Laura Kasischke naît le 5 décembre 1961 à Grand Rapids dans le Michigan. Après des études à l’Université du Michigan où elle obtient un Master of Fine Arts en 1987, elle poursuit sa formation à l’Université Columbia. Elle devient ensuite professeure d’anglais et d’écriture à l’Université du Michigan à Ann Arbor, où elle occupe aujourd’hui le poste prestigieux de « Theodore Roethke Distinguished University Professor ».
Sa carrière littéraire démarre dans les années 1990 avec la publication de plusieurs recueils de poésie. En 1997, elle fait ses débuts dans le roman avec « À Suspicious River », qui connaît un succès notable et sera plus tard adapté au cinéma. Son œuvre se caractérise par une double production : d’un côté la poésie, qui lui vaut de nombreuses distinctions dont le National Book Critics Circle Award en 2011 pour « Space, in Chains », de l’autre le roman, avec des titres comme « Un oiseau blanc dans le blizzard » (1999) ou « La vie devant ses yeux » (2002), également portés à l’écran.
Particulièrement appréciée en France où ses livres sont régulièrement traduits et publiés chez Christian Bourgois, elle reçoit le Grand prix des lectrices Elle en 2014 pour « Esprit d’hiver ». Son talent est également reconnu par l’obtention de prestigieuses bourses, notamment la Bourse Guggenheim en 2009. Laura Kasischke vit actuellement à Chelsea, dans le Michigan, avec sa famille, tout en poursuivant ses activités d’enseignante et d’écrivaine.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Esprit d’hiver (2013)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
En ce matin de Noël, Holly se réveille bien trop tard dans sa maison du Michigan. Son mari Eric est déjà parti chercher ses parents à l’aéroport tandis que leur fille adoptive Tatiana, 15 ans, dort encore. Une tempête de neige s’abat sur la région ; les invités se décommandent les uns après les autres. Holly et Tatiana se retrouvent seules dans la maison, isolées par le blizzard.
Entre les préparatifs chaotiques du repas de Noël et les confrontations avec une adolescente de plus en plus hostile, Holly replonge dans ses souvenirs. Elle revoit ce jour, treize ans plus tôt, où Eric et elle sont allés chercher Tatiana dans un sinistre orphelinat sibérien. Cette adoption était censée marquer un nouveau départ pour Holly, après qu’une maladie génétique l’eut privée de toute possibilité d’enfanter.
Au fil des heures, le comportement de Tatiana devient de plus en plus étrange, pour ne pas dire inquiétant. Elle change plusieurs fois de tenue, alterne entre agressivité et mutisme, s’enferme dans sa chambre. Le malaise grandit tandis que la neige continue de tomber. La journée de fête vire bientôt au cauchemar.
Autour du livre
Sous ses apparences de banale histoire d’une journée de Noël qui tourne mal, « Esprit d’hiver » dissèque avec une précision chirurgicale les failles d’une famille américaine. Le titre, inspiré d’un vers du poète-avocat Wallace Stevens qui écrivait « il faut posséder un esprit d’hiver », présage déjà la glaciation des rapports familiaux qui va suivre.
La maternité constitue le cœur névralgique du récit. Holly, privée de la possibilité d’enfanter à cause d’une mutation génétique, se retrouve confrontée à la complexité de l’amour maternel dans le cadre d’une adoption internationale. Les conditions sordides de l’orphelinat Pokrovka n°2, les tractations financières douteuses et la misère des enfants abandonnés dressent un tableau sans concession du système d’adoption en Russie. Cette dimension sociale s’entremêle avec une réflexion plus intime sur la nature même de la maternité : « Être un bon parent nous exonère d’aimer le genre humain. Tout pour mon enfant, tant pis pour le reste du monde », note avec acidité l’une des critiques.
François Busnel n’hésite pas à qualifier Laura Kasischke de « plus douée des romancières de sa génération ». Le Grand Prix des lectrices de ELLE vient couronner cette œuvre qui transforme une situation domestique banale en cauchemar oppressant. La construction du récit, parsemée d’indices subtils, mène à une révélation finale qui oblige à reconsidérer l’ensemble sous un angle radicalement différent. Cette chute spectaculaire divise les critiques : certains la jugent « magistrale », d’autres y voient une ficelle narrative déjà utilisée au cinéma.
Les thèmes de l’hérédité, de l’identité et de la folie s’entrelacent dans cette partition à deux voix où la neige devient métaphore de l’isolement psychologique. Entre thriller psychologique et conte macabre, « Esprit d’hiver » questionne la possibilité même d’échapper à son patrimoine génétique. La figure de la mère occidentale moderne s’y trouve disséquée sans complaisance : « Aveugles, pathétiques, exaltées, acrimonieuses et égoïstes : tel est le portrait des mères de ce faux thriller », résume une critique qui y voit « le roman de l’amour maternel dans toutes ses dimensions de bonheur et de déréliction ».
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 312 pages.
2. Les revenants (2011)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans une université du Midwest américain, un drame secoue la rentrée universitaire. Quelques mois plus tôt, Nicole Werner, étudiante modèle membre d’une prestigieuse sororité, a trouvé la mort dans un accident de voiture. Son petit ami Craig, qui était au volant, revient sur le campus malgré sa culpabilité dévorante et l’animosité des anciennes camarades de Nicole. Un témoin de l’accident, la professeure Shelly Lockes, s’étonne de voir les journaux locaux déformer systématiquement sa version des faits.
Le mystère s’épaissit quand Perry, ami d’enfance de Nicole et colocataire de Craig, commence à apercevoir la jeune fille sur le campus – une vision partagée par d’autres étudiants. Intrigué par ces apparitions surnaturelles, il suit le séminaire sur les rites funéraires dispensé par Mira Polson, une professeure d’anthropologie. Au fil de leur enquête commune, ils découvrent que derrière l’image lisse de Nicole se cachait une personnalité bien plus trouble, liée aux secrets inavouables de sa sororité Omega Theta Tau.
Autour du livre
Dans la lignée des classiques du genre comme « Le Maître des illusions » de Donna Tartt ou « La physique des catastrophes » de Marisha Pessl, « Les revenants » renouvelle les codes de la « campus novel » américaine. La structure narrative, qui jongle entre différents points de vue et temporalités, brise le schéma traditionnel d’un récit centré sur un protagoniste unique. Chaque personnage prend tour à tour une position dominante, créant une mosaïque complexe qui éclaire progressivement les zones d’ombre de l’intrigue.
La dimension anthropologique s’inscrit au cœur du récit à travers le personnage de Mira Polson, dont les recherches sur les rites funéraires et le rapport à la mort dans différentes civilisations ajoutent une profondeur sociologique au texte. Cette réflexion sur notre relation aux défunts s’entrelace avec une critique du système des sororités américaines, décrites comme des institutions quasi-sectaires aux pratiques d’initiation dangereuses.
Le puritanisme et l’hypocrisie de la société américaine subissent un traitement sans concession. Derrière la façade respectable de l’université se dissimulent des mécanismes de pouvoir pervers, où la réputation prime sur la vérité. Les administrateurs préfèrent étouffer les scandales plutôt que d’affronter la réalité, tandis que les anciennes élèves maintiennent leur emprise à travers un réseau d’influence tentaculaire.
Récompensé par le Prix des Lecteurs en 2013, « Les revenants » s’impose comme l’une des œuvres les plus abouties de Laura Kasischke. La construction minutieuse de l’intrigue, comparable à un « écheveau démoniaque », maintient une tension constante entre réalité et surnaturel. Les apparitions présumées de Nicole créent une ambiguïté qui perdure jusqu’au dénouement, laissant au lecteur la liberté d’interpréter les événements selon une grille rationnelle ou fantastique.
Le fond poétique de l’écriture transparaît dans le traitement particulier des paysages et des saisons, notamment la neige qui recouvre et assourdit l’angoisse sous-jacente. Cette sensibilité, que Laura Kasischke partage avec David Lynch – elle reconnaît d’ailleurs une concordance de sensibilités avec « Blue Velvet » – imprègne l’atmosphère d’une inquiétante étrangeté.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 672 pages.
3. En un monde parfait (2009)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Jiselle, une hôtesse de l’air de trente-deux ans, voit sa vie basculer lorsque Mark Dorn, séduisant pilote de ligne et veuf convoité, la demande en mariage. Sans hésiter, elle abandonne son métier pour s’installer dans la maison familiale et s’occuper des trois enfants de Mark : Sam, un garçon de dix ans plutôt affectueux, et deux adolescentes, Camilla et Sara, qui accueillent leur belle-mère avec hostilité. Mais le conte de fées moderne tourne rapidement au cauchemar. Mark, constamment absent pour son travail, finit par rester bloqué en Allemagne alors qu’une mystérieuse épidémie, « la grippe de Phoenix », se propage aux États-Unis.
Le pays sombre peu à peu dans le chaos : les écoles ferment, les commerces baissent leurs rideaux, l’électricité devient intermittente et les animaux sauvages envahissent les villes. Isolée dans cette Amérique mise en quarantaine par le reste du monde, Jiselle doit apprendre à gérer seule un quotidien de plus en plus précaire tout en tentant de protéger ses beaux-enfants.
Autour du livre
Publié en 2009, « En un monde parfait » résonne aujourd’hui d’une manière singulière avec la crise du Covid-19. Les parallèles saisissent : fermetures d’écoles, désinfections systématiques, quarantaines, populations fuyant les villes, port du masque. La « grippe de Phoenix » imaginée par Laura Kasischke préfigure avec une justesse troublante les bouleversements sociaux d’une pandémie mondiale.
La romancière américaine joue habilement avec les codes du conte de fées pour mieux les subvertir. Le prénom de l’héroïne illustre cette progression : d’abord présenté comme signifiant « princesse », il devient « otage » avant de révéler sa véritable signification, « celle qui tient ses promesses ». Les références aux contes d’Andersen ponctuent le récit – la pantoufle de Cendrillon, la Petite Sirène, le Vilain Petit Canard – créant un contraste saisissant avec la réalité apocalyptique qui se déploie.
La construction narrative opère un renversement des archétypes traditionnels : ce ne sont plus les belles-mères qui incarnent la méchanceté mais les belles-filles qui endossent ce rôle. Cette inversion permet une critique acerbe de la société de consommation américaine. Le personnage de Paul Temple, professeur d’histoire, compare la situation aux flagellants de la Peste noire, suggérant que la société moderne s’auto-flagelle pour ses excès consuméristes.
L’ambiance évolue subtilement du conte de fées à la dystopie, sans jamais tomber dans le sensationnalisme. Les coupures d’électricité, la raréfaction des ressources, l’isolement progressif transforment le quotidien en une lutte pour la survie. Cette métamorphose s’accompagne d’une évolution des personnages : Jiselle passe de princesse naïve à figure maternelle protectrice, tandis que ses belles-filles abandonnent peu à peu leur hostilité initiale face à l’adversité grandissante.
La fin ouverte du récit laisse planer une ambiguïté caractéristique des œuvres de Kasischke : le monde parfait est-il sur le point de s’effondrer définitivement ou n’a-t-il jamais vraiment existé ?
Aux éditions FOLIO ; 384 pages.
4. À Suspicious River (1997)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans les années 1990, Leila Murray, 24 ans, travaille comme réceptionniste au Swan Motel de Suspicious River, une bourgade isolée du Michigan. Mariée depuis l’adolescence à Rick, un homme effacé qu’elle n’a jamais vraiment aimé, elle mène une existence morne jusqu’au jour où elle commence à se prostituer avec les clients de passage, pour le même tarif qu’une nuit à l’hôtel.
Sans passion ni dégoût particulier, elle accumule l’argent gagné dans une boîte à chaussures, comme détachée de son propre corps. Sa rencontre avec Gary Jensen, un client violent qui la frappe dès leur première entrevue, précipite sa descente aux enfers. Subjuguée par cet homme brutal qui devient son proxénète, elle se laisse entraîner dans une spirale d’autodestruction.
Le roman dévoile progressivement les traumatismes qui ont façonné le destin de Leila : le meurtre de sa mère Bonnie par son amant – l’oncle de Leila – dont elle fut témoin à l’âge de sept ans, puis son viol par des voisins, suivi d’un avortement qui l’a rendue stérile à 17 ans. Ces blessures l’ont conduite à reproduire inconsciemment le schéma maternel, cherchant dans la violence des hommes une forme de punition.
Autour du livre
La construction de « À Suspicious River » repose sur un entrelacement de trois temporalités – l’enfance, l’adolescence et le présent de Leila – qui s’éclairent mutuellement. Cette structure narrative révèle peu à peu les événements traumatiques qui ont forgé le destin de l’héroïne, créant un effet de miroir saisissant entre le destin de la mère et celui de la fille.
Dans ce premier roman publié en 1997, Laura Kasischke pose déjà les fondations thématiques qui marqueront ses œuvres ultérieures : la relation mère-fille, l’héritage des traumatismes familiaux, la violence latente qui couve sous le vernis de la société américaine. L’hyperréalisme cru des scènes de violence se mêle à une dimension poétique inattendue, notamment dans les descriptions de la rivière qui donne son titre au livre – à la fois frontière géographique et reflet métaphorique des tourments intérieurs de Leila.
La noirceur du propos se manifeste particulièrement dans la représentation de cette Amérique profonde des années 1990, avec ses motels de bord de route, ses églises omniprésentes et ses mouvements suprémacistes en gestation. Le Michigan dépeint ici préfigure l’émergence des groupes néo-nazis qui deviendront, selon les mots d’un critique, « le mouvement le plus puissant des USA. » Cette dimension sociale confère au livre une résonance politique qui dépasse la simple trajectoire individuelle de Leila.
Le cinéma s’en est emparé en 2000, à travers l’adaptation de Lynne Stopkewich avec Molly Parker dans le rôle principal. Bien que le film n’ait pas connu un succès commercial majeur, la critique a salué sa capacité à retranscrire l’atmosphère oppressante du texte original.
Par sa structure narrative sophistiquée et son traitement sans concession de sujets difficiles comme la prostitution ou les traumatismes transgénérationnels, « À Suspicious River » s’impose comme une œuvre marquante qui annonce les grands thèmes qui traverseront la littérature américaine des années 2000.
Aux éditions FOLIO ; 448 pages.
5. Un oiseau blanc dans le blizzard (1999)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans une banlieue tranquille de l’Ohio, en janvier 1986, Kat Connors, seize ans, découvre que sa mère Eve s’est volatilisée sans laisser de traces. Ni bagages, ni mot d’explication – juste un bref appel téléphonique le lendemain pour annoncer qu’elle ne reviendra pas. Cette disparition soudaine dévoile les fissures d’une famille en apparence ordinaire : un père transparent et effacé, une mère frustrée par vingt ans de mariage sans amour, et une adolescente en surpoids que sa mère ne cessait de critiquer.
Les années passent et Kat poursuit sa vie, partagée entre son petit ami Phil, ses séances chez une psychologue et ses études. Sous la surface de cette existence qui continue, des cauchemars récurrents la hantent, peuplés d’images de sa mère. À travers ses souvenirs, se dessine le portrait d’Eve, une femme belle et cultivée qui étouffait dans son rôle de femme au foyer, passant ses journées à aseptiser la maison et à cuisiner des repas que personne ne mangeait.
L’enquête sur la disparition d’Eve piétine jusqu’à ce que Kat commence à assembler les pièces du puzzle, guidée par ses cauchemars et les indices disséminés dans la maison familiale. La vérité qui émergera sera plus glaçante encore que le blizzard de l’Ohio.
Autour du livre
Cette chronique glacée d’une disparition s’inscrit dans la lignée des œuvres qui interrogent la place des femmes dans la société américaine. À travers le portrait d’Eve, femme cultivée réduite au rôle de ménagère, et de sa fille Kat qui tente de se construire dans l’absence, Laura Kasischke questionne l’effacement progressif de ces épouses et mères « de moins en moins visibles à l’œil nu ».
La comparaison avec Joyce Carol Oates revient fréquemment dans les critiques, même si ces deux romancières déploient des styles différents. Laura Kasischke se démarque par une écriture plus sèche, plus clinique dans son observation des personnages, où les images métaphoriques abondent. Cette approche elliptique sert admirablement le propos d’ « Un oiseau blanc dans le blizzard », qui dissèque la société américaine des années 80 à travers le prisme d’une famille de la classe moyenne.
Dans cette chronique familiale, le quotidien aseptisé d’une banlieue résidentielle révèle ses failles et ses non-dits. La maison impeccable devient le théâtre d’un huis clos où chaque pièce, du sous-sol à la chambre d’amis, recèle des indices sur le destin d’Eve. Les produits ménagers et le congélateur rempli six mois à l’avance symbolisent une vie figée, que même la propreté obsessionnelle ne parvient pas à purifier.
La construction du récit en quatre chapitres, chacun situé en janvier, mois emblématique de la disparition, permet de suivre la transformation de Kat sur plusieurs années. Cette structure temporelle s’accompagne d’une alternance entre présent et passé, entre réalité et cauchemars, qui maintient la tension jusqu’au dénouement final.
Le livre a été adapté au cinéma en 2014 sous le titre « White Bird », avec Eva Green dans le rôle d’Eve. À l’instar des romans précédents de Kasischke comme « À moi pour toujours » ou « Les revenants », l’histoire mêle réalisme et fantastique pour dépeindre l’envers du rêve américain. La dimension psychologique s’enrichit d’éléments oniriques et de phénomènes paranormaux qui brouillent les frontières entre réel et imaginaire.
Aux éditions FOLIO ; 352 pages.
6. La couronne verte (2008)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans l’Illinois des années 2000, trois lycéennes – Anne, Michelle et Terri – s’apprêtent à célébrer leur dernier Spring Break avant l’université. Elles optent pour Cancún au Mexique, destination prisée des jeunes Américains en quête de fêtes et de liberté. Malgré les recommandations maternelles sur les dangers qui guettent les jeunes filles seules à l’étranger, le trio s’envole pour quatre jours de vacances.
Dès leur arrivée, un homme d’une quarantaine d’années propose aux jeunes filles de leur faire découvrir les ruines mayas de Chichén Itzá. Tandis que Terri préfère rester à l’hôtel, Michelle se montre immédiatement enthousiaste, subjuguée par les récits sur le dieu Quetzalcóatl et les sacrifices rituels. Anne, plus prudente, accepte néanmoins d’accompagner son amie dans cette excursion qui aura des conséquences tragiques.
Autour du livre
L’écriture de « La couronne verte » coïncide avec une affaire de disparition similaire à celle décrite dans ses pages, ce qui confère au texte une résonance particulière avec l’actualité de l’époque. Cette synchronicité renforce la puissance du propos sur la vulnérabilité des jeunes femmes face aux dangers qui les guettent.
La narration alterne savamment entre deux voix : celle d’Anne à la première personne, qui livre les faits avec une lucidité angoissée, et celle de Michelle à la troisième personne, plus sensible aux sensations et aux couleurs. Cette dualité permet de saisir comment une même situation peut être perçue de manière radicalement différente par deux amies pourtant proches. Les chapitres courts créent un rythme saccadé qui amplifie progressivement la tension.
La symbolique des couleurs, particulièrement le vert, tisse un fil conducteur tout au long du récit. Cette teinte évoque aussi bien l’océan que la végétation luxuriante, les plumes des oiseaux ou l’eau sombre des puits sacrificiels. Elle renvoie également à la couronne aztèque dérobée par Hernán Cortés, aujourd’hui conservée à Vienne, établissant ainsi un parallèle entre les sacrifices rituels précolombiens et les violences contemporaines.
La singularité de « La couronne verte » réside dans sa manière d’entrelacer critique sociale et dimension mystique. Le Spring Break, rite de passage typiquement américain, se transforme en une expérience initiatique brutale où la superficialité des jeunes touristes se heurte à la force primitive d’une terre chargée d’histoire. Laura Kasischke questionne ainsi l’efficacité des mises en garde maternelles face à une société qui continue de faire des femmes des victimes potentielles.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 224 pages.
7. Rêves de garçons (2007)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
À la fin des années 1970, Kristy Sweetland, 17 ans, passe l’été dans un camp de pom-pom girls à Pine Ridge avec sa meilleure amie Desiree. Blonde, souriante et bonne élève, Kristy incarne la parfaite cheerleader américaine. Un après-midi particulièrement chaud, les deux amies décident de s’échapper du camp avec une autre fille, Kristi, pour aller se baigner dans le mystérieux Lac des Amants. Au volant de sa Mustang rouge décapotable, Kristy fait un arrêt dans une station-service où elles croisent deux garçons dans un vieux break rouillé.
Le sourire poli que leur adresse machinalement Kristy suffit à déclencher une course-poursuite sur les routes bordées de pins. Les trois filles, grisées par l’excitation, poussent la provocation jusqu’à exhiber leur poitrine avant de semer définitivement leurs poursuivants. Mais le retour au camp prend une tournure inquiétante : Kristi devient hystérique, persuadée que les garçons rôdent dans les parages, tandis que Desiree reste indifférente au danger, trop occupée par sa liaison avec le maître-nageur.
Autour du livre
Sous ses apparences de récit estival léger, « Rêves de garçons » dissèque l’Amérique des années 1970 à travers le prisme d’un camp de pom-pom girls. Laura Kasischke s’empare des codes du teen movie – la décapotable rutilante, les cheerleaders insouciantes, les garçons qui rôdent – pour mieux les subvertir et révéler la noirceur qui se cache derrière la façade étincelante de la jeunesse dorée.
La narration jongle entre présent et passé, entremêlant l’action principale avec des flash-backs sur l’enfance de Kristy. Cette alternance permet de déconstruire peu à peu l’image de la cheerleader parfaite : sous le vernis du sourire perpétuel et de la gentillesse affichée se dessinent les contours d’une personnalité plus trouble. Les pensées de la narratrice, souvent teintées de réflexions sur la mort, contrastent avec la superficialité apparente de son personnage.
L’atmosphère du roman se construit autour d’éléments naturels omniprésents : le soleil écrasant, le chant incessant des cigales, l’odeur des pins blancs, la vase et les algues du lac mystérieux. Ces motifs récurrents participent à créer une tension sourde qui monte crescendo jusqu’au dénouement. La nature elle-même semble annoncer la catastrophe à venir, comme en témoigne le cycle des cigales dont les stridulations assourdissantes précèdent la chute massive de leurs corps morts.
Souvent comparée à Joyce Carol Oates, Kasischke partage avec elle le talent de transformer un fait divers apparemment banal en une réflexion grinçante sur la société américaine. À travers cette histoire de cheerleaders en vacances se dessine une critique acerbe du culte des apparences et de la morale superficielle de la classe moyenne américaine. La tension narrative ne naît pas tant de la menace extérieure représentée par les deux garçons que de la perversité latente des trois héroïnes, dont les actes révèlent progressivement la véritable nature.
« Esprit d’hiver » et « La couronne verte » de la même autrice présentent des similitudes thématiques avec « Rêves de garçons », notamment dans leur façon de dépeindre des adolescentes en apparence parfaites dont la personnalité se fissure peu à peu. Cette trilogie informelle constitue une radiographie sans concession de la jeunesse américaine, où le sentiment de toute-puissance propre à l’adolescence se teinte d’une cruauté ordinaire aux conséquences dévastatrices.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 256 pages.