Peter Handke naît le 6 décembre 1942 à Griffen, en Carinthie (Autriche). Issu d’une famille modeste, il est le fils d’une mère d’origine slovène et d’un père allemand qu’il ne connaîtra pas durant son enfance. Son beau-père, un ancien soldat allemand devenu conducteur de tramway, est alcoolique et marque négativement sa jeunesse.
Après des études dans un internat catholique où il découvre la littérature à travers Faulkner, Dickens et Bernanos, il entame des études de droit à Graz qu’il abandonne en 1965 pour se consacrer à l’écriture. Son premier roman, « Les Frelons », est publié cette même année.
Sa carrière littéraire décolle véritablement en 1966 avec sa pièce provocante « Outrage au public ». Auteur prolifique, il écrit plus de 35 romans et essais, 15 pièces de théâtre et de nombreux scénarios. Il collabore notamment avec le cinéaste Wim Wenders pour « Les Ailes du désir » (1987). Son œuvre, marquée par un travail expérimental sur la langue, aborde des thèmes comme l’angoisse, l’incommunicabilité ou l’errance.
Dans les années 1990, ses prises de position en faveur de la Serbie durant la guerre de Yougoslavie suscitent de vives controverses. Installé en France depuis 1991, à Chaville près de Paris, il poursuit son œuvre et reçoit le prix Nobel de littérature en 2019.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. La femme gauchère (1976)
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Dans une maison moderne au pied de la montagne, Marianne mène une vie rangée avec Bruno, son mari, et leur fils de huit ans. Un jour, elle lui demande de partir, sans raison apparente. Cette rupture soudaine stupéfie son entourage : personne ne comprend ce geste radical qui chamboule leur existence paisible dans ce lotissement allemand des années 1970.
Libérée de son rôle d’épouse, Marianne reconstruit sa vie pas à pas. Elle renoue avec son ancien métier de traductrice, change la disposition des meubles, marche seule dans les rues la nuit. Autour d’elle gravitent différentes figures : un père fantasque, une amie institutrice, un éditeur, un acteur. Tous s’interrogent sur cette femme qui refuse désormais les attaches trop pesantes.
« La femme gauchère » déconcerte par son écriture chirurgicale et sa narration distanciée qui transforment une banale séparation en récit universel. La prose clinique de Handke, ses dialogues laconiques et ses personnages désignés par leur fonction (« la femme », « l’enfant ») créent une atmosphère glacée où les émotions affleurent à peine. Cette froideur apparente dissimule pourtant une réflexion sur la quête de liberté et le poids des conventions sociales.
Dans ce court texte de 1976, les non-dits pèsent autant que les mots. L’absence de justification à la rupture, les silences pesants, les gestes quotidiens minutieusement décrits dessinent en creux le portrait d’une femme qui étouffe dans son rôle d’épouse et de mère. La citation finale des « Affinités électives » de Goethe – « tout semble suivre son cours habituel comme dans des cas extrêmes où tout est remis en jeu » – éclaire rétrospectivement l’ensemble du récit : sous l’apparente banalité des jours qui passent se joue un drame intime aux résonances tragiques.
Aux éditions FOLIO ; 128 pages.
2. Le malheur indifférent (1972)
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Le 21 novembre 1971, la mère de Peter Handke met fin à ses jours à l’âge de 51 ans. Quelques semaines plus tard, l’écrivain autrichien entreprend de retracer son existence, de son enfance dans un village de Carinthie jusqu’à son suicide.
Cette femme, née en 1920 dans une famille modeste, rêvait d’étudier mais la vie en a décidé autrement. À 22 ans, elle tombe enceinte d’un officier allemand déjà marié. Elle épouse alors un sous-officier de la Wehrmacht qu’elle n’aime pas. S’ensuivent des années de privation dans l’Allemagne d’après-guerre, puis un retour dans son village natal. Peu à peu, cette jeune femme qui aspirait à la liberté se referme sur elle-même, rongée par la mélancolie. À trente ans, sa vie semble déjà terminée.
« Le malheur indifférent » de Peter Handke ne ressemble à aucun autre récit de deuil. Le lecteur se trouve face à une double quête : celle d’un fils qui tente de reconstituer la vie de sa mère, et celle d’un écrivain qui cherche les mots justes pour dire l’indicible. À travers le portrait de cette femme modeste de Carinthie, née en 1920 et morte à 51 ans, se dessine l’histoire de toute une génération de femmes sacrifiées. Prise entre ses aspirations à la liberté et le carcan d’une société patriarcale, entre un amour impossible avec un officier allemand et un mariage sans amour, la mère de Handke incarne ces destins brisés par la grande Histoire.
Aux éditions FOLIO ; 128 pages.
3. La courte lettre pour un long adieu (1972)
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Au début des années 1970, un écrivain autrichien débarque aux États-Unis. À peine arrivé dans son hôtel, il découvre une lettre de sa femme Judith qui lui intime l’ordre de ne surtout pas la chercher à New York. Cette injonction déclenche chez lui une réaction paradoxale : il se lance dans une traversée du continent américain, oscillant entre la tentation de retrouver son épouse et le besoin de la fuir.
De Providence à la côte Pacifique, le protagoniste enchaîne les rencontres et les étapes. Il croise Claire, une ancienne maîtresse, observe des couples dysfonctionnels, dialogue avec son frère le temps d’une scène insolite. Pendant ce temps, sa femme le suit à distance, dans un jeu de cache-cache où chacun devient tour à tour le chasseur et la proie, jusqu’à la confrontation finale.
Dans ce texte de 1972, l’errance géographique se double d’une désorientation existentielle. Le protagoniste, misanthrope et égocentrique, promène son spleen d’une ville à l’autre, transformant chaque observation en interrogation sur lui-même. Sa perception clinique du monde qui l’entoure traduit un profond malaise face à l’altérité. Les dialogues avec les personnages rencontrés – une ancienne amante, des artistes, son frère – révèlent peu à peu les failles d’un homme incapable de trouver sa place. Entre descriptions au scalpel et moments de pure poésie, le roman dessine le portrait d’une Amérique à la fois familière et profondément étrangère.
Aux éditions FOLIO ; 176 pages.
4. L’angoisse du gardien de but au moment du penalty (1970)
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Au début des années 1970, Joseph Bloch travaille comme monteur dans une usine allemande. Cet ancien gardien de but international démissionne sur un malentendu : le simple regard de son contremaître lui fait croire à son renvoi. Il commence alors à déambuler sans but dans la ville, multipliant les séances de cinéma et scrutant avec une attention obsessionnelle son environnement. Un soir, dans un accès de violence inexpliqué, il tue une ouvreuse de cinéma qui l’avait raccompagné chez elle.
Pour échapper aux conséquences de son crime, il se réfugie dans une bourgade proche de la frontière, où une amie tient une auberge. L’esprit de Bloch continue de se déliter : il provoque des bagarres, passe des coups de téléphone énigmatiques et perçoit des menaces imaginaires dans les gestes les plus anodins. Sa conscience fragmentée ne retrouvera un semblant d’unité que face à un gardien de but arrêtant un penalty.
« L’angoisse du gardien de but au moment du penalty » interroge la frontière entre réalité et perception. Le texte déconstruit méthodiquement les mécanismes de la paranoïa à travers le personnage de Bloch, qui perd progressivement sa capacité à interpréter correctement les signes du monde qui l’entoure. L’écriture froide de Handke, faite de phrases courtes à la neutralité déconcertante, place sur le même plan les gestes anodins et les actes violents, créant un effet de dissociation qui reflète la confusion mentale du protagoniste. Cette narration distanciée transforme le lecteur en observateur d’une expérience troublante sur la fragilité de nos repères et notre rapport au langage. Le roman s’inscrit dans la mouvance du Nouveau Roman des années 1970, tout en développant une approche singulière qui préfigure certains romans contemporains sur la folie ordinaire.
Aux éditions FOLIO ; 160 pages.