 par David Loxton et Fred Barzyk pour PBS, bénéficie de l’implication directe de Le Guin qui s’est déclarée satisfaite du résultat. La seconde, produite en 2002 pour A&E Network et réalisée par Philip Haas, s’éloigne significativement du matériau original sans la participation de l’autrice. Une adaptation théâtrale par Edward Einhorn a également été présentée à New York en 2012.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 219 pages.
8. Dons (Chronique des rivages de l’Ouest #1, 2004)
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Résumé
Dans les collines isolées des Entre-Terres, des familles de sorciers se transmettent des dons héréditaires de génération en génération. Ces pouvoirs, aussi variés que redoutables, permettent à leurs détenteurs d’exercer leur autorité sur leurs domaines.
Orrec Caspro, fils du chef de clan Canoc, hérite du don ancestral de sa lignée : le pouvoir de destruction. D’un simple regard, il peut « défaire » tout ce qui l’entoure. Terrorisé par ce don qu’il peine à maîtriser, le jeune homme prend une décision radicale : se bander les yeux pour ne pas risquer de blesser ses proches. Son amie d’enfance Gry, dotée du pouvoir d’appeler les animaux, refuse quant à elle d’utiliser son don pour la chasse.
Tandis qu’Orrec apprend à vivre dans l’obscurité, les tensions s’exacerbent avec le domaine voisin dirigé par le belliqueux Ogge Drum. Ce dernier convoite les terres des Caspro et ne recule devant aucune manipulation pour parvenir à ses fins. Entre les querelles territoriales, les alliances matrimoniales forcées et le poids des traditions, Orrec devra trouver sa place dans ce monde cruel où les dons peuvent aussi bien protéger que détruire.
Autour du livre
Premier tome d’une trilogie publiée en 2004, « Dons » marque le retour d’Ursula K. Le Guin à la fantasy pour jeunes adultes après une longue période consacrée à d’autres genres. L’autrice affirme avoir résisté aux pressions de son éditeur qui souhaitait une œuvre « plus proche d’Harry Potter », préférant développer une réflexion plus profonde sur la nature du pouvoir et la quête d’identité.
Loin des codes habituels du genre, ce roman se distingue par son ancrage dans un univers quasi-médiéval dépourvu de créatures fantastiques ou d’objets magiques. Le surnaturel se manifeste uniquement à travers les dons héréditaires des personnages, créant une atmosphère où la magie s’intègre naturellement au quotidien rural des Entre-Terres. Cette société féodale miniature, avec ses alliances et ses rivalités, constitue un microcosme propice à l’exploration des thèmes chers à Le Guin : la responsabilité qu’implique le pouvoir, la liberté de choisir son destin, la remise en question des traditions.
L’approche narrative privilégie la chronique contemplative aux rebondissements spectaculaires. Le récit se développe à travers les souvenirs d’Orrec, entremêlant les anecdotes familiales, les tensions politiques et son cheminement intérieur. Cette construction narrative douce permet d’aborder la transformation du protagoniste, qui doit apprendre à concilier son héritage avec ses propres aspirations.
Le Portland Oregonian souligne la résonance à la fois intemporelle et contemporaine de la réflexion sur l’abus de pouvoir. La revue Tor compare le texte à un conte traditionnel maintes fois raconté, tandis que Horn Book Magazine met en avant la singularité des jeunes héros « rebelles et réfléchis ». Le professeur d’université Mike Cadden considère ce roman comme l’un des plus aboutis de Le Guin dans le domaine de la littérature jeunesse.
« Dons » a reçu le PEN Center USA 2005 Children’s Literature Award. La trilogie « Chronique des rivages de l’Ouest » s’est poursuivie avec « Voix » en 2006 et « Pouvoirs » en 2007, ce dernier remportant le Prix Nebula. L’édition française parue aux Éditions de l’Atalante propose une traduction de Mikael Cabon qui s’attache particulièrement à restituer la dimension poétique du texte original.
Aux éditions ATALANTE ; 224 pages.