Mary Anne Evans, qui deviendra célèbre sous le pseudonyme de George Eliot, naît le 22 novembre 1819 dans le Warwickshire, en Angleterre. Issue d’une famille recomposée, elle grandit à Griff House où son père travaille comme régisseur d’un vaste domaine. Jeune fille brillante passionnée de lecture, elle reçoit une éducation religieuse qui marque profondément sa jeunesse.
À l’âge de seize ans, la mort de sa mère l’oblige à quitter l’école pour s’occuper de la maison familiale. Autodidacte, elle poursuit son apprentissage en étudiant les langues et en lisant de nombreux ouvrages. Sa rencontre avec le cercle intellectuel de Coventry, notamment Charles Bray, bouleverse ses convictions religieuses et l’amène à rompre avec la foi anglicane.
Après la mort de son père en 1849, elle s’installe à Londres où elle commence une carrière de traductrice et de journaliste. Sa rencontre avec George Henry Lewes, avec qui elle entame une relation non conventionnelle pour l’époque, marque un tournant dans sa vie. C’est sous le pseudonyme masculin de George Eliot qu’elle se lance dans l’écriture de fiction.
Son premier roman, « Adam Bede » (1859), connaît un succès immédiat. Suivent « Le Moulin sur la Floss » (1860), « Silas Marner » (1861), « Romola » (1862), « Felix Holt » (1866), et son chef-d’œuvre « Middlemarch » (1871). Elle y sonde la société provinciale anglaise et les questionnements moraux et sociaux de son époque.
Après la mort de Lewes en 1878, elle épouse John Cross, de vingt ans son cadet. Elle meurt le 22 décembre 1880 à Londres, laissant derrière elle une œuvre qui révolutionne le roman victorien par sa profondeur psychologique et sa portée philosophique.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Middlemarch (1871)
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Résumé
Angleterre provinciale, années 1830. Dans la ville fictive de Middlemarch évolue Dorothea Brooke, une jeune femme brillante qui rêve de se consacrer à de grandes œuvres. Elle est mariée au révérend Casaubon, un érudit vieillissant dont elle admire les travaux intellectuels. Leur union s’avère rapidement désastreuse, Casaubon étant plus préoccupé par ses recherches stériles que par sa jeune compagne.
Lors d’un séjour à Rome, Dorothea se lie d’amitié avec Will Ladislaw, le cousin de son mari. À sa mort, Casaubon laisse un testament vengeur qui menace de priver Dorothea de son héritage si elle épouse Ladislaw. En parallèle se déroule l’histoire du docteur Lydgate, jeune médecin ambitieux qui arrive à Middlemarch avec l’espoir de révolutionner les pratiques médicales. Son mariage avec la belle mais superficielle Rosamond Vincy et ses liens avec un banquier véreux, précipitent sa chute.
Autour du livre
Le roman s’ancre dans une période charnière de l’histoire anglaise, marquée par la réforme électorale de 1832 et les mutations sociales qui l’accompagnent. George Eliot a construit cette fresque à partir de deux récits distincts – l’un centré sur Dorothea, l’autre sur Lydgate – qu’elle a fusionnés en 1871 pour composer une œuvre monumentale publiée d’abord en huit fragments.
Sous l’apparente chronique provinciale se déploie une réflexion sur la condition des femmes à l’époque victorienne. La trajectoire de Dorothea illustre les contraintes qui pèsent sur les femmes ambitieuses : comparée à Sainte Thérèse dans le prologue, elle ne peut accomplir ses idéaux que dans la sphère privée. L’ampleur du projet narratif – une ville entière mise en scène à travers des destins croisés – s’accompagne d’une dimension scientifique inédite. Les débats sur la médecine, l’économie politique ou l’exégèse biblique nourrissent l’intrigue. Cette érudition n’empêche pas une sensibilité aiguë aux tourments intimes des personnages, dont les illusions se heurtent aux réalités sociales.
Les plus grands noms de la littérature ont salué la puissance de cette œuvre. Virginia Woolf y voit « l’un des rares romans anglais écrits pour les adultes », tandis que Julian Barnes et Martin Amis la considèrent comme le sommet du roman anglais. En 2015, les critiques de la BBC la placent au premier rang des cent plus grands romans britanniques. Cette reconnaissance perdure à travers de multiples adaptations, notamment la série télévisée de la BBC en 1994 qui ravive l’intérêt du public pour les classiques.
Aux éditions FOLIO ; 1152 pages.
2. Le Moulin sur la Floss (1860)
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Résumé
Au début des années 1830, dans la campagne anglaise, le moulin de Dorlcote résonne des rires de Maggie Tulliver et de son frère Tom. Cette propriété familiale, située au confluent des rivières Floss et Ripple, appartient à leur père Edward Tulliver. Maggie, neuf ans, brille par son intelligence vive et sa soif de connaissance, tandis que Tom, plus âgé, incarne la droiture morale et le respect des conventions. Les deux enfants, malgré leurs différences, partagent un lien très fort.
Le destin des Tulliver bascule lorsque leur père s’engage dans un procès contre un avocat, un certain John Wakem. L’affaire se solde par une défaite qui entraîne la faillite familiale. Le moulin passe alors aux mains de Wakem. Edward Tulliver doit désormais travailler comme simple employé dans sa propre propriété tandis que son fils Tom abandonne ses études pour rembourser les dettes familiales, révélant un sens aigu du devoir.
Dans ce contexte difficile, Maggie noue une amitié secrète avec Philip Wakem, le fils bossu de leur ennemi juré. Cette relation, fondée sur leur amour commun des livres et des arts, représente pour elle une échappatoire à son quotidien étriqué. Mais Tom découvre ces rencontres clandestines et les interdit, considérant cette liaison comme une trahison envers leur père.
Les années passent. Maggie, devenue une séduisante jeune femme, rend visite à sa cousine Lucy. Elle y rencontre Stephen Guest, le fiancé de cette dernière. Une attraction irrépressible naît entre eux, culminant lors d’une promenade en bateau qui tourne au scandale : emportés par le courant, ils passent la nuit hors de la ville. Bien que Maggie refuse d’épouser Stephen, sa réputation est irrémédiablement compromise. La société de St. Ogg’s la rejette tandis que Tom lui ferme la porte du moulin familial. L’intrigue connaît son paroxysme lors d’une crue dévastatrice du Floss.
Autour du livre
Ce deuxième roman de George Eliot, paru en 1860, transpose plusieurs éléments autobiographiques : sa relation tourmentée avec son frère Isaac Evans, qui cessa tout contact lorsqu’elle choisit de vivre avec George Henry Lewes, un homme marié. La ville fictive de St. Ogg’s s’inspire probablement de Gainsborough, dans le Lincolnshire, que l’autrice visita pendant la rédaction. Une anecdote locale sur un meunier ruiné par un procès nourrit l’intrigue principale.
Eliot dépeint une société en transition où les valeurs traditionnelles se heurtent aux changements économiques. Le destin du moulin familial symbolise cette mutation : l’économie moderne, incarnée par l’avocat John Wakem, menace l’ordre séculaire. Les aspirations intellectuelles de Maggie, ses lectures passionnées de Thomas a Kempis, illustrent le décalage entre les attentes sociales et les désirs individuels.
L’œuvre a connu un succès immédiat qui ne s’est jamais démenti : plus de 4600 exemplaires vendus dans les quatre jours suivant sa publication. Elle a inspiré de nombreuses adaptations, notamment trois séries télévisées de la BBC (1978, 1997, 2009), une version cinématographique en 1937, une adaptation théâtrale en 1994 par Helen Edmundson. Simone de Beauvoir considérait la jeune Maggie Tulliver comme un modèle d’émancipation féminine.
Aux éditions FOLIO ; 733 pages.
3. Silas Marner (1861)
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Résumé
Au début du XIXe siècle, dans une ville industrielle du nord de l’Angleterre, le tisserand Silas Marner appartient à une petite congrégation calviniste. Victime d’une machination orchestrée par son meilleur ami William Dane qui le fait accuser à tort du vol des fonds de l’église, il voit également sa fiancée Sarah l’abandonner pour épouser le traître. Dévasté, il s’exile dans le village rural de Raveloe où il s’isole de la communauté, ne vivant plus que pour son métier et pour contempler les pièces d’or qu’il accumule laborieusement. Son existence bascule une nouvelle fois lorsque Dunstan Cass, fils cadet du notable local, lui dérobe tout son trésor.
Le sort réserve toutefois à Silas une compensation inattendue : par une nuit d’hiver, une fillette aux cheveux dorés pénètre dans sa maison après la mort de sa mère dans la neige. Il décide de l’adopter et la nomme Eppie. Ce qu’il ignore, c’est que l’enfant est la fille naturelle de Godfrey Cass, frère aîné du voleur, qui a épousé secrètement une femme du peuple avant de l’abandonner. Godfrey, désormais marié à la respectable Nancy Lammeter, n’ose révéler son passé que seize ans plus tard, lorsque le squelette de son frère est retrouvé avec l’or volé.
Autour du livre
Cette œuvre de George Eliot, publiée en 1861, se démarque par sa construction en miroir autour du thème de la rédemption. D’un côté, Silas retrouve foi en l’humanité grâce à l’arrivée providentielle d’Eppie qui remplace symboliquement son or perdu. De l’autre, Godfrey Cass voit son passé le rattraper et doit assumer les conséquences de sa lâcheté. Eliot questionne également les fondements de la paternité : quand Godfrey tente de récupérer sa fille biologique, celle-ci choisit de rester avec l’homme qui l’a élevée, privilégiant les liens du cœur aux liens du sang.
La dimension sociale transparaît à travers la description minutieuse de la vie rurale anglaise à l’aube de l’industrialisation. Le contraste entre la communauté dissidente de Lantern Yard, plus tard engloutie par une usine, et le village traditionnel de Raveloe illustre les bouleversements de l’époque. Contrastes qui structurent d’ailleurs le récit : opposition entre la ville industrielle et la campagne traditionnelle, entre la rigidité du calvinisme et la spiritualité plus souple de l’anglicanisme rural, entre l’isolement initial de Silas et son intégration progressive à la communauté.
Le succès immédiat du livre ne s’est jamais démenti, donnant lieu à de multiples adaptations, dont plusieurs films muets et une remarquable version BBC en 1985 avec Ben Kingsley dans le rôle-titre.
Aux éditions FOLIO ; 368 pages.
4. Adam Bede (1859)
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Résumé
Dans la campagne anglaise de la fin du XVIIIe siècle, Adam Bede, un jeune charpentier respecté pour sa droiture, nourrit un amour secret pour Hetty Sorrel. Cette orpheline d’une grande beauté vit à la ferme de ses oncles, les Poyser. Mais le cœur d’Hetty bat pour Arthur Donnithorne, l’héritier du domaine où travaillent les Poyser. Quand Adam surprend leur liaison clandestine, Arthur promet de s’éloigner. Hetty consent alors à épouser Adam.
La découverte de sa grossesse la pousse à fuir pour retrouver Arthur. Dans son errance, elle accouche seule et abandonne le nouveau-né qui meurt peu après. Arrêtée et jugée pour infanticide, elle n’échappe à la pendaison que grâce à l’intervention d’Arthur qui obtient la commutation de sa peine en déportation. L’épreuve transforme Adam qui trouve finalement le bonheur auprès de Dinah Morris, la cousine d’Hetty.
Autour du livre
Ce premier roman de George Eliot, paru en 1859, s’inspire d’un fait divers relaté par sa tante Elizabeth Evans, une prédicatrice méthodiste qui avait accompagné une infanticide jusqu’à l’échafaud. La romancière, qui publie sous pseudonyme malgré sa notoriété d’intellectuelle, y dépeint avec acuité les tensions entre désir individuel et ordre moral dans une communauté rurale traditionnelle.
L’accueil critique est immédiatement enthousiaste. Charles Dickens salue la justesse du tableau campagnard, « si réel, si drôle et si authentique ». Le succès populaire suit : plus de 15 000 exemplaires sont vendus dès 1861. L’œuvre suscite même une controverse sur l’identité de son auteur, certains l’attribuant à un certain Joseph Liggins, jusqu’à ce que George Eliot révèle être Mary Ann Evans.
Les multiples adaptations témoignent de la pérennité du roman : deux versions muettes en 1915 et 1918, une série BBC en 1991 avec Patsy Kensit, des pièces de théâtre et un feuilleton radiophonique en 2001. Au-delà de sa trame mélodramatique, « Adam Bede » livre une méditation sur la rédemption par la souffrance, thème cher à l’autrice qui s’inspire des théories philosophiques de Ludwig Feuerbach sur la sympathie humaine.
Aux éditions ARCHIPOCHE ; 782 pages.
5. Daniel Deronda (1876)
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Résumé
Angleterre, 1865. Le destin de Daniel Deronda bascule lors d’une rencontre fortuite avec Gwendolen Harleth dans un casino allemand. Cette jeune femme séduisante mais narcissique perd sa fortune au jeu avant d’apprendre la ruine de sa famille. Pour échapper à une vie de gouvernante, elle accepte d’épouser le riche et tyrannique Henleigh Grandcourt.
Pendant ce temps, Deronda, élevé comme un gentleman anglais par Sir Hugo Mallinger, sauve de la noyade une jeune chanteuse juive, Mirah Lapidoth. En l’aidant à retrouver sa famille, il s’immerge dans la communauté juive londonienne où il rencontre le tuberculeux Mordecai, un intellectuel visionnaire qui deviendra son mentor spirituel.
L’intrigue rebondit quand Deronda découvre ses propres origines juives auprès de sa mère, une célèbre cantatrice. Cette révélation lui permet d’assumer pleinement son amour pour Mirah et son engagement envers les idéaux de Mordecai. Pendant ce temps, Gwendolen, dont le mari meurt dans un accident en mer, doit apprendre à reconstruire sa vie, transformée par sa relation platonique avec Deronda.
Autour du livre
Ce dernier roman de George Eliot, paru en 1876, se démarque par son audace thématique en présentant une vision positive du judaïsme, en contradiction totale avec les préjugés de l’époque victorienne. La romancière s’est inspirée de sa relation avec l’érudit juif Emmanuel Deutsch pour créer le personnage de Mordecai et approfondir sa connaissance de la Kabbale, dont les références parsèment le texte.
Le texte se distingue aussi par sa structure, avec deux récits qui ne fusionnent jamais complètement : d’un côté l’étude psychologique d’une jeune femme égocentrique confrontée à ses démons intérieurs, de l’autre une réflexion sur l’identité et l’appartenance communautaire.
Le roman suscite des réactions contrastées dès sa parution. Si la trame concernant Gwendolen fait l’unanimité, le versant juif divise. Le critique F. R. Leavis suggère même de publier uniquement l’histoire de Gwendolen sous le titre « Gwendolen Harleth ». Pourtant, le roman influence significativement le mouvement proto-sioniste naissant, inspirant des figures comme Henrietta Szold et Eliezer Ben-Yehuda.
Traduit rapidement en plusieurs langues, « Daniel Deronda » fait l’objet de diverses adaptations successives, du film muet de 1921 à la mini-série BBC de 2002 avec Hugh Dancy.
Aux éditions FOLIO ; 576 pages.