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Martin Heidegger en 6 livres majeurs – Notre sélection

Martin Heidegger en 6 livres – Notre sélection

Martin Heidegger (1889-1976) est l’un des philosophes les plus influents du XXe siècle. Né à Messkirch en Allemagne dans une famille catholique modeste, il étudie d’abord la théologie avant de se tourner vers la philosophie. Il devient l’assistant d’Edmund Husserl à l’Université de Fribourg, où il développe sa propre approche de la phénoménologie.

En 1927, il publie son œuvre majeure « Être et Temps » qui le propulse sur la scène philosophique internationale. Cette œuvre pose la question fondamentale du « sens de l’être » et développe une « analytique existentiale » du « Dasein » (l’être-là, l’existence humaine).

Son parcours est marqué par son engagement controversé avec le nazisme : il adhère au parti nazi en 1933 et devient recteur de l’Université de Fribourg, poste qu’il quitte en 1934. Il reste cependant membre du parti jusqu’en 1944. Après la guerre, il est interdit d’enseignement pendant six ans par les autorités alliées.

Malgré cette période controversée, Heidegger poursuit son œuvre philosophique, développant notamment sa critique de la technique moderne et sa pensée sur le langage et la poésie. Il dialogue avec de nombreux penseurs, dont le poète René Char, et influence profondément la philosophie continentale, particulièrement en France.

Son œuvre, qui compte plus d’une centaine de volumes, continue de susciter débats et controverses, notamment après la publication récente de ses « Cahiers noirs » qui ont relancé les discussions sur son antisémitisme. Il meurt en 1976 à Messkirch, sa ville natale.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. Être et Temps (1927)

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Publié en 1927, « Être et Temps » constitue l’œuvre maîtresse de Martin Heidegger et l’un des textes philosophiques les plus influents du XXe siècle. Elle s’attaque à une question fondamentale délaissée selon Heidegger par la tradition philosophique : celle du sens de l’être. Pour y répondre, le philosophe développe une approche novatrice centrée sur le « Dasein » (l’être-là), terme par lequel il désigne l’existence humaine dans sa dimension concrète.

Heidegger examine comment l’homme, en tant qu’être jeté dans le monde, se trouve toujours déjà dans une situation qu’il n’a pas choisie mais avec laquelle il doit composer. Cette condition implique que le Dasein vit le plus souvent dans l’inauthenticité, absorbé par les préoccupations quotidiennes et les conventions sociales (ce que Heidegger nomme le « On »). Seule l’expérience de l’angoisse et la conscience de sa propre mortalité peuvent l’arracher à cet état pour l’amener vers une existence authentique.

Heidegger établit ensuite un lien entre l’être et la temporalité, montrant que le temps constitue l’horizon à partir duquel tout être peut être compris. Cette thèse centrale devait être approfondie dans une troisième partie qui ne fut jamais écrite, le livre demeurant ainsi inachevé.

L’impact de l’ouvrage fut considérable dès sa parution. Hans-Georg Gadamer rapporte qu’il fit l’effet d’une « bombe » dans les cercles philosophiques et assura instantanément la renommée internationale de son auteur. Les concepts développés dans « Être et Temps » ont profondément marqué l’existentialisme, l’herméneutique et la phénoménologie.

L’œuvre s’est également imposée comme une référence majeure pour des penseurs aussi éclectiques que Jean-Paul Sartre, Emmanuel Levinas, Jacques Derrida, Rudolf Bultmann, Jacques Lacan ou Paul Celan. Malgré les difficultés de lecture qu’elle présente, avec son vocabulaire technique et ses néologismes, elle continue d’exercer une influence déterminante sur la philosophie contemporaine.

Aux éditions GALLIMARD ; 600 pages.


2. Introduction à la métaphysique (1953)

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En 1953, Martin Heidegger publie « Introduction à la métaphysique », transcription remaniée d’un cours donné à l’Université de Fribourg en 1935. L’ouvrage marque un tournant dans la pensée du philosophe allemand, qui s’éloigne des thèses développées dans « Être et Temps » pour emprunter de nouvelles voies de réflexion.

Le livre s’articule autour d’une question fondamentale : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » À travers cette interrogation apparemment simple, Heidegger examine la nature même de l’être et remet en cause toute la tradition métaphysique occidentale. Il propose une lecture nouvelle des penseurs présocratiques, notamment Parménide et Héraclite, pour retrouver une compréhension originelle de l’être que la philosophie aurait perdue depuis Platon.

La démonstration culmine dans une analyse du premier chœur de l’Antigone de Sophocle, où Heidegger voit l’expression la plus pure de la conception grecque de l’homme comme être « le plus inquiétant ». Cette vision de l’humain comme créature à la fois passive et active face à la violence de la nature constitue le cœur de sa réflexion sur la condition humaine.

L’ouvrage suscita la controverse dès sa publication en raison d’une référence à la « vérité et grandeur intérieure » du national-socialisme. Cette mention, ajoutée lors de la publication et absente du manuscrit original, a alimenté les débats sur les liens entre la pensée de Heidegger et son engagement politique. Jürgen Habermas y réagit dans un célèbre article de 1953, appelant à « penser avec Heidegger contre Heidegger ». Le philosophe affirma plus tard que cette phrase visait à tromper les observateurs nazis présents à son cours, bien que cette justification reste discutée par les spécialistes.

Aux éditions GALLIMARD ; 238 pages.


3. Chemins qui ne mènent nulle part (1950)

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Publié en 1950, « Chemins qui ne mènent nulle part » rassemble six essais philosophiques rédigés par Martin Heidegger entre 1934 et 1946. Ceux-ci marquent un tournant dans la pensée du philosophe allemand après une longue période de silence éditorial suivant la parution de « L’Être et le Temps » en 1927. Ces textes s’articulent autour d’une métaphore centrale : celle des sentiers forestiers qui serpentent dans les bois, s’interrompent et dévient, à l’image du cheminement sinueux de la pensée humaine.

Les six essais abordent des thèmes distincts mais interconnectés. « De l’origine de l’œuvre d’art » ouvre le recueil, suivi de « L’époque des conceptions du monde » qui traite de la modernité. « Hegel et son concept de l’expérience » se penche sur la distinction entre savoir réel et savoir naturel, tandis que « Le mot de Nietzsche, Dieu est mort » propose une lecture novatrice de cette célèbre formule. Les deux derniers textes, « Pourquoi des poètes ? » et « La parole d’Anaximandre », s’interrogent respectivement sur la place de la poésie dans un monde désacralisé et sur les origines de la pensée occidentale.

Contrairement aux idées reçues sur l’hermétisme de Heidegger, ces essais se distinguent par leur clarté d’expression et leur poésie. Les textes s’enracinent dans l’expérience personnelle du philosophe, habitué des sentiers de la Forêt Noire. Cette œuvre déterminante signale le passage de Heidegger d’une recherche sur le sens de l’être en lien avec l’existence humaine vers une réflexion sur la vérité de l’être comme événement du langage. Son influence s’étend par-delà la philosophie : Jacques Lacan s’en inspirera notamment pour sa relecture de Freud.

Aux éditions GALLIMARD ; 476 pages.


4. De l’origine de l’œuvre d’art (1950)

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« De l’origine de l’œuvre d’art » constitue l’une des réflexions les plus marquantes sur l’art du XXe siècle. Cette série de conférences, prononcées par Martin Heidegger entre 1935 et 1936, propose une lecture radicalement nouvelle de la nature de l’art, en s’écartant des théories esthétiques classiques. À partir de deux exemples emblématiques – un tableau de Van Gogh représentant des souliers usés et un temple grec – le philosophe allemand démontre comment l’œuvre d’art transcende la simple représentation pour devenir le lieu d’émergence de la vérité.

La réflexion se déploie en trois temps. Le premier interroge ce qui distingue l’œuvre d’art d’un simple objet ou d’un produit artisanal. Heidegger s’attaque aux notions traditionnelles de matière et de forme, révélant leur incapacité à saisir l’essence de l’art. Le second temps met en lumière comment l’œuvre instaure un combat entre deux forces antagonistes : le « monde » qui s’ouvre et la « terre » qui se referme. Les souliers peints par Van Gogh ne se contentent pas de montrer une paire de chaussures – ils dévoilent la totalité du monde paysan dans sa vérité profonde.

La dernière partie établit l’art comme lieu privilégié où la vérité se manifeste. Le temple grec, par sa seule présence, ordonne et rassemble autour de lui tout un univers de sens : les dieux, les hommes, le ciel, la terre. L’œuvre ne représente plus – elle fonde et inaugure un monde.

Cette méditation philosophique marque une rupture dans l’histoire de la pensée sur l’art. Les auditeurs de l’époque, dont Hans-Georg Gadamer, témoignent de l’effet bouleversant produit par ces conférences. L’introduction de concepts inédits comme celui de « terre » dans le vocabulaire philosophique provoque un choc intellectuel considérable. Malgré les controverses qu’elle suscite – notamment la célèbre critique de Meyer Schapiro sur l’interprétation des souliers de Van Gogh – cette réflexion continue d’irriguer les débats contemporains sur la nature et la fonction de l’art.

Aux éditions RIVAGES ; 128 pages.


5. Acheminement vers la parole (1959)

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« Acheminement vers la parole » rassemble sept textes de Martin Heidegger écrits entre 1950 et 1959, tous consacrés au langage. Ils marquent l’aboutissement de trente années de réflexion sur ce que signifie parler et être au monde à travers les mots.

Le livre s’ouvre sur « La parole », une méditation prononcée en 1950 qui dissèque un poème d’hiver de Georg Trakl. Suit « La parole dans le poème », une étude de la poésie de Trakl qui met en lumière la relation entre langage et être. Le troisième texte, « D’un entretien de la parole », prend la forme d’un dialogue avec un professeur japonais sur les différences entre les conceptions occidentale et orientale du langage. Les quatre derniers essais approfondissent cette réflexion sur l’essence du langage à travers l’analyse d’œuvres poétiques.

Pour Heidegger, le langage n’est pas un simple outil de communication, mais le lieu même où se dévoile l’être. Ces textes développent l’idée que nous n’utilisons pas tant le langage que nous habitons en lui. Cette conception révolutionnaire marque une rupture avec la tradition philosophique occidentale qui considérait le langage comme un système de signes.

L’ouvrage occupe une place centrale dans la pensée tardive d’Heidegger. Publié initialement en 1959 chez Günther Neske, il influence profondément la philosophie du langage de la seconde moitié du XXe siècle, mais aussi la linguistique, la théorie littéraire et l’herméneutique. La traduction française de Jean Beaufret et Wolfgang Brokmeier paraît en 1976. Ces essais demeurent une référence pour comprendre le tournant linguistique en philosophie.

Aux éditions GALLIMARD ; 266 pages.


6. Apports à la philosophie (1989)

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Les « Apports à la philosophie » constituent, avec « Être et Temps », l’une des œuvres majeures de Martin Heidegger. Rédigé entre 1936 et 1940, ce texte philosophique ne fut publié qu’en 1989, conformément aux volontés de son auteur qui souhaitait une publication posthume cinquante ans après sa composition. Il marque une rupture avec la démarche d’ « Être et Temps », abandonnant l’analyse du « Dasein » pour s’engager dans une méditation sur l’essence de l’Être.

Le livre s’articule autour de six « fugues » ou mouvements principaux qui tentent de saisir l’Ereignis (traduit par « avenance » en français), concept central désignant l’événement où se joue la relation entre l’Être et l’homme. Ces six parties – la Résonance, le Passage, le Saut, la Fondation, les Ad-venants et le Dernier Dieu – forment une architecture visant à dépasser la métaphysique traditionnelle pour penser l’Être de façon radicalement nouvelle.

La réflexion se construit autour de l’idée d’un « autre commencement » de la philosophie, distinct du « premier commencement » grec. Heidegger y développe des thèmes comme la « Machenschaft » (l’empire de la technique), la « tonalité fondamentale » qui caractérise notre rapport au monde, ou encore la figure énigmatique du « dernier dieu ».

La parution tardive de l’ouvrage en 1989 a révélé son influence souterraine sur de nombreux textes ultérieurs d’Heidegger, notamment la « Lettre sur l’humanisme ». La traduction française par François Fédier, publiée en 2013, a suscité d’importantes controverses, notamment sur le choix des termes « apports » et « avenance ». Elles témoignent de la difficulté à transposer une pensée qui cherche délibérément à forger un nouveau langage. Les « Apports » restent aujourd’hui une œuvre essentielle pour comprendre l’évolution de la pensée heideggérienne après « Être et Temps ».

Aux éditions GALLIMARD ; 624 pages.

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