Johann Wolfgang von Goethe naît le 28 août 1749 à Francfort dans une famille aisée. Fils d’un juriste cultivé et d’une mère issue de la noblesse de robe, il reçoit une éducation humaniste rigoureuse et apprend plusieurs langues. Sa jeunesse est marquée par la guerre de Sept Ans et la présence française à Francfort.
Il entreprend des études de droit à Leipzig puis à Strasbourg, où il rencontre Herder qui influence profondément sa pensée. En 1774, la publication des « Souffrances du jeune Werther » le propulse vers la célébrité dans toute l’Europe. En 1775, il s’installe à Weimar sur invitation du duc Charles Auguste et occupe rapidement d’importantes fonctions politiques.
En 1786, Goethe part secrètement pour l’Italie, voyage qui marque un tournant dans sa vie et son œuvre. À son retour en 1788, il s’installe avec Christiane Vulpius, qu’il n’épousera qu’en 1806. Sa rencontre avec Schiller en 1794 donne naissance à une amitié intellectuelle féconde qui durera jusqu’à la mort de ce dernier en 1805.
Tout au long de sa vie, Goethe mène de front création littéraire et recherches scientifiques. Il s’intéresse à la botanique, à l’optique, à la géologie. En littérature, il excelle dans tous les genres : poésie, théâtre, roman. Son chef-d’œuvre, « Faust », l’occupe pendant près de soixante ans.
Figure majeure du classicisme de Weimar, admiré par Napoléon qui le décore de la Légion d’honneur, Goethe devient dans ses dernières années le « Sage de Weimar », une référence incontournable de la culture européenne. Il meurt le 22 mars 1832, peu après avoir achevé la seconde partie de « Faust », laissant une œuvre monumentale qui influence encore la littérature mondiale.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Les Souffrances du jeune Werther (roman, 1774)
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Résumé
Allemagne, XVIIIe siècle. Werther, un jeune bourgeois sensible et cultivé, s’éprend de la douce Charlotte dès leur première rencontre lors d’un bal. Leurs affinités sont évidentes, leur connexion immédiate. Le cœur de Werther s’embrase pour cette jeune fille à la grâce angélique. Mais leur idylle naissante est entravée par un obstacle de taille : Charlotte est fiancée à Albert, un homme fort respectable.
Éperdu d’amour, Werther s’efforce de fuir la tentation. Il s’éloigne, accepte un emploi auprès d’un ambassadeur. Mais la distance n’y fait rien. Obsédé par l’image de sa bien-aimée, il finit par revenir. Hélas, la voilà désormais mariée à Albert.
Dès lors, c’est la descente aux enfers. Werther se consume d’une passion sans espoir. Dans de longues missives lyriques envoyées à son ami Wilhelm, il épanche son désespoir grandissant et sa douleur lancinante. Chaque jour passé auprès du couple est un supplice. La jalousie et le dépit amoureux le rongent, tandis que sa raison vacille. Malgré les mises en garde de Charlotte, Werther persiste à nourrir cet amour dévastateur.
Autour du livre
Rédigé en seulement quatre semaines d’écriture intensive au début de l’année 1774, « Les Souffrances du jeune Werther » propulse instantanément son auteur, Johann Wolfgang von Goethe, alors âgé de vingt-quatre ans, au rang de célébrité européenne. Cette œuvre emblématique du mouvement Sturm und Drang marque profondément son époque et influence durablement le romantisme naissant.
Le choix du roman épistolaire n’est pas anodin : treize ans plus tôt, « Julie ou la Nouvelle Héloïse » de Rousseau avait démontré l’impact considérable que pouvait avoir la publication d’une correspondance amoureuse apparemment authentique. Goethe s’identifie d’ailleurs au héros de Rousseau, Saint-Preux, comme il le reconnaîtra plus tard dans ses écrits autobiographiques. La forme épistolaire transforme le lecteur en confident privilégié des tourments intimes de Werther.
L’œuvre puise sa matière dans deux histoires réelles entrelacées : d’une part, la relation platonique de Goethe avec Charlotte Buff, elle-même promise à Johann Christian Kestner, et d’autre part, le destin tragique de Karl Wilhelm Jerusalem, qui se donna la mort par amour pour une femme mariée. Goethe transpose ces éléments biographiques tout en créant une œuvre profondément originale qui transcende la simple confession.
La parution anonyme du livre, accompagnée d’une brève introduction d’un prétendu « éditeur », renforce l’illusion d’authenticité. Les notes de bas de page qui masquent les noms réels des personnages et des lieux accentuent cette impression de vérité documentaire. Le basculement vers la narration à la troisième personne dans les dernières pages, nécessité par la mort du protagoniste, intensifie le drame final.
Le succès est fulgurant et dépasse toutes les attentes. La « fièvre werthérienne » s’empare de l’Europe : les jeunes gens adoptent la tenue vestimentaire du héros – frac bleu, gilet jaune, bottes brunes et chapeau rond. Des produits dérivés apparaissent : la tasse Werther, l’eau de Werther, des illustrations sur porcelaine. Cette frénésie inquiète les autorités qui, dans certaines régions comme la Saxe ou le Danemark, interdisent l’ouvrage, redoutant son influence sur les esprits fragiles.
Napoléon Bonaparte compte parmi les admirateurs les plus fervents du roman, qu’il aurait lu sept fois et emporté dans ses campagnes militaires. Lors du congrès d’Erfurt en 1808, il convoque Goethe pour discuter de l’œuvre, louant particulièrement le traitement de la passion malheureuse tout en critiquant la représentation trop négative de la société.
Plus tard, Goethe lui-même prend ses distances avec ce texte de jeunesse. Il confie à son secrétaire Eckermann n’avoir relu le livre qu’une seule fois après sa publication, craignant de revivre l’état psychologique tourmenté dont il était issu. En 1787, il publie une version remaniée qui marque un certain détachement vis-à-vis du héros.
L’influence des « Souffrances du jeune Werther » s’étend bien au-delà de son époque. Jules Massenet en tire un opéra en 1892. Thomas Mann réinterprète la figure de Goethe dans « Charlotte à Weimar » (1939). Le sociologue David Phillips forge en 1974 l’expression « effet Werther » pour désigner le phénomène de contagion suicidaire par médiatisation. Les adaptations cinématographiques se succèdent, de Max Ophüls en 1938 à Philipp Stölzl en 2010.
Cette œuvre fondatrice du romantisme européen continue d’interroger les rapports entre création littéraire et expérience vécue, entre fiction et réalité, entre passion individuelle et contraintes sociales. Son message sur la puissance destructrice de l’amour et les limites de la raison face aux élans du cœur garde une résonance universelle.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 221 pages.
2. Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (roman, 1795)
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Résumé
Allemagne, années 1780. Wilhelm Meister étouffe dans le milieu bourgeois où il est né. Fils d’un négociant prospère, il voue une passion au théâtre depuis qu’il a assisté, enfant, à un spectacle de marionnettes. Alors que son père le presse de reprendre l’entreprise familiale, il s’éprend de Mariane, une jeune comédienne. Cette histoire d’amour lui donne le courage de tout quitter pour embrasser une carrière d’artiste.
Un soir, Wilhelm surprend ce qu’il croit être une preuve de l’infidélité de Mariane. Anéanti, il renonce à ses projets et se soumet pendant plusieurs années aux exigences de son père. Le hasard d’un voyage d’affaires le met en présence d’une troupe de théâtre ambulant. Peu à peu, Wilhelm s’implique dans la vie de la troupe, jusqu’à en devenir le directeur et le mécène. Un jour, la troupe est invitée à se produire dans le château d’un comte, où Wilhelm fait la connaissance de personnages énigmatiques qui vont infléchir son parcours.
Autour du livre
À partir d’une première version intitulée « La vocation théâtrale de Wilhelm Meister », rédigée dans les années 1770 mais restée inédite du vivant de Goethe, « Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister » prend sa forme définitive entre 1795 et 1796, notamment grâce aux encouragements et aux critiques de Friedrich Schiller. Cette genèse complexe transparaît dans la structure même de l’œuvre : les cinq premiers livres s’inspirent du manuscrit initial tandis que les trois derniers marquent une évolution significative dans le parcours du protagoniste.
L’œuvre s’impose rapidement comme le prototype du Bildungsroman (roman d’apprentissage), bien que cette catégorisation soit à nuancer. Le critique Friedrich Schlegel lui attribue une importance comparable à celle de la Révolution française et de la philosophie de Fichte. Si Novalis critique en privé ce qu’il perçoit comme un « athéisme artistique », Adam Müller place l’œuvre au même niveau que « Don Quichotte ». Nietzsche, admirateur de Goethe, note quant à lui l’alternance entre « les plus belles choses du monde et les enfantillages les plus ridicules ». Schopenhauer la classe parmi les quatre romans immortels aux côtés du « Don Quichotte », de « Julie ou la Nouvelle Héloïse » et de « Tristram Shandy ». Dans ses « Aphorismes sur la sagesse dans la vie », il souligne comment le roman transcende la simple recherche du plaisir pour offrir « l’instruction, la connaissance et la compréhension ».
La présence de Shakespeare constitue l’un des fils conducteurs essentiels du récit. Le protagoniste découvre l’œuvre du dramaturge anglais grâce au personnage de Jarno, et la mise en scène d’Hamlet devient un moment clé de son parcours. Cette incorporation de Shakespeare reflète la réception enthousiaste du théâtre élisabéthain dans l’Allemagne du XVIIIe siècle, Goethe lui-même ayant présidé une célébration en l’honneur du dramaturge à Francfort en 1771.
Le sixième livre, « Les Confessions d’une belle âme », marque une rupture dans la narration. Ce récit autonome, inspiré de Susanna Catharina Klettenberg, une amie de la mère de Goethe, introduit une dimension spirituelle qui contraste avec les préoccupations théâtrales des premiers chapitres.
Les poèmes qui émaillent le texte ont inspiré de nombreux compositeurs romantiques : Beethoven met en musique « Nur wer die Sehnsucht kennt » en 1808, Schubert compose huit lieder tirés du roman, et Schumann crée en 1849 un cycle complet accompagné d’un Requiem pour Mignon. Le personnage de Mignon lui-même suscite l’intérêt des peintres, comme en témoignent les œuvres de Schadow et Bouguereau. Le réalisateur allemand Wim Wenders en propose une relecture contemporaine dans « Faux Mouvement » (1975), avec un scénario de Peter Handke.
Aux éditions FOLIO ; 788 pages.
3. Les Affinités électives (roman, 1809)
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Résumé
En 1809, dans les environs de Weimar, le baron Édouard et son épouse Charlotte savourent leur bonheur tardif. Après avoir chacun vécu un premier mariage, ils peuvent enfin concrétiser leur amour de jeunesse. Dans leur domaine isolé, ils mènent une existence paisible, occupés à embellir leur parc et leur château.
Cette quiétude bascule lorsqu’Édouard insiste pour accueillir son ami le Capitaine Otto, momentanément dans le besoin. Charlotte, pressentant le danger d’introduire une tierce personne dans leur intimité, finit par céder mais impose en contrepartie la venue de sa nièce Ottilie. De ce quatuor improvisé va peu à peu naître de nouvelles affinités.
Autour du livre
La genèse des « Affinités électives » remonte à 1770, lors d’une visite de Goethe au monastère de Sainte-Odile dans les Vosges. Le nom et la figure de cette sainte imprègnent profondément son esprit, au point qu’il décide plus tard d’en doter l’un de ses personnages les plus marquants. Initialement conçu comme une nouvelle destinée à s’insérer dans « Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister », le projet prend une telle ampleur que Goethe choisit d’en faire une œuvre autonome, rédigée entre 1808 et 1809.
Le contexte historique s’avère déterminant : les guerres napoléoniennes secouent l’Allemagne et menacent directement Weimar, la ville de Goethe. Cette période trouble transparaît dans le roman, où les bouleversements politiques se métamorphosent en passions dévastatrices. La vie privée de l’auteur nourrit également son écriture : fraîchement marié à Christiane Vulpius en 1806, Goethe développe pourtant des sentiments intenses pour deux jeunes femmes, Minna Herzlieb et Sylvie von Ziegesar. Ces émois interdits, auxquels il renonce, se reflètent dans le personnage d’Ottilie.
L’originalité du roman tient notamment à son titre et à sa construction autour d’une métaphore scientifique : les « affinités électives » désignent un phénomène chimique où deux corps composés se défont pour former de nouvelles combinaisons. Cette analogie entre chimie et relations humaines structure l’ensemble du récit. Le quatrième chapitre expose cette théorie scientifique qui préfigure déjà le destin tragique des personnages.
Thomas Mann salue dans ce texte « un miracle de perfection et de pureté dans la composition, de richesse dans les relations, d’interconnexions et d’unité. » La construction s’avère en effet méticuleuse, tissée d’un réseau complexe de symboles et de signes annonciateurs. Les platanes au bord du lac accompagnent les moments clés de l’intrigue, tandis que les prénoms des personnages se font écho : Eduard et le Capitaine partagent le même prénom Otto, dont la sonorité se retrouve dans Charlotte et Ottilie.
Le roman ne se rattache à aucun mouvement littéraire précis. Il mêle des éléments classiques, comme l’inexorabilité du destin rappelant la tragédie grecque, à des aspects romantiques tels que le mysticisme entourant Ottilie. Cette ambivalence en fait une œuvre charnière dans la production de Goethe.
L’influence des « Affinités électives » perdure : le sociologue Max Weber s’en inspire pour analyser le développement du capitalisme, René Magritte lui consacre une toile, Walter Benjamin lui dédie un essai majeur. Les adaptations cinématographiques se succèdent, des frères Taviani à Sebastian Schipper, preuves de la modernité persistante des questionnements soulevés par Goethe.
Aux éditions FOLIO ; 346 pages.
4. Faust (pièce de théâtre, 1808, 1832)
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Résumé
Allemagne, XVIe siècle. Dans son cabinet d’étude, le docteur Faust, savant reconnu et admiré, traverse une crise existentielle majeure. Ses décennies de recherche et d’érudition ne lui ont apporté ni satisfaction ni réponses aux questions essentielles. Au bord du désespoir, il reçoit la visite de Méphistophélès, émissaire des forces obscures, qui lui soumet une proposition tentatrice.
Le démon s’engage à mettre ses pouvoirs au service de Faust et à lui offrir une nouvelle jeunesse. En échange, Faust devra lui céder son âme, mais seulement s’il connaît un instant de félicité si parfait qu’il souhaiterait le figer dans l’éternité. Le pacte conclu, Méphistophélès entraîne Faust dans une série d’aventures qui le mènent à la rencontre de Marguerite, une jeune fille pure et innocente dont il tombe éperdument amoureux.
Autour de la pièce
Véritable monument de la littérature allemande et mondiale, « Faust » naît d’une gestation exceptionnellement longue : Goethe y consacre six décennies de sa vie, de 1772 à 1832. Cette élaboration progressive, marquée par des interruptions et des reprises, témoigne de l’ampleur de l’entreprise et de son importance capitale pour son créateur. La première partie paraît en 1808, tandis que la seconde ne sera publiée qu’à titre posthume en 1832.
L’œuvre puise ses racines dans plusieurs sources d’inspiration. Le procès de Susanna Margaretha Brandt, une infanticide que Goethe aurait vu exécuter, influence directement la conception du personnage de Marguerite. La tradition littéraire du Docteur Faust, déjà présente dans le théâtre de marionnettes que Goethe avait vu enfant, ainsi que dans l’œuvre de Christopher Marlowe, constitue le socle narratif initial. En 1801, l’auteur emprunte à la bibliothèque ducale de Weimar plusieurs ouvrages sur le personnage historique de Faust pour approfondir sa documentation.
Les deux parties de l’œuvre présentent des différences fondamentales dans leur approche. La première met en scène un drame intime centré sur les tourments de Faust et sa relation avec Marguerite. La seconde partie s’ouvre sur des perspectives plus vastes : questions politiques, sociales, mystiques et philosophiques s’entremêlent dans une fresque ambitieuse. Cette dualité correspond à l’évolution même de Goethe : « La première partie est presque entièrement subjective ; tout émane d’un individu plus contraint, plus passionné […] Dans la seconde partie, en revanche, il n’y a presque rien de subjectif », confie-t-il à Eckermann en 1831.
L’influence de « Faust » sur la culture allemande et européenne s’avère considérable. La langue allemande s’enrichit d’expressions tirées de l’œuvre : « des Pudels Kern » (le nœud du problème) ou « Gretchenfrage » (la question cruciale) entrent dans le langage courant. Les adaptations musicales, picturales et théâtrales se multiplient : de Schubert à Berlioz, de Delacroix à Scheffer, chaque art s’empare de cette matière foisonnante.
Les mises en scène théâtrales constituent un chapitre à part entière de l’histoire de l’œuvre. La première représentation intégrale des deux parties, un événement majeur, n’a lieu qu’en 1938 au Goetheanum de Dornach. En 2000, Peter Stein réalise une version monumentale de 21 heures, mobilisant 80 collaborateurs dont 33 comédiens.
La postérité intellectuelle de l’œuvre s’inscrit dans des perspectives multiples. Schopenhauer salue particulièrement le portrait de Marguerite et sa trajectoire vers la sainteté à travers la souffrance. Pour Oswald Spengler, « Faust » incarne la critique de la domination technologique de la nature. D’autres y voient une réflexion sur les limites de la connaissance scientifique et ses implications morales, une problématique qui résonne particulièrement avec les questionnements de l’ère atomique.
La complexité de l’œuvre suscite des interprétations diverses : lectures jungiennes, freudiennes, sociologiques, alchimiques ou classiques se côtoient et s’enrichissent mutuellement. Cette polysémie, loin d’être fortuite, correspond au projet même de Goethe qui affirme avoir « dissimulé bien des choses » dans son texte, conçu comme « une énigme manifeste qui continuerait d’occuper et de faire réfléchir les hommes ».
Aux éditions FLAMMARION ; 572 pages.