John Robert Fowles naît le 31 mars 1926 à Leigh-on-Sea, dans l’Essex, en Angleterre. Fils unique d’une famille de la classe moyenne, il reçoit une éducation privilégiée à la Bedford School, puis à l’université d’Oxford où il étudie le français. Après son service militaire, il se tourne vers l’enseignement et part travailler en France, à l’université de Poitiers.
En 1951, sa vie prend un virage décisif lorsqu’il accepte un poste de professeur d’anglais sur l’île grecque de Spetses. C’est là qu’il rencontre sa future épouse, Elizabeth Christy. Cette expérience grecque inspire plus tard son roman « Le Mage » (1965). De retour en Angleterre, il enseigne pendant une décennie à Londres tout en se consacrant à l’écriture.
La publication de son premier roman, « L’Obsédé » (aussi connu sous le titre « L’Amateur »), en 1963, rencontre un succès international qui lui permet de se consacrer entièrement à la littérature. Il s’installe alors à Lyme Regis, dans le Dorset, où il écrit ses œuvres les plus célèbres, notamment « Sarah et le lieutenant français » (1969), qui confirme sa stature d’écrivain de premier plan. Son écriture se situe à la frontière entre modernisme et postmodernisme, influencée par les existentialistes français comme Sartre et Camus.
Après la mort d’Elizabeth en 1990, il épouse Sarah Smith en 1998. Fowles partage son temps entre l’écriture et son rôle de conservateur du musée de Lyme Regis jusqu’à ce qu’un accident vasculaire cérébral le force à prendre sa retraite. Il meurt d’insuffisance cardiaque le 5 novembre 2005, à l’âge de 79 ans.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. L’Obsédé (1963)
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Résumé
Frederick Clegg, modeste employé de mairie londonien, mène une existence solitaire et recluse. Sa seule passion consiste à collectionner des papillons qu’il épingle méticuleusement dans des boîtes vitrées. De son bureau, il observe chaque jour Miranda Grey, une jeune étudiante aux Beaux-Arts dont il tombe éperdument amoureux sans jamais oser l’aborder. Lorsqu’il gagne une somme colossale aux pronostics de football, son obsession pour Miranda prend un tour sinistre : il achète une maison isolée dans la campagne du Sussex, aménage la cave en appartement confortable et planifie méticuleusement l’enlèvement de la jeune femme.
Une fois Miranda séquestrée, Frederick déploie une courtoisie maniaque envers sa captive. Il la traite comme une invitée de marque, exauce ses moindres désirs matériels, mais demeure inflexible sur un point : elle ne quittera pas sa prison souterraine tant qu’elle ne partagera pas ses sentiments. Dans son esprit malade, il ne fait que protéger leur amour du monde extérieur. Miranda, intelligente et cultivée, tente d’abord de raisonner son geôlier avant de multiplier les tentatives d’évasion. S’engage alors un duel psychologique entre la jeune femme qui lutte pour sa liberté et cet homme persuadé qu’elle finira par l’aimer s’il se montre suffisamment patient et attentionné…
Autour du livre
Fowles compose « L’Obsédé » entre novembre 1960 et mars 1962. Le manuscrit essuie plusieurs refus avant d’être finalement publié en 1963. Le succès est immédiat et propulse Fowles sur le devant de la scène littéraire.
Cette confrontation entre un sociopathe issu des classes populaires et une jeune artiste bourgeoise sert de trame à une réflexion sur les antagonismes sociaux dans l’Angleterre des années 1960. La narration s’organise en quatre parties : les deux premières présentent successivement le point de vue de Frederick puis celui de Miranda à travers son journal intime, tandis que les deux dernières, plus courtes, reviennent à la perspective du ravisseur. Ce dispositif narratif permet de mettre en lumière la dimension psychologique des personnages, notamment les justifications que Frederick s’invente pour légitimer ses actes.
L’association entre la collection de papillons et la séquestration d’une jeune femme constitue une métaphore glaçante de l’objectification. Miranda l’exprime elle-même : « Je suis un spécimen parmi d’autres. C’est quand j’essaie de m’échapper qu’il me déteste. Il me veut morte, épinglée, toujours pareille, toujours belle. Il sait qu’une partie de ma beauté vient de ce que je suis vivante, mais c’est la Miranda morte qu’il désire. Il me veut vivante-mais-morte. » Fowles multiplie les références littéraires, notamment à « La Tempête » de Shakespeare dont il reprend les prénoms de Miranda et Ferdinand. Miranda compare d’ailleurs Frederick à Caliban, le personnage difforme et primitif de la pièce.
Alan Pryce-Jones du New York Times salue « un auteur très courageux » qui maîtrise parfaitement le langage de son protagoniste : « Il n’y a pas une fausse note dans sa description de Fred. » Le Press & Sun-Bulletin souligne la capacité de Fowles à « évoquer l’horreur oblique de l’innocence aussi bien que l’horreur directe de la connaissance. » En 2014, The Guardian classe Frederick Clegg parmi « les personnages les plus maléfiques de la littérature. »
« L’Obsédé » est adapté au cinéma en 1965 par William Wyler, qui refuse de réaliser « La Mélodie du Bonheur » pour se consacrer à ce projet. Terence Stamp et Samantha Eggar, dans les rôles de Frederick et Miranda, remportent tous deux le Prix d’interprétation au Festival de Cannes. Le film reçoit également trois nominations aux Oscars. Plusieurs adaptations théâtrales voient le jour à partir des années 1970, notamment à Londres avec Marianne Faithfull dans le rôle de Miranda. Le livre influence malheureusement plusieurs tueurs en série, dont Leonard Lake qui baptise son plan criminel « Operation Miranda » en référence directe au roman.
Aux éditions POINTS ; 336 pages.
2. Le Mage (1965)
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Résumé
Londres, 1953. Nicholas Urfe, 25 ans, fraîchement diplômé d’Oxford, mène une existence sans relief entre son poste d’enseignant et une liaison avec Alison, une hôtesse de l’air australienne. Pour échapper à cette relation qui devient trop sérieuse à son goût, il accepte un poste de professeur d’anglais sur Phraxos, une petite île grecque. Sur place, la solitude et l’ennui le mènent au bord du suicide jusqu’à sa rencontre avec Maurice Conchis, un millionnaire énigmatique qui vit reclus dans sa propriété.
Cet homme mystérieux, soupçonné d’avoir collaboré avec les nazis pendant la guerre, invite Nicholas à passer les week-ends dans sa villa. C’est alors que commence une série d’événements étranges : des personnages surgissent puis disparaissent, le passé semble se réincarner, la réalité se distord. Conchis orchestre un spectacle déroutant dont Nicholas devient le protagoniste malgré lui. L’arrivée des jumelles Julie et June, aussi séduisantes qu’insaisissables, complexifie encore ce jeu de miroirs où vérité et mensonge s’entremêlent.
Plus Nicholas tente de comprendre ce qui l’entoure, plus il s’enfonce dans un labyrinthe psychologique dont Conchis tire les ficelles. Quelle est la nature exacte de cette mise en scène ? Est-ce une simple manipulation ou une forme d’initiation ? Et surtout, quel en est le but véritable ?
Autour du livre
Premier roman écrit par John Fowles dans les années 1950 sous le titre initial « The Godgame » (Le Jeu divin), « Le Mage » ne sera publié qu’en 1965, après « L’Obsédé ». L’auteur s’inspire directement de son expérience de professeur d’anglais sur l’île grecque de Spetses, où il a enseigné pendant deux ans. Il travaillera sur ce manuscrit pendant plus d’une décennie, le retouchant sans cesse jusqu’à une version révisée en 1977, insatisfait de certains aspects techniques.
L’influence de la mythologie grecque imprègne l’ensemble du récit. Le patronyme du héros, Urfe, fait écho à Orphée descendant aux Enfers. Conchis incarne une figure de Prospero, le magicien de « La Tempête » de Shakespeare, manipulant les autres personnages comme des marionnettes. Cette dimension théâtrale se retrouve dans les « masques », ces mises en scène élaborées qui brouillent les frontières entre réalité et illusion.
Les questionnements philosophiques constituent la trame du roman. La liberté s’oppose frontalement au déterminisme, l’authenticité au mensonge, la raison à l’irrationnel. Conchis utilise ces jeux de masques pour confronter Nicholas à ses propres contradictions, notamment son incapacité à aimer véritablement. Le « jeu divin » devient une initiation forcée à la connaissance de soi.
La critique littéraire a réservé un accueil contrasté à cette œuvre inclassable. Le Sunday Telegraph salue « une œuvre majeure aux tensions croissantes où l’esprit humain est le cobaye ». Pour le Sunday Times, il s’agit d’une « délicieuse célébration d’une narration débridée ». Le Financial Times y voit une « mystification splendidement soutenue » digne du Marquis de Sade, de Jung et de Kafka réunis. « Le Mage » figure à la 93ème place des cent meilleurs romans anglophones du XXe siècle selon la Modern Library.
L’adaptation cinématographique de 1968 par Guy Green, malgré la présence de Michael Caine et Anthony Quinn, s’est soldée par un échec. Fowles lui-même, qui en a écrit le scénario, la qualifie de « catastrophe totale ». Woody Allen déclarera avec humour que s’il devait revivre sa vie, il ferait tout pareil sauf regarder « Le Mage ». Une nouvelle adaptation en série télévisée est annoncée en 2020 par Neal Street Productions. En 2016, BBC Radio 4 en a proposé une version radiophonique avec Charles Dance dans le rôle de Conchis.
Aux éditions ALBIN MICHEL ; 656 pages.
3. Sarah et le lieutenant français (1969)
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Résumé
Angleterre, 1867. Charles Smithson mène une existence paisible. Ce gentleman paléontologue amateur s’apprête à épouser Ernestina Freeman, fille d’un riche commerçant londonien, un mariage qui promet d’assurer son avenir. Lors d’une promenade sur la jetée de Lyme Regis, petite ville côtière du Dorset, le couple aperçoit une silhouette solitaire : Sarah Woodruff, ancienne gouvernante que la rumeur surnomme « la femme du lieutenant français ». Les habitants la considèrent comme une paria depuis qu’elle s’est éprise d’un officier de marine français, Varguennes, qui l’a séduite avant de retourner dans son pays où il était déjà marié. Sarah survit désormais comme dame de compagnie chez Mrs Poulteney, une rigide bigote qui l’emploie par charité chrétienne.
Intrigué par cette femme mystérieuse qui défie ouvertement les conventions sociales en s’affichant sur le Cobb, Charles commence à la rencontrer en secret. Sarah lui raconte son histoire et éveille en lui une compassion qui se mue peu à peu en désir. La situation se complique lorsque Charles apprend que son héritage est menacé : son oncle, dont il devait hériter du titre et de la fortune, s’apprête à se marier avec une femme suffisamment jeune pour lui donner un héritier.
Autour du livre
C’est à l’automne 1966 que John Fowles voit surgir l’image qui donnera naissance à « Sarah et le lieutenant français » : celle d’une femme debout au bout d’un quai désert, le regard perdu vers la mer. Cette vision le hante et devient le point de départ de son roman, qu’il achève dans une première version de 140 000 mots en octobre 1967. Il s’inspire notamment du roman « Ourika » (1823) de Claire de Duras, qu’il traduira d’ailleurs en anglais en 1977.
Fowles brise les codes narratifs traditionnels en intervenant régulièrement dans son récit pour commenter l’action, analyser la société victorienne et questionner son propre rôle d’auteur. À travers des digressions sur Charles Darwin, Karl Marx ou Thomas Hardy, il dresse un portrait saisissant de l’époque victorienne et de ses contradictions. Sarah Woodruff symbolise une nouvelle forme de féminité, en avance sur son temps. Sa marginalisation volontaire se lit comme un acte de résistance contre l’ordre établi. Fowles interroge également les rapports de classe en opposant l’aristocratie déclinante incarnée par Charles à la bourgeoisie montante représentée par la famille Freeman.
La critique salue unanimement la parution du livre en 1969. Le New York Times souligne son caractère « irrésistiblement romanesque » tout en appréciant sa déconstruction des « sensibilités victoriennes ». Time Magazine loue le « talent ingénieux et pénétrant » de Fowles. La revue American Libraries le classe parmi les « livres notables de 1969 ». En 2005, Time l’inclut dans sa liste des 100 meilleurs romans de langue anglaise parus depuis 1923.
« Sarah et le lieutenant français » est adapté au cinéma en 1981 par Karel Reisz, sur un scénario d’Harold Pinter. Meryl Streep et Jeremy Irons incarnent les rôles principaux dans ce film qui reçoit plusieurs récompenses dont des BAFTA et des Golden Globes. Une version théâtrale de Mark Healy fait une tournée au Royaume-Uni en 2006, année où BBC Radio 4 produit également une adaptation radiophonique en deux épisodes avec John Hurt comme narrateur.
Aux éditions POINTS ; 640 pages.