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Margaret Atwood en 9 romans – Notre sélection

Margaret Atwood en 9 romans – Notre sélection

Margaret Atwood naît le 18 novembre 1939 à Ottawa, au Canada. Fille d’un entomologiste et d’une nutritionniste, elle passe son enfance entre les forêts du Québec et différentes villes canadiennes, ce qui influence profondément son écriture. Elle commence à écrire dès l’âge de seize ans et poursuit des études de littérature anglaise à l’Université de Toronto, puis à Harvard.

Sa carrière littéraire débute en 1961 avec la publication d’un recueil de poésie, « Double Persephone ». En 1969, elle publie son premier roman, « La femme comestible », qui marque le début d’une œuvre prolifique comprenant romans, poésie, nouvelles et essais. Son roman le plus célèbre, « La servante écarlate » (1985), la propulse sur la scène internationale et devient un classique de la littérature dystopique.

Écrivaine engagée, Atwood aborde dans ses œuvres des thèmes comme l’identité canadienne, le féminisme, la politique et l’environnement. Son style singulier mêle réalisme social et fiction spéculative. Elle reçoit de nombreuses récompenses prestigieuses, dont deux prix Booker (2000 et 2019) et le prix Arthur-C.-Clarke.

Sur le plan personnel, après un premier mariage avec Jim Polk qui se termine en 1973, elle partage sa vie avec l’écrivain Graeme Gibson jusqu’au décès de celui-ci en 2019. Elle est mère d’une fille, Eleanor Jess. Aujourd’hui, Margaret Atwood continue d’écrire et reste une voix influente de la littérature contemporaine, particulièrement active sur les questions sociales et environnementales.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. La servante écarlate (1985)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans un futur dystopique proche, les États-Unis sont devenus la République de Gilead, un régime théocratique totalitaire instauré après l’assassinat du président et du Congrès. Dans cette société où la pollution a rendu la plupart des femmes stériles, les rares femmes encore fertiles sont réduites au rang de « Servantes », forcées de porter les enfants de l’élite dirigeante.

Defred, l’une de ces Servantes, vit dans la demeure du Commandant Fred et de son épouse Serena Joy. Privée de son nom, de ses droits et séparée de sa fille, elle doit se plier aux rituels de procréation imposés par le régime. Entre les souvenirs de sa vie d’avant et sa relation ambiguë avec le Commandant, Defred tente de préserver son humanité. Quand Nick, le chauffeur, lui propose une chance de s’échapper, elle hésite : est-ce vraiment un acte de résistance ou un piège du régime ?

Autour du livre

Margaret Atwood commence l’écriture de « La servante écarlate » à Berlin-Ouest en 1984, imprégnée par l’atmosphère de surveillance et de méfiance qui règne derrière le rideau de fer. La genèse du roman puise dans trois sources principales : la littérature dystopique qui a marqué la romancière canadienne durant son adolescence, ses études sur l’Amérique puritaine des XVIIe et XVIIIe siècles, et son observation des mécanismes des dictatures.

L’œuvre s’inscrit dans la tradition des dystopies comme « 1984 » ou « Le meilleur des mondes », tout en s’en démarquant par son ancrage dans des faits historiques avérés. Atwood s’impose une règle stricte : n’inclure que des pratiques déjà expérimentées par l’humanité. Ainsi, l’interdiction de la lecture pour les femmes renvoie à l’esclavage américain, tandis que le code vestimentaire s’inspire des lois d’Hammourabi. Atwood y soulève des questions sur les droits reproductifs des femmes, l’instrumentalisation de la religion et les mécanismes du pouvoir. La structure sociale de Gilead, organisée en castes strictement définies par le genre et la fonction, révèle une pyramide où hommes et femmes occupent différents échelons, plutôt qu’une simple opposition entre les sexes.

L’impact culturel de « La servante écarlate » s’avère considérable. Le costume rouge et la coiffe blanche des Servantes sont devenus des symboles de protestation féministe à travers le monde. Le roman reçoit le prestigieux prix Arthur-C.-Clarke en 1987 et connaît de multiples adaptations, dont une série télévisée primée aux Emmy Awards en 2017. La phrase en latin de contrebande « Nolite te bastardes carborundorum » (« Ne laisse pas les salauds te broyer ») devient un slogan emblématique de résistance.

Les résonances contemporaines du texte n’ont cessé de s’amplifier. À travers le parcours de Defred, Atwood met en lumière la fragilité des acquis démocratiques et la facilité avec laquelle une société peut basculer dans le totalitarisme. Le roman préfigure avec une acuité troublante certaines dérives actuelles, notamment dans le contrôle du corps des femmes.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 576 pages.


2. Les testaments (2019)

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Résumé

Dans les coulisses de la théocratie totalitaire de Gilead, Tante Lydia, l’une des plus hautes responsables du régime, accumule depuis des années des preuves de la corruption des dirigeants. L’arrivée de Daisy, une jeune Canadienne de seize ans qui ignore être la célèbre « Baby Nicole » dérobée à Gilead dans son enfance, précipite les événements. Infiltrée dans le pays sous une fausse identité, elle y retrouve sa demi-sœur Agnes, elle aussi fille d’une ancienne Servante. Tante Lydia, agent double pour le mouvement de résistance Mayday, met au point un plan audacieux : faire passer les documents compromettants au Canada grâce aux deux jeunes femmes. Cette mission périlleuse, si elle réussit, pourrait bien sonner le glas de Gilead. Mais le temps presse, car le redoutable Commandant Judd convoite déjà Nicole pour en faire son épouse.

Autour du livre

Publié en 2019, « Les testaments » répond enfin aux interrogations laissées en suspens par « La servante écarlate » trente-quatre ans plus tôt. Cette suite s’inscrit dans un contexte politique particulier, comme le souligne Margaret Atwood : « Je disais toujours non quand on me demandait d’écrire une suite. Mais comme nous avons commencé à nous rapprocher de Gilead plutôt que de nous en éloigner, j’ai reconsidéré la question. »

Le choix d’une narration à trois voix offre un éclairage nouveau sur l’univers de Gilead. Le personnage de Tante Lydia, simple antagoniste dans le premier opus, acquiert une profondeur insoupçonnée. D’ancienne juge contrainte à la collaboration, elle se mue en figure de résistance souterraine, illustrant la complexité morale des choix en régime totalitaire.

La genèse du roman s’entrelace étroitement avec la série télévisée « The Handmaid’s Tale ». L’interprétation de Tante Lydia par Ann Dowd a directement influencé l’écriture du personnage, au point que l’actrice prête sa voix à la version audio anglaise du livre. Cette synergie entre livre et série se poursuit, puisqu’une adaptation télévisée des « Testaments » est prévue après la conclusion de « The Handmaid’s Tale ».

L’épilogue, situé en 2197, prolonge le dispositif métafictionnel du premier roman : un colloque universitaire examine les documents ayant permis de reconstituer l’histoire. Ce choix narratif souligne avec ironie la distance entre les événements vécus et leur interprétation historique, tout en suggérant la fragilité des témoignages face au temps qui passe. « Les testaments » ne se contente pas de prolonger l’univers dystopique de Gilead : il le questionne, le déconstruit et finalement précipite sa chute.

Le succès critique ne s’est pas fait attendre : le roman remporte le Booker Prize 2019, conjointement avec « Fille, femme, autre » de Bernardine Evaristo.

Aux éditions 10/18 ; 624 pages.


3. Captive (1996)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans le Canada victorien des années 1840, la jeune servante Grace Marks est condamnée pour sa participation au meurtre de son employeur Thomas Kinnear et de sa maîtresse Nancy Montgomery. Quinze ans plus tard, alors qu’elle est incarcérée au pénitencier de Kingston, le Dr Simon Jordan, un jeune psychiatre, entreprend d’éclaircir le mystère qui entoure cette affaire.

À travers leurs entretiens, Grace dévoile son parcours : son enfance marquée par la pauvreté en Irlande, son immigration forcée au Canada, sa rencontre déterminante avec Mary Whitney et les circonstances qui l’ont menée jusqu’à la demeure fatidique de Thomas Kinnear. Entre amnésie réelle ou simulée, possession spirituelle et troubles psychiatriques, le Dr Jordan tente de percer le mystère d’une femme dont la véritable nature lui échappe.

Autour du livre

Margaret Atwood s’empare d’un fait divers qui secoua le Canada en 1843 pour tisser une réflexion sur la condition féminine dans la société victorienne. Cette affaire criminelle, initialement relatée par Susanna Moodie dans « Life in the Clearings Versus the Bush », avait déjà inspiré à Atwood un téléfilm pour la CBC en 1974. Le roman, paru en 1996, remporte le prestigieux prix Giller et se retrouve finaliste du Booker Prize.

Atwood y entremêle plusieurs niveaux de lecture : enquête criminelle, étude psychologique et fresque historique. Les titres des quinze chapitres du roman correspondent à des motifs de patchwork, métaphore filée qui structure le récit. Ils font écho au travail de couture auquel s’adonne Grace pendant ses entretiens avec le Dr Jordan, assemblant peu à peu les pièces de sa mémoire comme elle assemble ses quilts.

Le contexte politique et social occupe une place centrale dans le récit. La rébellion de 1837, qui terrorisa les classes supérieures du Canada, plane encore sur les esprits. Les tensions entre Irlandais immigrés et Anglais, exacerbées par la Grande Famine, imprègnent les relations entre les personnages. Atwood questionne également l’émergence de la psychiatrie, alors appelée « aliénisme », et son interaction avec les pratiques plus ésotériques comme le mesmérisme et le spiritisme.

La force de « Captive » réside dans son refus des certitudes. La culpabilité ou l’innocence de Grace demeurent délibérément ambiguës, tout comme la nature de ses troubles mentaux. Cette indétermination fait écho aux questions que soulève le roman sur l’identité féminine dans une société patriarcale, où les femmes se trouvent constamment jugées selon des critères contradictoires : victimes ou manipulatrices, folles ou calculatrices.

Le succès du roman a donné lieu à plusieurs adaptations, notamment une remarquable mini-série produite par Sarah Polley pour Netflix et CBC Television en 2017. Une version théâtrale, écrite par Jennifer Blackmer, a également vu le jour en 2016 à l’université de Ball State avant d’être reprise à Chicago.

Aux éditions 10/18 ; 624 pages.


4. C’est le cœur qui lâche en dernier (2015)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans un futur proche, les États-Unis se sont effondrés sous le poids d’une crise économique catastrophique. Stan et Charmaine ont tout perdu : leur maison, leurs emplois, leurs rêves. Ils subsistent grâce aux pourboires que Charmaine gagne comme serveuse et dorment dans leur voiture pour échapper aux gangs qui sillonnent les rues. Lorsqu’une publicité leur propose d’intégrer le Projet Positron, ils y voient leur salut.

Le principe est simple : en échange d’un engagement à vie, ils obtiennent une maison et un emploi stable dans la ville fermée de Consilience. Le système fonctionne sur un principe d’alternance : chaque résident passe un mois dans la communauté modèle de Consilience, puis le mois suivant comme détenu dans la prison de Positron. Pendant leur incarcération, un autre couple, leurs « alternants », occupe leur maison.

Si le système semble idyllique, il révèle bientôt sa face sombre : trafic d’organes, robots sexuels, manipulation mentale. Stan et Charmaine se retrouvent pris dans un engrenage infernal où s’entremêlent adultère, chantage et conspiration, jusqu’à remettre en question leurs choix initiaux et leur relation.

Autour du livre

« C’est le cœur qui lâche en dernier » puise ses origines dans une série de nouvelles publiées par Margaret Atwood sur la plateforme Byliner entre 2012 et 2013. Ces quatre récits, réunis sous le titre « Positron », constituent la matrice du roman paru en 2015. Cette genèse particulière transparaît dans la structure narrative, qui conserve par endroits le rythme saccadé du feuilleton.

La dimension satirique du récit prend pour cible les dérives du capitalisme carcéral et la privatisation du système pénitentiaire américain. En créant une société où la prison devient un modèle économique viable, Atwood questionne les limites entre liberté et sécurité, entre confort matériel et autodétermination. L’univers rétrofuturiste de Consilience, avec sa musique des années 50 et ses standards moraux d’un autre âge, souligne l’absurdité d’un système qui prétend résoudre les problèmes du présent en restaurant un passé idéalisé.

L’humour noir qui imprègne les pages n’épargne aucun personnage. Stan et Charmaine incarnent les victimes consentantes d’un système qu’ils refusent de remettre en question, préférant l’illusion de la stabilité à l’incertitude de la liberté. Leur aveuglement volontaire reflète les mécanismes d’acceptation sociale qui permettent l’émergence des régimes totalitaires.

La dimension allégorique du récit se double d’une réflexion sur l’amour et le désir dans un monde déshumanisé. L’obsession de Stan pour son « alternante », les fantasmes de Charmaine, les robots sexuels et les manipulations mentales dessinent une cartographie des pulsions humaines où la frontière entre authentique et artificiel s’estompe progressivement.

Le roman a reçu le Red Tentacle Award et sa traduction française, « C’est le cœur qui lâche en dernier », a été sélectionnée pour l’édition 2018 du Combat des livres. Si certains critiques ont souligné le caractère parfois décousu de l’intrigue, la pertinence de la critique sociale et l’audace de l’architecture narrative ont été largement saluées.

Aux éditions 10/18 ; 480 pages.


5. Le dernier homme (2003)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans un futur proche, Snowman, apparemment seul survivant de l’humanité, survit tant bien que mal dans un monde dévasté. Il veille sur une tribu d’humanoïdes pacifiques, les Crakers, êtres à la peau bleutée qui se nourrissent exclusivement de plantes. Ces créatures, qui le considèrent comme leur guide et protecteur, ne comprennent rien au monde qui les entoure.

Mais qui est vraiment Snowman ? Des flashbacks révèlent son passé, quand il s’appelait encore Jimmy. Il a grandi dans un monde divisé en deux : d’un côté, des complexes résidentiels ultrasécurisés contrôlés par de puissantes corporations biotechnologiques, de l’autre, des ghettos surpeuplées où règnent violence et maladies. Fils de scientifiques privilégiés, Jimmy se lie d’amitié au lycée avec Glenn, un étudiant brillant qui se fait appeler Crake. Ensemble, ils passent leur temps à jouer à des jeux vidéo violents et à regarder des contenus pornographiques en ligne. C’est sur l’un de ces sites qu’ils aperçoivent une très jeune fille asiatique au regard inoubliable.

Les années passent. Tandis que Jimmy végète dans un emploi de publicitaire médiocre, Crake devient un scientifique de premier plan. Il dirige un projet secret baptisé Paradice au sein de la corporation RejoovenEsense. Il propose alors à Jimmy de le rejoindre pour l’aider à commercialiser BlyssPluss, une pilule miracle censée garantir une vie sexuelle épanouie tout en protégeant des maladies sexuellement transmissibles. Dans le laboratoire, Jimmy découvre avec stupeur que la mystérieuse Oryx, devenue la maîtresse de Crake, n’est autre que la jeune fille du site pornographique. Elle est chargée d’éduquer d’étranges créatures humanoïdes – les futurs Crakers.

Ce que Jimmy ignore, c’est que Crake a un plan machiavélique : BlyssPluss contient en réalité un virus destiné à éradiquer l’humanité. Convaincu que notre espèce court à sa perte en détruisant la planète, Crake a conçu les Crakers : une version améliorée d’Homo sapiens, des êtres pacifiques, écologiques, dénués d’agressivité et de désir de possession. Le jour où la pandémie se déclenche, elle décime la population mondiale en quelques semaines.

Autour du livre

Rédigé dans le sillage immédiat des attentats du 11 septembre 2001, « Le dernier homme » naît d’une inquiétude viscérale face aux dérives technologiques et sociales. Margaret Atwood interrompt d’ailleurs brièvement l’écriture après les attentats, bouleversée par les résonances entre la catastrophe fictive qu’elle imagine et la tragédie bien réelle qui vient de frapper. L’inspiration initiale surgit lors d’un séjour en Australie, où l’observation des râles à cou roux – qui donneront son surnom à Crake – cristallise ses réflexions sur l’extinction des espèces.

Les thématiques abordées résonnent avec une acuité particulière vingt ans après la publication : manipulation génétique, marchandisation du vivant, fracture sociale extrême, catastrophe climatique. La société décrite pousse jusqu’à l’absurde les logiques déjà à l’œuvre en 2003 : les complexes résidentiels ultrasécurisés deviennent des forteresses corporatives, la pornographie infantile se mue en divertissement mainstream, les animaux transgéniques prolifèrent.

Le roman s’inscrit dans une veine dystopique qui privilégie le réalisme technique aux extrapolations débridées. Atwood elle-même refuse l’étiquette de science-fiction, préférant parler de « fiction spéculative » car elle n’y dépeint « rien qui n’existe déjà ou ne soit en cours de développement ». Cette attention méticuleuse au plausible transparaît notamment dans l’utilisation de la protéine fluorescente verte, une biotechnologie bien réelle, pour doter les Crakers d’yeux phosphorescents.

Salué par la critique, le roman est finaliste du Man Booker Prize 2003 et de l’Orange Prize 2004. Il inaugure la trilogie « MaddAddam », complétée par « Le temps du déluge » (2009) et « MaddAddam » (2013). En 2023, le Hessisches Staatstheater Wiesbaden en propose une adaptation opératique. Plusieurs projets d’adaptation télévisée se succèdent, notamment sous l’égide de Darren Aronofsky, sans aboutir à ce jour. La BBC le classe en 2019 parmi les 100 romans les plus influents, tandis que The Guardian l’inclut dans sa liste des 100 meilleurs livres du XXIe siècle.

« Le dernier homme » fait l’objet de controverses récurrentes aux États-Unis, où il figure parmi les ouvrages les plus censurés en milieu scolaire. En 2024, plusieurs districts scolaires du Texas l’interdisent, suivis par le conseil de l’éducation de l’Utah qui le bannit pour « contenu objectivement sensible ».

Aux éditions 10/18 ; 480 pages.


6. L’odyssée de Pénélope (2005)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Margaret Atwood réinvente l’Odyssée en donnant la parole à Pénélope qui, depuis les Enfers, révèle sa vérité sur les événements d’Ithaque. Mariée adolescente à Ulysse, elle doit rapidement faire face seule aux responsabilités du pouvoir quand son époux part combattre à Troie. Pendant vingt ans, elle repousse habilement les prétendants qui cherchent à s’emparer du trône, tout en protégeant les intérêts de son jeune fils Télémaque. Pour déjouer leurs plans, elle s’appuie sur douze servantes chargées de les espionner. Ces femmes subissent violences et viols de la part des prétendants. Lors de son retour, Ulysse massacre ses rivaux puis, sur dénonciation d’Euryclée, fait exécuter les douze servantes considérées comme complices. Pénélope n’ose avouer qu’elle les avait missionnées. Les fantômes des servantes exécutées viennent désormais la hanter dans l’au-delà.

Autour du livre

Publié en 2005, « L’odyssée de Pénélope » s’inscrit dans un projet éditorial ambitieux initié par Canongate Books : inviter des auteurs contemporains à revisiter les mythes antiques. Margaret Atwood accepte la proposition mais hésite initialement entre un mythe nordique et un récit amérindien avant de se tourner vers l’Odyssée. L’image des douze servantes pendues l’obsède depuis sa première lecture adolescente du texte homérique.

La narration jongle entre le récit de Pénélope et les interventions du chœur des servantes qui adoptent des formes littéraires diverses : comptine, ballade, chant marin, tragédie grecque, plaidoirie ou encore conférence universitaire. Cette polyphonie permet d’interroger la véracité des mythes et la multiplicité des points de vue. Là où l’Odyssée fait d’Ulysse un héros confronté à des monstres, Pénélope le dépeint comme un menteur qui transforme une rixe d’ivrogne avec un tavernier borgne en combat épique contre le Cyclope.

Atwood questionne aussi les genres et les classes sociales. Tandis qu’Ulysse multiplie les conquêtes sans conséquence, les relations des servantes avec les prétendants sont sanctionnées par la mort. Pénélope elle-même condamne Hélène pour les morts de la guerre de Troie tout en minimisant sa responsabilité dans l’exécution de ses servantes.

Le succès critique et commercial est immédiat : traduction en 28 langues, meilleures ventes au Canada, nominations pour le Prix Mythopoeic et le Prix littéraire international IMPAC de Dublin. Une adaptation théâtrale coproduite par le National Arts Centre canadien et la Royal Shakespeare Company britannique voit le jour en 2007. La mise en scène de Josette Bushell-Mingo, avec une distribution exclusivement féminine, reçoit un accueil favorable malgré quelques réserves sur la prédominance de la narration au détriment de l’action dramatique.

« L’odyssée de Pénélope » a fait l’objet de nombreuses études universitaires qui soulignent sa dimension féministe, bien que l’autrice récuse cette étiquette : « On qualifie de féministe tout ce qui est écrit du point de vue d’une femme. » Le texte s’inscrit néanmoins dans une tradition de relecture critique des mythes, déjà présente dans d’autres œuvres d’Atwood comme « Circé – Poèmes d’argile » ou « Helen of Troy Does Counter Dancing ».

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 191 pages.


7. Le tueur aveugle (2000)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans l’Ontario des années 1930-1940, Iris Chase, désormais octogénaire, se remémore son passé et celui de sa sœur Laura. Les deux jeunes filles grandissent dans la ville fictive de Port Ticonderoga, au sein d’une famille industrielle prospère. À la mort de leur mère, elles sont élevées par Reenie, la gouvernante. La Grande Dépression pousse leur père à marier Iris à Richard Griffen, un homme d’affaires torontois aux ambitions politiques. Pendant ce temps, un jeune auteur communiste, Alex Thomas, entre dans leur vie. Laura se suicide peu après la Seconde Guerre mondiale, laissant derrière elle un roman intitulé « Le tueur aveugle ». Cette œuvre raconte une histoire d’amour avec un écrivain de science-fiction, elle-même enchâssée dans un récit fantastique. Mais ce roman posthume cache un secret : sa véritable autrice n’est pas Laura mais Iris, qui y relate sa liaison avec Alex Thomas.

Autour du livre

« Le tueur aveugle » est une œuvre magistrale où s’entrelacent trois niveaux de narration : les mémoires d’Iris, le roman attribué à Laura, et le récit de science-fiction enchâssé. Cette construction complexe permet de dévoiler progressivement les secrets familiaux, tout en brossant le portrait saisissant du Canada des années 1930-1940, marqué par les tensions politiques et sociales. La dimension politique imprègne l’ensemble du texte, notamment à travers les mouvements communistes et l’On-to-Ottawa Trek. Les coupures de presse disséminées dans le récit ancrent la fiction dans son époque tout en renforçant sa crédibilité historique.

Le succès fut immédiat : couronné par le Booker Prize en 2000 et le Prix Hammett en 2001, le roman connut une augmentation spectaculaire de ses ventes – multipliées par dix après l’obtention du Booker. Time Magazine le consacra meilleur roman de l’année 2000 et l’intégra à sa liste des 100 plus grands romans de langue anglaise depuis 1923. Seul « La servante écarlate » fait mieux en termes de ventes parmi les œuvres d’Atwood.

Les critiques saluèrent majoritairement cette fresque ambitieuse, louant sa construction sophistiquée et son portrait acéré de la condition féminine dans la première moitié du XXe siècle. Quelques voix discordantes, notamment celle du New York Times, lui reprochèrent sa longueur et son écriture, tandis que The Guardian y vit une simple romance parée d’ornements politiques.

Aux éditions 10/18 ; 672 pages.


8. Graine de sorcière (2016)

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Résumé

Felix Phillips, directeur artistique renommé du festival de théâtre Makeshiweg, se fait brutalement évincer de son poste par son assistant Tony, qui complote avec le ministre du patrimoine Sal O’Nally. Cette trahison survient alors qu’il s’apprête à mettre en scène « La Tempête » de Shakespeare, une pièce qui revêt pour lui une importance toute particulière depuis la mort de sa fille Miranda.

Après neuf années d’exil volontaire dans une cahute isolée, Felix finit par accepter un poste de professeur dans une prison sous le pseudonyme de Mr Duke. Il y enseigne Shakespeare aux détenus et, quatre ans plus tard, saisit enfin l’occasion de sa vengeance : monter « La Tempête » avec ses élèves-acteurs, au moment même où ses anciens ennemis, désormais hommes politiques influents, viennent évaluer son programme de réinsertion.

Autour du livre

Publié en 2016 pour marquer le 400ème anniversaire de la mort de Shakespeare, ce roman s’inscrit dans la collection Hogarth Shakespeare, une série de réécritures contemporaines confiées à des auteurs de renom. Margaret Atwood y déploie une narration en poupées russes : une pièce dans la pièce dans le roman, où chaque niveau fait écho aux autres. Le titre lui-même, « Graine de sorcière », fait référence à Caliban, personnage central de « La Tempête ».

L’originalité du roman réside dans sa transposition du monde théâtral vers l’univers carcéral. Les détenus réinventent Shakespeare en rap, ne peuvent jurer qu’avec les insultes présentes dans le texte original, et proposent leurs propres interprétations des personnages. Cette approche pédagogique novatrice permet d’aborder des thèmes aussi variés que la réhabilitation par l’art, le pouvoir transformateur du théâtre, la nature de la justice.

Le parallèle entre Felix et Prospero se décline sur plusieurs niveaux : tous deux sont des maîtres déchus qui orchestrent leur vengeance depuis leur lieu d’exil. La présence fantomatique de Miranda, qui grandit dans l’esprit de Felix au fil des années, ajoute une dimension poignante à cette relecture. Atwood questionne ainsi les frontières entre réalité et illusion, liberté et enfermement, vengeance et pardon.

La réception critique a salué cette adaptation qui parvient à être à la fois fidèle à l’esprit shakespearien et résolument contemporaine. Le livre a notamment été sélectionné pour le Baileys Women’s Prize for Fiction 2017.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 360 pages.


9. La voleuse d’hommes (1993)

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Résumé

Au début des années 1990, trois quinquagénaires torontoises que tout oppose se retrouvent confrontées au retour d’une femme qu’elles croyaient morte. Zenia, une manipulatrice au passé trouble, avait méthodiquement détruit leurs vies vingt ans plus tôt.

À Tony, petite historienne passionnée de récits de guerre, elle avait raconté être une aristocrate russe déchue avant de séduire son mari West. À Charis, mystique végétarienne, elle s’était présentée comme une rescapée juive des camps avant de partir avec son compagnon Billy. À Roz, businesswoman catholico-juive, elle avait joué l’agent secret avant d’entraîner son époux Mitch vers la ruine puis le suicide.

Supposément tuée dans un attentat à Beyrouth cinq ans plus tôt, Zenia resurgit au restaurant où les trois femmes partagent leur repas mensuel. Cette réapparition les oblige à exhumer leur passé traumatique pour comprendre comment une même personne a pu les duper chacune à sa manière.

Autour du livre

Publié en 1993, « La voleuse d’hommes » s’inscrit dans une période charnière de l’œuvre d’Atwood, entre « La servante écarlate » (1985) et « Captive » (1996). Elle y subvertit les codes du conte traditionnel en inversant les rôles genrés : la figure du brigand masculin se mue en femme prédatrice, tandis que les victimes ne sont plus de naïves jeunes filles mais des femmes accomplies aux prises avec leurs propres contradictions.

Le personnage de Zenia incarne une figure archétypale de la « méchante » qui transcende sa simple fonction narrative. Certains critiques y ont vu une transposition de la journaliste Barbara Amiel, mais Zenia représente surtout un miroir des anxiétés féminines face aux mutations sociales des années 1990. Elle cristallise les tensions entre différents modèles de féminité : la carrière versus la maternité, l’empowerment versus la vulnérabilité.

« La voleuse d’hommes » a connu une adaptation télévisuelle en 2007 sur CBC Television avec Mary-Louise Parker dans le rôle de Zenia. Si la série simplifie considérablement l’intrigue en gommant les retours dans l’enfance des protagonistes, elle préserve l’atmosphère vénéneuse du roman. En 2014, Atwood prolonge l’univers du livre avec la nouvelle « I Dream of Zenia with the Bright Red Teeth », où Charis croit que son chien est possédé par l’esprit de Zenia.

Co-lauréat du prix Trillium en 1993 et finaliste du prix du Gouverneur général, « La voleuse d’hommes » occupe une place singulière dans l’œuvre d’Atwood. Le roman marie avec brio le réalisme psychologique et une dimension presque surnaturelle, notamment à travers le personnage de Charis dont les pouvoirs mystiques s’avèrent bien réels. Cette ambiguïté générique participe à l’universalité du propos sur les dynamiques de pouvoir entre femmes.

Aux éditions 10/18 ; 656 pages.

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