Tom Wolfe (1930-2018) est un journaliste et écrivain américain majeur de la seconde moitié du XXe siècle. Né à Richmond en Virginie dans une famille de la classe moyenne, il fait des études brillantes à l’Université Washington and Lee puis obtient un doctorat à Yale.
Il débute sa carrière comme journaliste dans les années 1950, d’abord au Springfield Union puis au Washington Post. Dans les années 1960, il devient l’une des figures de proue du « Nouveau Journalisme », un style d’écriture mêlant littérature et reportage. Ses premiers succès incluent « The Electric Kool-Aid Acid Test » (1968), chronique de la contre-culture des années 60, et « L’Étoffe des héros » (1979), sur les premiers astronautes américains.
En 1987, il publie son premier roman, « Le bûcher des vanités », qui devient un best-seller international. Suivront « Un homme, un vrai » (1998), « Moi, Charlotte Simmons » (2004) et « Bloody Miami » (2012). Son œuvre se caractérise par une observation acérée de la société américaine contemporaine, particulièrement des questions de classe sociale.
Reconnaissable à son célèbre costume blanc qu’il adopte comme marque de fabrique dès 1962, Wolfe est connu pour son style d’écriture flamboyant et son regard satirique sur la société. Bien que considéré comme conservateur, il rejette les étiquettes politiques et se veut avant tout observateur critique de son époque, dans la tradition des grands romanciers réalistes comme Zola qu’il admire.
Tom Wolfe décède à Manhattan le 14 mai 2018, à l’âge de 88 ans, laissant derrière lui une œuvre qui a profondément marqué tant le journalisme que la littérature américaine.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Le bûcher des vanités (1987)
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Résumé
New York, années 1980. Sherman McCoy règne sur Wall Street. À 38 ans, ce trader arrogant gagne un million de dollars par an et vit dans un appartement somptueux de Park Avenue avec son épouse et sa fille. Il se considère comme le « Maître de l’Univers ».
Un soir, alors qu’il raccompagne sa maîtresse Maria de l’aéroport dans sa Mercedes, il rate une sortie d’autoroute et se retrouve égaré dans le Bronx. Dans la confusion qui s’ensuit, leur voiture renverse un jeune homme noir qui finira dans le coma. Ils prennent la fuite.
Cette collision va déclencher une spirale infernale. L’affaire enflamme les tensions raciales dans la ville. Un procureur carriériste, un révérend manipulateur et un journaliste britannique alcoolique se jettent sur ce fait divers comme des vautours. Chacun y voit l’occasion de servir ses propres intérêts. La machine médiatique et judiciaire s’emballe. Pour Sherman McCoy commence une longue descente aux enfers.
Autour du livre
Au cœur du New York des années 1980, « Le bûcher des vanités » s’inscrit dans un contexte social particulièrement tendu. La ville, polarisée par plusieurs incidents racistes très médiatisés, est notamment le théâtre des meurtres de Willie Turks à Brooklyn en 1982 et de Michael Griffith dans le Queens en 1986. Ces événements, conjugués à l’affaire Bernhard Goetz – qui tire sur quatre jeunes Noirs dans le métro en 1984 – constituent la toile de fond sociologique du roman.
La genèse de l’œuvre présente une particularité notable : initialement conçue comme un feuilleton à la manière de Charles Dickens et Thackeray, l’histoire paraît en 27 épisodes dans le magazine Rolling Stone à partir de 1984. Jann Wenner, l’éditeur du magazine, propose alors environ 200 000 dollars à Tom Wolfe pour cette série.
Le personnage principal connaît une métamorphose significative entre le feuilleton et le livre : d’abord écrivain, Sherman McCoy devient agent de change après que Wolfe passe une journée d’observation au service des obligations d’État chez Salomon Brothers. Cette immersion inspire directement la nouvelle profession du protagoniste.
Les personnages, bien que fictifs, puisent leur essence dans des figures réelles de l’époque. Le juge Myron Kovitsky trouve son inspiration dans Burton B. Roberts, magistrat du Bronx reconnu pour sa gestion intransigeante des affaires. Tommy Killian, l’avocat, emprunte ses traits à Edward Hayes, à qui le livre est d’ailleurs dédié. Quant au révérend Bacon, il semble incarner une synthèse des révérends Al Sharpton et Jesse Jackson.
Une adaptation cinématographique voit le jour en 1990 sous la direction de Brian De Palma, avec Tom Hanks, Bruce Willis et Melanie Griffith dans les rôles principaux. Les droits sont vendus pour 750 000 dollars, mais le film ne rencontre ni le succès critique ni commercial escompté. Plus récemment, une version opératique, composée par Stefania de Kenessey sur un livret de Michael Bergmann, est créée à New York le 9 octobre 2015.
« Le bûcher des vanités » reçoit des critiques élogieuses. Le New York Times salue « un livre grand, amer, drôle et astucieusement construit, qui vous saisit par le revers et ne vous lâche plus », tout en nuançant son propos sur la superficialité occasionnelle des personnages. La National Review va plus loin en affirmant qu’aucun auteur n’a dépeint la société new-yorkaise avec autant de précision et de férocité depuis Edith Wharton. Le romancier Louis Auchincloss le qualifie de « merveilleux livre ».
Cette fresque sociale continue de résonner bien après sa publication : en 2007, pour son vingtième anniversaire, le New York Times publie une rétrospective analysant l’évolution de la ville depuis la parution du roman. Plus tard, en 2016, Amazon Studios et Warner Bros annoncent une série dramatique de huit épisodes, produite par Chuck Lorre, destinée à la plateforme Amazon Video.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 917 pages.
2. Un homme, un vrai (1998)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans l’Atlanta de la fin des années 1990, Charlie Croker incarne le self-made man par excellence. Cet ancien champion de football universitaire devenu magnat de l’immobilier mène grand train : jet privé, résidence luxueuse, femme-trophée de trente ans sa cadette. Mais à soixante ans, son empire vacille. Un projet pharaonique menace de le conduire à la faillite tandis que ses créanciers s’impatientent.
En parallèle, un drame secoue la ville : Fareek Fanon, une jeune star noire du football, est accusé du viol d’une étudiante issue de la haute société blanche. L’affaire cristallise les tensions raciales qui couvent dans cette métropole où coexistent deux mondes : l’Atlanta noire des quartiers populaires et l’Atlanta blanche des buildings cossus. Le maire, lui-même noir, redoute des émeutes.
Dans l’ombre de ces événements, un modeste manutentionnaire, Conrad Hensley, perd l’emploi qu’il occupait dans l’un des entrepôts de Charlie Croker. Sa vie bascule alors dans une spirale tragique qui le mène jusqu’en prison, en Californie. C’est là qu’il découvre par hasard les écrits d’Épictète, un philosophe stoïcien dont l’influence dépassera les murs de sa cellule.
Autour du livre
Second roman de Tom Wolfe publié onze ans après le succès retentissant du « Bûcher des vanités », « Un homme, un vrai » suscite dès sa sortie en 1998 une attente considérable, l’auteur ayant consacré plusieurs années de recherche à ce projet ambitieux. L’ouvrage se hisse rapidement au sommet des ventes avec plus de 750 000 exemplaires écoulés dès décembre 1998 et occupe pendant dix semaines consécutives la première place de la liste des best-sellers du New York Times.
Cette chronique sociale située à Atlanta déclenche une controverse notable. Si la presse généraliste américaine accueille favorablement le livre, une seconde vague de critiques émanant de cercles littéraires plus élitistes s’avère plus mitigée. John Updike, Norman Mailer et John Irving s’élèvent notamment contre l’œuvre, provoquant une réaction cinglante de Wolfe qui les surnomme ses « trois stooges » dans son essai « Hooking Up ». Il leur reproche de se sentir menacés par le succès de sa technique consistant à bâtir un roman sur des méthodes journalistiques et de ne pas s’engager suffisamment dans le monde qui les entoure.
Le texte se distingue par une minutie quasi-maniaque dans la description des tenues vestimentaires et du mobilier, au point que certains lecteurs y voient un exercice de style parfois pesant. Cette attention obsessionnelle aux détails vestimentaires aurait pu réduire de moitié le volume du roman selon plusieurs critiques. La transcription phonétique systématique de l’accent du Sud profond tout au long des 750 pages constitue également un parti pris stylistique discutable.
L’introduction de la philosophie stoïcienne d’Épictète dans la trame narrative divise la critique. Si certains saluent cette dimension philosophique inattendue, d’autres y voient une solution de facilité pour résoudre les conflits narratifs, notamment dans la conclusion jugée peu convaincante.
La critique souligne que contrairement au « Bûcher des vanités » qui est devenu une référence culturelle symbolisant le capitalisme débridé des années 1980, « Un homme, un vrai » peine davantage à s’imposer comme une métaphore durable de son époque malgré ses qualités narratives indéniables.
Finaliste du National Book Award en 1998 (prix finalement remporté par « Charming Billy » d’Alice McDermott), « Un homme, un vrai » fait l’objet d’une adaptation en mini-série par Netflix en 2024 sous la direction de Regina King, avec David E. Kelley comme showrunner. Le roman donne également lieu à deux versions audio : une version abrégée narrée par David Ogden Stiers et une intégrale par Michael Pritchard sortie en 2018.
Aux éditions POCKET ; 1024 pages.
3. Moi, Charlotte Simmons (2004)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Sparta, Caroline du Nord. Dans ce patelin perdu des Appalaches, Charlotte Simmons fait la fierté de sa famille et de ses professeurs. Cette jeune fille studieuse vient de décrocher une bourse pour étudier à l’université de Dupont, l’une des plus sélectives du pays. Première de sa lignée à accéder aux études supérieures, elle quitte son foyer modeste avec de grands espoirs.
Le choc est brutal. Sur le campus, Charlotte découvre un monde aux antipodes de ses attentes. Les étudiants, issus des meilleures familles, se soucient davantage de leurs conquêtes amoureuses que de leurs études. L’alcool coule à flots dans les soirées des confréries. Les sportifs sont adulés et dispensés de tout effort intellectuel. Sa colocataire Beverly, une fille gâtée superficielle, la méprise ouvertement. Déchirée entre ses valeurs morales et son désir d’intégration, Charlotte se rapproche tour à tour de trois garçons…
Autour du livre
« Moi, Charlotte Simmons » est un roman controversé qui déclenche des réactions passionnées lors de sa publication en 2004. Pour l’écrire, Tom Wolfe, alors septuagénaire, s’immerge dans plusieurs campus américains prestigieux, troquant son costume blanc caractéristique contre un blazer bleu et des chaussures blanches pour passer inaperçu parmi les étudiants.
Le choix de situer l’action dans l’université fictive de Dupont, inspirée principalement de Duke mais aussi de Stanford et de l’Université de Pennsylvanie, divise la critique. Certains y voient une faiblesse qui affaiblit le réalisme revendiqué, d’autres un moyen d’éviter les polémiques tout en fusionnant les traits les plus marquants de différentes institutions d’élite.
L’accueil critique oscille entre admiration pour l’ampleur du projet et irritation face aux stéréotypes déployés. Le Literary Review britannique décerne à Wolfe son « Bad Sex in Fiction Award » 2004, distinction peu enviable qui souligne la maladresse des scènes érotiques. Le président George W. Bush compte pourtant parmi les admirateurs du livre, même si celui-ci ne figure pas sur sa liste de lecture officielle, probablement en raison de son contenu sexuel explicite.
Les critiques pointent plusieurs anachronismes qui trahissent le décalage générationnel : les étudiants utilisent encore des fax, les téléphones portables sont présentés comme des gadgets élitistes, et les personnages empruntent des cassettes pornographiques au lieu de consulter Internet. Le langage des jeunes, minutieusement décortiqué par Wolfe dans ce qu’il nomme le « fuck patois », suscite des réactions mitigées : si certains saluent la précision de l’observation, d’autres y voient une fascination un peu malsaine d’un auteur âgé pour l’argot estudiantin.
« Moi, Charlotte Simmons » provoque un débat sur la capacité d’un écrivain à dépeindre une génération dont il est si éloigné. Mais par-delà la question générationnelle, c’est le portrait de la vie universitaire américaine qui cristallise les critiques. Là où Wolfe prétend dénoncer la déliquescence morale des campus, ses détracteurs lui reprochent de rater sa cible : le véritable problème ne serait pas tant l’excès de sexualité que l’absence de relations authentiques dans un environnement dominé par le carriérisme.
La controverse autour de « Moi, Charlotte Simmons » participe d’un débat plus large sur l’évolution du « Nouveau Journalisme » dont Wolfe fut l’un des pionniers. Pour certains critiques, ce roman marque l’essoufflement d’une approche qui avait révolutionné le journalisme littéraire dans les années 1960, quand Wolfe savait encore s’émerveiller devant les subcultures qu’il découvrait plutôt que de les juger à l’aune de ses propres préjugés.
Plusieurs projets d’adaptation ont vu le jour sans aboutir : Trilogy Entertainment acquiert les droits en 2005, HBO s’y intéresse en 2008, et plus récemment, en 2021, Veritas Entertainment relance l’idée d’une série télévisée avec Brian Yorkey comme showrunner pour Paramount Television Studios.
Aux éditions POCKET ; 1024 pages.
4. Bloody Miami (2012)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Miami, début des années 2000. Nestor Camacho, un jeune flic cubano-américain, accomplit un acte héroïque qui va lui coûter cher : il parvient à faire descendre un clandestin cubain agrippé au sommet d’un mât de bateau. L’exploit est retransmis en direct à la télévision. Mais dans sa communauté, le geste est perçu comme une trahison puisque le réfugié sera expulsé vers Cuba.
Cette disgrâce marque le début d’une période difficile pour Nestor. Sa petite amie Magdalena le quitte, sa famille lui tourne le dos. Rejeté par les siens, il déménage et se lie d’amitié avec un journaliste du Miami Herald qui l’entraîne dans une enquête sur un oligarque russe suspect d’escroquerie dans le monde de l’art.
Autour du livre
Quatrième et ultime roman de Tom Wolfe, « Bloody Miami » naît dans des circonstances particulières : après 42 ans de fidélité à son éditeur historique Farrar, Straus & Giroux, l’écrivain change de maison d’édition suite aux ventes décevantes de « Moi, Charlotte Simmons ». Little, Brown and Company acquiert les droits pour environ 7 millions de dollars fin 2007, une somme considérable qui génère d’importantes attentes.
Le choix de Miami comme toile de fond s’impose comme une évidence pour Wolfe qui, à 81 ans, cherche à saisir les mutations profondes de l’Amérique contemporaine. La ville incarne selon lui le laboratoire du futur américain, notamment par sa composition démographique unique avec plus de 50 % d’immigrants de première ou deuxième génération. « Il y a deux ans, quand j’ai eu l’idée d’écrire sur l’immigration, les gens trouvaient ça passionnant puis s’endormaient debout comme des chevaux. Depuis, le sujet est devenu un peu plus excitant, et à Miami, ce n’est pas seulement excitant, c’est brûlant », confie l’auteur.
La sortie du livre le 23 octobre 2012 provoque des réactions contrastées. Si certains critiques saluent sa capacité à disséquer les tensions raciales et sociales avec un humour cinglant, d’autres pointent les limites d’un regard extérieur sur les communautés cubaine et haïtienne. La réception commerciale s’avère décevante : selon BookScan, seuls 62 000 exemplaires trouvent preneurs en février 2013, très loin des 1,4 million d’exemplaires vendus pour « Un homme, un vrai ».
Par-delà les chiffres, « Bloody Miami » soulève des questions essentielles sur l’identité américaine à l’heure où la religion perd de son influence. Pour Wolfe, le retour au « sang », c’est-à-dire aux appartenances ethniques et raciales, comble ce vide spirituel. Cette thèse controversée traverse l’ensemble du récit, notamment à travers le personnage de Nestor Camacho, policier déchiré entre sa communauté d’origine et son devoir professionnel.
Les scènes de groupe constituent les moments les plus réussis du livre, notamment lors de la foire Art Basel Miami où les milliardaires se ruent sur des œuvres d’art dans une frénésie consumériste que Wolfe dépeint avec une ironie mordante. La dimension satirique culmine dans la description des orgies nautiques et des thérapies pour addiction à la pornographie, qui révèlent la décadence morale des élites locales.
Malgré ses défauts – notamment une fin précipitée et des stéréotypes parfois grossiers – « Bloody Miami » s’impose comme un témoignage significatif sur les métamorphoses de la société américaine au début du XXIe siècle. Le livre referme aussi la carrière romanesque d’un des observateurs les plus acérés des mœurs de son temps.
Aux éditions POCKET ; 832 pages.