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David Lodge en 7 romans – Notre sélection

David Lodge en 7 romans – Notre sélection

David Lodge est un écrivain et universitaire britannique né le 28 janvier 1935 à Brockley, dans le sud de Londres. Issu d’une famille modeste catholique, il grandit pendant la Seconde Guerre mondiale et est marqué par les bombardements de Londres.

Après des études de lettres à l’université de Londres (1952-1955) et son service militaire (1955-1957), il entame une carrière universitaire à l’université de Birmingham en 1960, où il devient professeur de littérature anglaise en 1976. Deux séjours aux États-Unis, en 1964-1965 comme boursier Harkness et en 1969 comme professeur invité à Berkeley, influencent significativement son œuvre.

En 1987, il quitte l’université pour se consacrer entièrement à l’écriture. Son œuvre romanesque, qui débute en 1960 avec « The Picturegoers », aborde des thèmes récurrents comme la vie universitaire, le catholicisme dans la société britannique, et Londres de l’après-guerre. Il est particulièrement connu pour ses « romans de campus » satiriques, dont « Changement de décor » (1975) et « Un tout petit monde » (1984).

Lodge est aussi un théoricien de la littérature reconnu, auteur d’essais critiques importants. Son travail a été récompensé par de nombreuses distinctions, notamment le Whitbread Book of the Year (1980) et le titre de Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique (1998). En France, il est fait Chevalier des Arts et des Lettres en 1997.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Changement de décor (1975)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1969, deux professeurs de littérature anglaise décident d’échanger leurs postes universitaires pour six mois. Morris Zapp, brillant spécialiste américain de Jane Austen, quitte sa prestigieuse université californienne pour rejoindre la modeste faculté de Rummidge, dans les Midlands britanniques. Philip Swallow, enseignant anglais sans envergure, fait le chemin inverse vers la bouillonnante côte ouest américaine.

L’échange intervient à une période charnière : contestation étudiante, guerre du Vietnam, révolution sexuelle. Les deux quadragénaires, que tout oppose, se retrouvent propulsés dans des univers radicalement différents. Tandis que le timide Swallow découvre une Amérique en pleine effervescence, Zapp affronte la grisaille et le conservatisme britannique. Par un concours de circonstances, chacun devient locataire de l’épouse de l’autre, restée au pays avec les enfants. L’échange de postes vire peu à peu à l’échange de vies. Les situations cocasses s’enchaînent jusqu’à une confrontation finale dans un hôtel new-yorkais.

Autour du livre

Premier volet de la « Trilogie du campus », « Changement de décor » paraît en 1975 et reçoit le Prix Hawthornden la même année. Lodge puise directement dans sa propre expérience puisqu’il enseigne alors à l’université de Birmingham, qui inspire manifestement la fictive université de Rummidge. En 1969, il effectue lui-même un séjour comme professeur invité à Berkeley, transposée ici en « université d’État d’Euphoria ».

Le contexte historique s’avère primordial : 1969 marque l’apogée des contestations étudiantes, de la guerre du Vietnam, des mouvements féministes et de la libération sexuelle. Lodge saisit magistralement ce moment charnière où deux cultures académiques et sociétales se confrontent. Les revendications des étudiants américains contrastent avec le conservatisme britannique, terreau propice aux situations cocasses.

L’une des originalités majeures réside dans la construction narrative qui emprunte successivement différentes formes : récit classique, roman épistolaire, articles de presse, et même scénario de film pour le dernier chapitre. Cette variation formelle souligne la modernité d’une époque où le cinéma commence à supplanter le roman comme médium dominant. Le personnage de Philip Swallow note d’ailleurs que « ces gamins vivent un film, pas un roman ».

Lodge invente à cette occasion le jeu « Humiliation », où des universitaires marquent des points en citant les grands classiques qu’ils n’ont pas lus – plus l’œuvre est célèbre, plus le score est élevé. Cette trouvaille littéraire témoigne de la capacité de l’auteur à brocarder les travers du milieu académique.

Les personnages de Morris Zapp et Philip Swallow réapparaîtront dans « Un tout petit monde » (1984) et « Jeu de société » (1988), dans une trilogie qui suit l’évolution du monde universitaire sur deux décennies. Lodge confiera plus tard s’être inspiré du critique littéraire Stanley Fish pour créer le personnage de Morris Zapp, spécialiste autoproclamé de Jane Austen qui affirme pourtant la trouver « totalement chiante ».

Le sous-titre original « A Tale of Two Campuses » fait écho au « Tale of Two Cities » de Charles Dickens, soulignant la dimension satirique de cette confrontation entre deux mondes académiques. Mais par-delà la simple opposition entre universités britannique et américaine, Lodge livre une réflexion sur la manière dont la littérature façonne notre perception de la réalité. Son personnage de Morris Zapp théorise ainsi que « la vie est transparente, la littérature opaque. La vie est composée de choses, la littérature de mots. »

Aux éditions RIVAGES ; 400 pages.


2. Un tout petit monde (1984)

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Résumé

À l’université de Rummidge, au printemps 1979, le jeune Persse McGarrigle découvre l’univers des colloques universitaires. Naïf et enthousiaste, ce professeur irlandais fraîchement recruté n’a jamais entendu parler du structuralisme. Sa rencontre avec la séduisante Angelica Pabst, doctorante passionnée de romans médiévaux, bouleverse sa vie. Lorsqu’elle s’évapore sans laisser d’adresse, il décide de la retrouver coûte que coûte.

Sa quête effrénée le mène de congrès en congrès, d’Amsterdam à Tokyo en passant par Lausanne et Honolulu. Sur son chemin, il croise une galerie de personnages hauts en couleur : Morris Zapp, universitaire américain cynique et désabusé, Philip Swallow, professeur britannique tourmenté par une liaison passée, ou encore Fulvia Morgana, riche marxiste italienne. Tous convoitent une prestigieuse chaire de l’UNESCO qui promet 100 000 dollars sans aucune obligation d’enseignement.

Autour du livre

Second volet de la trilogie universitaire de David Lodge, « Un tout petit monde » paraît en 1984. L’idée de ce roman satirique naît lors d’un symposium James Joyce à Zurich en 1979, année où se déroule l’intrigue. Lodge y découvre avec stupéfaction une nouvelle réalité du monde académique : grâce à la démocratisation du transport aérien et aux généreux budgets universitaires, les professeurs se déplacent désormais d’un continent à l’autre pour participer à d’innombrables colloques.

À la différence de « Changement de décor » qui se cantonnait à deux campus, la narration multiplie ici les personnages et les lieux, la planète se transforme en vaste campus global. Cette structure éclatée permet à Lodge de tisser des liens inattendus avec la tradition littéraire médiévale. Les pérégrinations des universitaires rappellent les quêtes des chevaliers errants, tandis que la poursuite amoureuse de Persse McGarrigle évoque la légende du Graal. Ce parallèle s’incarne jusque dans l’onomastique : Persse McGarrigle renvoie à Perceval, Arthur Kingfisher au Roi Pêcheur, Fulvia Morgana à la fée Morgane.

Le roman regorge d’échos intertextuels, des « Contes de Canterbury » de Chaucer à « La Terre vaine » de T.S. Eliot, en passant par « Orlando Furioso » d’Ariosto. L’une des scènes les plus mémorables se déroule d’ailleurs à Lausanne, où Persse tombe en plein festival consacré au « Waste Land », avec des acteurs déguisés récitant des vers dans les rues. Lodge entremêle ainsi constamment le trivial et le sublime, le burlesque et l’érudit.

Si les théories littéraires structuralistes et post-structuralistes constituent la toile de fond intellectuelle du récit, la satire vise surtout les mœurs dissolues des universitaires en goguette. Les colloques deviennent prétextes à l’adultère et à la débauche, comme en témoigne l’hilarante scène où un professeur tente de convaincre sa femme de rejoindre le « Mile High Club » en plein vol. Même le personnage vertueux de Persse finit par perdre sa virginité dans des circonstances rocambolesques impliquant une confusion d’identité digne d’une comédie shakespearienne.

Lodge se montre particulièrement perspicace dans son traitement des nouvelles technologies. Le personnage de Robin Dempsey développe une relation pathologique avec un programme informatique primitif censé jouer le rôle de thérapeute, tandis que l’écrivain Robert Frobisher souffre du syndrome de la page blanche après qu’un ordinateur a disséqué son style et révélé sa dépendance au mot « greasy ». Ces éléments, qui pourraient paraître datés, préfigurent avec une étonnante acuité les débats contemporains sur l’intelligence artificielle.

Adapté en mini-série par la BBC en 1988, « Un tout petit monde » s’est imposé comme un classique du genre, salué notamment par Umberto Eco qui le qualifie de « picaresque académique ». Lodge parvient à transcender les limites du roman de campus traditionnel en créant une œuvre qui ne présuppose pas la connaissance du milieu universitaire mais la transmet naturellement au lecteur.

L’ouvrage trouve un écho particulier dans le contexte des années 1980, marquées par les réformes thatchériennes qui transforment radicalement le paysage universitaire britannique. Le monde insouciant décrit par Lodge, où les professeurs voyagent sans compter aux frais de leurs institutions, cède progressivement la place à une gestion plus managériale. Cette dimension historique ajoute une note mélancolique à la satire.

Aux éditions RIVAGES ; 528 pages.


3. Jeu de société (1988)

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Résumé

Dans l’Angleterre de Margaret Thatcher, Robyn Penrose enseigne la littérature à l’université de Rummidge. Cette jeune universitaire féministe, spécialiste des romans victoriens, vit une situation précaire : son poste d’enseignante n’est que temporaire, dans un contexte de restrictions budgétaires qui frappe durement le monde académique.

Le destin la met sur la route de Vic Wilcox, directeur général d’une entreprise de métallurgie. Dans le cadre de « l’Année de l’Industrie », programme gouvernemental visant à rapprocher université et entreprises, Robyn doit suivre Vic chaque mercredi dans son usine, observer son travail, comprendre ses méthodes. Cette immersion forcée provoque d’abord des étincelles : l’universitaire théoricienne affronte le patron terre-à-terre, chacun défendant ses convictions avec véhémence.

À travers leurs échanges et leurs expériences, Robyn découvre la réalité brutale du monde industriel tandis que Vic s’ouvre peu à peu à la dimension symbolique et romantique de l’existence. Leur rapprochement culmine lors d’une liaison éphémère à Francfort, avant que chacun ne reprenne sa route, transformé par cette rencontre.

Autour du livre

Dernier volet de la trilogie universitaire de David Lodge, « Jeu de société » s’inscrit dans la lignée des romans qui interrogent la société britannique des années 1980, sous l’ère Thatcher. Le cadre temporel choisi – l’année 1986 – permet à Lodge de dresser un tableau acerbe des mutations économiques et sociales qui bouleversent alors le pays : déclin industriel, montée en puissance de la finance, coupes budgétaires dans l’éducation.

Lodge s’inspire directement des « condition-of-England novels », ces romans qui, sous la plume d’Elizabeth Gaskell ou Charles Dickens notamment, dépeignaient les transformations sociales du XIXe siècle. Cette filiation se manifeste à travers des épigraphes tirées de « Sybil », « Nord et Sud » ou encore « Les Temps difficiles », qui ponctuent stratégiquement les différentes parties du récit. Le parallèle entre l’époque victorienne et l’ère thatchérienne s’établit subtilement, notamment à travers l’expression « self-help », qui renvoie autant à l’ouvrage de Samuel Smiles qu’à l’idéologie du libre marché promue par Margaret Thatcher.

La dimension comique naît des situations cocasses provoquées par le « Shadow Scheme », ce programme gouvernemental qui contraint une universitaire féministe et un directeur d’usine à collaborer. Lodge manie l’ironie avec tact, notamment dans le contraste entre leurs vocabulaires respectifs : quand Robyn Penrose disserte sur la déconstruction et la sémiologie, Vic Wilcox ne jure que par les chiffres et la rentabilité.

Les personnages secondaires incarnent les archétypes de cette Angleterre en mutation : Debbie, petite amie du frère de Robyn, symbolise la réussite fulgurante des yuppies de la City, tandis que Charles, l’amant de Robyn, illustre la fuite des cerveaux universitaires vers le secteur financier. Lodge peint ainsi le délitement progressif des institutions traditionnelles face à la montée des valeurs marchandes.

Pour écrire ce roman, Lodge s’est immergé dans le monde industriel en suivant le quotidien d’un directeur d’usine, expérience qui confère au texte son authenticité dans la description des réalités économiques. L’adaptation en mini-série par la BBC en 1989, avec Haydn Gwynne et Warren Clarke dans les rôles principaux, a d’ailleurs reçu le Prix de la Royal Television Society. Finaliste du prestigieux Booker Prize en 1988, « Jeu de société » s’est également vu décerner le Sunday Express Book of the Year.

La fin du roman déjoue habilement les attentes d’une résolution romantique à la victorienne. Si Lodge emprunte certains artifices narratifs aux romans industriels du XIXe siècle (l’héritage providentiel, les propositions d’emploi multiples), c’est pour mieux les subvertir dans une perspective postmoderne. Le dénouement souligne la précarité des solutions proposées, refusant tout happy end conventionnel.

L’université de Birmingham a servi de modèle à la fictive Rummidge University, tandis que les personnages de Morris Zapp et Philip Swallow, déjà présents dans les précédents volets de la trilogie (« Changement de décor » et « Un tout petit monde »), font de brèves apparitions qui ancrent le récit dans la continuité de l’œuvre de Lodge. Le personnage de Robyn Penrose réapparaîtra d’ailleurs dans « Pensées secrètes » (2001), autre roman universitaire de l’auteur.

Cette mise en scène des divisions sociales et culturelles de l’Angleterre thatchérienne trouve son illustration la plus saisissante dans l’image finale du roman : sur une pelouse du campus, un jeune jardinier noir tond la pelouse autour d’étudiants allongés, sans qu’aucun regard ne soit échangé. Cette scène cristallise toute l’ambiguïté d’une société où les différences de classe et de race persistent malgré la proximité physique des individus.

Aux éditions RIVAGES ; 512 pages.


4. Thérapie (1995)

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Résumé

Dans l’Angleterre des années 1990, Lawrence Passmore traverse une crise existentielle. À 58 ans, ce scénariste vedette d’une sitcom populaire accumule les succès : villa cossue, appartement londonien, épouse dévouée, situation financière enviable. Mais une douleur tenace au genou vient perturber cette apparente félicité.

Désemparé face à ce mal mystérieux que la médecine conventionnelle ne parvient pas à soulager, il se tourne vers les médecines douces : acupuncture, aromathérapie, thérapie comportementale. Sa thérapeute lui suggère de tenir un journal. C’est dans ce contexte que sa femme Sally annonce leur séparation. S’ensuit une période chaotique où Tubby, son surnom, enchaîne les échecs sentimentaux tout en découvrant l’œuvre de Kierkegaard, philosophe danois dont le parcours résonne étrangement avec le sien.

Au fil de ses lectures et de ses errances, un souvenir s’impose : celui de Maureen, son premier amour, une jeune catholique irlandaise qu’il avait brutalement quittée dans sa jeunesse. Apprenant qu’elle parcourt aujourd’hui les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, il part à sa recherche, espérant peut-être une forme de rédemption.

Autour du livre

Publié en 1995, « Thérapie » s’inscrit dans la veine des romans de David Lodge qui sondent la société britannique post-thatchérienne. À travers le personnage de Lawrence Passmore, scénariste quinquagénaire d’une sitcom populaire, Lodge compose une partition à la fois ironique et mélancolique sur le mal-être contemporain.

La construction narrative se distingue par son originalité : le récit alterne entre journal intime, monologues dramatiques et mémoires. Cette architecture complexe permet d’observer le protagoniste sous différents angles, un effet kaléidoscopique qui met en lumière les contradictions du personnage. Les monologues de la deuxième partie, initialement présentés comme les témoignages authentiques de l’entourage de Passmore, se révèlent être des fictions écrites par le protagoniste lui-même – un retournement qui questionne la fiabilité du narrateur tout en soulignant sa créativité littéraire.

Le contexte social des années 1990 transparaît à travers les observations acerbes du narrateur : privatisation de British Rail, montée du chômage, système de santé à deux vitesses, sans-abris dans les rues de Londres. Lodge évite l’écueil du roman à thèse en intégrant ces éléments avec subtilité dans la trame narrative.

La rencontre entre le protagoniste et l’œuvre de Kierkegaard constitue un moment charnière du récit. Cette découverte intellectuelle permet à Lodge d’aborder des questions existentielles sans pesanteur, tout en établissant des parallèles entre la rupture de Kierkegaard avec Régine et celle de Passmore avec Maureen, son premier amour.

Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, qui occupe la dernière partie du roman, n’est pas qu’un simple dispositif narratif : il incarne la quête spirituelle du protagoniste tout en offrant une métaphore du parcours thérapeutique. Lodge y dépeint avec justesse la diversité des pèlerins et leurs motivations variées, une mosaïque humaine qui enrichit la dimension sociale du roman.

« Thérapie » se distingue des précédents romans de Lodge par son ton plus grave, même si l’humour reste présent. Le comique ne naît plus principalement de situations rocambolesques mais émane du regard lucide que porte le protagoniste sur lui-même. Cette évolution marque une nouvelle étape dans l’écriture de Lodge, qui s’éloigne de la pure comédie de mœurs pour explorer des territoires plus intimes.

La dimension catholique, récurrente chez Lodge, prend ici une coloration particulière à travers l’évocation des amours de jeunesse entre le protestant Lawrence et la catholique Maureen. Ces passages permettent d’évoquer l’Angleterre populaire d’après-guerre et les tensions religieuses qui la traversaient, tout en tissant des liens avec les questionnements spirituels du présent.

« Thérapie » interroge finalement la notion même de thérapie : aux approches conventionnelles (psychothérapie, aromathérapie, acupuncture) qui échouent à soulager Passmore s’oppose la « thérapie » inattendue du pèlerinage et des retrouvailles avec le passé. Lodge suggère ainsi que la guérison peut surgir là où on ne l’attend pas, dans la confrontation avec soi-même plutôt que dans la multiplication des traitements.

Aux éditions RIVAGES ; 496 pages.


5. La vie en sourdine (2008)

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Résumé

Novembre 2006. Desmond Bates, professeur de linguistique contraint à une retraite anticipée à cause de sa surdité, tue l’ennui entre la lecture du Guardian et les mondanités organisées par sa femme Winifred, propriétaire d’une boutique de décoration en vogue. Un soir, dans le brouhaha d’un vernissage, il rencontre Alex Loom, une jeune américaine qui prépare une thèse sur le suicide.

Sans vraiment comprendre ce qu’il accepte à cause de ses problèmes d’audition, Desmond se retrouve embarqué dans une relation ambiguë avec l’étudiante. Tandis qu’il tente de se dépêtrer de cette situation équivoque, son père de 89 ans, ancien musicien de jazz vivant seul à Londres, commence à montrer des signes inquiétants de confusion mentale. Entre les cours de lecture labiale et les visites à son père, Desmond doit aussi composer avec sa nouvelle vie de retraité aux côtés d’une épouse encore très active professionnellement.

Autour du livre

Avec « La vie en sourdine », David Lodge livre en 2008 un roman empreint d’une tonalité crépusculaire où la surdité devient le prisme d’une réflexion sur le silence et la mort. Partiellement autobiographique comme l’auteur le confirme dans ses remerciements, cette œuvre relate le quotidien de Desmond Bates, professeur de linguistique contraint à une retraite anticipée en raison de sa déficience auditive croissante. Lodge y mêle les genres : journal intime, comédie de mœurs universitaire et méditation sur le vieillissement s’entrelacent dans une narration qui alterne entre première et troisième personne.

La surdité s’impose comme le fil conducteur métaphorique du récit, donnant lieu à des situations tantôt cocasses, tantôt poignantes. « La surdité est comique, la cécité est tragique », affirme le narrateur, développant cette réflexion à travers des comparaisons littéraires savoureuses, notamment avec le Samson de Milton. Cette infirmité sensorielle se mue en véritable outil littéraire : les malentendus et quiproquos qu’elle engendre permettent à Lodge d’orchestrer une partition narrative où le comique naît des défaillances de la communication.

Lodge propose une réflexion sur la dualité tragique/comique qui traverse toute l’œuvre. Les scènes burlesques – comme ce réveillon catastrophique où Bates se retrouve sans piles pour son appareil auditif – contrastent avec des moments d’une gravité saisissante, notamment lors d’une visite à Auschwitz où le silence prend une dimension historique et métaphysique. Cette tension dialectique trouve son point d’orgue dans la relation entre Desmond et son père vieillissant, ancien musicien de jazz qui refuse obstinément tout appareillage auditif.

Le milieu universitaire, cher à Lodge, sert ici de toile de fond plutôt que de sujet principal. L’intrigue impliquant Alex Loom, doctorante américaine travaillant sur les lettres de suicide, apparaît comme un écho distancié des romans de campus qui ont fait la renommée de l’auteur. Cette trame narrative secondaire permet d’introduire une réflexion linguistique sur les actes de langage et leur pouvoir performatif.

La construction du roman en journal intime couvrant la période de novembre 2006 à mars 2007 s’accompagne d’une liberté formelle significative. Le narrateur passe du « je » au « il » selon son humeur, transformant ces variations pronominales en exercice de style rappelant ceux qu’il donnait jadis à ses étudiants. Cette virtuosité narrative souligne la dimension métalinguistique du texte tout en servant son propos sur l’isolement progressif du protagoniste.

Lodge inscrit son récit dans un contexte contemporain précis, évoquant au passage le 11 septembre, les attentats londoniens et d’autres événements marquants. Toutefois, ces références servent moins à ancrer le récit dans l’actualité qu’à souligner la distance croissante entre le narrateur et le monde qui l’entoure. La surdité devient ainsi métaphore d’une forme de détachement existentiel.

La traduction française, saluée pour sa finesse, relève le défi de transposer les nombreux jeux de mots et références culturelles britanniques. Le titre original « Deaf Sentence » joue sur la proximité phonétique entre « deaf » (sourd) et « death » (mort), illustration de la subtilité linguistique qui imprègne tout le texte.

Ce récit marque ainsi une évolution dans la carrière de Lodge : sans renier l’humour qui caractérise ses écrits antérieurs, il y insuffle une profondeur nouvelle. Les thèmes de la vieillesse, de la maladie et de la mort s’entremêlent dans une partition où le rire se teinte d’une mélancolie croissante. « La vie en sourdine » témoigne ainsi d’une maturité créative où la légèreté du ton n’exclut pas la gravité du propos.

Aux éditions RIVAGES ; 464 pages.


6. La chute du British Museum (1965)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Londres, début des années 1960. Adam Appleby, 25 ans, prépare une thèse sur la structure des phrases longues dans le roman anglais moderne. Catholique pratiquant, il vit avec Barbara et leurs trois enfants dans un deux-pièces exigu de Battersea. Pour le jeune couple qui respecte l’interdiction de la contraception par l’Église, chaque rapport intime devient un jeu de « roulette vaticane », malgré leurs tentatives de suivre la « méthode des températures ».

Cette journée de novembre commence mal : Barbara a trois jours de retard. Hanté par la perspective d’un quatrième enfant qu’il ne pourrait pas nourrir, Adam se rend comme chaque jour au British Museum. Entre une carte de lecteur périmée, un prêtre irlandais à transporter en scooter et une mystérieuse proposition concernant le manuscrit d’un auteur oublié, rien ne se passe comme prévu. Les péripéties s’enchaînent dans un Londres où les Beatles créent des embouteillages, où le brouillard nimbe les rues de Bloomsbury.

Autour du livre

Au début des années 1960, David Lodge enseigne à l’université de Birmingham et prépare sa thèse de doctorat tout en subvenant aux besoins de ses deux enfants. Cette expérience nourrit directement « La chute du British Museum », son troisième roman qu’il rédige lors d’un séjour aux États-Unis en 1964-1965, libéré de ses charges d’enseignement grâce à une bourse Harkness.

Dans cette satire sociale qui prend pour décor la Londres des années 1960, Lodge met en scène les tourments d’un couple catholique confronté aux interdits de l’Église en matière de contraception, à l’heure où la pilule fait son apparition. À travers les péripéties d’Adam Appleby, jeune père de trois enfants terrorisé à l’idée d’une quatrième grossesse, Lodge interroge avec causticité le poids des dogmes religieux sur l’intimité conjugale. Le choix du British Museum comme théâtre principal de l’action ne relève pas du hasard : ce temple du savoir incarne la tension entre érudition et préoccupations triviales qui traverse tout le récit.

La structure narrative se distingue par un remarquable travail d’intertextualité. Chaque chapitre constitue en effet un pastiche d’auteurs majeurs de la littérature : Joseph Conrad, Graham Greene, Ernest Hemingway, Henry James, James Joyce, Franz Kafka, D. H. Lawrence, Frederick Rolfe, C. P. Snow et Virginia Woolf. Cette virtuosité formelle culmine dans l’épilogue qui, en écho au monologue final de Molly Bloom dans « Ulysse », donne enfin la parole à Barbara Appleby dans un long flux de conscience dépourvu de ponctuation.

La publication du roman s’accompagne d’une mésaventure éditoriale : les exemplaires destinés à la presse se perdent mystérieusement, privant initialement l’ouvrage de toute couverture médiatique. Lodge reprendra d’ailleurs cet épisode dans « Un tout petit monde » (1984). La reconnaissance critique viendra plus tard, notamment après l’ajout d’une postface dans l’édition Penguin de 1983 dans laquelle Lodge explicite ses intentions et dévoile le jeu des pastiches que de nombreux lecteurs n’avaient pas perçu.

En mêlant satire sociale, comédie des mœurs universitaires et virtuosité littéraire, Lodge livre ici une œuvre qui préfigure les grandes thématiques de ses futurs romans : la condition des intellectuels, les affres de la foi catholique, la difficulté de concilier aspirations intellectuelles et contingences matérielles. La dimension autobiographique transparaît notamment dans le portrait sans complaisance du milieu universitaire britannique, ses rivalités mesquines et ses codes tacites résumés par l’injonction « Publish or perish! » lancée au héros par son directeur de thèse.

Les situations burlesques s’enchaînent à un rythme effréné, depuis le brûlage matinal des sous-vêtements jusqu’aux péripéties dans les entrailles du British Museum, en passant par une improbable course-poursuite impliquant les Beatles. Mais derrière la mécanique comique se dessine une réflexion plus profonde sur les contradictions de la modernité : tandis que la société britannique entre dans l’ère de la révolution sexuelle, symbolisée par les Beatles, certains restent prisonniers d’interdits religieux de plus en plus difficiles à justifier.

L’humour corrosif de Lodge trouve son expression la plus mordante dans cette formule du héros : « La littérature ne parle que de sexe et rarement d’enfants. La vie, c’est le contraire. » Cette tension entre littérature et réalité structure l’ensemble du récit, jusqu’au titre même qui joue sur la polysémie du verbe « to fall » : la chute physique du bâtiment fait écho à la déchéance morale redoutée par les gardiens de l’ordre ancien.

Aux éditions RIVAGES ; 272 pages.


7. Pensées secrètes (2001)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En février 1997, l’université britannique de Gloucester accueille Helen Reed, une romancière quarantenaire encore bouleversée par son veuvage récent. Venue animer un atelier d’écriture pour un semestre, elle fait la connaissance de Ralph Messenger, brillant directeur du centre de recherche en sciences cognitives, réputé tant pour ses travaux sur l’intelligence artificielle que pour ses aventures extraconjugales.

Leur rencontre fait jaillir des étincelles intellectuelles : elle défend une vision spirituelle de la conscience, lui ne jure que par les neurosciences. Leurs débats enflammés masquent une attraction grandissante. La révélation des infidélités de son défunt mari et de l’épouse de Ralph pousse Helen dans les bras de ce séducteur arrogant, donnant naissance à une liaison passionnée de trois semaines.

L’idylle s’effondre quand Ralph viole l’intimité d’Helen en lisant son journal intime, découvrant au passage la liaison de sa propre femme. En parallèle, un scandale de pédopornographie éclate dans son département.

Autour du livre

Publié en 2001, « Pensées secrètes » déploie une radiographie du monde universitaire britannique à l’aube d’une nouvelle ère technologique. Lodge situe son intrigue en 1997, période charnière marquée par l’arrivée des courriels et d’Internet dans le milieu académique, tout en abordant les questions fondamentales sur la conscience humaine qui préoccupent tant la littérature que les sciences cognitives.

La narration multiplie habilement les points de vue grâce à trois voix distinctes : les enregistrements de Ralph Messenger sur dictaphone puis sur ordinateur via un logiciel de reconnaissance vocale, le journal intime d’Helen Reed rédigé sur traitement de texte, et un narrateur omniscient apportant un regard extérieur sur les événements. Cette architecture permet à Lodge d’orchestrer une réflexion sur la nature même de la conscience et des pensées intimes.

Les travaux d’écriture créative proposés par Helen à ses étudiants constituent des exercices de style remarquables, notamment lorsqu’ils doivent imaginer ce que ressent une chauve-souris ou décrire la découverte des couleurs par une scientifique qui en aurait été privée depuis sa naissance. Ces pastiches d’auteurs comme Martin Amis, Salman Rushdie ou Samuel Beckett témoignent d’une virtuosité littéraire qui ajoute une dimension ludique au questionnement sur la conscience.

« Pensées secrètes » s’inscrit dans la lignée des précédentes œuvres de Lodge situées en milieu universitaire, mais abandonne sa ville fictive habituelle de Rummidge pour Gloucester. Un personnage de « Jeu de société » (1988), Robyn Penrose, y fait d’ailleurs une apparition, devenue entre-temps doyenne d’une faculté de lettres. Cette continuité renforce la cohérence de l’univers romanesque lodgien.

La documentation scientifique sous-jacente impressionne : Lodge s’est appuyé sur les travaux de grands noms des sciences cognitives comme Daniel Dennett, Richard Dawkins ou Gerald Edelman. Aaron Sloman, professeur d’intelligence artificielle à l’université de Birmingham, l’a personnellement orienté dans ses recherches. Cette rigueur documentaire nourrit les discussions entre Helen et Ralph sans jamais verser dans le didactisme pesant.

Les critiques littéraires ont souligné la maîtrise avec laquelle Lodge parvient à équilibrer les aspects scientifiques et romanesques. Si certains, comme Publishers Weekly, saluent sa capacité à aborder des questions profondes sur la condition humaine avec intelligence et humour, d’autres, tel Adam Mars-Jones dans The Guardian, relèvent une tendance à la surcharge informative, notamment dans la scène de la fresque murale expliquant différentes expériences de pensée en sciences cognitives.

L’ancrage temporel en 1997 donne au roman une dimension particulière : la mort de Jean-Dominique Bauby, auteur du « Scaphandre et le Papillon », y est mentionnée, tout comme l’arrivée au pouvoir de Tony Blair. Ces repères historiques précis confèrent au récit une authenticité qui renforce sa portée réflexive sur les mutations technologiques et sociétales de la fin du XXe siècle.

« Pensées secrètes » interroge aussi la place du roman dans un monde de plus en plus dominé par l’approche scientifique. Helen défend l’idée que « la littérature constitue la trace écrite de la conscience humaine, sans doute la plus riche que nous ayons », tandis que Ralph incarne une vision plus mécaniste de l’esprit. Ce dialogue entre sciences et lettres résonne particulièrement à notre époque où l’intelligence artificielle bouleverse notre compréhension de la conscience.

Aux éditions RIVAGES ; 464 pages.

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