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James M. Cain en 3 polars – Notre sélection

James M. Cain en 3 romans noirs – Notre sélection

James Mallahan Cain naît le 1er juillet 1892 dans une famille d’origine irlandaise. Son père, James W. Cain, diplômé de Yale, est professeur puis devient président de Washington College. Sa mère, Rose Mallahan, a reçu une formation de soprano colorature.

Enfant précoce intellectuellement, Cain grandit dans un environnement lettré qui nourrit son goût pour la littérature. À l’âge de 12 ans, il est déjà un lecteur vorace, familier des œuvres de Poe, Thackeray et Stevenson. Après des études à Washington College, il occupe divers emplois sans conviction : employé de bureau, inspecteur routier, principal d’école. Il tente brièvement de devenir chanteur d’opéra, mais sa mère l’en dissuade fermement.

En 1917, Cain devient journaliste au Baltimore American puis au Baltimore Sun. Pendant la Première Guerre mondiale, il sert dans le Corps des transmissions et survit de justesse à une attaque au gaz. Après la guerre, il reprend le journalisme et couvre notamment les mouvements ouvriers.

Sa carrière littéraire prend son essor grâce à H. L. Mencken qui l’engage à l’American Mercury en 1924. C’est dans ce magazine qu’il publie sa première nouvelle, « Pastorale » (1928), où il développe le style de narration à la première personne qui fera sa renommée.

En 1934, la publication de son premier roman, « Le facteur sonne toujours deux fois », lui apporte un succès critique et commercial immédiat. Suivent d’autres livres majeurs comme « Assurance sur la mort » (1936), « Sérénade » (1937) et « Mildred Pierce » (1941). Ces romans, souvent centrés sur des crimes passionnels et des destins tragiques, le consacrent comme l’un des maîtres du roman noir américain.

Bien que Cain travaille plusieurs années à Hollywood comme scénariste, son nom n’apparaît que dans les crédits de deux films. En revanche, ses romans sont adaptés avec succès au cinéma, notamment « Assurance sur la mort » (1944), « Mildred Pierce » (1945) et « Le facteur sonne toujours deux fois » (1946).

En 1946, Cain propose la création d’une « American Authors’ Authority » pour protéger les droits d’auteur des écrivains, une initiative qui suscite la controverse et une accusation infondée de communisme.

Marié quatre fois, Cain continue d’écrire jusqu’à sa mort le 27 octobre 1977, à l’âge de 85 ans, laissant derrière lui une œuvre qui influence durablement la littérature et le cinéma américains.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Le facteur sonne toujours deux fois (1934)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Californie, années 1930. Frank Chambers, un vagabond de 24 ans, s’arrête à la « Taverne des Chênes-Jumeaux », un routier tenu par Nick Papadakis, dit « le Grec », et sa jeune épouse Cora. Attiré par cette dernière, Frank accepte l’emploi proposé par Nick. Entre Frank et Cora naît une passion immédiate. Lors de leur premier baiser, Cora demande à Frank de lui mordre les lèvres jusqu’au sang, prémices de la nature sadomasochiste de leur relation.

Lasse de sa vie avec un mari qu’elle méprise, Cora persuade Frank de l’aider à éliminer Nick. Leur première tentative échoue lorsqu’ils essaient de le noyer dans son bain. Ils élaborent alors un second plan : simuler un accident de voiture après avoir enivré le Grec. Cette fois, ils réussissent, mais le procureur du comté nourrit des soupçons. Sans preuves suffisantes, il tente de dresser les amants l’un contre l’autre…

Autour du livre

Publié en 1934, « Le facteur sonne toujours deux fois » est le premier roman de James M. Cain. Après un échec comme scénariste pour Paramount et Columbia en 1932, Cain renoue avec l’écriture de fiction. Sa nouvelle « The Baby in the Icebox » avait impressionné les éditions Alfred A. Knopf qui, avec le dramaturge Vincent Lawrence, l’encouragent à rédiger un roman. Commencé en mars 1933 et achevé en septembre, le manuscrit essuie d’abord les refus de Knopf et Macmillan. Walter Lippmann, ancien supérieur de Cain au New York World, intercède alors en sa faveur auprès d’Alfred Knopf. Initialement intitulé « Bar-B-Que », le livre paraît finalement sous le titre « The Postman Always Rings Twice » début 1934.

Deux sources principales ont nourri l’intrigue. En Californie au début des années 1930, Cain fréquentait une station-service gérée par une femme plantureuse. Un jour, il lit dans le journal qu’une femme tenant une station-service a tué son mari et découvre qu’il s’agit de cette même personne. Par ailleurs, l’affaire Ruth Snyder-Judd Gray de 1927, dans laquelle une épouse assassina son mari avec la complicité de son amant, a fourni les prototypes des personnages de Cora et Frank. Le biographe Paul Skenazy suggère que Cain fut captivé non seulement par l’adultère et le meurtre, mais aussi par les trahisons successives qui entraînèrent le couple criminel dans une « spirale autodestructrice ».

La signification du titre a suscité maintes conjectures, d’autant plus qu’aucun facteur n’apparaît dans le récit. Selon Cain lui-même, l’idée provient d’une conversation avec le scénariste Vincent Lawrence. Ce dernier évoquait son anxiété alors qu’il attendait des nouvelles d’un manuscrit soumis ; il savait quand le facteur arrivait car « il sonnait toujours deux fois ». Lawrence ajoutait qu’il allait parfois dans son jardin pour éviter d’entendre la sonnerie, mais que cette tactique échouait invariablement : si la première sonnerie passait inaperçue, la seconde, même depuis le jardin, parvenait toujours à ses oreilles. Ce titre métaphorique symbolise ainsi la justice ou le destin qui finit toujours par rattraper les coupables, même s’ils échappent une première fois à leur châtiment.

Publié pendant la Grande Dépression, le roman dépeint un milieu suburbain contraint où un vagabond croise la route d’une femme fatale frustrée. Les luxueuses demeures de Malibu Beach se trouvent à quelques minutes seulement – mais à un monde – de distance. Cora nourrit des rêves mais se retrouve piégée dans un mariage qu’elle abhorre. La relation toxique entre elle et Frank rappelle celle des protagonistes de « Thérèse Raquin » d’Émile Zola. Le livre bouleversa les lecteurs à sa parution par son mélange de sexualité et de violence, inhabituellement dosé pour l’époque, au point d’être interdit à Boston.

François Guérif évoque « une rare concision stylistique et rythmique » qui « porte le crime chez les gens ‘ordinaires’ en dévoilant les motivations essentielles des protagonistes : le sexe et l’argent. » Dans ses entretiens « Du polar », il affirme : « Je pense que James M. Cain est le plus méconnu des grands écrivains de romans noirs. Je pense que ‘Le facteur sonne toujours deux fois’ est un chef-d’œuvre qui n’a jamais été dépassé. S’il y a un livre qui mérite d’être hissé au niveau des Chandler, c’est bien ‘Le facteur sonne toujours deux fois’. » Albert Camus a cité ce livre comme source d’inspiration pour « L’Étranger », et le personnage de « l’Arabe » dans ce dernier semble s’inspirer du « Grec » de Cain. Le critique Edmund Wilson mit en garde contre le risque que l’histoire devienne « involontairement drôle », tandis que Dorothy Parker la qualifia simplement d’ « histoire d’amour ». « Le facteur sonne toujours deux fois » occupe la 30ᵉ place au classement des cent meilleurs romans policiers établi par la Crime Writers’ Association en 1990, la 14ᵉ place selon les Mystery Writers of America en 1995, et la 98ᵉ place parmi les cent meilleurs romans de langue anglaise du XXᵉ siècle selon la Modern Library en 1998.

Le livre a engendré d’innombrables adaptations cinématographiques. Les plus marquantes incluent « Le Dernier Tournant » de Pierre Chenal (1939) avec Michel Simon ; « Les Amants diaboliques » (Ossessione) de Luchino Visconti (1943) ; « Le facteur sonne toujours deux fois » de Tay Garnett (1946) avec Lana Turner et John Garfield, considéré comme l’un des films noirs les plus importants ; et sa version de 1981 réalisée par Bob Rafelson avec Jack Nicholson et Jessica Lange. S’y ajoutent « Szenvedély » (Passion) de György Fehér (1998), film hongrois en noir et blanc ; « Buai laju-laju » d’U-Wei Haji Saari (2004), film malaisien ; et « Jerichow » de Christian Petzold (2008), adaptation allemande. Il a également été adapté au théâtre à Broadway et en opéra en 1982 avec un livret de Colin Graham et une musique de Stephen Paulus.

Aux éditions FOLIO POLICIER ; 160 pages.


2. Assurance sur la mort (1936)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans les années 1930 à Los Angeles, Walter Huff, un agent d’assurances célibataire, se rend au domicile d’un client pour renouveler sa police automobile. En l’absence du mari, il rencontre Phyllis Nirdlinger, l’épouse, dont la silhouette sous son pyjama bleu suffit à « rendre un homme dingue ».

Lorsque Phyllis l’interroge sur les « assurances sur la mort », Walter comprend immédiatement ses intentions meurtrières. Pourtant, contre toute raison, il succombe à son charme vénéneux et élabore avec elle un plan pour assassiner son mari. L’idée ? Faire souscrire une assurance accident comprenant une clause de « double indemnité » en cas de mort accidentelle rare, puis maquiller le meurtre en chute depuis un train.

Une fois le crime accompli, le duo doit maintenir ses distances pour éviter les soupçons. Mais Barton Keyes, perspicace responsable des réclamations à la compagnie d’assurances, commence à flairer l’arnaque. Walter réalise alors qu’il s’est embarqué dans une bien curieuse affaire : « J’avais tué un homme pour obtenir une femme et de l’argent. Je n’avais ni l’argent ni la femme. »

Autour du livre

« Assurance sur la mort » trouve ses racines dans la propre expérience de James M. Cain comme vendeur d’assurances à Washington, enrichie par les connaissances de son père qui travaillait aussi dans ce secteur. Un vendeur d’assurances automobile lui confia même que « les grands mystères criminels de ce pays sont enfermés dans les dossiers des compagnies d’assurances. »

Le manuscrit fut achevé à la fin de l’été 1935, sous le titre « Double Indemnity » suggéré par l’agent de Cain, James Geller. Après des tentatives infructueuses pour le vendre à Redbook et chez Alfred A. Knopf, le récit suscita un enthousiasme considérable à Hollywood. Toutefois, le code Hays, chargé de la censure cinématographique, le rejeta catégoriquement en raison de ses représentations d’adultère et de meurtre. Le magazine Liberty finit par l’acquérir pour 5 000 dollars, puis le publia en feuilleton en 1936, avant sa parution en volume en 1943.

La relation toxique entre Walter et Phyllis constitue l’épine dorsale du récit. Elle illustre comment la passion charnelle et la cupidité peuvent pousser des individus ordinaires vers l’abîme. Cain scrute avec acuité la psychologie de deux personnes qui se persuadent que le meurtre n’est pas seulement acceptable mais presque justifié. Il dévoile progressivement la véritable nature de Phyllis, qui s’avère bien plus inquiétante qu’une simple femme adultère en quête d’argent. Walter, narrateur à la première personne, confesse son crime dès les premières pages. Cette structure narrative novatrice, où l’identité du criminel est connue d’emblée, déplace l’intérêt du « qui » vers le « comment » et surtout le « pourquoi ».

Cain s’écarte des enquêtes policières traditionnelles pour se concentrer sur la dimension morale du crime. La fraude à l’assurance sert de métaphore à une critique acerbe du capitalisme américain, comme le suggère cette réflexion de Walter : « Vous pensez que c’est un commerce, n’est-ce pas, comme le vôtre, et peut-être un peu meilleur, parce qu’il est l’ami de la veuve, de l’orphelin et de l’indigent en temps de détresse ? Ce n’est pas ça. C’est la plus grande roue de la fortune du monde. »

« Assurance sur la mort » a connu plusieurs adaptations, dont la plus célèbre reste celle réalisée par Billy Wilder en 1944. Le scénario, co-écrit par Wilder et Raymond Chandler, modifie certains éléments du roman, notamment la fin, tout en conservant l’essence de l’intrigue. Barbara Stanwyck et Fred MacMurray y interprètent magistralement Phyllis et Walter, tandis qu’Edward G. Robinson incarne Keyes. Nommé pour sept Oscars, il est aujourd’hui considéré comme un classique du film noir. Le livre fut également adapté en pièce radiophonique à plusieurs reprises entre 1945 et 1950, en téléfilm en 1973 avec Richard Crenna, puis en pièce de théâtre en 2011.

Aux éditions GALLMEISTER ; 160 pages.


3. Mildred Pierce (1941)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans le Los Angeles des années 1930, en pleine Grande Dépression, Mildred Pierce se sépare de son mari Bert, infidèle et sans emploi depuis la crise financière. Désormais seule avec ses deux filles, Veda et Ray, cette femme de la classe moyenne doit assurer leur subsistance et faire face à la pression des dettes qui s’accumulent.

Après une recherche d’emploi difficile, elle surmonte sa répugnance et accepte un poste de serveuse dans un restaurant. Grâce à son talent pour la cuisine, notamment ses fameuses « pies » (tartes américaines), Mildred parvient progressivement à monter sa propre affaire et développe une chaîne de restaurants florissante.

Cependant, sa fille aînée Veda, snob et manipulatrice, méprise le travail de sa mère malgré le luxe qu’il lui procure. Parallèlement, Mildred s’engage dans une relation avec Monty Beragon, un aristocrate désargenté qui vit à ses crochets. Tiraillée entre son amour obsessionnel pour sa fille ingrate et ses choix sentimentaux désastreux, Mildred pourrait bien perdre tout ce qu’elle a construit…

Autour du livre

James M. Cain entame l’écriture de « Mildred Pierce » dès 1932, suite à une suggestion de l’écrivain James McGuiness qui lui propose d’écrire sur « une veuve avec deux petits enfants à charge ». Le projet connaît de nombreuses transformations durant les années de la Grande Dépression avant d’aboutir en 1941. Il est sa première tentative d’écriture à la troisième personne après plusieurs romans à la première personne. Il confie en 1940 à son éditrice Blanche Knopf qu’il rencontre « beaucoup de difficultés » avec cette nouvelle approche narrative. Quatre réécritures seront nécessaires avant la vente du manuscrit définitif à Alfred A. Knopf pour une avance de 5 000 dollars.

Kate Cummings, mère de l’actrice hollywoodienne Constance Cummings, joue un rôle clé dans la genèse du roman. Devenue l’amie, l’amante et la conseillère littéraire de Cain durant cette période, elle lui fournit des éclairages essentiels au développement de son héroïne. Cain reconnaîtra d’ailleurs ouvertement que Cummings « l’a soutenu » durant l’écriture de son « premier roman sérieux ».

Contrairement aux précédents livres de Cain comme « Le facteur sonne toujours deux fois » ou « Assurance sur la mort », centrés sur des meurtres et des machinations criminelles, « Mildred Pierce » tranche par l’absence de crime ou de conflit avec la loi. L’action ne se concentre pas sur une courte période mais s’étend sur toute la durée de la Grande Dépression. Paul Skenazy, critique littéraire, souligne que Cain s’intéresse moins aux inégalités de classe ou aux bouleversements du marché du travail qu’à « l’obsession de l’argent créée par la crise économique, et la façon dont l’effondrement économique affecte les rapports entre les sexes ».

Le roman déploie ainsi une vision saisissante de la hiérarchie sociale américaine à travers le regard de Mildred, issue de Glendale, considérée comme provinciale par les nantis. Sarah Churchwell du Guardian note que « quiconque pense encore que l’Amérique n’a pas de système de classes devrait lire ‘Mildred Pierce’. » Cette dimension sociale se double d’une étude psychologique des relations mère-fille, marquée par une passion maternelle quasi malsaine. Comme le souligne un critique, Mildred « n’agit pas tant comme une mère que comme une amante qui a découvert un acte d’infidélité ». Les personnages masculins, généralement faibles et parasites, contrastent avec la figure de Mildred qui incarne une version féminine du « self-made man » américain.

La réception critique de « Mildred Pierce » fut mitigée mais globalement positive. Edmund Wilson, dans son essai « The Boys in the Back Room » pour The New Republic, proposa une critique mesurée qui, selon le biographe Ray Hoopes, marqua « la première suggestion par un critique américain majeur que Cain avait réussi à se hisser parmi les grands auteurs américains ». Bien que jamais considéré comme un best-seller, le roman se vendit à 11 000 exemplaires dès sa sortie, chiffre qui grimpa rapidement à 14 000 en quelques semaines, avant d’atteindre des centaines de milliers en format poche en 1945.

Le magazine littéraire Retail Bookseller prédisait que « les fans de James M. Cain risquent de trouver ‘Mildred Pierce’ décidément doux et apprivoisé » par rapport à ses œuvres précédentes. Tom Wolfe qualifiera plus tard Veda de « petite garce » tandis que le New York Times la décrivait comme « un reptile », « une enfant prodigieuse, incroyable, absurde… À 11 ans, elle se comporte comme Marie-Antoinette, à 13 ans comme Moll Flanders, à 17 ans comme la sorcière d’Endor, Sappho et Junon combinées. »

« Mildred Pierce » a connu plusieurs adaptations. La plus célèbre reste le film noir de 1945 réalisé par Michael Curtiz, avec Joan Crawford dans le rôle-titre qui lui valut l’Oscar de la meilleure actrice. Pour les besoins du cinéma, le scénario s’éloigne considérablement du roman en y introduisant un meurtre dès l’ouverture. Warner Bros note que le film engrangea 3 483 000 dollars aux États-Unis et 2 155 000 dollars sur les autres marchés, un succès commercial.

En 2011, le réalisateur Todd Haynes proposa une adaptation plus fidèle avec sa mini-série HBO en cinq épisodes, portée par Kate Winslet, Guy Pearce et Evan Rachel Wood. Stephen King loua cette version dans Newsweek, soulignant que « Winslet et Pearce enflamment l’écran dans cette mini-série spectaculaire ». Contrairement au film de 1945, cette adaptation suit presque mot pour mot le texte original, tout en incluant presque chaque scène d’origine. D’autres adaptations incluent une pièce radiophonique diffusée en 1954 sur NBC et une dramatisation de 90 minutes pour BBC Radio 4 en 1993.

Aux éditions GALLIMARD ; 420 pages.

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