Norman Kingsley Mailer naît le 31 janvier 1923 à Long Branch dans le New Jersey. Fils d’un comptable juif originaire d’Afrique du Sud et d’une gestionnaire d’agence de femmes de ménage, il grandit à Brooklyn. Il entre à Harvard en 1939 où il étudie l’ingénierie aéronautique tout en développant son intérêt pour l’écriture.
Enrôlé dans l’armée américaine en 1944, il participe à la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique. Cette expérience lui inspire son premier roman, « Les nus et les morts » (1948), qui le propulse immédiatement vers la célébrité. Il devient l’une des figures majeures du « Nouveau Journalisme » aux côtés de Truman Capote et Tom Wolfe, mêlant techniques de fiction et journalisme factuel.
Sa vie privée est tumultueuse : il se marie six fois et a neuf enfants. Un incident marquant survient en 1960 lorsqu’il poignarde sa deuxième épouse, Adele Morales, qui survit à l’agression.
Écrivain prolifique, il alterne romans, essais et récits journalistiques. Il s’engage politiquement contre la guerre du Vietnam et se présente même à la mairie de New York en 1969. Son œuvre est récompensée par de nombreux prix, dont deux Pulitzer : l’un pour « Les Armées de la nuit » en 1969 et l’autre pour « Le chant du bourreau » en 1980.
Au fil de sa carrière, il touche également au cinéma comme réalisateur et acteur. Ses dernières années sont marquées par la publication d’ouvrages ambitieux, notamment « Un château en forêt » (2007), consacré à la jeunesse d’Hitler. Il meurt le 10 novembre 2007 à New York, laissant derrière lui une œuvre considérable qui sonde les grandes questions de la société américaine du XXe siècle.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Les nus et les morts (roman, 1948)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Sur Anopopei, île fictive du Pacifique Sud, une division de l’armée américaine débarque en 1943 pour en chasser les forces japonaises. Le général Cummings dirige l’opération avec une main de fer, convaincu que l’autorité brutale est le meilleur moyen de commander ses hommes. Son aide de camp, le lieutenant Hearn, intellectuel libéral, s’oppose à sa vision fascisante du commandement.
Un groupe de reconnaissance mené par le sergent Croft, personnage cruel et psychopathe, reçoit la mission de s’infiltrer derrière les lignes ennemies. La tension monte entre Croft et ses hommes, épuisés par les conditions extrêmes de la jungle. Le sergent pousse son unité toujours plus loin dans une quête obsessionnelle pour conquérir le mont Anaka qui domine l’île.
Pendant ce temps, Hearn se retrouve affecté à cette unité suite à ses différends avec Cummings. Les soldats, aux origines et parcours très divers, luttent non seulement contre l’ennemi mais aussi contre leurs propres démons : peur, fatigue, souvenirs douloureux et rivalités internes. La mission de reconnaissance s’enfonce dans la jungle hostile, où chaque pas peut être le dernier.
Autour du livre
Norman Mailer n’a que 23 ans quand il commence à écrire « Les nus et les morts », son premier roman, publié en 1948. Il s’inspire directement de son expérience de la guerre dans le Pacifique où il a servi comme cuisinier dans le 112e régiment de cavalerie lors de la campagne des Philippines. Pendant la rédaction de son manuscrit, Mailer lit chaque matin quelques pages d’ « Anna Karénine » de Tolstoï, dont l’influence transparaît dans sa capacité à mêler compassion et sévérité dans le traitement de ses personnages.
Le récit alterne narration au présent et flashbacks, qui dévoilent le passé des soldats, leur vie avant la guerre. Cette structure narrative permet de dresser un portrait sans concession de l’Amérique des années 1930, marquée par la Grande Dépression. Les hommes qui composent l’unité sont issus de milieux modestes : mineurs, ouvriers, chômeurs, petits délinquants. Leur engagement dans l’armée représente souvent une fuite ou un dernier recours face à la misère.
La brutalité de la guerre est rendue avec un réalisme glaçant. Les descriptions minutieuses des conditions de vie des soldats – la chaleur étouffante, les maladies, l’épuisement physique et mental – créent une atmosphère oppressante. L’héroïsme traditionnel des récits de guerre est totalement absent : les personnages sont mus par l’instinct de survie et leurs propres névroses plutôt que par le patriotisme. La hiérarchie militaire est présentée comme un système déshumanisant qui broie les individus.
La critique accueille le livre avec enthousiasme dès sa sortie. Le San Francisco Chronicle le considère comme « peut-être le meilleur livre jamais écrit sur une guerre ». Gore Vidal, plus nuancé, y voit « une imitation habile et talentueuse ». En 1998, la Modern Library classe « Les nus et les morts » à la 51ème place de sa liste des 100 meilleurs romans de langue anglaise du XXe siècle.
Le roman est adapté au cinéma en 1958 par Raoul Walsh, avec Cliff Robertson, Aldo Ray et Raymond Massey dans les rôles principaux. En 1950, le RIAS Berlin produit également une adaptation radiophonique sous la direction de Rudolf Noelte.
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 960 pages.
2. Un rêve américain (roman, 1965)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
New York, années 1960. Stephen Rojack mène une existence de premier plan : héros décoré de la Seconde Guerre mondiale, il a siégé au Congrès et anime désormais une émission de télévision tout en enseignant la psychologie à l’université. Mais sous ce vernis de réussite sociale se cache un homme tourmenté. Son mariage avec Deborah, une riche héritière à la personnalité manipulatrice, s’est transformé en un combat psychologique sans merci. Une nuit, après avoir trop bu, Rojack est submergé par des visions mystiques et des pulsions suicidaires. Il se rend chez Deborah et, dans un accès de violence, l’étrangle avant de maquiller le meurtre en suicide en jetant son corps du balcon.
Les trente-deux heures qui suivent vont précipiter sa chute. Alors que la police commence son enquête, Rojack s’enfonce dans une nuit new-yorkaise peuplée de personnages troubles : Ruta, la domestique allemande avec qui il couche juste après le meurtre ; Cherry, une chanteuse de cabaret dont il tombe amoureux ; Shago Martin, l’ex-amant de Cherry, un musicien de jazz qui le menace ; et surtout Barney Kelly, son redoutable beau-père aux connexions politiques. Entre interrogatoires policiers, règlements de compte dans les clubs de jazz et confrontations avec la pègre, Rojack doit non seulement échapper à la justice mais aussi affronter ses propres démons. Parviendra-t-il à se sortir du piège qui se referme sur lui ?
Autour du livre
Publié en 1965, « Un rêve américain » est né d’une expérience d’écriture singulière. Norman Mailer décide de renouer avec la tradition des feuilletonistes du XIXe siècle, comme Charles Dickens ou Dostoïevski. Il propose à la revue Esquire de publier son roman en huit épisodes mensuels de 10 000 mots chacun, de janvier à août 1964. Cette contrainte d’écriture lui impose un rythme effréné qu’il compare à « pisser du sang ». Le succès est immédiat : dès le premier mois, la diffusion du magazine grimpe à 900 000 exemplaires. Pour l’édition en volume, Mailer réécrit 40 % des scènes sous la direction d’E. L. Doctorow.
Les similitudes entre l’auteur et son protagoniste ne manquent pas : tous deux ont étudié à Harvard, servi pendant la Seconde Guerre mondiale, manifesté des ambitions politiques et participé à des émissions de télévision. Plus troublant encore, Mailer semble s’inspirer de sa propre violence conjugale – il avait poignardé sa seconde épouse Adele Morales – pour dépeindre le meurtre de Deborah. Le personnage de Cherry s’inspire quant à lui de Beverly Bentley, qui deviendra sa quatrième épouse après avoir fréquenté Miles Davis, tout comme Cherry a eu une liaison avec le musicien Shago Martin.
La narration à la première personne de Rojack, empreinte d’images oniriques et de références mystiques, brouille les frontières entre réalité et hallucination. Les odeurs, omniprésentes, créent une atmosphère quasi animale. La violence et la sexualité s’entremêlent dans une danse macabre, portée par une prose lyrique qui contraste avec la brutalité des événements. Le roman interroge la masculinité américaine et sa relation au pouvoir, à la guerre et aux femmes. L’apparente impunité du meurtrier soulève des questions sur la justice dans une société gangrenée par la corruption.
La réception critique se révèle profondément clivée. Pour Joan Didion, il s’agit du « seul roman new-yorkais sérieux depuis Gatsby le Magnifique ». John Aldridge y voit une quête de « rédemption psychique » tandis que Kate Millett, dans son essai « La Politique du mâle », condamne sa misogynie. Le roman figure pendant six semaines sur la liste des best-sellers du New York Times, atteignant la huitième place en avril 1965.
Robert Rossen adapte le roman au cinéma en 1966 sous le titre « See You in Hell, Darling », avec Stuart Whitman dans le rôle de Rojack et Janet Leigh dans celui de Cherry. La musique de Johnny Mandel et les paroles de Paul Francis Webster sont nommées aux Oscars pour la chanson « A Time for Love ».
Aux éditions GRASSET ; 350 pages.
3. Les vrais durs ne dansent pas (roman, 1984)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
À Provincetown, petite ville côtière du Massachusetts, Tim Madden traverse une mauvaise passe. Autrefois barman reconverti en écrivain sans succès, il noie son chagrin dans l’alcool depuis que sa femme Patty Lareine l’a quitté vingt-quatre jours plus tôt.
Un matin, il se réveille avec la gueule de bois et découvre avec stupeur un mystérieux tatouage sur son bras ainsi que du sang sur le siège passager de sa Porsche. Impossible de se souvenir des événements de la veille. La situation s’aggrave lorsque le chef de la police locale, Alvin Luther Regency, lui conseille de déplacer sa réserve de marijuana, dissimulée dans un terrier. En s’y rendant, Tim fait une découverte macabre : une tête de femme blonde fraîchement décapitée. Tous les indices semblent le désigner comme coupable.
Pour prouver son innocence, il se lance dans sa propre enquête qui le met en contact avec une galerie de personnages troubles : policiers corrompus, criminels, boxeurs sur le retour et même une médium. L’arrivée de son père, Big Mac, lui apporte un peu de soutien dans sa quête de vérité. Mais à mesure que les cadavres s’accumulent et que les têtes coupées se multiplient, une question le taraude : et si le véritable meurtrier n’était autre que lui-même ?
Autour du livre
Écrit en seulement deux mois pour honorer une obligation contractuelle, « Les vrais durs ne dansent pas » (1984) est l’unique incursion de Norman Mailer dans le genre du roman noir de type « hard-boiled » (littéralement « dur à cuire »). Cette contrainte temporelle, loin d’être un handicap, a insufflé au texte une énergie brute et une spontanéité qui servent admirablement le propos.
Le récit se démarque par son ancrage dans une Provincetown hors-saison, où la solitude devient palpable : « Au petit matin, à marée basse, j’étais réveillé par le bavardage des mouettes. Les matins difficiles, j’avais l’impression d’être mort et que les oiseaux se nourrissaient de mon cœur. » Cette atmosphère oppressante sert d’écrin à une réflexion sur plusieurs thèmes majeurs qui s’entremêlent tout au long du récit.
La sexualité constitue l’un des fils conducteurs. Mailer ne recule devant aucun tabou, multipliant les scènes explicites et les réflexions sur l’orientation sexuelle. Les personnages évoluent dans un réseau complexe de relations charnelles qui révèlent leurs failles et leurs obsessions. Cette dimension érotique s’accompagne d’une exploration de la masculinité, thème récurrent chez Mailer. Le titre même du livre provient d’une réplique du père du protagoniste, qui affirme que « les vrais durs ne dansent pas », cristallisant ainsi les questionnements sur l’identité masculine.
Les traditions du roman noir sont revisitées avec une touche personnelle. Le récit jongle entre amnésie, paranoïa et coïncidences suspectes, créant un sentiment permanent d’incertitude. La narration à la première personne renforce cette impression de désorientation, le lecteur partageant les doutes et les angoisses du protagoniste.
La réception critique s’est révélée contrastée. Le Wall Street Journal et le St. Petersburg Times ont salué l’ouvrage, tandis que Christopher Ricks, dans le London Review of Books, a loué la capacité de Mailer à « écrire comme un ange, déchu et flamboyant ». En revanche, le New York Times et le Boston Globe se sont montrés plus sévères, Denis Donoghue pointant « l’inadéquation déplorable du roman avec l’intention qu’il affiche clairement ». Christopher Lehmann-Haupt a critiqué son caractère « invraisemblable » et son côté « précipité, répétitif ».
En 1987, Mailer a lui-même adapté son roman au cinéma, assumant également la réalisation. Le film, qui met en scène Ryan O’Neal et Isabella Rossellini, n’a convaincu ni la critique ni le public, ne récoltant que 38 % d’avis positifs sur Rotten Tomatoes. Vincent Canby du New York Times l’a qualifié de « petit moment divertissant » dans la carrière de Mailer, tandis que Jonathan Rosenbaum du Chicago Reader l’a paradoxalement considéré comme « le meilleur film de Mailer, adapté de son pire roman ».
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 496 pages.
4. Le Combat du siècle (nouveau journalisme, 1975)
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Résumé
En septembre 1974, le journaliste Norman Mailer se rend à Kinshasa, capitale du Zaïre (actuelle république démocratique du Congo), pour couvrir l’un des plus grands combats de boxe de l’histoire. Le champion du monde en titre George Foreman, boxeur puissant et invaincu, doit y défendre sa ceinture face à Muhammad Ali, ancien champion considéré comme vieillissant. Dans la moiteur africaine, les deux hommes préparent leur affrontement sous le regard de Mobutu, le dictateur zaïrois qui a fait de ce combat un symbole de sa politique.
Mailer observe les entraînements, rencontre les entourages des boxeurs, court même avec Ali. Il découvre un Foreman silencieux et menaçant, tandis qu’Ali multiplie les provocations et les déclarations fracassantes. Le combat, initialement prévu en septembre, est reporté d’un mois après une blessure de Foreman à l’œil. La tension monte progressivement jusqu’à cette nuit du 30 octobre 1974, où les deux boxeurs doivent s’affronter à 3 heures du matin dans le stade du 20 mai, devant 68 000 spectateurs. Ali, considéré comme l’outsider, parviendra-t-il à déjouer les pronostics face à la puissance dévastatrice de Foreman ?
Autour du livre
« Le Combat du siècle » trouve son origine dans une série de reportages que Norman Mailer écrit pour le magazine Playboy en 1974. Passionné de boxe et lui-même pratiquant amateur, il obtient une place privilégiée pour suivre la préparation de ce match historique. Il côtoie la garde rapprochée d’Ali, observe les entraînements de Foreman, et se mêle au cirque médiatique qui entoure l’événement. La présence d’autres écrivains et journalistes comme Hunter S. Thompson et George Plimpton témoigne de l’importance historique de ce combat, surnommé « The Rumble in the Jungle ».
Le livre se distingue par sa narration singulière où Mailer parle de lui-même à la troisième personne, créant une distance qui lui permet d’être à la fois acteur et observateur. Cette technique narrative transforme le reportage sportif en une œuvre littéraire qui transcende le cadre de la boxe. Mailer entremêle habilement plusieurs niveaux de lecture : l’aspect sportif du combat, la dimension politique avec le régime de Mobutu, et les questions raciales dans l’Amérique post-droits civiques. Sa réflexion sur la philosophie bantoue, découverte dans un livre du missionnaire néerlandais Placide Tempels, ajoute une profondeur culturelle inattendue à son récit.
La force du livre réside dans sa capacité à saisir la personnalité complexe des deux boxeurs. Ali apparaît comme un personnage aux multiples facettes, utilisant la boxe comme une tribune pour défendre ses convictions politiques et religieuses. Foreman, dépeint avec respect, incarne une force tranquille et menaçante. Les descriptions des séances d’entraînement, des conférences de presse et des interactions entre les protagonistes composent un tableau saisissant de l’univers de la boxe professionnelle des années 1970.
La critique salue particulièrement les chapitres 13 à 15, consacrés au combat lui-même. Christopher Lehmann-Haupt loue la manière « exquisément raffinée » dont Mailer retranscrit le drame pugilistique. Pour Michael Wood, chaque page révèle la fascination de l’auteur pour ses sujets. Les critiques soulignent unanimement la qualité exceptionnelle de la description du combat, considérée comme l’une des plus électrisantes jamais écrites dans le domaine du sport.
L’histoire de ce combat légendaire a inspiré le documentaire « When We Were Kings », sorti en 1996. Ce film, qui utilise des images d’archives et des interviews rétrospectives, constitue un complément idéal au livre de Mailer en offrant la dimension visuelle de cet événement historique. Le documentaire permet notamment de voir les performances musicales qui ont accompagné le combat, avec des artistes comme James Brown, B.B. King et Bill Withers.
Aux éditions FOLIO ; 322 pages.
5. Le chant du bourreau (nouveau journalisme, 1979)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
En 1976, Gary Gilmore, 35 ans, sort de prison après treize années d’incarcération pour vol à main armée. Il s’installe dans l’Utah chez sa cousine Brenda qui accepte d’être sa garante et tente de l’aider à trouver du travail. Rapidement, il rencontre Nicole Baker, une jeune femme de 19 ans, mère célibataire de deux enfants. S’ensuit une relation passionnelle. Mais après leur rupture, Gilmore commet l’irréparable : il assassine deux hommes lors de vols à main armée sur deux jours consécutifs.
Arrêté et jugé, il est condamné à mort. Contre toute attente, il refuse de faire appel de sa condamnation. L’Utah vient alors de rétablir la peine capitale et les condamnés ont le choix entre la pendaison et le peloton d’exécution. Gilmore opte pour la seconde option. Son exécution programmée déclenche une tempête médiatique nationale autour de la question de la peine de mort…
Autour du livre
Pour écrire « Le chant du bourreau », Norman Mailer s’est appuyé sur plus de 15 000 pages de transcriptions d’entretiens, récoltées notamment par le producteur Lawrence Schiller qui avait mené la majorité des interviews avec Gilmore, sa famille et son entourage. Cette immersion totale dans la vie de Gilmore et de ses proches permet à Mailer de reconstituer avec une précision chirurgicale les neuf mois qui séparent la sortie de prison de Gilmore de son exécution.
Le livre se divise en deux parties. La première, « Western Voices », se concentre sur le microcosme de l’Utah rural et la vie quotidienne de Gilmore après sa libération. Mailer y dépeint la société mormone conservatrice à travers le regard qu’elle porte sur cet ex-détenu. La seconde partie, « Eastern Voices », s’ouvre sur la dimension nationale de l’affaire avec l’intervention des grands médias, des célébrités et des organisations de défense des droits civiques.
La narration adopte un style dépouillé, aux antipodes des œuvres précédentes de Mailer. Les scènes se succèdent sans fioriture, retranscrites à travers les yeux des différents protagonistes, donnant au récit une dimension chorale saisissante. Mailer laisse les faits parler d’eux-mêmes, s’effaçant derrière ses personnages pour livrer un portrait complexe de Gilmore, à la fois manipulateur et romantique, violent et sensible.
La critique salue majoritairement cette œuvre monumentale. Christopher Ricks, dans le London Review of Books, la qualifie « d’œuvre géniale par son ampleur, sa profondeur et sa retenue ». Joan Didion note que « personne d’autre que Mailer n’aurait osé écrire ce livre […] C’est un livre absolument stupéfiant ». David Lodge souligne dans The Times Literary Supplement « la puissance intacte du récit empirique à émouvoir, instruire et ravir ». Certaines voix discordantes, comme Charles Nicholl dans le Daily Telegraph, reprochent toutefois à Mailer d’avoir surestimé le charisme de son sujet.
« Le chant du bourreau » reçoit le Prix Pulitzer en 1980 et est finaliste du National Book Award la même année. En 1982, Lawrence Schiller l’adapte en téléfilm avec Tommy Lee Jones dans le rôle de Gilmore, une prestation qui lui vaut un Emmy Award. L’artiste Matthew Barney s’inspire également de la vie de Gilmore et du roman de Mailer pour son film « Cremaster 2 » (1999), dans lequel Mailer lui-même incarne le magicien Harry Houdini.
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 1312 pages.