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Shirley Jackson en 4 romans – Notre sélection

Shirley Jackson en 4 romans – Notre sélection

Née en 1916 à San Francisco dans une famille aisée, Shirley Jackson grandit à Burlingame en Californie. Son enfance est marquée par une relation difficile avec sa mère qui critique constamment son apparence et son mode de vie. Passionnée d’écriture depuis son plus jeune âge, elle publie son premier poème à douze ans.

Après des études à l’université de Syracuse où elle rencontre son futur mari Stanley Edgar Hyman, elle s’installe avec lui à North Bennington dans le Vermont en 1945. Tandis que son mari enseigne au Bennington College, elle partage son temps entre l’écriture et l’éducation de leurs quatre enfants, et devient la principale source de revenus du foyer grâce à ses publications.

Sa carrière littéraire décolle véritablement en 1948 avec la publication de sa nouvelle « La loterie » dans le New Yorker, qui suscite de vives réactions. Elle enchaîne ensuite les succès avec plusieurs romans majeurs dont « La Maison hantée » (1959) et « Nous avons toujours vécu au château » (1962). Son œuvre, influencée par ses propres angoisses et son quotidien de femme au foyer dans l’Amérique des années 1950, conjugue horreur psychologique et critique sociale.

En parallèle de ses romans sombres, elle publie également des récits humoristiques sur sa vie de famille. Mais sa santé se dégrade progressivement, minée par l’anxiété, l’abus de médicaments et une relation conjugale difficile avec un mari infidèle qui contrôle ses finances. Elle meurt d’une crise cardiaque en 1965 à seulement 48 ans.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. La Maison hantée (1959)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1959, dans une région isolée de Nouvelle-Angleterre se dresse Hill House, une sinistre demeure victorienne à la réputation sulfureuse. Le docteur John Montague, anthropologue déterminé à prouver scientifiquement l’existence du surnaturel, loue la propriété pour y mener une étude pendant l’été. Il recrute comme assistantes deux femmes ayant déjà vécu des expériences paranormales : Eleanor Vance, 32 ans, une jeune femme timide marquée par des années passées à soigner sa mère tyrannique, et Theodora, une artiste bohème douée de capacités télépathiques. Luke Sanderson, le jeune héritier de Hill House, complète le groupe.

Sur place, le couple de gardiens, les Dudley, refuse obstinément de rester après le crépuscule. Les quatre résidents nouent rapidement des liens, mais l’atmosphère se dégrade quand des phénomènes inexplicables commencent à se manifester : coups violents contre les portes en pleine nuit, messages sanglants sur les murs, sensations de présences glaciales. Eleanor, particulièrement réceptive à ces manifestations, développe une obsession grandissante pour la maison. Tandis que les incidents paranormaux s’intensifient, le comportement d’Eleanor devient de plus en plus erratique. La jeune femme perd-elle la raison ou Hill House a-t-elle jeté son dévolu sur elle ?

Autour du livre

L’idée de « La Maison hantée » germe dans l’esprit de Shirley Jackson après sa lecture d’un rapport du XIXe siècle concernant des chercheurs en parapsychologie. Ces derniers avaient loué une maison réputée hantée pour y mener leurs observations. Elle s’inspire également d’une photographie découverte dans un magazine montrant une maison californienne à l’apparence particulièrement sinistre. Sa mère, résidant en Californie, lui apprend que cette demeure a été conçue par son propre arrière-grand-père, architecte de plusieurs bâtiments historiques de San Francisco. Jackson esquisse alors minutieusement les plans du rez-de-chaussée et de l’étage de Hill House, ainsi qu’un rendu de sa façade, avant de se plonger dans la rédaction.

Jackson révolutionne les codes du roman de maison hantée en privilégiant la terreur psychologique aux effets sanglants. La narration joue constamment sur l’ambiguïté : les phénomènes sont-ils réels ou le fruit de l’imagination d’Eleanor ? La maison est-elle véritablement maléfique ou reflète-t-elle simplement les démons intérieurs de ses occupants ? Les angles inhabituels de l’architecture, où « les murs ne se rencontrent jamais à angle droit », symbolisent la distorsion progressive de la réalité. Le paragraphe d’ouverture du roman, salué comme l’un des plus saisissants de la littérature anglaise, établit d’emblée l’atmosphère oppressante : « Hill House se dressait toute seule, malsaine, adossée à ses collines. En son sein, les ténèbres. »

Le personnage d’Eleanor incarne la fragilité psychologique et le désir d’appartenance. Traumatisée par son éducation et sa relation avec sa mère, elle ne parvient pas à s’émanciper et finit par trouver dans Hill House un refuge malsain. Le portrait de Theodora, subtilement codé comme lesbien selon les critiques modernes, témoigne des contraintes sociales de l’époque. Les interventions comiques de Mrs Dudley et de Mrs Montague allègent habilement la tension tout en renforçant l’atmosphère d’étrangeté.

La critique accueille triomphalement le roman dès sa sortie en 1959. Edmund Fuller, dans le New York Times, salue la maîtrise de Jackson dans le genre du « conte cryptique et hanté ». Stephen King, dans son essai « Anatomie de l’horreur », considère « La Maison hantée » comme l’un des meilleurs romans d’horreur du XXe siècle. Des écrivains contemporains comme Neil Gaiman, Dan Simmons, Carmen Maria Machado et Joyce Carol Oates reconnaissent son influence déterminante sur le genre.

La version cinématographique de 1963, « La Maison du diable » de Robert Wise, reste fidèle à l’esprit du livre et reçoit les éloges de la critique. En revanche, le remake de 1999 s’éloigne considérablement du matériau source, privilégiant les effets spéciaux aux subtilités psychologiques. En 2018, la série Netflix « The Haunting of Hill House » réinvente librement l’histoire en se concentrant sur une famille entière terrorisée par la demeure. Des adaptations théâtrales voient également le jour, notamment celle de F. Andrew Leslie en 1964 et celle d’Anthony Neilson en 2015 pour le Liverpool Playhouse.

Aux éditions RIVAGES ; 272 pages.


2. Nous avons toujours vécu au château (1962)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans une imposante demeure isolée du Vermont vivent les derniers membres de la famille Blackwood : Mary Katherine, dix-huit ans, sa sœur aînée Constance, vingt-huit ans, et leur oncle Julian, cloué dans un fauteuil roulant. Six ans plus tôt, un drame a décimé la famille : les parents, la tante Dorothy et le jeune frère Thomas sont morts empoisonnés à l’arsenic lors d’un dîner. Seuls ont survécu l’oncle Julian, gravement diminué, Constance, qui n’avait pas sucré ses mûres ce soir-là, et Mary Katherine, punie dans sa chambre sans dîner.

Bien que Constance ait été acquittée des meurtres, les villageois la considèrent toujours comme coupable. Depuis, la jeune femme ne quitte plus le domaine familial tandis que sa cadette Mary Katherine – surnommée Merricat – affronte seule l’hostilité des habitants lors de ses courses hebdomadaires. Superstitieuse, elle protège leur refuge par des rituels magiques en enterrant des objets et en clouant des talismans aux arbres.

L’équilibre précaire de leur existence bascule avec l’arrivée de leur cousin Charles. Sous ses airs affables, celui-ci convoite la fortune familiale et tente de séduire Constance. Pour Merricat, qui voue une dévotion absolue à sa sœur, cet intrus est une menace qu’il faut éliminer à tout prix…

Autour du livre

Dernier roman de Shirley Jackson paru en 1962, « Nous avons toujours vécu au château » puise dans ses propres démons. Installée avec son mari à North Bennington dans le Vermont, Jackson y subit l’hostilité des habitants. L’antisémitisme et l’anti-intellectualisme ambiants nourrissent son agoraphobie et ses troubles nerveux, qu’elle transpose dans les personnages de Constance et Merricat. Ces deux sœurs, librement inspirées de ses propres filles, incarnent selon sa biographe Judy Oppenheimer le « yin et le yang » de sa personnalité tourmentée.

La puissance du récit tient à sa narration singulière. À travers la voix de Merricat, dont le célèbre paragraphe d’ouverture donne immédiatement le ton (« Je m’appelle Mary Katherine Blackwood. J’ai dix-huit ans, et je vis avec ma sœur, Constance. J’ai souvent pensé qu’avec un peu de chance, j’aurais pu naître loup-garou, car à ma main droite comme à la gauche, l’index est aussi long que le majeur, mais j’ai dû me contenter de ce que j’avais. Je n’aime pas me laver, je n’aime pas les chiens, et je n’aime pas le bruit. J’aime bien ma sœur Constance, et Richard Plantagenêt, et l’amanite phalloïde, le champignon qu’on appelle le calice de la mort. Tous les autres membres de ma famille sont décédés. »), Jackson déploie une intrigue oppressante où la folie côtoie l’innocence. Elle excelle dans l’art de distiller le malaise à travers des détails quotidiens en apparence anodins : les rituels compulsifs de Merricat, la gaieté forcée de Constance, les divagations de l’oncle Julian créent une atmosphère vénéneuse qui culmine dans une scène d’hystérie collective.

La critique accueille triomphalement le roman dès sa sortie. Le Time le classe parmi les dix meilleurs romans de 1962. En 2002, le Book Magazine place le personnage de Mary Katherine Blackwood à la soixante-et-onzième position de son classement des « 100 meilleurs personnages de fiction depuis 1900 ». Le roman est aujourd’hui considéré comme le chef-d’œuvre de Jackson.

« Nous avons toujours vécu au château » connaît plusieurs adaptations. Une première version théâtrale signée Hugh Wheeler est montée à Broadway en 1966 avec Heather Menzies, Shirley Knight et Alan Webb. En 2010, Adam Bock et Todd Almond en proposent une version musicale au Yale Repertory Theatre. Plus récemment, en 2019, Stacie Passon porte le roman à l’écran avec Taissa Farmiga dans le rôle de Mary Katherine Blackwood.

Aux éditions RIVAGES ; 240 pages.


3. La loterie (1948)

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Résumé

Dans un village de Nouvelle-Angleterre de trois cents habitants, le 27 juin marque chaque année l’organisation d’une sinistre cérémonie : la loterie. Cette tradition ancestrale, perpétuée depuis la fondation du village, repose sur une croyance macabre : un habitant doit être sacrifié pour garantir la prospérité des récoltes.

Les préparatifs commencent dès le matin. M. Summers, le marchand de charbon, sort une vieille boîte noire contenant les bulletins, pendant que les villageois se rassemblent sur la place centrale. Le vieux Warner, figure d’autorité du village, rappelle l’importance de ce rituel : « Loterie bien menée, moisson presque arrivée ».

Le tirage commence. Chaque chef de famille pioche un bulletin. Cette année, c’est Bill Hutchinson qui tire le papier marqué d’un point noir…

Autour du livre

Shirley Jackson rédige « La loterie » au printemps 1948, lors d’une matinée ordinaire où elle remonte la colline de Prospect Street à North Bennington, dans le Vermont, après avoir fait ses courses. L’inspiration lui vient notamment de ses relations tendues avec les habitants de cette petite ville, qu’elle juge peu accueillants. Elle écrit la nouvelle d’une traite, dans ce qu’elle qualifie elle-même de geste vengeur envers la communauté locale. Le texte est immédiatement envoyé au New Yorker qui le publie trois semaines plus tard, le 26 juin 1948.

La parution déclenche une tempête médiatique sans précédent. Le magazine reçoit près de trois cents lettres de lecteurs scandalisés – un record pour une œuvre de fiction. Les réactions sont si virulentes que de nombreux abonnés résilient leur souscription. L’Union sud-africaine va jusqu’à interdire la nouvelle sur son territoire. La plupart des courriers exigent des explications sur l’origine d’une telle histoire, certains lecteurs étant même persuadés qu’elle s’inspire de faits réels.

L’originalité de la nouvelle réside dans sa construction narrative minutieuse. Jackson met en scène la transformation soudaine d’une célébration villageoise en rituel sacrificiel avec une économie de moyens remarquable. La banalité apparente du quotidien, opposée à la brutalité du dénouement, questionne la capacité de chacun à basculer dans la barbarie sous couvert de tradition. Les réactions épidermiques des lecteurs à la sortie du texte témoignent du climat particulier de l’Amérique d’après-guerre, pour qui l’idée que le mal puisse surgir du cœur même de la « civilisation » est insupportable.

La critique littéraire salue unanimement ce texte devenu un classique de la littérature américaine. Le philosophe René Girard y voit une illustration parfaite de sa théorie sur le mécanisme du bouc émissaire comme fondement du fait religieux. Bernice M. Murphy considère « La loterie » comme le texte fondateur du folk horror en Amérique du Nord. Stephen King s’en inspire notamment pour sa nouvelle « La Saison des pluies ».

La nouvelle connaît de multiples adaptations : une version radiophonique en 1951, un ballet en 1953, des films pour la télévision en 1969 et 1996, une série d’épisodes pour diverses séries télévisées (The Simpsons, South Park, Regular Show), une bande dessinée par Miles Hyman en 2016 et même un opéra. Un nouveau projet d’adaptation cinématographique est en développement chez Paramount Pictures depuis 2018.

Aux éditions RIVAGES ; 256 pages.


4. Hangsaman (1951)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

États-Unis, années 1950. Natalie Waite, dix-sept ans, s’apprête à quitter le cocon familial pour intégrer une université d’arts libéraux réservée aux femmes. Son quotidien est marqué par la présence écrasante d’un père écrivain narcissique qui lui impose sa vision du monde, et d’une mère alcoolique névrosée qui illustre le destin auquel elle souhaite échapper.

La veille de son départ, lors d’une soirée mondaine organisée par son père, Natalie subit une agression sexuelle dans les bois adjacents à la propriété familiale. Le lendemain, elle s’efforce d’effacer l’événement de sa mémoire.

À l’université, ses camarades, superficielles et égocentriques, la tiennent à l’écart. C’est alors qu’elle rencontre Tony, une étudiante marginale et provocatrice. Les deux jeunes femmes développent une amitié intense et s’engagent dans des aventures de plus en plus téméraires, jusqu’à ce qu’un jour de novembre, Tony entraîne Natalie vers un lac isolé, près d’un parc d’attractions abandonné. Dans l’obscurité grandissante, Natalie perd la trace de son amie…

Autour du livre

Publié en 1951, « Hangsaman » est le deuxième roman de Shirley Jackson. Il trouve son origine dans un fait divers qui a secoué la région de Bennington, où Jackson résidait alors avec son mari : la disparition mystérieuse de Paula Jean Welden, une étudiante de Bennington College, en 1946. Cette affaire non élucidée imprègne le récit d’une inquiétante étrangeté, même si la biographe Ruth Franklin n’a trouvé aucune preuve tangible d’un lien direct entre l’événement et le roman.

Le titre provient d’une ancienne ballade folklorique, dont un extrait sert d’épigraphe au roman : « Slack your hope, Hangsaman / O slack it for a while / I think I see my true love coming / Coming many a mile. » Cette référence musicale inscrit d’emblée le récit dans une tradition gothique où se mêlent amour et mort.

La frontière entre réalité et imagination se brouille progressivement au fil du récit. Jackson dépeint la descente aux enfers d’une jeune femme confrontée à la dépression et à l’aliénation, dans un cadre quotidien en apparence conventionnel. Cette ambivalence entre normalité de surface et chaos intérieur suscite un malaise grandissant chez le lecteur. La présence énigmatique de Tony, dont la réalité même reste sujette à caution, accentue cette atmosphère trouble. Plusieurs critiques y voient la manifestation d’une personnalité alternative de Natalie, née du traumatisme initial.

Jackson dresse un portrait sans concession de la société américaine des années 1950 et de la condition féminine. L’université fictive où étudie Natalie reflète l’atmosphère de Bennington College, où le mari de Jackson enseignait. Les références littéraires émaillent les pages ; sont ainsi convoqués Berkeley, Descartes, Hegel, Platon, Aristote, Shakespeare, Lewis Carroll, John Milton ou encore Algernon Swinburne. Cette érudition souligne le décalage entre les aspirations intellectuelles de Natalie et les attentes sociétales qui pèsent sur les jeunes femmes de son époque.

Francine Prose considère « Hangsaman » comme l’un des « livres étranges » les plus remarquables de la littérature américaine. Les chroniqueurs soulignent sa parenté thématique avec « La Cloche de détresse » de Sylvia Plath, autre œuvre majeure sur la désintégration psychique d’une jeune femme dans l’Amérique des années 1950. Le roman est unanimement reconnu pour sa capacité à créer une atmosphère de tension psychologique et d’étrangeté quotidienne.

Le film « Shirley » (2020) propose une fiction autour de la période durant laquelle Jackson écrivait « Hangsaman ». Il met en scène l’influence conjuguée de la disparition de Paula Jean Welden et de la vie d’un jeune couple hébergé chez Jackson et son mari sur la genèse du roman.

Aux éditions RIVAGES ; 288 pages.

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