Thomas Vinau est un poète, romancier et nouvelliste français né le 26 septembre 1978 à Toulouse. Installé dans le Luberon, à Pertuis, il est l’auteur d’une œuvre prolifique qui s’étend de la poésie à la littérature jeunesse, en passant par le roman et les micro-fictions.
Son parcours littéraire est jalonné de succès, notamment avec des ouvrages comme « Bleu de travail » (Prix René Leynaud 2016), « Des Salades » (Prix Joël Sadeler 2016) et « Le camp des autres » (sélectionné pour plusieurs prix prestigieux en 2017). Parmi ses œuvres majeures figurent également « Nos cheveux blanchiront avec nos yeux » (2011) et « La Part des nuages » (2014).
Se définissant lui-même comme « militant du minuscule » et « brautiganiste », Thomas Vinau cultive une écriture singulière qui s’exprime à travers de multiples formats, des plaquettes poétiques aux romans, en collaborant régulièrement avec différentes maisons d’édition et revues littéraires.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Ici ça va (2012)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Lui et Ema ont choisi de repartir à zéro dans une vieille maison de campagne. C’est la demeure de son enfance, celle qu’il a quittée après la mort soudaine de son père, emportant avec lui des souvenirs flous et des fêlures profondes. Le couple s’attelle à la tâche : réparer les murs, dégager les chemins envahis par la végétation, redonner un sens à ces pierres chargées de mémoire.
Les jours s’écoulent au rythme de la nature. Elle s’épanouit dans le jardin, plante des fleurs, apprend à connaître les habitants du hameau. Lui observe, bricole maladroitement, fouille les malles poussiéreuses à la recherche de son passé. Entre deux coups de peinture et une partie de pêche, les visites de son frère ravivent doucement les souvenirs d’autrefois.
Autour du livre
« Ici ça va » tisse ses phrases courtes et ses chapitres brefs comme une suite d’instantanés poétiques. Cette construction fragmentée, qui évoque le haïku japonais, sert admirablement le propos : la reconstruction d’un être blessé se fait pas à pas, par petites touches sensibles. Les mots coulent avec la même fluidité que la rivière qui borde la maison dans une musicalité particulière qui imprègne chaque page.
Le titre prend la forme d’une missive rassurante – « c’est par ces mots que je commencerais une lettre si j’étais loin, que j’allais bien et que je voulais rassurer quelqu’un », confie Thomas Vinau dans la postface. Cette dimension épistolaire suggère une intimité qui se prolonge dans le traitement des thèmes : la douleur de l’absence se dit à demi-mots, la fragilité s’avoue sans pathos, les souvenirs affleurent avec pudeur.
Les références littéraires parsèment subtilement le récit : un exemplaire des « Mémoires sauvés du vent » de Richard Brautigan apparaît dans une malle, tandis que la délicatesse des mots évoque parfois l’écriture de Christian Bobin. Les critiques ont souvent rapproché ce livre de la littérature nature writing, soulignant sa capacité à transformer les gestes ordinaires – semer des graines, sauver un ragondin, pêcher dans la rivière – en moments de grâce.
« Ici ça va » s’inscrit dans la continuité de « Nos cheveux blanchiront avec nos yeux », précédent livre de Vinau, avec lequel il partage cette aptitude à métamorphoser le quotidien en poésie. Sans effets tapageurs ni grands drames, par la seule justesse des mots et la précision du regard, cette ode à la simplicité redéfinit ce qui fait l’essentiel d’une existence.
Aux éditions 10/18 ; 144 pages.
2. La part des nuages (2014)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Joseph, un bibliothécaire de 37 ans, a reconstruit sa vie autour de son fils Noé après le départ de sa femme. Dans leur jardin, une cabane perchée dans le cerisier abrite leurs rêves et leurs discussions sur les formes des nuages. Cette bulle de complicité éclate quand Noé s’en va passer une semaine de vacances chez sa mère.
Pour tromper le manque, Joseph se réfugie dans leur cabane et bascule dans une parenthèse régressive : il sèche le travail, se gave de sucreries, contemple le ciel pendant des heures. La nuit, accompagné d’Odile sa tortue, il sort errer dans les rues. Ces déambulations tardives le mènent vers deux êtres cabossés par la vie : Robin, un sans-abri qui a fait des toits de la cathédrale son royaume, et une flûtiste solitaire dont les mélodies mélancoliques s’échappent des fenêtres.
Autour du livre
La filiation littéraire de « La part des nuages » s’inscrit dans une double lignée : celle d’Italo Calvino avec « Le Baron perché » – dont l’influence transparaît dans le motif du refuge arboricole – et celle de Christian Bobin, pour la poétique du quotidien et l’attention portée aux instants minuscules. Cette parenté spirituelle se manifeste aussi à travers les références à d’autres auteurs chers à Thomas Vinau : Lowry, Pessoa, Brautigan, Pirotte ou encore Péret.
Les chapitres courts s’enchaînent comme des instantanés photographiques, où chaque scène capture un moment suspendu. Cette architecture fragmentée reflète l’état d’esprit du protagoniste, Joseph, qui oscille entre présent et passé, réalité et rêverie. Les personnages secondaires – Robin le vagabond philosophe, la voisine flûtiste, la tortue Odile – agissent comme des miroirs qui renvoient à Joseph différentes facettes de sa propre quête d’identité.
La symbolique biblique irrigue le texte à travers le choix des prénoms : Joseph et Noé apparaissent comme des figures de salut mutuel, l’un sauvant l’autre de la noyade existentielle. Cette dimension symbolique se prolonge jusque dans le titre : les nuages se muent en métaphore de l’évanescence des êtres et des choses, mais aussi de leur capacité de métamorphose.
Dans la postface intitulée « Lignes de suite », Vinau dédie son texte à Pierre Autin-Grenier, Jean-Claude Pirotte et à son grand-père. « La part des nuages » s’inscrit dans la continuité de ses précédents ouvrages comme « Ici ça va » et « Le camp des autres », poursuivant son travail d’orfèvre des petites choses et des grands silences.
Aux éditions 10/18 ; 120 pages.
3. Le camp des autres (2017)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
En 1906, un jeune garçon prénommé Gaspard s’enfuit dans la forêt, son chien blessé dans les bras. Il vient de tuer son père qui le battait sans relâche. La nature hostile manque d’avoir raison de lui, mais Jean-le-Blanc, un herboriste solitaire aux allures de sorcier, le recueille dans sa cabane. Auprès de cet homme secret, l’enfant apprend à décrypter les mystères de la forêt et la science des plantes qui guérissent.
Sa route croise bientôt celle de la « Caravane à Pépère », une troupe hétéroclite de hors-la-loi, de romanichels et d’anarchistes qui écume les campagnes françaises. Fasciné par leur soif de liberté et leur fraternité sans faille, Gaspard se joint à eux. Mais les nouvelles Brigades du Tigre créées par Clemenceau traquent déjà ces « nuisibles » qui menacent l’ordre établi.
Autour du livre
La genèse du « Camp des autres » révèle son ancrage dans l’actualité sociale : Thomas Vinau l’écrit en réaction aux déclarations d’un ministre de l’Intérieur sur l’incapacité supposée des Roms à s’adapter. Cette indignation initiale se mêle aux échos des attentats qui secouent la France, poussant l’auteur à exhumer l’histoire méconnue de la « Caravane à Pépère ». Cette bande organisée, qui traversa la France entre 1906 et 1907, rassemblait une centaine de membres – déserteurs, évadés et bohémiens originaires de Belgique, d’Allemagne ou de Suisse. Sous la direction de Jean Capello, ils sillonnèrent le pays de la Lorraine à la Bretagne avant d’être arrêtés à La Tremblade par les nouvelles brigades mobiles de Clemenceau.
La narration se distingue par des chapitres courts, presque des tableaux, qui insufflent une cadence particulière au récit. Les descriptions de la forêt transcendent le simple décor : chaque branche, chaque feuille, chaque buisson de ronces devient respiration. L’écriture transforme le monde sylvestre en un royaume clandestin où se réfugient les exclus, les excentriques, les excommuniés. Les mots, à la fois âpres et poétiques, font surgir une nature à la fois protectrice et hostile.
Avec « Le camp des autres », Thomas Vinau noue des liens saisissants entre passé et présent, entre la répression des marginaux d’hier et le sort des migrants d’aujourd’hui. Le livre se lit comme une ode aux sans-famille, aux sans-abri, aux sans-papiers – ceux que la société rejette systématiquement dans ses marges. Cette dimension politique se double d’une réflexion sur la liberté et la résistance, incarnée par la maxime centrale du livre : « Ne te laisse jamais enfermer petit. Si quelqu’un par un beau jour te dit que tu ne vaux rien, dis-toi qu’il te veut à son service et quand tu le croiras tu seras son esclave. »
Aux éditions 10/18 ; 192 pages.
4. Nos cheveux blanchiront avec nos yeux (2011)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Un jeune homme sur le point d’être père prend la fuite. Walther abandonne Sally, sa compagne enceinte, et part sillonner l’Europe du Nord au Sud. D’Amsterdam à Gibraltar en passant par Prague, il erre sans destination, guidé par les hasards et les inconnus qui croisent son chemin. Sur sa route, il recueille un oisillon tombé du nid qu’il baptise Pec, témoin muet de sa fuite en avant.
De retour auprès des siens, il découvre la paternité et ses bouleversements. Dans leur maison de campagne, il apprivoise peu à peu son rôle de père, observe son enfant grandir et réapprend à vivre aux côtés de Sally. Les gestes du quotidien – un biberon nocturne, une balade dans le jardin, une sieste partagée – deviennent autant de petites victoires sur ses doutes.
Autour du livre
Premier roman de Thomas Vinau publié en 2011, « Nos cheveux blanchiront avec nos yeux » se divise en deux parties : « Le dehors du dedans » et « Le dedans du dehors », chacune adoptant un point de vue narratif différent. La première relate les événements à la troisième personne, tandis que la seconde bascule vers un « je » plus intime qui donne accès aux pensées du narrateur.
La construction fragmentaire du texte, faite de courts paragraphes titrés, s’apparente davantage à un journal intime qu’à un roman traditionnel. Ces instantanés saisissent aussi bien une abeille qui butine qu’un vieil homme sifflant le générique d’Indiana Jones. La musique y occupe d’ailleurs une place prépondérante : Chet Baker, Neil Young, Jim Morrison et les Variations Goldberg de Bach accompagnent la lecture, une bande-son qui prolonge l’atmosphère mélancolique du texte.
« Nos cheveux blanchiront avec nos yeux » a reçu le Prix du livre européen en 2012. Les critiques soulignent sa parenté avec l’écriture d’Antoine Choplin et sa proximité avec « La Prose du Transsibérien » de Blaise Cendrars, cité en exergue. Les phrases courtes et la sensibilité à fleur de peau rappellent aussi les textes de Philippe Delerm dans « La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules ».
La thématique de la paternité et de la fuite se mêle à des questionnements plus profonds sur l’écriture elle-même. « L’écriture a été pour moi un moyen d’être compatible avec l’existence, de me concilier avec le monde », confie le narrateur. Cette réflexion métalittéraire traverse tout le texte, l’acte d’écrire comme tentative de réconciliation avec soi-même et avec le monde.
Aux éditions 10/18 ; 96 pages.
5. Fin de saison (2020)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Victor ne fait pas grand-chose de ses journées depuis qu’il a décidé d’arrêter de travailler. Pendant que sa femme enseigne et s’occupe des enfants, il regarde des séries Netflix et surfe sur des sites de survivalistes. Sa seule fierté : son « catakit », un kit de survie bricolé pour affronter une hypothétique fin du monde. Cette fin du monde surgit un matin, sous la forme d’une tempête apocalyptique qui dévaste tout sur son passage.
Dans l’urgence, il se précipite dans sa cave avec son kit de survie, accompagné du vieux chien de la famille et du lapin des enfants. Les voilà tous les trois coincés dans cet espace confiné, sans savoir ce qui se passe à l’extérieur ni si les autres membres de la famille ont survécu. Pour tenir, Victor boit, délire et débat avec lui-même sur l’absurdité de sa situation.
Autour du livre
L’écriture âpre et percutante de « Fin de saison » marque une rupture significative avec les précédents textes de Thomas Vinau. Cette mutation surprendra les lecteurs habitués à la délicatesse poétique de « La part des nuages » et « Ici ça va ». La langue, désormais rugueuse et débridée, se charge de jurons et d’expressions crues qui créent un contraste saisissant avec la sensibilité sous-jacente du texte.
Cette rage verbale traduit une colère profonde contre la bêtise humaine et notre incapacité collective à préserver le monde. Le personnage de Victor incarne cette impuissance : coincé dans sa cave, il devient le miroir déformant de notre société, entre déni et conscience tardive du désastre écologique. Son refuge souterrain se métamorphose en scène de théâtre où se joue une comédie grinçante sur fond d’apocalypse.
La dimension burlesque du récit rappelle l’univers de Tex Avery, tandis que l’atmosphère claustrophobe évoque Kafka. Ces références littéraires et cinématographiques s’entremêlent dans un récit qui oscille constamment entre humour noir et mélancolie. Les dialogues imaginaires avec le chien et le lapin ajoutent une touche d’absurde qui renforce encore cette ambivalence.
L’actualité du propos frappe particulièrement : la question du « catakit » (kit de survie en cas de catastrophe) résonne avec nos angoisses contemporaines face aux menaces environnementales. Cette fable moderne sur l’effondrement se lit comme un avertissement ironique, où le rire devient une arme pour affronter nos peurs collectives.
Aux éditions GALLIMARD ; 192 pages.