Joyce Carol Oates, née le 16 juin 1938 à Lockport dans l’État de New York, est l’une des figures majeures de la littérature américaine contemporaine. Issue d’un milieu modeste – son père était dessinateur industriel et sa mère femme au foyer – elle développe très tôt une passion pour la lecture, notamment grâce à sa grand-mère qui lui offre « Alice au pays des merveilles », une œuvre qui l’influencera profondément.
Brillante étudiante, elle est la première de sa famille à obtenir un diplôme d’enseignement secondaire. Elle poursuit ses études à l’université de Syracuse puis obtient une maîtrise à l’université du Wisconsin. Elle commence sa carrière d’écrivaine dès l’âge de 14 ans et publie son premier recueil de nouvelles « By the North Gate » en 1963.
Autrice prolifique, elle a écrit plus de soixante-dix ouvrages dans des genres divers : romans, nouvelles, poésie, théâtre et essais. Parmi ses œuvres les plus célèbres figurent « Blonde » (2000), une fiction sur Marilyn Monroe, « Nous étions les Mulvaney » (1996) et « Un livre de martyrs américains » (2017). Elle a également publié plusieurs romans policiers sous les pseudonymes de Rosamond Smith et Lauren Kelly.
Sa carrière est jalonnée de prestigieuses récompenses, dont le National Book Award en 1970 pour « Eux », le Prix Femina étranger en 2005 pour « Les Chutes », et le Prix mondial Cino Del Duca en 2020.
Parallèlement à son activité d’écrivaine, elle a mené une carrière universitaire, enseignant la littérature à l’université de Princeton de 1978 à 2014. Veuve de son premier mari Raymond J. Smith en 2008, elle s’est remariée avec le neuroscientifique Charlie Gross, décédé en 2019.
Membre de Mensa, une association pour personnes à QI élevé, Joyce Carol Oates est régulièrement citée parmi les favoris pour le prix Nobel de littérature, preuve de l’importance de son œuvre dans le paysage littéraire contemporain.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Un livre de martyrs américains (2017)
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Le 2 novembre 1999, Luther Dunphy, un chrétien fondamentaliste convaincu d’agir au nom de Dieu, assassine le Dr Augustus Voorhees devant une clinique pratiquant des avortements dans l’Ohio. Ce double meurtre – Dunphy tue aussi le garde du corps du médecin – devient le point de départ d’un drame qui va bouleverser deux familles américaines pendant plus d’une décennie.
D’un côté, la famille Voorhees : une épouse universitaire et trois enfants, dont Naomi, 12 ans, qui ne se remettra jamais de la perte de son père. De l’autre, les Dunphy : une femme déjà fragilisée par la mort accidentelle de sa fille cadette et quatre enfants, notamment Dawn qui trouve refuge dans la boxe. Les deux clans doivent affronter le regard de la société, les procès successifs, puis l’exécution de Luther Dunphy, condamné à la peine capitale.
Ce roman publié en 2017 met en lumière les profondes divisions de la société américaine autour de la question de l’avortement. La parution précède de quelques années l’abrogation historique de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour suprême en 2022, qui a remis en cause le droit constitutionnel à l’IVG aux États-Unis. Sans prendre parti, Joyce Carol Oates donne la parole aux deux camps et montre comment les convictions les plus absolues peuvent mener à la tragédie. Le Washington Post l’a qualifié de « chef-d’œuvre » tandis que Le Monde y voit « un portrait saisissant des États-Unis épuisés de rancœur ».
Aux éditions POINTS ; 864 pages.
2. Ma vie de cafard (2019)
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Dans une bourgade proche des chutes du Niagara, Violet Rue grandit au sein d’une famille nombreuse d’origine irlandaise. Dernière-née d’une fratrie de sept enfants, cette fillette de douze ans voue une admiration sans bornes à son père, un homme dur mais qu’elle adore, et à ses frères aînés qui ne lui accordent que peu d’attention.
Sa vie bascule en novembre 1991 quand elle surprend ses frères Jerome Junior et Lionel de retour d’une virée nocturne, nettoyant frénétiquement une batte de baseball ensanglantée. Quelques jours plus tard, la ville apprend qu’un lycéen noir, Hadrian Johnson, a succombé à ses blessures après avoir été sauvagement battu. Terrorisée par ce qu’elle a vu cette nuit-là et menacée par l’un de ses frères, Violet craque et révèle aux autorités l’implication de Jerome Junior et Lionel dans ce crime raciste.
Cette confession lui vaut d’être immédiatement bannie par sa famille et envoyée vivre chez une tante à plus de 130 kilomètres. Commence alors pour Violet une « vie de cafard », marquée par la culpabilité, la peur des représailles et une succession de prédateurs qui profitent de sa vulnérabilité. Pendant treize ans, elle tente de se reconstruire tout en espérant obtenir le pardon des siens.
Cette histoire de bannissement familial s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’Amérique des années 1990, ses fractures raciales et la montée des thèses suprémacistes blanches. Le roman, paru en 2019, fait écho aux tensions contemporaines et au phénomène du « racisme anti-blanc » revendiqué par certains groupuscules d’extrême-droite. À travers le regard de Violet, Joyce Carol Oates dissèque sans concession les mécanismes de la violence, qu’elle soit familiale, sexiste ou raciale.
Aux éditions POINTS ; 480 pages.
3. Blonde (2000)
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Los Angeles, années 1950. Une petite fille solitaire du nom de Norma Jeane Baker devient, sous les sunlights d’Hollywood, l’une des plus grandes stars du cinéma mondial : Marilyn Monroe. Son enfance est marquée par l’absence d’un père qu’elle ne connaîtra jamais et une mère atteinte de troubles psychiatriques, qui tente un jour de la noyer dans son bain. Placée en orphelinat puis dans des familles d’accueil, elle se marie à 16 ans pour échapper à cet enfer.
De pin-up pour calendriers à star internationale, son ascension est aussi rapide que destructrice. Les studios la façonnent en sex-symbol, tandis qu’elle rêve de rôles dramatiques et lit en secret Tchekhov et Pascal. Ses mariages successifs avec un champion de baseball puis un dramaturge célèbre, ses liaisons tumultueuses jusqu’à la Maison Blanche, ses fausses couches à répétition et sa dépendance croissante aux médicaments dessinent la trajectoire d’une femme en quête perpétuelle d’amour et de reconnaissance.
Joyce Carol Oates donne corps à ce destin hors norme dans une fiction ambitieuse qui mêle faits réels et imaginaires. Initialement conçu comme une nouvelle de 175 pages, le manuscrit final en compte 1400. Le livre obtient une nomination pour le Prix Pulitzer en 2001 et inspire deux adaptations : une mini-série en 2001 avec Poppy Montgomery, puis un film Netflix en 2022 avec Ana de Armas. Cette reconstruction romanesque d’une icône du XXe siècle met en lumière les coulisses sombres du rêve américain et la machine à broyer les femmes qu’était Hollywood dans les années 1950.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 1115 pages.
4. La fille du fossoyeur (2007)
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En 1936, une famille juive allemande débarque à New York, fuyant la montée du nazisme. Leur fille Rebecca naît sur le bateau, dans le port. Son père, jadis professeur respecté à Munich, devient fossoyeur dans une bourgade de l’État de New York. La déchéance sociale et l’hostilité des habitants précipitent ses parents dans une spirale destructrice.
Après une tragédie familiale dont elle est témoin à treize ans, Rebecca épouse Niles Tignor, un homme violent qui la maltraite. Pour protéger son fils, elle s’enfuit et change d’identité. Sa vie est alors une succession de fuites et de métamorphoses jusqu’à sa rencontre avec Chet Gallagher, un pianiste de jazz qui lui offre enfin la possibilité d’une existence plus sereine.
Inspiré par l’histoire de la grand-mère de Joyce Carol Oates, ce roman de 700 pages publié en 2007 a été finaliste du National Book Critics Circle Award. L’épilogue, d’abord paru sous forme de nouvelle dans Harper’s Magazine en 2004, prend la forme d’une correspondance entre Rebecca et une cousine survivante des camps. Le livre s’est hissé à la 17e place de la liste des best-sellers du New York Times dès sa sortie.
Aux éditions POINTS ; 704 pages.
5. Nous étions les Mulvaney (1996)
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Vallée du Chautauqua, État de New York, années 1970. Les Mulvaney mènent une existence idyllique dans leur ferme aux murs couleur lavande. Michael dirige une entreprise florissante tandis que Corinne s’occupe de leurs quatre enfants et des nombreux animaux qui peuplent leur domaine. Mike Jr excelle au football américain, Patrick brille par son intelligence, Marianne rayonne de gentillesse et Judd, le plus jeune, observe cette harmonie familiale avec admiration.
Un soir de Saint-Valentin 1976, l’impensable survient : Marianne est violée par un camarade de classe. Dans cette petite communauté rurale où règnent les conventions sociales, le silence s’impose. Incapable d’affronter ce traumatisme, le père rejette sa fille et l’exile chez une lointaine cousine. La famille autrefois soudée vole en éclats : les garçons s’éloignent, Michael plonge dans l’alcoolisme, le couple se déchire. La vente de la ferme signe la fin d’une époque.
Publié en 1996, ce roman a connu un immense succès après sa sélection dans le club de lecture d’Oprah Winfrey en 2001. À travers cette chronique familiale se dessine le portrait d’une Amérique puritaine où la victime devient coupable. Une adaptation télévisée a vu le jour en 2002 avec Beau Bridges et Blythe Danner dans les rôles principaux, récoltant trois nominations aux Emmy Awards.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 704 pages.
6. Boucher (2024)
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New Jersey, années 1850. Le Dr Silas Weir, médecin au parcours universitaire médiocre, prend la direction de l’Asile des femmes aliénées de Trenton. Frustré par une carrière qui ne répond pas à ses ambitions, il voit dans cet établissement l’opportunité de se faire un nom dans l’histoire de la médecine.
Sous couvert d’avancées scientifiques, il transforme l’asile en laboratoire d’expérimentation sur ses patientes, principalement des servantes sous contrat et des femmes internées pour « hystérie ». Sans anesthésie, il pratique des opérations gynécologiques brutales, persuadé que les organes génitaux sont responsables des troubles mentaux féminins. L’arrivée de Brigit, une jeune Irlandaise albinos atteinte d’une fistule, marque un tournant : après l’avoir soignée, il en fait sa principale assistante mais aussi le sujet de multiples interventions chirurgicales.
Ce roman s’inspire de documents historiques et mêle trois figures réelles de la médecine du XIXe siècle, dont J. Marion Sims, considéré comme le « père de la gynécologie moderne ». Joyce Carol Oates alterne entre les écrits du médecin, les témoignages des survivantes et le regard du fils qui publie ces documents pour dénoncer les atrocités paternelles. Cette polyphonie narrative dévoile la violence d’une époque où le corps des femmes, particulièrement celui des plus démunies, servait de terrain d’expérimentation avec l’aval des institutions.
Aux éditions PHILIPPE REY ; 473 pages.
7. Les chutes (2004)
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En juin 1950, une jeune mariée se réveille seule dans sa chambre d’hôtel à Niagara Falls. Son époux, un pasteur qu’elle vient d’épouser sans amour, s’est jeté dans les chutes du Niagara. Cette tragédie marque le début d’une histoire qui s’étend sur trois décennies, centrée sur Ariah, surnommée « la Veuve blanche des Chutes » après avoir guetté pendant sept jours la remontée du corps de son mari.
Le destin d’Ariah bascule quand elle rencontre Dirk Burnaby, un séduisant avocat issu de la haute société locale. Leur passion débouche sur un mariage et la naissance de trois enfants. Mais leur vie bascule lorsque Dirk s’engage dans un combat juridique perdu d’avance : défendre des familles modestes victimes de graves pollutions industrielles, dans ce qui deviendra le scandale du Love Canal. Cette lutte contre les puissants de Niagara Falls aura des conséquences dramatiques pour les Burnaby.
Couronné par le Prix Femina étranger en 2005, ce roman de Joyce Carol Oates dépasse la simple saga familiale pour brosser le portrait d’une Amérique des années 1950-1970 gangrenée par la corruption et l’industrialisation sauvage. Les critiques saluent alors unanimement la puissance narrative d’une œuvre qui mêle avec brio drame intime et fresque sociale.
Aux éditions POINTS ; 576 pages.
8. Carthage (2014)
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Dans une bourgade du nord de l’État de New York du nom de Carthage, la famille Mayfield mène une existence paisible jusqu’à ce soir de juillet 2005. Cressida, la cadette de 19 ans, disparaît sans laisser de trace. Brillante mais un brin marginale, elle a toujours vécu difficilement sa différence avec sa sœur Juliet, incarnation de la grâce et de la réussite.
Les soupçons se portent rapidement sur Brett Kincaid, l’ex-fiancé de Juliet. Ce jeune soldat, rentré mutilé d’Irak, rongé par les souvenirs du front, finit par avouer le crime. Les indices accablants et son comportement erratique semblent confirmer sa culpabilité, même si le corps reste introuvable. La famille se déchire alors que s’ouvre un long processus judiciaire.
Sept ans plus tard apparaît un mystérieux personnage. Il vient bouleverser les certitudes établies et force chacun à réexaminer son rôle dans cette tragédie familiale. La vérité qui émerge alors met en lumière les conséquences dévastatrices d’un acte né du mal-être et de l’incompréhension.
Ce roman de Joyce Carol Oates, paru en 2014, s’inscrit dans le contexte de l’Amérique post-11 septembre. À travers cette fresque familiale se dessinent les fractures d’une société meurtrie : le traumatisme des jeunes soldats revenus d’Irak, la violence du système carcéral, la peine de mort, ou encore le poids du christianisme dans les petites villes. Les thèmes du pardon et de la rédemption traversent cette œuvre qui interroge la possibilité de reconstruire ce qui a été brisé.
Aux éditions POINTS ; 608 pages.
9. Petite sœur, mon amour (2008)
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Années 1990. À dix-neuf ans, Skyler Rampike entreprend de raconter le meurtre de sa petite sœur Bliss, survenu une décennie plus tôt dans leur demeure cossue du New Jersey. Cette confession d’un jeune homme brisé par les médicaments et les séjours en instituts psychiatriques lève le voile sur les années qui ont précédé la tragédie, quand sa sœur de six ans était acclamée comme l’étoile montante du patinage artistique américain.
Les parents Rampike incarnent le rêve américain : Bix, le père, cadre supérieur charismatique et volage ; Betsey, la mère, obsédée par la réussite sociale et la religion. Quand le jeune Skyler se blesse en gymnastique et devient boiteux, toutes les ambitions familiales se reportent sur Bliss. La fillette enchaîne les compétitions sous une pression constante, gavée de médicaments. Jusqu’à cette nuit fatale où son corps est découvert dans la cave familiale.
S’inspirant du meurtre non élucidé de la mini-miss JonBenet Ramsey en 1996, Joyce Carol Oates dissèque sans concession une Amérique obsédée par le succès et les apparences. La construction singulière du récit, truffée de notes de bas de page et de digressions, reflète l’esprit tourmenté du narrateur tout en dénonçant les dérives d’une société qui transforme ses enfants en marchandises : surmédicalisation, exploitation médiatique, sexualisation précoce.
Aux éditions POINTS ; 744 pages.
10. Babysitter (2022)
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Detroit, 1977. Hannah Jarrett mène une existence privilégiée dans les quartiers huppés de la ville. Épouse d’un homme d’affaires prospère, mère de deux enfants dont s’occupe une gouvernante philippine, elle remplit son emploi du temps entre galas de charité et déjeuners mondains. Mais sous le vernis de cette vie en apparence parfaite couve un profond ennui.
Lors d’une soirée mondaine, un homme mystérieux, connu seulement sous les initiales Y.K., effleure son poignet. Ce simple contact suffit à bouleverser Hannah qui accepte bientôt de le retrouver dans la chambre 6183 du Renaissance Grand Hotel. Cette liaison s’avère rapidement toxique, mais Hannah, prisonnière d’une relation d’emprise, ne parvient pas à s’en défaire. Dans le même temps, la région est secouée par une série de meurtres d’enfants perpétrés par un criminel que la presse a surnommé « Babysitter ».
Ce thriller psychologique prend racine dans le Detroit des années post-émeutes raciales de 1967, alors que la ségrégation perdure malgré les apparences. À 85 ans, Joyce Carol Oates y déploie une critique musclée de la société américaine, où la corruption des forces de l’ordre, la prédation sexuelle et la misogynie des hommes s’entremêlent. Le résultat : un récit âpre et corrosif qui ne laisse personne indemne. Récit salué par Margaret Atwood pour son « habileté sinistre et mystérieuse ».
Aux éditions POINTS ; 624 pages.