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Elizabeth Gaskell en 6 romans – Notre sélection

Elizabeth Gaskell en 6 romans – Notre sélection

Elizabeth Gaskell naît le 29 septembre 1810 à Londres, sous le nom d’Elizabeth Cleghorn Stevenson. Elle perd sa mère alors qu’elle n’a que 13 mois et est envoyée vivre chez sa tante Hannah Lumb à Knutsford, une ville qui inspirera plus tard son roman « Cranford ». Son père, William Stevenson, ancien ministre unitarien devenu fonctionnaire du Trésor, se remarie en 1814.

La jeune Elizabeth reçoit une éducation soignée dans une école du Warwickshire, où elle apprend les arts, les classiques et les langues. En 1832, elle épouse William Gaskell, un pasteur unitarien, et s’installe avec lui à Manchester. La ville industrielle, avec ses contrastes sociaux marqués, influence sensiblement ses écrits ultérieurs.

C’est la mort de son fils unique William en 1845 qui la pousse à prendre la plume. Son premier roman, « Mary Barton », publié anonymement en 1848, connaît un grand succès. Elle devient une amie proche de Charlotte Brontë, dont elle écrit la première biographie en 1857. Parmi ses œuvres majeures figurent « Cranford » (1851-1853), « Nord et Sud » (1854-1855) et « Femmes et filles » (1864-1866).

Écrivaine engagée, elle dépeint dans ses romans la vie des différentes classes sociales de l’époque victorienne, en s’intéressant particulièrement aux conditions de vie des plus pauvres et à la condition des femmes. Son style se caractérise notamment par l’usage novateur des dialectes locaux.

Elizabeth Gaskell meurt subitement d’une crise cardiaque le 12 novembre 1865 à Holybourne, alors qu’elle prend le thé. Elle laisse inachevé son dernier livre, « Femmes et filles », considéré comme l’un de ses chefs-d’œuvre.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Mary Barton (1848)

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Résumé

Manchester, 1839. La ville industrielle connaît une crise économique sans précédent qui frappe durement la classe ouvrière. Dans ce contexte social tendu, Mary Barton, une ravissante apprentie couturière orpheline de mère, vit avec son père John, ouvrier militant pour les droits des travailleurs.

Sa beauté suscite l’intérêt de deux hommes : son ami d’enfance Jem Wilson, un ingénieur honnête et travailleur, et Harry Carson, le séduisant fils d’un riche propriétaire d’usine. Mary rejette la proposition de mariage de Jem, séduite par les promesses d’une vie meilleure qu’incarne Harry Carson. Mais au moment où elle réalise son erreur et ses véritables sentiments pour Jem, Harry Carson est retrouvé assassiné. Tous les soupçons se portent sur Jem Wilson.

Mary se lance alors dans une course contre la montre pour sauver l’homme qu’elle aime, jusqu’à ce qu’elle découvre une vérité bouleversante…

Autour du livre

Premier roman d’Elizabeth Gaskell publié en 1848, « Mary Barton » puise sa source dans une tragédie personnelle. Suite à la mort de son fils Willie emporté par la scarlatine, l’épouse du révérend William Gaskell trouve refuge dans l’écriture pour surmonter son deuil. Son mari l’encourage dans cette voie, espérant que cela pourra « apaiser sa peine ». La romancière confie d’ailleurs dans une lettre de 1849 s’être « réfugiée dans l’écriture pour éviter le souvenir de scènes douloureuses qui s’imposaient à sa mémoire ».

La force du livre réside dans son implacable description de la vie quotidienne des ouvriers de Manchester. Elizabeth Gaskell s’appuie sur son expérience directe auprès des paroissiens de son mari, mais aussi sur des sources documentaires comme « The moral and physical condition of the working classes involved in the cotton manufacture in Manchester » (1832) de James Philips Kay Shuttleworth ou « The manufacturing population of England » (1833) de Peter Gaskell. Le meurtre qui constitue l’un des ressorts dramatiques du récit s’inspire d’un fait divers authentique : l’assassinat en 1831 de Thomas Ashton, propriétaire d’une usine de Manchester, par des ouvriers en grève.

L’évolution du personnage de Mary Barton traduit la maturité grandissante d’une héroïne d’abord présentée comme une jeune fille vaniteuse. De même, le portrait nuancé de John Barton, qui sombre peu à peu dans l’amertume et l’opium, dévoile les ravages psychologiques de la misère sur les ouvriers. La question des rapports entre patrons et ouvriers y occupe une place centrale : Gaskell plaide pour une meilleure communication entre les classes sociales, tout en donnant voix à ses inquiétudes sur les possibles réactions violentes des plus démunis.

Le livre suscite immédiatement la controverse. Publié anonymement, son origine féminine déchaîne les passions quand elle est révélée. Les industriels de Manchester, qui constituent une partie des paroissiens du révérend Gaskell, prennent « fort mal la chose ». La bourgeoisie locale accuse l’autrice de partialité et de préjugés, arguant que tous les représentants des classes moyennes et supérieures ne sont pas aussi immoraux et cruels que dépeints dans le roman. Le British Quarterly Review dénonce « un tableau partial », tandis que l’Edinburgh Review estime que la division entre employeurs et employés est exagérée. À l’inverse, l’Athenaeum, l’Eclectic Review, le Christian Examiner et Fraser’s Magazine saluent « Mary Barton ». Thomas Carlyle y voit « un livre bien au-dessus des habituels déchets romanesques ». Dostoïevski en fait paraître une traduction en russe dès 1860. Le roman est finalement interdit dans les écoles britanniques en 1907 en raison de son « trop grand impact émotionnel ».

Plusieurs adaptations ont vu le jour, principalement pour la scène au XIXe siècle. La BBC produit en 1964 une série en quatre épisodes avec Lois Daine dans le rôle-titre. En 2012, la scénariste Heidi Thomas, connue pour son adaptation de « Cranford », travaille sur une nouvelle version télévisée qui ne verra finalement pas le jour. En 2016, une adaptation théâtrale signée Rona Munro est créée au Royal Exchange de Manchester, avec Kellie Bright dans le rôle de Mary Barton.

Aux éditions POINTS ; 600 pages.


2. Cranford (1851-1853)

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Résumé

Dans l’Angleterre victorienne des années 1840, Cranford, petite bourgade située à vingt miles d’une ville industrielle, vit au rythme de ses habitantes. « Cranford appartient aux Amazones », nous prévient d’emblée Mary Smith, la narratrice qui séjourne régulièrement dans ce village où les femmes règnent en maîtresses absolues. Veuves et célibataires de bonne famille, elles maintiennent les apparences malgré leur pauvreté selon un code de conduite rigoureux qu’elles nomment « élégante économie domestique ».

Au cœur de cette microsociété, Miss Matty Jenkyns, une dame d’une timidité touchante, vit dans l’ombre de sa sœur aînée Deborah, gardienne inflexible des convenances. Leur quotidien se partage entre visites de courtoisie, parties de cartes et commérages raffinés, jusqu’à ce que l’arrivée du capitaine Brown et de ses filles ne vienne perturber leur routine bien établie.

Ce n’est pourtant que le début des problèmes : la mort tragique du capitaine, l’apparition d’un mystérieux magicien, une vague de cambriolages, et surtout, la menace d’une faillite bancaire qui pourrait ruiner Miss Matty. Cette dernière épreuve révélera la véritable nature de ces dames de Cranford, par-delà les apparences et les convenances qu’elles chérissent tant…

Autour du livre

« Cranford » paraît d’abord sous forme de feuilleton dans le magazine Household Words dirigé par Charles Dickens. La première chronique, qui correspond aux deux premiers chapitres, est publiée le 13 décembre 1851 sous le titre « Our Society at Cranford ». Huit autres épisodes suivent de façon irrégulière jusqu’en mai 1853. Pour l’édition en librairie, Elizabeth Gaskell réorganise ces épisodes en seize chapitres de longueur inégale. Cette genèse particulière explique la structure du livre, qui s’apparente davantage à une collection de tableaux qu’à un récit linéaire.

La singularité de « Cranford » réside dans sa peinture d’une société exclusivement féminine. Ces « Amazones », comme les surnomme malicieusement la narratrice, incarnent un monde en voie de disparition face à l’avancée de la révolution industrielle. Leur attachement aux convenances sociales masque une précarité économique qu’elles s’efforcent de dissimuler sous ce que Gaskell nomme avec ironie « une élégante économie domestique ». La hiérarchie sociale, maintenue avec une rigueur presque comique, n’empêche pas ces femmes de manifester une solidarité touchante lorsque l’une d’entre elles traverse des difficultés.

En choisissant comme héroïnes des femmes célibataires ou veuves, souvent méprisées par la société victorienne, Elizabeth Gaskell pose un regard novateur sur leur indépendance. L’absence des hommes n’est pas présentée comme un manque mais comme une libération : « Il faut bien dire qu’un homme vous encombre fâcheusement une maison ! », s’exclame l’une des protagonistes.

Les critiques contemporaines saluent l’habileté de Gaskell à manier l’humour sans cruauté. Charlotte Brontë, dans une lettre à l’autrice, qualifie « Cranford » de livre « vivant, expressif, énergique, sage », tout en soulignant sa « bonté et son indulgence ». Somerset Maugham note que malgré l’apparente absence d’action, le lecteur tourne avidement les pages, impatient de découvrir la suite.

« Cranford » connaît de nombreuses adaptations, particulièrement au théâtre à partir de 1899, tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni. La BBC en propose trois versions télévisées : en 1951, 1972 et 2007. Cette dernière adaptation, avec Judi Dench dans le rôle de Miss Matty, remporte un tel succès qu’elle donne naissance à une suite, « Return to Cranford », diffusée en 2009. Une version musicale voit même le jour au London Theater Workshop en 1975.

Aux éditions POINTS ; 320 pages.


3. Ruth (1853)

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Résumé

Angleterre victorienne, 1853. Ruth Hilton, orpheline de quinze ans à la beauté remarquable, travaille comme apprentie couturière dans l’atelier de Mrs Mason. Sa vie bascule lors d’un bal où, chargée de réparer les robes des danseuses, elle croise le regard d’Henry Bellingham, séduisant aristocrate de vingt-trois ans. Naïve, Ruth succombe aux avances de ce jeune homme qui feint de l’aimer. Leur relation, découverte par Mrs Mason, vaut à Ruth son renvoi immédiat. Sans ressources ni soutien, elle n’a d’autre choix que de suivre Bellingham qui l’installe comme sa maîtresse, d’abord à Londres puis au Pays de Galles.

Le destin frappe quand Bellingham tombe gravement malade. Sa mère, accourue à son chevet, profite de sa faiblesse pour le convaincre d’abandonner cette liaison scandaleuse. Ruth se retrouve seule, enceinte et désespérée. Au moment où elle songe au suicide, Mr Benson, un pasteur au grand cœur, la sauve et l’accueille chez lui. Pour lui offrir une nouvelle chance, ils élaborent un mensonge : Ruth sera désormais Mrs Denbigh, une jeune veuve respectable.

Les années passent. Ruth s’est construit une nouvelle vie comme gouvernante des enfants Bradshaw, une famille influente de la ville. Son dévouement et sa conduite irréprochable lui valent l’estime générale. Mais le passé resurgit : Bellingham reparaît sous le nom de Mr Donne. Le fragile édifice de mensonges qui protège Ruth menace de s’écrouler, mettant en péril non seulement sa réputation mais aussi l’avenir de son fils…

Autour du livre

Publié en 1853, « Ruth » suscite immédiatement la controverse. Elizabeth Gaskell, épouse de pasteur, ose aborder frontalement le thème de la « femme déchue » dans une société victorienne particulièrement rigide sur les questions morales. Le roman est interdit dans certains foyers, des amis expriment leur « profond regret » quant à sa publication et certains vont jusqu’à brûler leurs exemplaires. L’autrice assume pleinement sa position, écrivant avec humour dans une lettre : « Je dois être une femme inconvenante sans le savoir, tant je parviens à choquer les gens. »

Le traitement inédit de la figure de la mère célibataire distingue « Ruth » des autres romans de l’époque. Contrairement à ses contemporains qui condamnent systématiquement leurs héroïnes « tombées », Gaskell choisit de peindre Ruth comme une jeune fille pure, victime de son innocence et des circonstances plutôt que de sa nature corrompue. Cette approche novatrice préfigure le « Tess d’Urberville » de Thomas Hardy, publié près de quarante ans plus tard. Cependant, là où Hardy refuse de considérer son héroïne comme pécheresse, Gaskell inscrit le parcours de Ruth dans une perspective religieuse de repentir et de rédemption.

À travers cette histoire, Gaskell dénonce avec force l’hypocrisie d’une société qui rejette impitoyablement les femmes « déchues » tout en absolvant leurs séducteurs. La dimension sociale du roman se manifeste notamment dans le contraste saisissant entre la communauté bienveillante qui se forme autour des Benson et l’inflexible moralité incarnée par Mr Bradshaw. Les personnages secondaires, particulièrement réussis, illustrent la diversité des réactions face au « péché » de Ruth : de la compassion chrétienne de Mr Benson à l’intransigeance pharisaïque de Mr Bradshaw, en passant par l’évolution de sa fille Jemima qui jongle entre jalousie et admiration.

La critique de l’époque réserve un accueil mitigé au livre. Si certains louent le courage de Gaskell d’aborder un sujet aussi controversé, d’autres lui reprochent d’avoir peint Ruth comme une victime trop passive des avances de Bellingham, éludant la question de ses propres sentiments. L’accumulation des circonstances atténuantes fait que Ruth ne semble guère représentative de la figure traditionnelle de la « femme déchue ». Les critiques modernes soulignent quant à eux l’importance de ce roman dans l’évolution des mentalités victoriennes concernant la condition féminine et la double morale sexuelle.

L’influence de « Ruth » se mesure notamment à son impact sur d’autres œuvres majeures de la littérature victorienne traitant du même thème. Outre « Tess d’Urberville », le roman entre en résonance avec « La Lettre écarlate » de Nathaniel Hawthorne, publié trois ans plus tôt. Ces œuvres partagent une même volonté de questionner la notion de faute morale et la possibilité de rédemption dans une société marquée par le puritanisme.

Aux éditions ARCHIPOCHE ; 537 pages.


4. Nord et Sud (1854-1855)

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Résumé

Angleterre, 1850. Margaret Hale, dix-huit ans, mène une existence paisible dans le Sud rural du pays lorsque son père, pasteur, prend une décision qui bouleverse leur vie : il abandonne sa charge ecclésiastique pour s’installer avec sa famille à Milton, une ville industrielle du Nord. Le choc est brutal pour Margaret qui découvre un monde dominé par les manufactures de coton où la misère côtoie la fortune des grands industriels.

Un jour, elle rencontre John Thornton, un riche propriétaire d’usine textile qui devient l’élève de son père. Si Thornton succombe rapidement au charme de la jeune femme, Margaret le considère comme un homme froid et sans scrupules, symbole d’une classe de parvenus qu’elle méprise. Peu à peu, elle se lie d’amitié avec des ouvriers et prend conscience de leurs conditions de vie difficiles, notamment à travers Nicholas Higgins et sa fille Bessy, gravement malade à cause des poussières de coton.

Quand une grève éclate et que les ouvriers menacent Thornton, Margaret s’interpose pour le protéger et est blessée par une pierre. Cet acte marque un tournant dans leur relation. Mais une succession d’épreuves attend Margaret : la maladie de sa mère, le retour secret de son frère Frederick recherché pour mutinerie, et des décès qui vont ébranler ses certitudes. Entre préjugés et malentendus, Margaret et Thornton pourront-ils dépasser leurs différends pour se comprendre ?

Autour du livre

« Nord et Sud » paraît d’abord en feuilleton dans le magazine Household Words dirigé par Charles Dickens, de septembre 1854 à janvier 1855. Elizabeth Gaskell souhaitait initialement l’intituler « Margaret Hale », mais Dickens insiste pour changer le titre, estimant que « North and South » suggère davantage et souligne mieux l’opposition entre les personnages que l’histoire met face à face. Cette collaboration n’est pas sans heurts : l’autrice peine à se plier aux contraintes du format feuilleton, notamment les délais serrés. Dickens lui-même se plaint de son « inflexibilité » et trouve l’histoire « ennuyeuse au dernier degré ». Ces tensions contribuent à détériorer leur amitié.

Le livre s’inscrit dans la lignée des romans sociaux ou industriels, un genre littéraire qui sonde les réalités sociales victoriennes par « des observations de première main sur l’industrialisme, l’urbanisme, les conflits de classe et de genre ». Gaskell y tente de répondre aux questions posées par les changements contemporains, en se positionnant entre la liberté de travail individuelle défendue par John Stuart Mill et la responsabilité des employeurs envers leurs employés promue par John Ruskin et Arthur Helps.

La romancière y met en scène un affrontement multidimensionnel : entre le Nord industriel et le Sud rural, entre les patrons et les ouvriers, entre l’ancien monde et le nouveau. Pour créer Milton, Gaskell s’inspire de Manchester, surnommée « Cottonopolis », où elle vit comme épouse d’un pasteur unitarien. Sa propre expérience auprès des démunis de cette région industrielle nourrit sa description crédible des conditions de vie des travailleurs. La grève décrite s’apparente à celle de Preston, survenue en 1853-1854, qui dura près de sept mois et s’acheva par un échec pour les ouvriers.

Si « Mary Barton », son premier « roman industriel », adoptait principalement le point de vue des travailleurs pauvres, « Nord et Sud » présente aussi la perspective des industriels. À travers les personnages de Thornton et Higgins, Gaskell montre comment la compréhension mutuelle peut émerger par-delà un simple « lien monétaire ». Elle suggère que si les détenteurs du pouvoir économique acceptent de dialoguer avec leurs ouvriers et de les considérer comme des êtres humains plutôt que comme de simples outils de production, cela ne supprimera peut-être pas les conflits sociaux, mais réduira leur brutalité.

La critique contemporaine accueillit « Nord et Sud » avec sévérité, notamment dans une recension cinglante et non signée du Leader qui accusait Gaskell de commettre des erreurs sur le Lancashire « inconcevables de la part d’un habitant de Manchester et que seule une femme peut avoir faites », ajoutant qu’une femme ne pouvait « comprendre les problèmes industriels » et n’avait « pas le droit d’ajouter à la confusion en écrivant à ce sujet ». Charlotte Brontë, amie de l’autrice, émit des doutes sur le thème traité tout en reconnaissant que Gaskell « comprend bien le génie du Nord ». George Sand, quant à elle, admirait sa capacité à écrire des romans capables « à la fois d’intéresser les messieurs et d’être mis dans les mains des jeunes filles ».

« Nord et Sud » a connu plusieurs adaptations télévisées. En 1975, une première version de la BBC mettait en scène Patrick Stewart dans le rôle de Thornton et Rosalind Shanks dans celui de Margaret. Mais c’est la mini-série de 2004, avec Daniela Denby-Ashe et Richard Armitage dans les rôles principaux, qui a considérablement renouvelé l’intérêt pour le livre et lui a attiré un public plus large. Un pastiche, « Jeu de société », a également été publié en 1988 par David Lodge, tandis qu’une comédie musicale en deux actes de Patricia et Marcia Marchesi a vu le jour en 2010 aux États-Unis.

Aux éditions POINTS ; 704 pages.


5. Les amoureux de Sylvia (1863)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1796, dans un port baleinier du Yorkshire nommé Monkshaven, Sylvia Robson, dix-sept ans, vit paisiblement avec ses parents fermiers. La jeune fille, d’une grande beauté mais peu instruite, attire l’attention de deux hommes que tout oppose. D’un côté, son cousin Philip Hepburn, un commis de boutique sérieux qui l’aime en silence depuis des années. De l’autre, le séduisant Charley Kinraid, harponnier sur un navire baleinier, qui gagne rapidement son cœur.

L’Angleterre est alors en guerre contre la France révolutionnaire. Pour renforcer la marine britannique, des bandes de recruteurs sillonnent les côtes et enlèvent de force les hommes valides. Un jour, Kinraid est victime de ces « press-gangs ». Philip, seul témoin de son enlèvement, reçoit un message destiné à Sylvia : Kinraid jure de revenir et lui demande de l’attendre. Mais Philip, convaincu de la réputation de séducteur volage de son rival, choisit de garder le silence. Tout le monde croit alors Kinraid mort en mer.

Dans les mois qui suivent, le père de Sylvia participe à une révolte contre les recruteurs. Arrêté et condamné à mort, il laisse sa famille dans le dénuement. Philip soutient alors Sylvia et sa mère avec une telle dévotion que la jeune femme, par gratitude plus que par amour, accepte de l’épouser. Mais que se passera-t-il si Kinraid, désormais officier dans la marine royale, revient un jour réclamer sa fiancée ?

Autour du livre

La genèse des « Amoureux de Sylvia » remonte à la visite d’Elizabeth Gaskell à Whitby en novembre 1859. Elle s’inspire d’événements réels survenus dans cette ville en 1793, quand des émeutes éclatèrent contre les recruteurs. Un certain William Atkinson fut pendu pour avoir soutenu la révolte des marins. Les habitants de Whitby n’apprécièrent d’ailleurs guère ce roman qui ravivait le souvenir d’une période douloureuse de leur histoire.

Publié en 1863, ce livre occupe une place singulière dans la bibliographie de Gaskell. Il s’agit de son unique roman historique situé au XVIIIe siècle. Elle s’écarte ici de son registre habituel pour livrer une œuvre sombre et amère, qu’elle qualifie elle-même de « l’histoire la plus triste qu'[elle] ait jamais écrite ». Le personnage de Sylvia tranche également avec ses héroïnes habituelles : cette jeune femme impétueuse et passionnée rappelle davantage Catherine Earnshaw des « Hauts de Hurlevent » d’Emily Brontë que les protagonistes plus conventionnelles de ses autres romans.

La dimension historique ne sert pas uniquement de toile de fond : elle irrigue l’ensemble du récit et en constitue même l’un des ressorts dramatiques principaux. Les pratiques de recrutement forcé de la marine britannique, les conditions de vie des baleiniers, l’isolement des communautés côtières y sont minutieusement documentés. Le contexte des guerres napoléoniennes permet à Gaskell d’examiner comment les soubresauts historiques affectent la vie des gens ordinaires.

La critique littéraire s’est montrée partagée face à ce roman atypique. John McVeagh pointe « une soudaine dérive vers le mélodrame » qui « réduit et affaiblit une histoire intéressante ». D’autres relèvent que la conclusion semble précipitée, particulièrement le revirement de Sylvia concernant Kinraid qui est traité de façon trop expéditive. Néanmoins, plusieurs commentateurs rapprochent favorablement « Les amoureux de Sylvia » des écrits de George Eliot, notamment « Adam Bede ».

Le livre a fait l’objet d’une adaptation radiophonique par BBC Radio 4 en 2016, avec Barbara Flynn et Jodie Comer.

Aux éditions POINTS ; 696 pages.


6. Femmes et filles (1864-1866)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans l’Angleterre provinciale des années 1820, Molly Gibson grandit seule avec son père, médecin respecté de la petite ville d’Hollingford. Son existence paisible bascule lorsque le Dr Gibson décide de se remarier avec Mrs. Kirkpatrick, ancienne gouvernante de l’aristocratique famille Cumnor. Désormais, Molly doit composer avec une belle-mère vaniteuse et calculatrice, ainsi qu’avec sa nouvelle demi-sœur Cynthia, dont la beauté et le charme font tourner toutes les têtes. Les deux jeunes filles, malgré leurs différences, nouent une amitié sincère.

La famille Hamley, pilier de la gentry locale, occupe une place centrale dans la vie de Molly. Elle se lie particulièrement avec Roger, le fils cadet, scientifique prometteur qui s’intéresse d’abord à Cynthia. Mais cette dernière cache un lourd secret : des années plus tôt, elle a imprudemment promis le mariage à Mr. Preston, régisseur des domaines Cumnor. Pour sauver sa demi-sœur de ce scandale potentiel, Molly met en jeu sa propre réputation. Dans cette société où les apparences règnent en maître, les deux jeunes femmes devront naviguer entre convenances sociales, secrets de famille et élans du cœur…

Autour du livre

Elizabeth Gaskell compose ce roman pour le Cornhill Magazine, qui le publie en feuilleton d’août 1864 à janvier 1866. Elle rédige la majeure partie du texte lors de vacances à Pontresina, en rendant visite à son amie Mrs. Mohl. Malheureusement, elle décède brutalement le 12 novembre 1865 à l’âge de 55 ans, alors qu’elle prend le thé dans sa demeure d’Holybourne. L’œuvre demeure ainsi inachevée, avec un dernier chapitre manquant.

À travers cette chronique provinciale, Elizabeth Gaskell dresse un portrait incisif de la société victorienne. Les relations familiales tumultueuses, notamment entre belles-mères et belles-filles, servent de prisme pour observer les rapports de force à l’œuvre. Le personnage de Roger Hamley, inspiré par Charles Darwin, permet d’évoquer l’émergence d’une nouvelle classe d’hommes de science. La romancière s’attache particulièrement à dépeindre l’évolution des mentalités : l’ancienne aristocratie terrienne incarnée par le Squire Hamley se voit progressivement supplantée par une bourgeoisie montante représentée par le Dr Gibson.

L’originalité du roman tient notamment dans son traitement nuancé des personnages féminins. Molly et Cynthia incarnent deux modèles opposés de féminité victorienne : l’une droite et sincère, l’autre séduisante mais instable. Mrs. Gibson, malgré ses défauts manifestes, n’est pas dépeinte comme une simple marâtre : son snobisme et son égocentrisme trouvent leurs racines dans les humiliations subies comme gouvernante. Cette finesse psychologique s’accompagne d’un humour subtil qui allège la critique sociale.

La critique littéraire a salué la maîtrise de Gaskell dans ce dernier roman. George Eliot avoue même s’en être inspirée pour « Middlemarch ». Plusieurs notent qu’elle atteint ici la pleine maturité de son art en délaissant les clichés victoriens de ses premiers romans pour une écriture plus nuancée. La dimension satirique du texte, particulièrement dans le traitement des personnages comme Mrs. Gibson, est particulièrement appréciée.

Deux adaptations télévisées ont été produites par la BBC. La première, en 1971, est une série en six parties réalisée par Hugh David. La seconde, diffusée en 1999, compte quatre épisodes scénarisés par Andrew Davies. Cette dernière version, qui a connu un grand succès d’audience, met en scène Justine Waddell, Bill Paterson et Michael Gambon. BBC Radio 4 en a également produit deux adaptations radiophoniques : une première version en neuf parties en 1983, puis une version condensée en 2010.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 1104 pages.

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