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Yukio Mishima en 9 romans – Notre sélection

Yukio Mishima en 9 romans – Notre sélection

Yukio Mishima naît sous le nom de Kimitake Hiraoka le 14 janvier 1925 à Tokyo. Son enfance est marquée par la figure dominante de sa grand-mère Natsu Nagai, qui le sépare de ses parents et l’élève dans un environnement surprotégé, lui interdisant les jeux extérieurs et le sport. Cette éducation singulière forge un jeune garçon fragile mais intellectuellement précoce.

À douze ans, Mishima retrouve sa famille et développe une relation privilégiée avec sa mère, qui l’encourage dans ses aspirations littéraires, tandis que son père, un bureaucrate autoritaire, tente de réprimer ses penchants artistiques. Le jeune homme poursuit brillamment ses études à l’école d’élite Gakushūin. Durant la Seconde Guerre mondiale, il évite la conscription en simulant une tuberculose.

Sa carrière littéraire décolle véritablement en 1949 avec « Confessions d’un masque », œuvre largement autobiographique traitant de l’homosexualité. Le succès est immédiat et fait de lui, à 24 ans, une figure majeure de la littérature japonaise. Dans les années qui suivent, Mishima écrit énormément, alternant romans ambitieux et récits plus populaires. Il voyage beaucoup et acquiert une renommée internationale.

Parallèlement à son activité d’écrivain, Mishima développe une obsession pour le corps et la force physique. Il se construit un physique d’athlète par la musculation et pratique assidûment le kendo. En 1958, il épouse Yoko Sugiyama, avec qui il a deux enfants, tout en continuant à fréquenter discrètement les milieux homosexuels.

Dans les années 1960, ses positions deviennent de plus en plus nationalistes. Il crée une milice privée, le « Tatenokai », vouée à la protection de l’empereur. Le 25 novembre 1970, après avoir achevé sa tétralogie « La mer de la fertilité », il organise une tentative de coup d’État au quartier général des Forces japonaises d’autodéfense. Après avoir prononcé un discours en faveur du Japon traditionnel devant les troupes, il se donne la mort par seppuku (éventration) selon le rituel traditionnel.

Son œuvre, marquée par un style élégant et une tension permanente entre tradition et modernité, Orient et Occident, beauté et violence, comprend une quarantaine de romans, de nombreuses nouvelles, des pièces de théâtre et des essais. Elle continue d’exercer une influence majeure sur la littérature japonaise et mondiale.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Le Pavillon d’Or (1956)

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Résumé

Dans le Japon des années 1940, Mizoguchi, jeune homme disgracié et bègue, grandit bercé par les récits de son père, un moine bouddhiste, sur la beauté absolue du Pavillon d’Or de Kyoto. À la mort de son père, il devient novice dans ce temple sous la protection de l’abbé Dosen. Sa fascination pour l’édifice se mue peu à peu en obsession maladive, jusqu’à l’empêcher d’entretenir toute relation normale avec le monde extérieur. À l’université, il se lie toutefois d’amitié avec deux étudiants aux caractères opposés : le lumineux Tsurukawa et le cynique Kashiwagi. Mais l’image du Pavillon continue de le hanter, notamment lors de ses tentatives d’approcher les femmes. Face à cette beauté qui l’oppresse et l’empêche de vivre, Mizoguchi ne voit qu’une issue : détruire l’objet de son obsession. Le 2 juillet 1950, il met le feu au Pavillon d’Or.

Autour du livre

La genèse du « Pavillon d’Or » s’enracine dans un événement qui ébranla le Japon d’après-guerre : l’incendie criminel du Kinkaku-ji en 1950. Pour saisir la complexité psychologique de son personnage, Mishima se rend à la prison où est détenu Hayashi Yoken, le moine qui mit le feu au temple. Cette rencontre lui permet d’intégrer à sa narration des éléments factuels précis : le bégaiement du criminel, les médicaments et le couteau qu’il emporta pour se suicider. Dans une interview accordée à Hideo Kobayashi, Mishima révèle que les motivations réelles du pyromane semblaient assez prosaïques : « Les visites des touristes, jeunes et bien habillés, souvent en couple, l’indisposaient. Sa pauvreté et ses vêtements misérables lui faisaient ressentir que leur présence gâchait complètement sa jeunesse. »

Pour préparer son manuscrit, Mishima séjourne plusieurs nuits au temple Myoshin-ji de Kyoto. Le texte initial devait s’intituler « La Maladie humaine » ou « L’Hôpital humain », comme en témoigne une lettre datée du 13 juin 1955, découverte en 2024. L’influence de grands auteurs irrigue le texte : Dostoïevski et son « Crime et Châtiment », mais aussi Thomas Mann, Friedrich Nietzsche, Georges Bernanos et Joris-Karl Huysmans. La structure narrative, fondée sur la confession du protagoniste, fait écho à celle du précédent livre de Mishima, « Confessions d’un masque ».

Mishima transcende sa trame narrative pour méditer sur des thèmes universels : la beauté destructrice, l’aliénation, la quête de soi. La transformation de Mizoguchi en « nihiliste actif » s’oppose à la figure du « nihiliste passif » des « Confessions d’un masque ». Cette évolution s’appuie sur le concept zen selon lequel la vérité émerge uniquement lorsque pensée et action fusionnent, principe que Mishima puise dans l’œuvre du penseur chinois Wang Yangming.

Le succès commercial égale la reconnaissance critique : 150 000 exemplaires vendus dès la parution, un record qui surpasse celui du « Tumulte des flots » du même auteur. Le prix Yomiuri couronne l’œuvre en 1957. Le critique Hideo Kobayashi la qualifie de « poésie lyrique ». Les adaptations se multiplient rapidement : une version théâtrale en 1957, un film acclamé de Kon Ichikawa en 1958 – pour lequel Mishima visite le plateau en compagnie de son épouse. En 1976, l’œuvre devient un opéra sous la plume du compositeur Mayuzumi Toshiro, joué initialement au Staatsoper de Berlin. Paul Schrader intègre des fragments du livre dans son film « Mishima : Une vie en quatre chapitres » (1985).

Aux éditions FOLIO ; 375 pages.


2. Confessions d’un masque (1949)

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Résumé

Au Japon, dans les années 1930, Kochan est un enfant fragile élevé par sa grand-mère qui le surprotège et l’isole des autres garçons de son âge. Il découvre très jeune son attirance pour la beauté masculine, notamment à travers un tableau de Saint Sébastien qui éveille ses premiers émois sexuels. À l’école, il s’éprend d’Omi, un camarade à la fois brutal et séduisant, mais comprend qu’il doit cacher son homosexualité pour être accepté socialement. Il tente alors de construire une identité factice, un masque derrière lequel dissimuler sa véritable nature. Sa relation avec Sonoko, la sœur d’un ami, lui fait brièvement espérer pouvoir vivre comme les autres. Mais l’impossibilité d’éprouver un désir authentique pour elle le confronte à l’échec de sa tentative de normalisation, dans un Japon d’après-guerre où il peine à trouver sa place.

Autour du livre

« Confessions d’un masque » naît d’une expérience bouleversante : en 1945, Mishima apprend les fiançailles de Kuniko Mitani, son premier amour, qui inspirera le personnage de Sonoko. Cette nouvelle le pousse à s’enivrer pour la première fois de sa vie. L’année suivante, une rencontre fortuite avec Kuniko, désormais mariée, précipite sa décision d’écrire ce qu’il qualifie de « suicide à l’envers ». Pour nourrir son projet, il consulte le psychologue Ei Mochizuki et étudie les écrits des sexologues Magnus Hirschfeld et Havelock Ellis.

Le 5 juillet 1949, la publication soulève l’enthousiasme de la critique japonaise. Six juges sur dix, dont Yasunari Kawabata, le sélectionnent parmi les meilleurs romans de l’année du journal Yomiuri shinbun. Le critique Seiki Hanada y décèle une révolution littéraire : contrairement aux romans confessionnels traditionnels où le masque sert à dissimuler, celui de Mishima révèle paradoxalement une vérité profonde. Cette innovation formelle marque selon lui le véritable début du XXe siècle dans la littérature japonaise.

Les parallèles autobiographiques abondent. Comme Kochan, Mishima grandit sous la tutelle d’une grand-mère possessive qui l’isole des autres enfants. À l’école, il prétend se souvenir de sa propre naissance, anecdote reprise dans le livre. Le tableau de Saint Sébastien, qui déclenche l’éveil sexuel du protagoniste, obsède également l’auteur qui le recréera en 1968 dans une séance photo avec Kishin Shinoyama.

La structure narrative alterne entre événements passés et réflexions du narrateur depuis le présent, brouillant la chronologie au profit de l’analyse psychologique. Cette structure rappelle les « Confessions » de Saint Augustin, mais s’en distingue par l’absence de rédemption finale : là où Augustin trouve le salut dans la foi, Kochan reste prisonnier de sa dualité.

L’accueil occidental, d’abord mitigé, évolue vers la reconnaissance. En 1958, Christopher Isherwood salue en Mishima « le Gide japonais », soulignant la portée universelle de cette méditation sur l’impossibilité d’être soi dans une société normative. Le critique Takashi Tasaka y perçoit des échos de la pensée nietzschéenne, notamment dans la fusion entre beauté et destruction. En 1985, le réalisateur Paul Schrader adapte partiellement le livre dans « Mishima : Une vie en quatre chapitres », avec une musique de Philip Glass.

Aux éditions FOLIO ; 288 pages.


3. Neige de printemps (1965-1967)

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Résumé

Dans le Japon impérial de 1912, le jeune Kiyoaki Matsugae mène une existence privilégiée au sein d’une famille aristocratique nouvellement fortunée. Sa rencontre fortuite avec Satoko Ayakura, amie d’enfance issue d’une noble lignée appauvrie, bouleverse sa vie. D’abord distant et hautain, il ne réalise l’intensité de ses sentiments qu’à l’annonce des fiançailles de Satoko avec le prince Harunori. S’ensuit une liaison passionnée mais clandestine, orchestrée avec l’aide de son ami Honda et de Tadeshina, la servante de Satoko. La découverte de la grossesse de la jeune femme déclenche un scandale qui pousse cette dernière à se réfugier dans un monastère après un avortement forcé. Dévasté par cette séparation, Kiyoaki multiplie les tentatives désespérées pour la revoir, jusqu’à contracter une pneumonie fatale qui l’emporte à l’âge de 20 ans.

Autour du livre

La genèse de « Neige de printemps » s’étend de juin 1965 à novembre 1966, période durant laquelle Mishima parcourt le Japon pour documenter avec précision les lieux qui serviront de décor à son récit. Le temple Gesshu trouve ainsi son inspiration dans l’Enshō-ji de Nara, visité le 26 février 1965. La somptueuse résidence des Matsugae puise son essence architecturale dans celle de Saigō Tsugumichi, que Mishima découvre lors de son inauguration au Meiji Mura le 18 mars 1965.

Cette quête d’authenticité historique se manifeste jusque dans les dialogues, où Mishima reconstitue méticuleusement le parler aristocratique du début du XXe siècle, un langage qu’il juge voué à disparaître dans la décennie suivante. Cette attention aux variations linguistiques se poursuivra dans les tomes ultérieurs de la tétralogie, chaque époque recevant son idiome propre.

Premier volet de « La mer de la fertilité », ce texte transcende la simple tragédie amoureuse pour brosser un portrait sociologique du Japon impérial. Le narrateur omniscient maintient une distance calculée avec ses personnages, technique qui permet à Mishima de mettre en lumière les bouleversements sociaux plutôt que les tourments individuels. Les conflits entre personnages illustrent systématiquement des mutations sociales plus vastes : l’impossibilité pour Kiyoaki et Satoko de vivre leur amour révèle l’emprise encore puissante du système impérial, tandis que les tensions entre Kiyoaki et son précepteur Iinuma traduisent l’antagonisme croissant entre éducation aristocratique et valeurs spartiates traditionnelles.

Les critiques saluent unanimement cette fresque historique. Tatsuhiko Shibusawa y reconnaît « la plus grande réussite de la littérature d’après-guerre », tandis que Yasunari Kawabata classe « Neige de printemps » parmi les plus grands romans japonais jamais écrits. The Daily Telegraph confirme cette stature internationale en 2014 en l’incluant dans sa sélection des dix meilleurs romans asiatiques.

L’influence du texte se mesure également à ses multiples adaptations : une série télévisée de six épisodes sur Fuji TV en 1970, un long-métrage d’Isao Yukisada en 2005 – récompensé par neuf prix de l’Académie japonaise du cinéma -, ainsi qu’une adaptation en manga par Riyoko Ikeda en 2006. Le grand acteur Raizō Ichikawa VIII nourrissait le projet d’une adaptation théâtrale, ambition que sa disparition en juillet 1969 laissa inachevée. La chanson « Heat » de David Bowie sur l’album « The Next Day » (2013) fait référence à la scène du chien mort, preuve de la résonance contemporaine persistante de l’œuvre.

Aux éditions FOLIO ; 449 pages.


4. Les amours interdites (1953)

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Résumé

Dans le Japon de l’après-guerre, Shunsuke Hinoki, un écrivain sexagénaire aigri par trois divorces, rencontre sur une plage le séduisant Yuichi Minami, « une statue d’Apollon ». Ce dernier, fiancé à la jeune Yasuko, lui confie son homosexualité et ses réticences face au mariage. Shunsuke y voit l’occasion de se venger des femmes qui l’ont blessé : il propose à Yuichi de financer les soins de sa mère malade en échange de sa participation à un plan machiavélique. Le jeune homme devra épouser Yasuko tout en séduisant d’autres femmes pour les faire souffrir, notamment Lady Kaburagi et Kyoko Hotaka. Yuichi accepte et mène une double vie, fréquentant les bars homosexuels de Tokyo la nuit. Mais les manipulations de Shunsuke se retournent contre lui : il développe des sentiments pour Yuichi et, incapable de supporter son émancipation progressive, finit par se suicider après lui avoir légué sa fortune.

Autour du livre

La genèse des « Amours interdites » s’enracine dans l’immersion de Mishima au sein de la vie nocturne tokyoïte des années 1950. Le bar « Blanswick » de Ginza, transposé sous le nom de « Rudon » dans le texte, constitue le point névralgique de ses observations. C’est là qu’il rencontre l’écrivain Jiro Fukushima, dont la beauté exceptionnelle inspirera le personnage de Yuichi. Cette fréquentation assidue des lieux homosexuels de Tokyo nourrit la matière première du récit, tandis que l’auteur poursuit ses recherches jusqu’à New York, où il visite des bars gays de Greenwich Village en compagnie de Donald Richie.

Les thèmes qui structurent l’œuvre s’articulent autour d’oppositions fondamentales : la beauté apollinienne de Yuichi contre la laideur assumée de Shunsuke, la jeunesse triomphante face au désenchantement de la vieillesse, l’authenticité de l’amour homosexuel opposée à la mascarade des relations hétérosexuelles conventionnelles. La misogynie qui innerve le texte devient le prisme à travers lequel Mishima déconstruit les conventions sociales du Japon d’après-guerre.

La publication suscite des réactions contrastées. Nosaka souligne la complexité psychologique des personnages, tandis que Tsuyoshi Shirai y reconnaît une œuvre pionnière dans la représentation de l’homosexualité masculine en littérature japonaise. Les controverses n’épargnent pas Mishima lui-même, qui subit des attaques homophobes suite à ses fréquentations des bars gays durant l’écriture du livre.

Plusieurs tentatives d’adaptation ont échoué. Le projet cinématographique porté par Mishima, qui envisageait Minoru Ōki dans le rôle de Yuichi, ne voit jamais le jour. Plus tard, Paul Schrader souhaite intégrer des passages du roman dans son film « Mishima : Une vie en quatre chapitres », mais se heurte au refus de la veuve de l’écrivain, réticente à une représentation homosexuelle de son mari. Seule une adaptation théâtrale verra le jour en 2005 au Théâtre Public de Setagaya. David Sylvian et Ryūichi Sakamoto s’en inspirent pour leur chanson « Forbidden Colors », thème du film « Furyo ».

Aux éditions FOLIO ; 591 pages.


5. Le marin rejeté par la mer (1963)

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Résumé

« Le marin rejeté par la mer » suit le parcours de trois personnages dans le Japon d’après-guerre : Noboru, un adolescent de treize ans fasciné par les navires ; sa mère Fusako, une veuve qui dirige une boutique de mode ; et Ryuji, un officier de marine marchande tiraillé entre son désir de gloire en mer et son amour naissant pour Fusako. À travers un trou dans le mur de sa chambre, Noboru observe secrètement la relation qui se développe entre sa mère et le marin. Membre d’une bande d’adolescents dirigée par un mystérieux « Chef » qui prône le rejet des valeurs adultes, Noboru idéalise d’abord Ryuji comme un héros. Mais quand celui-ci renonce à la mer pour épouser Fusako, le garçon considère cet acte comme une trahison impardonnable. Le groupe d’adolescents décide alors d’assassiner Ryuji pour le « sauver » de sa déchéance.

Autour du livre

À travers la structure binaire « Été/Hiver » du « Marin rejeté par la mer », Mishima déploie une réflexion sur le Japon d’après-guerre. Cette dualité temporelle symbolise aussi l’opposition entre mer et terre, entre héroïsme et compromission. Le critique Rintarō Hinuma y décèle une « amertume » inédite dans l’œuvre de Mishima, tandis que Ryōtarō Shiba salue un « véritable chef-d’œuvre ».

La question de la gloire constitue l’axe central du récit. Ryuji lui-même ignore « quelle sorte de gloire il désire » mais reste convaincu « qu’une lueur existe quelque part dans les ténèbres de ce monde, destinée à lui seul ». Cette quête abstraite trouve son contrepoint dans la description minutieuse du Japon moderne, incarné par Fusako et sa boutique de vêtements importés. Pas un seul meuble japonais ne figure dans sa maison – signe d’une occidentalisation que Mishima observe avec un mélange de fascination et d’inquiétude.

Le titre original « Gogo no Eiko » joue sur l’homonymie entre « remorquage » et « gloire ». Le traducteur John Nathan raconte dans ses mémoires sa difficulté à rendre cette ambiguïté en anglais. Mishima lui-même suggéra plusieurs options, dont celle retenue : « The Sailor Who Fell from Grace with the Sea ».

L’œuvre a suscité de nombreuses tentatives d’adaptation. Les réalisateurs Ryo Kinoshita et Shintarō Katsu se sont vu refuser les droits par Mishima. Seul Lewis John Carlino réussira à porter le texte à l’écran en 1976, en transposant l’action en Angleterre. En 1990, le compositeur Hans Werner Henze créera l’opéra « Das verratene Meer », remanié en 2006 pour les festivals de Salzbourg.

La violence froide du dénouement a pris une résonance particulière lors des meurtres de Kobe en 1997. Plusieurs critiques, dont Takeshi Muramatsu, ont souligné le caractère « prophétique » du livre dans sa description d’une jeunesse capable du pire au nom d’idéaux abstraits. Cette dimension prémonitoire se double d’une portée allégorique : Noboru et sa bande incarnent l’ancien Japon et ses valeurs martiales, tandis que Ryuji symbolise la capitulation devant la modernité occidentale. Une lecture que le destin de Mishima, mort par seppuku après une tentative de coup d’État en 1970, vient tragiquement éclairer.

Aux éditions FOLIO ; 192 pages.


6. Le tumulte des flots (1954)

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Résumé

Dans le Japon d’après-guerre des années 1950, sur l’île isolée d’Uta-jima, le jeune Shinji Kubo mène une existence modeste de pêcheur aux côtés de sa mère, veuve et plongeuse de perles, et de son jeune frère Hiroshi. Son quotidien bascule à l’arrivée de Hatsue, la fille du riche armateur Terukichi Miyata, revenue sur l’île après des années passées ailleurs comme plongeuse. Les deux jeunes gens tombent amoureux, mais leur idylle se heurte aux différences sociales et aux médisances. Chiyoko, la fille du gardien du phare, par jalousie, répand des rumeurs sur leur prétendue intimité physique. Le père de Hatsue interdit alors tout contact entre les amoureux. Pour mettre à l’épreuve Shinji et son rival Yasuo, Terukichi les embarque sur l’un de ses navires. Lors d’un violent typhon, Shinji fait preuve d’un courage exemplaire qui sauve l’équipage, gagnant ainsi le respect de Terukichi et le droit d’épouser Hatsue.

Autour du livre

La genèse du « Tumulte des flots » s’enracine dans un profond désir de Mishima de retrouver au Japon l’essence de la Grèce antique. En 1951-1952, après plusieurs mois passés en Europe, l’écrivain contacte l’Agence de la pêche japonaise pour localiser un village préservé des influences modernes. Son choix se porte sur l’île de Kamishima, dont l’isolement et l’absence de distractions modernes – notamment de salles de pachinko – garantissent l’authenticité qu’il recherche.

Cette quête d’un lieu intemporel se conjugue avec l’inspiration directe du roman pastoral « Daphnis et Chloé » de Longus. Mishima transpose dans le Japon d’après-guerre cette histoire d’amour entre deux jeunes gens que tout sépare socialement. Pendant ses séjours sur l’île en 1953, il s’imprègne de la vie quotidienne des pêcheurs et des plongeuses, observe leurs traditions et leurs croyances.

La dimension symbolique innerve chaque élément du récit : les plongeuses incarnent la quête de beauté à travers l’effort, les frelons représentent la vengeance de la nature contre ceux qui transgressent l’ordre moral, tandis que le typhon final met à l’épreuve l’harmonie entre l’homme et les forces naturelles. Cette symbolique s’inscrit dans la critique plus large que fait Mishima de l’occidentalisation du Japon et de la perte des valeurs traditionnelles. Le phare, point culminant de l’île, joue un rôle central dans cette construction symbolique. Lieu de rencontre entre tradition et modernité, il représente aussi la possibilité d’éclairer les ténèbres de l’existence par l’amour et le dévouement, comme l’explique le gardien du phare aux jeunes amants à la fin du récit.

Marguerite Yourcenar souligne la singularité de cette œuvre dans la production de Mishima. Elle la qualifie de « chef-d’œuvre transparent », en opposition au « chef-d’œuvre noir » (« Confessions d’un masque ») et au « chef-d’œuvre rouge » (« Le Pavillon d’Or »). Les critiques japonais de l’époque se divisent sur la valeur du texte. Certains, comme le journal Asahi, déplorent son « éloignement de la réalité » et ses « scènes conventionnelles ». D’autres, tel Masaichi Shinichi, y voient une réponse audacieuse au roman moderne, trop centré sur l’individualisme. Cette tension reflète le positionnement particulier de Mishima face à la modernisation accélérée du Japon d’après-guerre.

Couronné par le prix Shinchō en 1954, « Le tumulte des flots » connaît cinq adaptations cinématographiques entre 1954 et 1985. Mishima envisage même une version opératique en quatre actes, dont le livret prévoit un chœur final de pêcheurs célébrant les divinités marines. L’île elle-même devient un lieu de pèlerinage littéraire. La municipalité de Toba y installe des stèles commémoratives et aménage un « parc Mishima ». En 1995, le chanteur Masashi Sada achète une petite île proche de Nagasaki pour la rebaptiser « Uta-jima », en hommage au cadre fictif du roman.

Aux éditions FOLIO ; 243 pages.


7. Vie à vendre (1968)

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Résumé

À Tokyo, Hanio Yamada, un publicitaire de 27 ans en proie à une profonde apathie, tente de mettre fin à ses jours avec des somnifères. Après l’échec de sa tentative, il démissionne de son poste et publie une annonce insolite dans un journal : « Je propose une vie à vendre. À utiliser à votre guise. Homme, 27 ans. Confidentialité garantie. Aucune complication à craindre. » Les réponses ne tardent pas à affluer. Un septuagénaire fortuné lui demande de séduire sa jeune épouse infidèle pour provoquer leur assassinat par l’amant de celle-ci. Une bibliothécaire le recrute comme cobaye pour tester un poison mortel. Un jeune garçon sollicite ses services pour nourrir sa mère vampire. Un ambassadeur l’engage pour une périlleuse mission d’espionnage. Mais à mesure que Yamada traverse ces situations de plus en plus rocambolesques, son désir de mourir s’estompe, remplacé par une nouvelle soif de vivre.

Autour du livre

En 1968, tandis que Mishima travaille sur sa tétralogie majeure « La mer de la fertilité », il écrit « Vie à vendre » pour l’hebdomadaire Shukan Pureboi, équivalent nippon du magazine Playboy. Les circonstances de la création se révèlent particulières : l’auteur compose simultanément son feuilleton et supervise l’entraînement de sa future milice privée, la Tatenokai. Cette période intense le voit partager son temps entre l’écriture et l’instruction militaire – exercices physiques, kendo et courses de fond avec ses trente recrues.

La réception initiale s’avère mitigée. La critique relègue d’abord ce texte au rang de comédie légère. Pourtant, des voix discordantes émergent. L’écrivain Jun Ishikawa salue « un vent nouveau » dans l’œuvre de Mishima. Le critique Masahiko Shimada y décèle une démonstration éclatante de sa versatilité littéraire. Son influence perdure : en 1999, Shimada publie « Jiyū shikei », un hommage direct à « Vie à vendre ».

Le Guardian note que cette « critique mordante d’une ville qui a perdu son âme » constitue bien plus qu’une simple note de bas de page dans la carrière de l’auteur. Ian Thomson, dans l’Evening Standard, souligne la présence, derrière « les dialogues musclés et les péripéties de gangsters », d’une critique acerbe du Japon consumériste et d’une nostalgie pour le passé.

Le destin de « Vie à vendre » prend un tournant inattendu en 2015, quarante-cinq ans après la mort de Mishima. Le livre connaît alors un succès fulgurant avec 70 000 réimpressions en un mois. Cet engouement se prolonge jusqu’en 2018, année qui voit naître plusieurs adaptations : une série télévisée de dix épisodes sur BS TV Tokyo, avec Aoi Nakamura dans le rôle principal, et une version théâtrale musicale au Sunshine Theater de Tokyo.

Certains critiques perçoivent dans les revirements psychologiques du protagoniste – qui passe du désir de mort à l’instinct de survie – un reflet des contradictions intimes de Mishima. La forme même du texte, un divertissement populaire, permet paradoxalement au romancier d’y glisser ses confessions les plus authentiques, là où nul ne songerait à les chercher.

Aux éditions FOLIO ; 320 pages.


8. L’école de la chair (1963)

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Résumé

Dans le Tokyo des années 1960, Taeko, une élégante trentenaire divorcée et propriétaire d’un atelier de mode, mène une vie libre et indépendante. Avec ses deux amies, elles se retrouvent régulièrement pour commenter leurs aventures sentimentales. Un soir, dans un bar gay, Taeko rencontre Senkichi, un séduisant barman bisexuel d’une vingtaine d’années. Subjuguée par sa beauté sauvage, elle entame une liaison passionnée avec lui. Cette relation, qui ne devait être qu’une aventure sans lendemain, prend une tournure obsessionnelle. Pour retenir ce jeune homme vénal et sans ambition autre que l’argent, Taeko multiplie les compromissions. Elle va jusqu’à lui proposer une liberté totale dans leurs rapports, acceptant même qu’ils puissent avoir d’autres partenaires. Mais cette stratégie ne fait qu’accélérer leur inexorable séparation.

Autour du livre

« L’école de la chair » s’inscrit dans le contexte tumultueux du Japon des années 1960, où la défaite de la Seconde Guerre mondiale a précipité une métamorphose sociétale sans précédent. Le pays féodal s’est mué en nation industrialisée occidentalisée, une transformation qui constitue la toile de fond de cette œuvre publiée en 1963.

La critique considère ce texte comme une variation plus accessible des « Amours interdites », un précédent roman de Mishima paru en 1953. Si certains y voient une œuvre mineure orientée vers le commercial, les thématiques chères à l’écrivain y résonnent avec force : le néant qui enveloppe l’existence, la puissance mythologique du corps, l’inextricable enchevêtrement entre sincérité et dissimulation dans les rapports humains.

La particularité de ce livre réside dans sa façon novatrice d’utiliser les marques de luxe comme marqueurs sociaux. Pour la première fois dans un roman japonais contemporain, les références à Chanel ou Yves Saint-Laurent servent à ancrer le récit dans une temporalité précise et à souligner les mutations sociales. Cette technique narrative, qui sera plus tard reprise par des auteurs comme Bret Easton Ellis, témoigne d’une modernité surprenante.

Le personnage de Taeko incarne les contradictions d’une société en transition : éduquée selon les codes occidentaux, elle peine à se reconnaître en kimono. Sa relation avec Senkichi symbolise la collision entre deux mondes : l’aristocratie traditionnelle et une jeunesse qui refuse les anciennes valeurs au profit du matérialisme. L’influence du théâtre kabuki sur la construction narrative a été soulignée par plusieurs critiques, notamment dans le traitement de thèmes comme « l’amour source de joie et de douleur » ou « la beauté comme écran où se projettent le plaisir et l’horreur ». Cette dimension théâtrale confère au texte une intensité dramatique particulière.

Benoît Jacquot a adapté « L’école de la chair » au cinéma en 1998, avec Isabelle Huppert dans le rôle principal. Le film, présenté au Festival de Cannes, transpose l’action dans le Paris des années 1990.

Aux éditions FOLIO ; 289 pages.


9. Une soif d’amour (1950)

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Résumé

En 1949, dans la banlieue d’Osaka, Etsuko mène une existence morne depuis la mort de son mari Ryosuke, emporté par le typhus. Hébergée par son beau-père Yakichi dans sa vaste propriété de Toyonaka, elle devient son amante passive tout en développant une obsession croissante pour Saburo, le jeune jardinier de la maison. L’histoire se déroule sur à peine plus d’un mois, du 22 septembre au 28 octobre, période durant laquelle la passion d’Etsuko pour Saburo se transforme en jalousie maladive quand elle découvre sa relation avec Miyo, une domestique. Cette dernière attend un enfant de Saburo.

Autour du livre

La genèse d’ « Une soif d’amour » révèle une inspiration inattendue : durant l’été 1949, Mishima séjourne chez les Emura, une famille propriétaire d’un domaine à Toyonaka. Sa tante, employée comme domestique, lui parle d’un jeune jardinier dont la présence marque profondément l’écrivain. De ces deux semaines d’observation naît une construction dramatique influencée par le théâtre classique français : Yakichi en souverain de ce microcosme rural, Etsuko en reine déchue, Saburo en prince inconscient de son pouvoir de séduction.

L’architecture du récit rompt avec celle des « Confessions d’un masque » : abandonnant la narration à la première personne, Mishima adopte un point de vue extérieur pour sonder l’âme tourmentée d’une femme. Le titre initial, « La Bête écarlate », référence à l’Apocalypse de Saint Jean, devait s’inscrire dans une trilogie chromatique avec « La Pure Nuit blanche » et « La Période bleue », prélude aux « Amours interdites ».

Les critiques de l’époque divergent sur l’interprétation du personnage d’Etsuko. Honda la qualifie de « femme hystérique », tandis que Nakamura défend sa profonde humanité : « Elle incarne le personnage le plus sain du livre ». Cette dualité nourrit la complexité psychologique du texte, où la passion refoulée explose en violence.

Le succès critique consolide la réputation de Mishima. L’adaptation cinématographique de 1967 par Koreyoshi Kurahara reçoit le prix du meilleur scénario de l’Association japonaise des scénaristes. Le film se classe septième au palmarès annuel de Kinema Junpō, la plus prestigieuse revue de cinéma japonaise, avec 79 points sur 100. La performance de Ruriko Asaoka dans le rôle d’Etsuko séduit particulièrement Mishima : « Son interprétation m’a stupéfié ».

Cette histoire de désir et de violence sociale illustre les tensions du Japon d’après-guerre. Les rapports de classe, la condition féminine, l’impossibilité du bonheur dans une société sclérosée par ses codes : autant de thèmes qui résonnent avec force. Le critique Toru Matsumoto souligne la maîtrise précoce de Mishima, alors âgé de 25 ans : « Malgré quelques traces de jeunesse, la composition classique et la puissance du dénouement ne souffrent aucune contestation. »

Aux éditions FOLIO ; 256 pages.

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