Haruki Murakami naît le 12 janvier 1949 à Kyoto. Fils unique d’un enseignant de littérature japonaise, il passe une enfance solitaire, entouré de livres et de chats avec lesquels il dialogue. Après des études à l’université Waseda où il souhaite devenir scénariste de cinéma, il ouvre avec sa femme le Peter Cat, un bar de jazz qu’il gère pendant huit ans dans le quartier de Kokubunji à Tokyo.
C’est en regardant un match de baseball qu’il a l’idée d’écrire son premier roman, « Écoute le chant du vent », publié en 1979. Le succès est immédiat et lui vaut le prix Gunzō. Dans les années suivantes, il alterne entre romans et nouvelles, développant un style singulier mêlant réalisme et éléments fantastiques.
Au début des années 1990, Murakami et son épouse partent vivre en Europe puis aux États-Unis, où il enseigne la littérature japonaise dans plusieurs universités prestigieuses. Il revient au Japon en 1995, marqué par le séisme de Kobe et l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo.
Grand amateur de jazz et passionné de course à pied, Murakami est également traducteur d’auteurs anglo-saxons comme Raymond Carver, qu’il considère comme son mentor littéraire. Son œuvre, teintée d’influences occidentales tout en restant profondément japonaise, est traduite en cinquante langues et vendue à des millions d’exemplaires. Ses romans et nouvelles, où affleurent la poésie et l’humour malgré leur dimension mélancolique, abordent des thèmes existentiels comme la solitude et l’aliénation dans les sociétés modernes.
Pressenti régulièrement pour le prix Nobel de littérature depuis 2006, Murakami continue d’écrire et de publier régulièrement. Il est aujourd’hui l’un des auteurs japonais contemporains les plus lus au monde.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Kafka sur le rivage (2002)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Une prophétie menaçante pousse Kafka Tamura, quinze ans, à fuir la maison de son père à Tokyo : selon ce dernier, l’adolescent est condamné à reproduire le destin d’Œdipe en commettant un parricide et un inceste. Dans sa fuite vers le sud du Japon, l’adolescent trouve refuge à la bibliothèque Komura de Takamatsu, sur l’île de Shikoku. Il y rencontre deux personnages décisifs : Oshima, un bibliothécaire transgenre qui devient son mentor, et Mlle Saeki, la mystérieuse directrice dont il tombe amoureux.
En parallèle se déroule l’histoire de Satoru Nakata, un vieil homme simple d’esprit qui possède le don de parler aux chats. Cette faculté lui est apparue après un mystérieux incident survenu pendant son enfance, lors d’une sortie scolaire en 1944 : frappé par son institutrice, il est resté plusieurs semaines dans le coma et s’est réveillé amnésique et illettré. Quand il tue un homme étrange se faisant appeler Johnnie Walker, Nakata quitte Tokyo et prend la route avec un jeune camionneur, Hoshino, guidé par une force invisible vers Takamatsu.
Les destins de Kafka et Nakata convergent dans un lieu entre deux mondes, où le réel et l’imaginaire s’entremêlent. La prophétie du père de Kafka semble s’accomplir à travers une série d’événements énigmatiques : le meurtre de son père à Tokyo, ses relations avec Mlle Saeki – qui pourrait être sa mère – et avec Sakura – qui pourrait être sa sœur.
Autour du livre
Haruki Murakami a rédigé « Kafka sur le rivage » sur l’île hawaïenne de Kauai entre avril et octobre 2001, loin du tumulte de son Japon natal. Ce dixième roman, paru en 2002, s’est écoulé à plus de 500 000 exemplaires au Japon durant le premier mois suivant sa publication. Le romancier nippon puise dans un vaste répertoire de références culturelles, de la mythologie grecque à la philosophie hégélienne, en passant par la musique classique et le rock. Le titre lui-même joue sur plusieurs niveaux : c’est à la fois une chanson composée par Miss Saeki dans sa jeunesse, un tableau énigmatique, et une référence à l’écrivain Franz Kafka, dont l’influence transcende la simple homonymie avec le protagoniste.
Le récit alterne systématiquement entre deux voix narratives : les chapitres impairs, écrits à la première personne au présent, suivent Kafka Tamura, tandis que les chapitres pairs, à la troisième personne au passé, relatent l’odyssée de Satoru Nakata. Cette structure binaire reflète la dualité qui imprègne l’ensemble de l’œuvre. La dimension métaphysique se manifeste notamment à travers la figure du « garçon nommé Corbeau », alter ego de Kafka dont les interventions apparaissent en caractères gras dans le texte original. Les dialogues entre ces deux aspects du personnage principal révèlent la complexité des questionnements identitaires qui traversent le roman.
« Kafka sur le rivage » a reçu le World Fantasy Award en 2006 et figure parmi les dix meilleurs livres de l’année 2005 selon le New York Times. John Updike l’a qualifiée de « page-turner métaphysique ». Il a fait l’objet de plusieurs adaptations théâtrales, notamment par Frank Galati à Chicago en 2008 et par le metteur en scène Yukio Ninagawa au Japon en 2012 et 2014.
La réception critique témoigne d’interprétations multiples et parfois contradictoires, ce qui correspond aux intentions de l’auteur. Murakami a d’ailleurs répondu personnellement à 1 200 des 8 000 questions de lecteurs reçues sur le site de son éditeur japonais, tout en maintenant que chaque lecteur doit construire sa propre compréhension des énigmes qui parsèment le récit.
Aux éditions 10/18 ; 648 pages.
2. 1Q84 (2009)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans le Tokyo de 1984, Aomame emprunte un escalier de secours pour échapper aux embouteillages. Cette décision la propulse dans un monde parallèle où deux lunes illuminent le ciel nocturne. Le jour, elle enseigne les arts martiaux. La nuit, elle exécute des hommes violents pour le compte d’une mystérieuse organisation dirigée par une riche veuve.
Au même moment, Tengo, un professeur de mathématiques qui rêve de devenir écrivain, accepte de réécrire en secret le manuscrit d’une adolescente de 17 ans. Le livre, « La Chrysalide de l’air », décrit des créatures surnaturelles qui créent des doubles humains dans des cocons tissés de fils d’air. Le succès fulgurant de cette publication attire l’attention de Sakigake, une secte dont le leader abuse rituellement de jeunes filles lors de cérémonies mystiques.
Les chemins d’Aomame et Tengo convergent lorsqu’elle reçoit l’ordre d’assassiner le leader de Sakigake. Amoureux platoniques depuis l’école primaire où ils ne se sont parlé qu’une fois, ils doivent se retrouver pour échapper ensemble à ce monde distordu avant que la secte ne les retrouve. Leur quête les plonge dans un labyrinthe où réalité et fiction s’entremêlent, peuplé de détectives disgracieux, de prophéties énigmatiques et de doubles identités.
Autour du livre
« 1Q84 » marque l’apogée créative de Murakami, fruit de quatre années d’écriture. Le titre, hommage à « 1984 » d’Orwell, joue sur l’homophonie en japonais entre « Q » et « 9 » (kyū). Dès sa parution en 2009, l’ouvrage pulvérise les records de vente au Japon avec un million d’exemplaires écoulés en un mois.
Sa genèse trouve sa source dans deux événements traumatiques qui ont secoué le Japon : l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995 et le séisme de Kobe la même année. Murakami confie avoir longuement médité sur le procès d’un des responsables de l’attentat, condamné à mort après avoir tué huit personnes. Cette réflexion sur la manipulation mentale et l’embrigadement sectaire irrigue toute l’œuvre.
La musique y occupe une place centrale. La Sinfonietta de Janáček résonne comme un leitmotiv tout au long du récit, tandis que Bach, Vivaldi et des standards de jazz ponctuent les moments clés. Les ventes de la Sinfonietta ont d’ailleurs explosé au Japon après la publication du livre. La narration alterne les points de vue d’Aomame et Tengo selon une structure inspirée du Clavier bien tempéré de Bach, dans une symphonie où les voix se répondent et s’entrelacent. Le troisième tome ajoute la perspective d’Ushikawa, complexifiant encore cette polyphonie narrative.
Les références culturelles abondent : de Tchekhov à Proust, en passant par Dickens et Shakespeare. Murakami tisse un réseau dense d’allusions qui enrichit la lecture sans jamais l’alourdir. La dimension fantastique s’inspire notamment des contes traditionnels japonais et du réalisme magique sud-américain.
L’accueil critique s’est révélé contrasté : encensé au Japon, le roman a reçu des critiques plus mitigées en Occident, certains lui reprochant sa longueur et ses répétitions. Il a néanmoins été sélectionné pour le Man Asian Literary Prize et s’est classé deuxième des meilleures ventes Amazon en 2011. En 2019, les experts littéraires japonais l’ont élu meilleur livre de l’ère Heisei (1989-2019).
Aux éditions 10/18 ; 552 pages.
3. Chroniques de l’oiseau à ressort (1994)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Tokyo, 1984. Toru Okada, trentenaire sans emploi depuis qu’il a quitté son poste d’assistant juridique, mène une vie paisible avec son épouse Kumiko. Leur quotidien bascule le jour où leur chat disparaît. Cette disparition marque le début d’une série d’événements étranges : des appels téléphoniques mystérieux d’une inconnue à la voix sensuelle, la rencontre avec les sœurs Kano – Malta la médium et Creta qui se définit comme une « prostituée de l’esprit » – puis la visite du Lieutenant Mamiya qui lui relate des souvenirs traumatisants de la guerre en Mandchourie.
La situation se complique quand Kumiko quitte subitement son mari. Pour comprendre ce départ inexpliqué, Toru s’isole dans un puits asséché où il médite, observe et accède peu à peu à une dimension parallèle. Il y découvre un hôtel mystérieux et une chambre sombre qui pourrait le mener jusqu’à Kumiko. Dans sa quête, il croise le chemin de personnages singuliers : May Kasahara, une adolescente qui philosophe sur la mort, Nutmeg et son fils muet Cinnamon qui l’initient à des pratiques de guérison occultes. En arrière-plan se dessine la figure menaçante de Noboru Wataya, le frère de Kumiko, intellectuel médiatique en pleine ascension politique.
De ce labyrinthe narratif émergent deux histoires entrelacées : celle, intime, d’un couple qui se délite et celle, collective, d’un Japon hanté par les atrocités commises pendant la guerre sino-japonaise. Les récits du Lieutenant Mamiya sur la torture et les camps de prisonniers en Sibérie font écho aux manipulations psychologiques exercées par Noboru sur sa sœur.
Autour du livre
Publié au Japon en trois volumes entre 1994 et 1995, « Chroniques de l’oiseau à ressort » naît dans un contexte particulier. Murakami l’écrit alors qu’il est chercheur invité à l’université de Princeton, dans une période où le Japon traverse une profonde crise identitaire après l’éclatement de la bulle économique. Le roman remporte le prix Yomiuri, décerné par l’un de ses plus féroces critiques, Kenzaburō Ōe.
L’œuvre puise sa force dans l’entrelacement entre l’intime et l’historique. Les atrocités de la guerre sino-japonaise, notamment l’incident de Nomonhan, se mêlent aux questionnements sur l’identité japonaise contemporaine. Le personnage de Noboru Wataya incarne cette dualité : héritier politique de son oncle qui planifia l’occupation de la Mandchourie, il représente la nouvelle droite médiatique des années 1990.
La genèse du roman est elle-même singulière. Le premier chapitre paraît d’abord comme nouvelle indépendante dans la revue Shinchō. L’histoire devait initialement se terminer en deux volumes, mais Murakami ajoute un troisième tome non prévu, portant à quatre ans et demi la durée d’écriture. Certains passages écartés pendant la rédaction donneront naissance à « Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil ».
« Chroniques de l’oiseau à ressort » engendre plusieurs adaptations scéniques remarquables. En 2020, une mise en scène d’Inbal Pinto marie danse contemporaine et théâtre au Tokyo Metropolitan Theatre, avant que la pandémie n’interrompe les représentations. En 2023, une nouvelle production réunit une distribution prestigieuse incluant Watanabe Daichi et Kadowaki Mugi.
Aux éditions 10/18 ; 960 pages.
4. Le Meurtre du Commandeur (2017)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Un peintre portraitiste de 36 ans voit sa vie basculer lorsque son épouse Yuzu le quitte subitement. Désorienté, il abandonne son activité professionnelle et part sillonner le Japon au volant d’une Peugeot 205. Le hasard le mène jusqu’à une maison isolée dans la montagne, propriété de Tomohiko Amada, un célèbre peintre aujourd’hui placé en maison de retraite. Un jour, il découvre une étrange toile cachée au grenier : « Le Meurtre du Commandeur », une œuvre inspirée de l’opéra Don Giovanni.
Son quotidien bascule avec l’arrivée de Wataru Menshiki, un voisin énigmatique qui lui commande son portrait pour une somme astronomique. Des phénomènes inexplicables surviennent alors : une clochette résonne la nuit, un Commandeur de soixante centimètres – réplique vivante du personnage du tableau – apparaît dans l’atelier, tandis que Menshiki semble obsédé par une jeune élève du cours de peinture du narrateur, Marié Akigawa. La disparition soudaine de cette dernière précipite le narrateur dans une quête hallucinée, entre monde souterrain et métaphores incarnées.
Au fil des pages se dessine un labyrinthe où s’entremêlent plusieurs époques : l’Autriche à la veille de l’Anschluss, le Japon de la Seconde Guerre mondiale et le présent. Le tableau d’Amada cache un secret : celui d’un attentat manqué contre un dignitaire nazi et d’un amour perdu. Cette histoire enfouie fait écho aux questionnements du narrateur sur l’art, la paternité et le deuil.
Autour du livre
Ce quatorzième roman de Murakami, publié en 2017, entrelace plusieurs dimensions : l’art comme vecteur de mémoire historique, la transmission des traumatismes de guerre, et la quête identitaire. La structure bipartite – « Une Idée apparaît » et « La Métaphore se déplace » – reflète la progression du récit de la réalité vers un univers où l’imaginaire prend corps.
« Le Meurtre du Commandeur » déploie une constellation de motifs récurrents dans l’univers murakamien : la solitude masculine, les doubles énigmatiques, les passages vers des mondes parallèles. La dimension historique s’incarne notamment à travers le personnage de Tomohiko Amada, dont le parcours artistique – de la peinture occidentale au style nihonga – reflète les bouleversements du Japon du XXe siècle.
Le roman a connu un succès commercial immédiat avec 1,3 million d’exemplaires pour la première édition japonaise. Sa réception critique s’est révélée contrastée : salué comme un retour à la « meilleure veine de l’auteur » par certains, jugé « décevant » par d’autres pour son usage appuyé des métaphores. À Hong Kong, le livre a été classé « indécent » et interdit aux moins de 18 ans en raison de quelques scènes explicites.
L’entrelacement des arts constitue l’une des singularités majeures de l’œuvre : peinture, musique classique et littérature s’y répondent en permanence. Dans un entretien, Murakami a reconnu avoir composé ce texte comme un hommage à « Gatsby le Magnifique » tout en puisant dans le répertoire classique japonais, notamment « Les Contes de pluie et de lune » d’Ueda Akinari. La fin du roman, qui évoque l’adoption par le narrateur de l’enfant de son ex-femme, marque une inflexion nouvelle dans l’œuvre de Murakami : l’acceptation des liens familiaux comme source possible de reconstruction.
Aux éditions 10/18 ; 552 pages.
5. La Ballade de l’impossible (1987)
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Résumé
À 37 ans, Toru Watanabe atterrit à Hambourg quand une version orchestrale de « Norwegian Wood » des Beatles le replonge brutalement dans ses souvenirs de jeunesse. Le récit nous ramène au Tokyo de la fin des années 1960, où Toru, étudiant en théâtre, tente de se reconstruire après le suicide inexpliqué de son meilleur ami Kizuki. Le hasard le remet en contact avec Naoko, l’ancienne petite amie de Kizuki, elle aussi profondément marquée par cette disparition.
Entre Toru et Naoko naît une relation complexe, nourrie de longues promenades dominicales et de conversations intimes. Mais la fragilité psychologique de la jeune femme, déjà éprouvée par le suicide de sa sœur quelques années plus tôt, la pousse à se réfugier dans un centre psychiatrique près de Kyoto. C’est là qu’elle se lie d’amitié avec Reiko, une ancienne pianiste qui devient sa confidente. Pendant ce temps, Toru fait la connaissance de Midori, une étudiante extravertie qui incarne l’exact opposé de Naoko. Pris entre ces deux femmes aux tempéraments antagonistes, Toru doit faire face à des choix déchirants.
Cette histoire d’amour et de perte se déroule sur fond d’agitation sociale, alors que les universités japonaises sont secouées par des manifestations étudiantes. Le contraste entre l’intensité des drames intimes et la théâtralité des mouvements contestataires souligne l’isolement des personnages principaux, qui restent en marge de ces bouleversements.
Autour du livre
« La Ballade de l’impossible » est le roman qui a propulsé Haruki Murakami vers une renommée internationale. Il s’agit également de son ouvrage le plus réaliste. Il déclare à ce sujet : « Je voulais me prouver que j’étais capable d’écrire un roman entièrement réaliste. Cette expérience s’est révélée bénéfique par la suite. J’ai acquis la certitude de pouvoir écrire de cette manière ; sans quoi, il m’aurait été très difficile de mener à bien les œuvres qui ont suivi. »
Publié en 1987, ce cinquième roman de Murakami marque un tournant dans sa carrière. L’immense succès commercial au Japon (13 millions d’exemplaires vendus) propulse le romancier au rang de superstar littéraire – statut qui le met tellement mal à l’aise qu’il s’exile temporairement à l’étranger. Le livre a été adapté au cinéma en 2010 par le réalisateur Tran Anh Hung, avec une bande originale signée Jonny Greenwood de Radiohead.
L’histoire puise ses racines dans une nouvelle intitulée « Hotaru » (La luciole), que Murakami a écrite cinq ans plus tôt et qu’il a considérablement développée lors d’un séjour d’écriture entre la Grèce et l’Italie. Certains critiques ont suggéré que « La Ballade de l’impossible » serait semi-autobiographique, une hypothèse que Murakami a démentie.
Aux éditions 10/18 ; 456 pages.
6. La course au mouton sauvage (1982)
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Résumé
Tokyo, 1978. Un publicitaire trentenaire fraîchement divorcé mène une existence sans remous aux côtés de son associé. Sa vie bascule lorsqu’il publie dans une brochure la photo d’un paysage rural où figure, presque invisible, un mouton à l’étrange marque en forme d’étoile. Cette publication attire l’attention d’une mystérieuse organisation d’extrême-droite dont le chef, mourant, doit son pouvoir à ce même mouton qui l’aurait « possédé » dans les années 1930 en Mandchourie. Le secrétaire du chef somme alors le publicitaire de retrouver l’animal en moins d’un mois, sous peine de voir son agence détruite.
Accompagné de sa nouvelle petite amie aux oreilles surnaturelles, le narrateur part pour l’île d’Hokkaido sur les traces de son ami d’enfance surnommé « le Rat », qui lui avait envoyé la photo. Leur enquête les mène à l’Hôtel du Dauphin où ils rencontrent le « Professeur ès moutons », jadis possédé lui aussi par la créature. Dans une demeure isolée, ils découvrent un être mystérieux déguisé en mouton. La petite amie disparaît subitement et le héros reste seul face au Rat, qui lui révèle s’être suicidé pour détruire le mouton qui l’habitait, empêchant ainsi la réalisation de son plan occulte.
Autour du livre
Publié en 1982, « La course au mouton sauvage » marque un tournant décisif dans l’œuvre de Murakami. Ce troisième roman lui permet d’affirmer sa voix singulière en fusionnant polar métaphysique et réalisme magique, tout en s’inscrivant dans la lignée du roman noir américain, notamment Raymond Chandler dont « Le Grand Sommeil » constitue une influence revendiquée.
La genèse du roman trouve son origine dans une critique littéraire : après qu’on lui a reproché d’évoquer des moutons dans un précédent texte alors que ces animaux seraient absents du Japon, Murakami entreprend un voyage à Hokkaido pour y étudier l’élevage ovin. Cette recherche documentaire nourrit la trame où s’entremêlent histoire personnelle et collective. Le choix de débuter le récit le 25 novembre 1970, jour du suicide de Yukio Mishima, n’est pas anodin : certains critiques y voient une réécriture parodique du roman « L’aventure de Natsuko » de l’écrivain nationaliste.
L’ouvrage remporte le prix Noma des nouveaux auteurs et connaît un succès considérable avec plus de 2,47 millions d’exemplaires vendus au Japon en 2002. Premier roman de Murakami traduit dans une dizaine de langues, il pose les jalons de son univers caractéristique : quête identitaire sur fond de critique sociale, frontière poreuse entre réel et surnaturel, influence de la culture populaire occidentale.
Le texte se distingue par son traitement allégorique du pouvoir et sa dimension politique. Le mouton mystérieux incarne tour à tour le consumérisme de l’après-guerre, l’autoritarisme rampant ou la quête effrénée de leadership – autant de lectures qui témoignent de la richesse interprétative de l’œuvre. La structure labyrinthique du récit, ses résolutions ambiguës et son mélange de genres en font une œuvre charnière qui préfigure les grands romans ultérieurs de Murakami.
« La course au mouton sauvage » s’inscrit dans une tétralogie comprenant deux romans antérieurs (« Écoute le chant du vent » puis « Flipper ») et une suite, « Danse, danse, danse », tout en étant autonome.
Aux éditions 10/18 ; 384 pages.
7. Danse, danse, danse (1988)
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Résumé
Tokyo, 1983. Un rédacteur freelance de 34 ans, divorcé et solitaire, est hanté par des rêves récurrents qui le ramènent à l’hôtel du Dauphin à Sapporo, où il avait séjourné quatre ans plus tôt avec Kiki, son ex petite amie aux belles oreilles. Poussé par ces visions, il décide de retourner sur place, seulement pour découvrir que l’établissement miteux a été remplacé par un palace rutilant de vingt-six étages.
Cette simple visite déclenche une cascade d’événements qui transcendent la réalité ordinaire. Le protagoniste rencontre Yumiyoshi, une réceptionniste qui lui confie avoir vécu des expériences surnaturelles dans l’hôtel. Il devient le confident improbable de Yuki, une adolescente dotée de pouvoirs psychiques, et retrouve Gotanda, un ancien camarade devenu acteur à succès mais rongé par ses démons. Sa quête le mène jusqu’à Hawaii, où il découvre une pièce contenant six squelettes, présages funestes des tragédies à venir.
Le texte oscille entre réalité et surnaturel, ponctué par les apparitions d’un être mystique appelé « l’homme-mouton » qui ne cesse de répéter au narrateur qu’il doit « continuer à danser ». Cette métaphore de la danse comme seule réponse face à l’absurdité du monde traverse tout le récit.
Autour du livre
Publié en 1988 au Japon, ce sixième roman de Murakami est une suite indépendante de « La course au mouton sauvage ». Les événements se déroulent quinze ans après ceux du premier opus de la tétralogie, entre mars et avril 1983. « Danse, danse, danse » trouve son origine dans les conditions particulières de sa rédaction : Murakami l’a composée à Rome, dans une maison glaciale, en rêvant d’Hawaii où il projetait de partir une fois le manuscrit achevé. Cette genèse explique la présence marquée de l’archipel américain dans le récit. Le titre, transcription phonétique en katakana de l’anglais, fait référence à la chanson éponyme du groupe The Dells (1957) et non à celle des Beach Boys comme souvent supposé.
L’intrigue mêle avec brio enquête criminelle, fantastique et quête initiatique. Murakami y multiplie les clins d’œil littéraires et musicaux, parsemant le récit de références à la culture populaire américaine des années 1960-1980. Un jeu subtil s’établit même avec l’identité de l’auteur : le personnage de l’écrivain Hiraku Makimura constitue un anagramme parfait de Haruki Murakami.
Le roman a rencontré un succès considérable au Japon, avec plus de 2,29 millions d’exemplaires vendus en 2002. Traduit dans plus de 25 langues, il a contribué à établir la renommée internationale de Murakami. L’auteur a confié que l’écriture de ce livre avait représenté pour lui un acte thérapeutique après le succès inattendu de « La Ballade de l’impossible », le qualifiant comme celui dont la rédaction lui a procuré le plus de plaisir. Paradoxalement, il le considère aussi comme son « unique regret », estimant qu’une réécriture après quelques mois de maturation aurait pu donner naissance à une œuvre plus ambitieuse.
Aux éditions 10/18 ; 648 pages.
8. La Fin des temps (1985)
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Résumé
Dans un Tokyo futuriste des années 1980, un programmeur célibataire de 35 ans mène une existence paisible jusqu’au jour où il accepte une mission singulière : crypter des données pour un scientifique excentrique vivant dans un laboratoire souterrain. Cette tâche en apparence banale le précipite au cœur d’une guerre secrète entre deux organisations rivales : le Système, entité gouvernementale chargée de protéger les données, et la Factory, groupe criminel spécialisé dans leur vol.
En parallèle se déroule une seconde histoire, celle d’un homme prisonnier d’une cité mystérieuse ceinte de hauts murs. Dans ce lieu hors du temps où les habitants sont dépourvus de sentiments, le protagoniste occupe la fonction de « liseur de rêves » : chaque soir, il déchiffre les songes contenus dans les crânes d’unicornes morts. Privé de son ombre et de ses souvenirs lors de son arrivée, il tente de percer les secrets de cette ville étrange, aidé par une bibliothécaire énigmatique.
Ces deux récits, en apparence distincts, se révèlent intimement liés : la cité murée n’est autre que la création du scientifique, implantée dans le subconscient du programmeur. Ce dernier découvre qu’il ne lui reste qu’un jour et demi avant que sa conscience ne bascule définitivement dans ce monde artificiel.
Autour du livre
« Je savais qu’il y aurait une conclusion et que les deux histoires pourraient se rejoindre, mais je ne peux pas dire que je savais pourquoi », a déclaré Murakami. « Si vous planifiez tout, vous dupez votre subconscient. Donc, je ne planifie rien. Je ne peux pas expliquer pourquoi, mais je savais que c’était la bonne façon d’aborder l’histoire. »
Ce quatrième roman de Murakami, publié en 1985, marque un virage dans sa carrière en introduisant pour la première fois un monde parallèle ouvertement fantastique. La genèse du livre remonte à 1980, quand l’écrivain Ryū Murakami (aucun lien de parenté) lui suggère de développer sa nouvelle « Machi to, sono futashika na kabe » (littéralement « La ville et ses murs incertains »). La première version est achevée le 12 janvier 1985, jour de l’anniversaire de Murakami, mais sur les conseils de son épouse, il réécrit intégralement la seconde moitié. La fin nécessite cinq ou six versions avant d’être satisfaisante.
« La Fin des temps » reçoit le prestigieux prix Tanizaki, faisant de Murakami le deuxième plus jeune lauréat après Kenzaburō Ōe. Ce succès accélère sa reconnaissance internationale : le livre est rapidement traduit en anglais (1991), français (1992), néerlandais (1994) et allemand (1995), pour atteindre aujourd’hui 27 langues.
L’impact culturel du roman s’avère considérable. Il inspire notamment la série manga puis animée « Haibane Renmei » de Yoshitoshi Abe, qui reprend plusieurs éléments comme la ville close, la perte de mémoire et le rôle des gardiens. Le scénariste Jun Maeda confie que sa lecture a transformé sa vision de la vie. Le philosophe Hiroki Azuma considère même que l’œuvre établit le format de base du genre « sekai-kei » (histoires mêlant apocalypse et intimité) qui dominera la culture populaire japonaise des années 1990.
Le titre lui-même renvoie à « The End of the World », tube de Skeeter Davis sorti en 1962. Cette chanson, dont les paroles figurent en épigraphe dans l’édition japonaise, établit le thème de la perte qui traverse tout le roman. La construction en chapitres alternés crée une partition à deux voix, renforcée par l’utilisation de pronoms personnels différents dans le texte original : le « watashi » formel pour le monde réel, le « boku » plus intime pour le monde onirique.
Aux éditions 10/18 ; 696 pages.
9. Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil (1992)
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Résumé
Hajime naît en 1951, dans un Japon d’après-guerre où être enfant unique constitue une singularité. Dans sa solitude, il rencontre Shimamoto, une fillette elle aussi sans frères ni sœurs, qui souffre d’une légère claudication due à la polio. Ensemble, ils créent leur bulle, passent leurs après-midi à écouter du Nat King Cole et Liszt sur la chaîne hi-fi du père de Shimamoto. Cette complicité adolescente, teintée d’une première attirance romantique, s’interrompt brutalement quand leurs chemins se séparent à l’entrée au collège.
Des années plus tard, Hajime est devenu propriétaire de deux bars de jazz à succès à Tokyo. Marié à Yukiko, père de deux enfants, il mène une vie confortable grâce au soutien financier de son beau-père. La réapparition soudaine de Shimamoto dans l’un de ses clubs fait vaciller ses certitudes. Elle se manifeste de façon imprévisible, toujours les soirs de pluie, refuse d’évoquer son passé, puis s’évanouit sans laisser de traces. Entre passion dévorante et mystère, Hajime doit affronter ses démons intérieurs et choisir entre ses responsabilités familiales et l’attrait irrésistible d’un amour d’enfance ressuscité.
Autour du livre
Rédigé en 1992 à Princeton où Murakami séjournait comme chercheur invité, ce septième roman puise sa genèse dans un projet plus vaste. À l’origine, ces pages constituaient trois chapitres de « Chroniques de l’oiseau à ressort », mais sur les conseils de son épouse qui jugeait l’ensemble trop dense, Murakami décida d’en faire une œuvre indépendante.
Le titre du roman fait référence à deux éléments distincts : « Au sud de la frontière » évoque une chanson de Nat King Cole qu’écoutaient les deux protagonistes enfants, tandis que « À l’ouest du soleil » renvoie au piblokto (hystérie sibérienne), un syndrome psychiatrique des régions polaires qui pousse ses victimes à marcher vers le soleil couchant. Cette dualité entre nostalgie et auto-destruction traverse l’œuvre comme un fil rouge.
La publication allemande en 2000 déclencha une controverse mémorable lors de l’émission télévisée « Das Literarische Quartett ». L’affrontement entre le critique Marcel Reich-Ranicki, qui encensa l’œuvre, et Sigrid Löffler, qui la qualifia de « littérature fast-food », provoqua un tel retentissement médiatique que les ventes explosèrent, atteignant 22 000 exemplaires en deux semaines. La polémique s’intensifia quand fut révélé que la traduction allemande provenait de l’anglais et non du japonais original, soulevant un débat sur la pratique de la traduction indirecte.
L’universalité du roman transparaît dans sa traduction en plus de trente langues, du catalan au vietnamien. Sa réception internationale témoigne de sa capacité à transcender les frontières culturelles, notamment grâce à ses thèmes universels : l’impossibilité du retour, le poids des choix, la tension entre désir et devoir. Le tout ponctué de références culturelles, de Duke Ellington aux Talking Heads, qui soulignent la dimension nostalgique du récit.
Avec « Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil », Murakami brille par son habileté à entrelacer l’intime et le social. À travers le prisme d’une histoire d’amour, il brosse le portrait du Japon d’après-guerre jusqu’à l’ère de la bulle économique. Le statut d’enfant unique des protagonistes, exceptionnel dans le Japon des années 1950, devient le symbole d’une génération prise entre tradition et modernité. Cette dimension sociologique s’enrichit d’une réflexion sur la culpabilité et la rédemption, incarnée par le personnage d’Izumi, dont le destin tragique hante la conscience du narrateur.
Aux éditions 10/18 ; 264 pages.
10. L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage (2013)
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Résumé
À 36 ans, Tsukuru Tazaki mène une existence solitaire à Tokyo, où il travaille comme ingénieur ferroviaire. Sa rencontre avec Sara Kimoto ravive une blessure ancienne : seize ans plus tôt, ses quatre meilleurs amis du lycée ont rompu tout contact avec lui sans explication. Ces amis formaient un groupe très uni, chacun portant un surnom lié à une couleur – Aka (Rouge), Ao (Bleu), Shiro (Blanc) et Kuro (Noir) – à l’exception de Tsukuru, « l’incolore ».
Poussé par Sara, Tsukuru entreprend de retrouver ses anciens amis pour comprendre ce rejet brutal qui a failli le conduire au suicide. Son périple le ramène d’abord à Nagoya où il apprend une double vérité bouleversante : Shiro l’avait accusé de viol. Et elle a été retrouvée étranglée six ans plus tôt. Pour reconstituer le puzzle de son passé, Tsukuru poursuit sa quête jusqu’en Finlande où s’est installée Kuro, qui détient peut-être la clé du mystère.
Autour du livre
Treizième roman de Murakami, « L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage » connaît un succès fulgurant dès sa sortie au Japon en avril 2013. En une semaine, un million d’exemplaires sont écoulés. Les librairies de Tokyo restent ouvertes jusqu’à minuit pour satisfaire l’impatience des lecteurs. La musique classique irrigue les pages, particulièrement « Les années de pèlerinage » de Franz Liszt, dont le morceau « Le mal du pays » constitue le leitmotiv du récit. L’engouement est tel que les enregistrements de cette pièce par le pianiste Lazar Berman sont en rupture de stock au Japon.
La dimension symbolique s’incarne dans les noms des personnages, tous associés à une couleur sauf celui du protagoniste, « incolore ». Cette particularité renforce le sentiment d’exclusion qui le tenaille. Le roman fait également écho, selon plusieurs critiques, aux traumatismes collectifs du Japon : le séisme de Kobe, l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995, puis la catastrophe de Fukushima en 2011.
Le livre figure dans la liste des meilleurs romans de 2014 établie par Kirkus Reviews, qui le qualifie de « nouvelle démonstration de force du plus grand romancier vivant du Japon ». La traduction en vingt-deux langues atteste de son rayonnement international. Le personnage de Richie, dans la série « The Bear », y fait même référence lors d’un monologue sur la quête de sens, preuve de l’écho que trouve cette méditation sur l’amitié, la culpabilité et la rédemption auprès d’un large public.
Aux éditions 10/18 ; 360 pages.