Christian Bobin (1951-2022) est un écrivain et poète français né au Creusot. Fils d’employés de l’usine Schneider, il passe une enfance solitaire, plongé dans les livres. Après des études de philosophie, il occupe divers emplois : bibliothécaire, guide de musée, infirmier psychiatrique, rédacteur.
Sa carrière littéraire débute en 1977 avec « Lettre pourpre ». Son style singulier, entre essai et poésie, se caractérise par des textes brefs et contemplatifs. Le succès vient en 1991 avec « Une petite robe de fête », suivi en 1992 par « Le Très-Bas », consacré à saint François d’Assise, qui lui vaut le Prix des Deux Magots et le Grand Prix catholique de littérature.
Auteur prolifique avec une soixantaine d’ouvrages, Bobin aborde des thèmes universels comme le vide, la nature, l’enfance et les petites choses du quotidien. Sa prose poétique et aérienne invite à la contemplation, teintée d’une spiritualité éloignée des dogmes traditionnels.
Malgré son succès, il reste toujours discret, vivant à l’écart du monde littéraire. Il partage la fin de sa vie avec la poétesse Lydie Dattas. Christian Bobin s’éteint le 23 novembre 2022 à Chalon-sur-Saône, des suites d’un cancer. En 2023, il reçoit à titre posthume le prix Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son œuvre.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. La plus que vive (1996)
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Dans une petite ville de Bourgogne, la mort frappe sans prévenir un jour d’août 1995. Ghislaine, 44 ans, s’effondre, victime d’une rupture d’anévrisme. Pour Christian Bobin, qui partageait sa vie, le monde s’arrête. Cette femme solaire, mère de trois enfants, enseignante passionnée, disparaît en laissant derrière elle un vide immense.
L’écrivain refuse d’abord d’écrire, comme pour se punir de cette injustice. Puis les mots reviennent, presque malgré lui. Durant l’automne et l’hiver qui suivent, il compose ce texte comme une longue lettre à celle qui n’est plus là. Page après page, il fait revivre Ghislaine à travers leurs souvenirs communs : ses éclats de rire, sa liberté farouche, sa manière si particulière de parler « en dansant des mains ».
Publié en 1996, ce texte intime n’était pas initialement destiné à être édité. Il s’inscrit pourtant comme une œuvre charnière dans la carrière de l’écrivain, un tournant dans son rapport à l’écriture. Le livre reçoit un accueil élogieux de la critique et du public, qui y voient non pas un récit de deuil mais plutôt une célébration de l’amour et de la vie. Christian Bobin parvient à y créer une surprenante proximité avec cette femme que le lecteur n’a jamais connue.
Aux éditions FOLIO ; 110 pages.
2. La folle allure (1995)
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Dans un cirque ambulant, une petite fille de deux ans se réfugie dans la cage d’un loup aux yeux couleur mimosa. Cette première passion inaugure une existence hors des sentiers battus, rythmée par les fugues et les métamorphoses. Entre un père perfectionniste et une mère solaire qui rit à gorge déployée, elle grandit en cultivant un goût immodéré pour la liberté.
L’héroïne traverse les années et les expériences avec la même devise : « on verra bien ». Elle se marie très jeune à un fils de notaire, devient actrice, prend des amants – dont un érable majestueux. Sa vie ressemble à une succession de bonds en avant, portée par trois guides : un loup aux dents jaunies, un ange aux cheveux rouges et Bach, qu’elle surnomme affectueusement « le gros ». À vingt-sept ans, elle s’isole dans un hôtel jurassien pour mettre des mots sur son parcours atypique.
Publié en 1995, ce roman de Christian Bobin brille par sa structure narrative non linéaire qui fait la part belle aux sensations et aux émotions. À travers le portrait de cette femme indomptable, il compose une ode à la liberté qui résonne avec une force particulière. Le texte alterne des moments de fougue et de contemplation, porté par une musicalité qui rappelle les fugues de Bach, compositeur adulé par l’héroïne.
Aux éditions FOLIO ; 170 pages.
3. Geai (1998)
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Dans un village d’Isère, Albain, huit ans, fait une découverte surnaturelle : sous la glace du lac de Saint-Sixte gît le corps d’une femme en robe rouge, morte depuis des années. Cette femme, qui se fait appeler Geai, lui sourit à travers la surface gelée. Commence alors une relation singulière entre l’enfant solitaire et cette présence invisible aux yeux des autres.
L’histoire suit la trajectoire singulière d’Albain jusqu’à l’âge adulte. Considéré comme un « idiot » par les villageois, ce contemplatif qui préfère l’observation du monde au travail finit pourtant par trouver sa voie comme vendeur ambulant. Sa sensibilité particulière, loin d’être un handicap, devient alors un atout : il sait écouter les gens et créer avec eux des moments de grâce au milieu du quotidien.
Cette fable poétique de Christian Bobin, publiée en 1998, trace le portrait d’un être à part, qui refuse les conventions sociales pour préserver sa sensibilité et son imagination. Au fil des pages se dessine une réflexion sur la différence, l’enfance et la capacité à voir l’invisible. Le personnage d’Albain incarne une forme de résistance douce à la modernité et à ses impératifs de productivité. Son histoire rappelle que la vraie richesse réside parfois dans ce que les autres ne voient pas.
Aux éditions FOLIO ; 120 pages.
4. Ressusciter (2001)
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« Ressusciter » est un recueil de réflexions et de méditations sur la vie, la mort et le divin. Christian Bobin y compose une mosaïque de pensées où s’entremêlent des observations sur le quotidien – un rouge-gorge qui saute dans un rayon de soleil, une tourterelle sur la branche d’un bouleau – et des considérations plus profondes sur l’existence.
La mort du père de l’auteur, emporté par la maladie d’Alzheimer, constitue la trame souterraine de l’ouvrage. Cette tragédie personnelle devient le point de départ d’une réflexion plus large sur notre rapport à l’absence et à la mémoire. Les visites au cimetière, les souvenirs qui affleurent, la persistance des liens malgré la disparition physique : tout contribue à tisser une méditation sur ce qui survit à la mort.
Publié en 2001, ce livre occupe une place à part dans l’œuvre de Bobin. La forme fragmentaire, faite de courts textes qui peuvent se lire indépendamment les uns des autres, traduit une quête spirituelle où la contemplation du monde naturel se conjugue à une recherche de transcendance.
Aux éditions FOLIO ; 176 pages.
5. L’inespérée (1994)
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« L’inespérée », publié en 1994, se compose de onze textes courts qui s’ouvrent sur une lettre adressée à « la lumière qui traînait dans les rues du Creusot ». À travers ces fragments, Christian Bobin trace le portrait d’une femme disparue, celle qu’il nomme « l’inespérée », dont la présence lumineuse irradie l’ensemble du recueil. Entre ces deux lettres qui encadrent l’ouvrage, le narrateur médite sur la solitude, la mort, la pureté, l’amour.
Les textes évoquent tour à tour une grand-mère célébrée par ses petits-enfants, un arbre solitaire à Saint-Ondras en Isère, une peinture de Bonnard, ou encore une jeune fille enceinte du Christ. Certains passages plus critiques s’attaquent aux travers de la société moderne : la télévision y est décrite comme une « brute geignarde », les colloques universitaires comme des cérémonies vides de sens.
L’ouvrage paraît à un moment charnière de la carrière de Bobin, alors que son œuvre commence à toucher un public plus large. Sa vision singulière, qui mêle mysticisme et regard critique sur la société moderne, trouve dans ce recueil une expression particulièrement accomplie. Les textes ont suscité des échos remarquables dans des cercles aussi divers que ceux des poètes, des philosophes ou des théologiens.
Aux éditions FOLIO ; 120 pages.
6. Le Très-Bas (1992)
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Dans l’Italie médiévale du XIIIe siècle, François d’Assise naît dans une famille de riches marchands. Sa mère le couve d’un amour absolu tandis que son père, négociant prospère, projette de faire de lui son héritier. Mais le jeune homme, d’abord mondain et insouciant, connaît une transformation radicale après une expérience mystique. Il abandonne ses privilèges et choisit une vie de pauvreté absolue, au grand désespoir de sa famille.
Le conflit avec son père culmine lors d’un procès où François, accusé d’avoir dilapidé les biens familiaux, se dévêt entièrement devant la cour pour signifier son renoncement total au monde matériel. Il part sur les routes, prêche aux plus démunis, parle aux animaux et fonde une communauté religieuse vouée à la pauvreté. Sa quête spirituelle s’oriente vers ce qu’il appelle le « Très-Bas » : une conception de Dieu qui se manifeste dans l’humilité et la simplicité.
« Le Très-Bas » a valu à Christian Bobin le prix des Deux Magots et le Grand prix catholique de littérature en 1993. Plus qu’une simple biographie de saint François d’Assise, ce court récit médite sur la nature de la foi et questionne notre rapport au matérialisme. Les digressions sur l’amour maternel et la spiritualité s’entremêlent à la trame narrative. Une œuvre inclassable qui touche croyants comme non-croyants.
Aux éditions FOLIO ; 129 pages.
7. L’homme-joie (2012)
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« L’homme-joie » déroule quinze instants de vie desquels Christian Bobin fait surgir la poésie du quotidien. Un mimosa qui s’épanouit, une conversation avec un voisin, la visite d’une exposition deviennent autant d’occasions de célébrer la beauté du monde. Entre les textes, des pensées manuscrites créent des respirations, tandis qu’au cœur du livre, des pages bleues accueillent une lettre à l’amour perdu.
Le fil conducteur de ces récits est la quête d’une joie essentielle, qui persiste malgré la maladie, la mort, la perte. Bobin observe son père qui s’enfonce dans la maladie d’Alzheimer, médite devant les toiles de Soulages, écoute Glenn Gould interpréter Bach. Ces rencontres dessinent peu à peu le portrait d’un homme qui refuse de céder au désespoir et cherche obstinément la lumière.
Ce livre publié en 2012 révèle une attention particulière à la matérialité : les pages manuscrites créent une proximité inhabituelle avec le lecteur, tandis que le carnet bleu central agit comme une parenthèse intime. François Busnel l’a salué comme « l’un des meilleurs livres qu’il n’ait jamais lu ». La simplicité apparente du propos masque une réflexion sur la joie comme résistance au malheur.
Aux éditions FOLIO ; 176 pages.
8. La part manquante (1989)
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« La part manquante » se compose de onze textes courts qui s’entrecroisent autour des thèmes de l’amour, de la solitude et du divin. Le premier récit dépeint une mère esseulée dans un hall de gare avec son enfant, après une rupture. D’autres fragments évoquent une baleine blanche inspirée de Melville, un homme d’affaires qui ne dort jamais, ou encore la première neige de l’année.
Ces tranches de vie, à la fois quotidiennes et mystiques, tissent un fil rouge autour de ce qui nous échappe : l’enfant qui grandit et s’éloigne, l’amour qui se dérobe, le temps qui file. Les personnages apparaissent furtivement, comme des silhouettes entrevues dans la brume, unis par leur quête d’absolu et leur conscience aiguë du manque.
Cette œuvre de 1989 condense les obsessions de Bobin : la maternité, l’enfance, la lecture, l’écriture, Dieu. Sa réception dépasse rapidement le cercle des initiés – philosophes et poètes – pour toucher un large public, sensible à cette voix qui parle du quotidien avec une intensité rare. Les mots s’y font souffle et silence, dans un style dépouillé qui influencera toute une génération d’écrivains. Un livre devenu référence, régulièrement réédité et traduit dans une quinzaine de langues.
Aux éditions FOLIO ; 108 pages.
9. Le Murmure (2024)
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Durant l’été 2022, Christian Bobin entame la rédaction de ce qui deviendra son ultime recueil. Affaibli par la maladie, il poursuit son écriture depuis sa chambre d’hôpital à Chalon-sur-Saône, où il décédera quelques mois plus tard. Entre deux soins, il compose ces fragments où se mêlent ses observations du quotidien hospitalier et ses réflexions sur l’existence.
La musique occupe une place centrale dans ces pages, notamment à travers la figure du pianiste Sokolov dont les interprétations de Chopin accompagnent ses derniers jours. Le poète y déclare également son amour à sa compagne Lydie Dattas, tout en méditant sur la figure maternelle et le lien filial. Le titre du recueil fait référence au vol des étourneaux qui, face à un obstacle, se séparent pour mieux se retrouver ensuite – métaphore de la mort comme simple passage.
Cette œuvre posthume témoigne d’une rare sérénité face à la mort. Sans pathos ni grandiloquence, les mots tracent un chemin entre l’acceptation et l’émerveillement. La presse littéraire a salué unanimement ce dernier livre qui condense les thèmes chers à l’auteur : l’attention aux choses simples, la spiritualité, la célébration de l’instant présent.
Aux éditions GALLIMARD ; 144 pages.