Dan Simmons est un écrivain américain né le 4 avril 1948 à Peoria, Illinois. Diplômé d’un B.A. en anglais du Wabash College en 1970, puis d’un Master en Education de l’université Washington à Saint-Louis en 1971, il a d’abord travaillé dans l’enseignement jusqu’en 1989.
Sa carrière littéraire démarre véritablement en 1982 grâce à Harlan Ellison, qui, impressionné par sa nouvelle « Le Styx coule à l’envers », le pousse à participer à un concours du Twilight Zone Magazine, qu’il remporte. Son premier roman, « Le Chant de Kali », est publié en 1985 et reçoit le Prix World Fantasy.
Simmons est surtout connu pour ses œuvres mêlant science-fiction, horreur et fantasy, parfois au sein d’un même roman. Son roman le plus célèbre, « Hypérion » (1989), inspiré dans sa structure par le « Décaméron » de Boccace et les « Contes de Canterbury » de Chaucer, lui vaut le prix Hugo et le prix Locus du meilleur roman de science-fiction en 1990.
Parmi ses autres œuvres marquantes figurent « Terreur » (2007), une fiction historique sur l’expédition Franklin dans l’Arctique, et « Drood » (2009), basé sur les dernières années de la vie de Charles Dickens.
Dan Simmons vit à Longmont, Colorado, avec sa femme Karen et sa fille. Il écrit principalement dans sa maison secondaire située dans le parc national de Rocky Mountain.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Hypérion (1989)
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Résumé
Dans un futur lointain, au XXVIIIe siècle, l’humanité règne sur des centaines de planètes interconnectées par un réseau de portails de téléportation instantanée. Cette Hégémonie maintient une alliance précaire avec le TechnoCore, une civilisation d’intelligences artificielles, tout en affrontant les Extros, des humains dissidents vivant dans l’espace profond. Sur Hypérion, une planète aux confins de l’espace colonisé, les mystérieux Tombeaux du Temps s’apprêtent à s’ouvrir, menaçant de libérer le Gritche, une entité meurtrière mi-dieu mi-machine.
Face à la menace d’invasion des Extros, sept pèlerins sont envoyés sur Hypérion pour une ultime mission : un prêtre portant un parasite alien, un colonel traumatisé par ses visions de guerre, un poète obsédé par son œuvre inachevée, un érudit dont la fille rajeunit inexplicablement, une détective enceinte d’une IA, un templier aux motivations obscures et un consul aux sombres desseins. La prophétie veut que six d’entre eux périront, tandis que le septième verra son vœu le plus cher exaucé.
Durant leur périple vers les Tombeaux du Temps, chaque pèlerin dévoile son histoire, révélant peu à peu les mystères d’Hypérion et du Gritche.
Autour du livre
Premier volume des « Cantos d’Hypérion », « Hypérion » est une œuvre majeure de la science-fiction publiée en 1989. Dan Simmons y déploie une structure narrative singulière inspirée des « Contes de Canterbury » de Geoffrey Chaucer : sept pèlerins racontent tour à tour leur histoire pendant leur périple vers les mystérieux Tombeaux du Temps. Cette construction en récits enchâssés lui permet d’adopter des styles d’écriture distincts pour chaque personnage, tout en multipliant les perspectives sur son univers.
La genèse du roman remonte aux années 1970, quand Simmons enseignait dans une petite ville du Missouri. Les histoires qu’il racontait alors à ses élèves ont donné naissance à « La mort du Centaure », première nouvelle située dans l’univers d’Hypérion. Le roman final s’ancre dans une tradition littéraire qui dépasse le cadre de la science-fiction : par-delà les références à Chaucer, l’œuvre entretient un dialogue avec la poésie de John Keats, dont elle emprunte le titre. Cette dimension intertextuelle s’incarne notamment dans la présence d’un être hybride portant la personnalité numérisée du poète romantique.
Les critiques soulignent la densité exceptionnelle de l’univers créé par Simmons. L’auteur y mêle avec brio les sous-genres de la science-fiction : space opera, cyberpunk, horreur lovecraftienne. Les thématiques abordées touchent aussi bien à la religion qu’à l’intelligence artificielle, l’écologie ou la réalité virtuelle. La figure énigmatique du Gritche, colosse métallique qui empale ses victimes sur un arbre de métal, synthétise cette fusion des genres en conjuguant terreur cosmique et technologie futuriste.
La force du roman tient aussi dans sa manière d’entrelacer les destins individuels avec des enjeux cosmiques. Chaque histoire personnelle – qu’il s’agisse du prêtre porteur d’un mystérieux crucifix, du soldat hanté par une amante venue du futur, ou de l’érudit dont la fille rajeunit inexorablement – participe à la construction d’une fresque plus vaste sur le destin de l’humanité. Cette tension entre l’intime et l’universel s’inscrit dans une réflexion plus large sur le temps, thème central qui irrigue l’ensemble des pages.
Le succès critique fut immédiat : « Hypérion » remporte le Prix Hugo du meilleur roman et le Prix Locus en 1990, le Prix Cosmos 2000 en 1992, le Prix Seiun en 1995 et le Prix Tähtivaeltaja en 1998. Son influence perdure, comme en témoignent les multiples tentatives d’adaptation à l’écran. Scott Derrickson devait initialement le réaliser pour Warner Bros en 2009, avant que Bradley Cooper ne reprenne le projet en 2011. Après une tentative de série télévisée sur Syfy en 2015, Warner Bros et Cooper ont finalement annoncé en 2021 le développement d’un film.
Si certains lecteurs peuvent être déstabilisés par la profusion de néologismes et de concepts futuristes, d’autres comparent l’ambition et la portée d’ « Hypérion » à des œuvres fondatrices comme « Dune » de Frank Herbert. Le roman ne livre pas toutes ses réponses, se terminant sur une note suspendue qui appelle naturellement sa suite, « La Chute d’Hypérion ». Cette structure ouverte renforce le caractère mythologique du récit, où chaque révélation ouvre sur de nouveaux mystères.
Aux éditions POCKET ; 640 pages.
2. L’Échiquier du mal (1989)
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Résumé
Dans les années 1980, une poignée d’êtres aux pouvoirs psychiques extraordinaires se livrent une guerre sans merci sur le territoire américain. Ces « vampires de l’esprit » peuvent prendre le contrôle total de n’importe qui à distance, transformant leurs victimes en marionnettes dociles. Certains s’en servent pour assouvir leurs pulsions meurtrières, d’autres pour accroître leur influence politique. Tous y trouvent une source de jouvence, comme si la mort violente de leurs proies leur insufflait une nouvelle vigueur.
Le psychiatre Saul Laski connaît trop bien cette réalité. En 1942, prisonnier du camp de Chelmno, il a servi de pion en chair et en os dans une partie d’échecs mortelle orchestrée par un officier SS doté de ce don maléfique. Quarante ans plus tard, une vague de meurtres inexplicables à Charleston met Saul sur la piste de son ancien tortionnaire. Avec l’aide d’un shérif local et d’une jeune photographe dont le père a été assassiné, il découvre l’existence de l’Island Club, un groupe secret qui complote pour utiliser ce pouvoir à l’échelle des nations. S’engage alors une course contre la montre pour empêcher ces manipulateurs de déclencher une catastrophe planétaire.
Autour du livre
Publié en 1989, « L’Échiquier du mal » est l’une des œuvres majeures de Dan Simmons. Elle suscite l’admiration de Stephen King qui reconnaît en son auteur son « concurrent littéraire le plus sérieux ». Sa consécration se matérialise par l’obtention de trois prix prestigieux : le Prix British Fantasy du meilleur roman en 1989, le Prix Bram Stoker du meilleur roman en 1989, et le Prix Locus du meilleur roman d’horreur en 1990.
La force narrative de Simmons réside dans sa capacité à transcender les genres, mêlant avec habileté thriller, fantastique, espionnage et horreur. L’intrigue s’articule autour du « Talent », une capacité psychique que Simmons ancre dans le bulbe rachidien, écartant ainsi toute explication génétique ou évolutive pour privilégier une vision plus primitive et inquiétante : celle d’un archaïsme psychique prédateur antérieur à l’homo sapiens.
Les personnages dotés du « Talent » incarnent une nouvelle interprétation du mythe vampirique, dépouillée des oripeaux gothiques traditionnels. Ces vampires psychiques ne boivent pas le sang mais se nourrissent des émotions et de l’essence vitale de leurs victimes, qu’ils manipulent tels des marionnettistes pervers. Cette modernisation du mythe s’accompagne d’une réflexion sur la morale, Simmons s’appuyant sur les travaux du chercheur américain Lawrence Kohlberg pour situer ses créatures au « niveau 0 » de l’échelle morale, là où s’efface toute distinction entre acte criminel et acte ordinaire.
La structure du récit emprunte sa terminologie aux échecs, avec une division en trois parties : « Ouverture », « Milieu de partie » et « Finale ». Cette métaphore échiquéenne ne se limite pas à la forme : elle imprègne l’ensemble de l’intrigue, jusqu’à culminer dans une partie finale inspirée du match historique opposant Bobby Fischer à Boris Spassky lors du championnat du monde de 1972. L’ironie mordante de Simmons s’exprime notamment dans le choix de faire triompher son personnage le plus cynique grâce à la « défense Tarrasch », du nom d’un joueur d’échecs juif allemand.
La dimension historique du roman se manifeste par l’insertion habile d’événements réels dans la trame fictionnelle. Des personnalités comme Henry Kissinger, Ronald Reagan, Jimmy Carter ou l’Ayatollah Khomeini se trouvent mêlées à l’intrigue, tandis que des événements marquants comme l’assassinat de John Lennon ou celui de Lee Harvey Oswald sont réinterprétés à travers le prisme du « Talent ».
Le titre original, « Carrion Comfort », provient d’un poème de Gerard Manley Hopkins écrit vers 1885, dont les premiers vers ouvrent le roman. Ce « putride réconfort » évoqué par le poète britannique établit le ton de l’œuvre, entre résistance au désespoir et exploration des potentialités infinies de l’esprit humain, tant dans le bien que dans le mal.
Le manga « Eternal Sabbath » de Fuyumi Soryo s’inspire partiellement de l’œuvre de Simmons, preuve de son influence par-delà les frontières du genre et des cultures. Cette résonance internationale souligne la puissance universelle des thèmes abordés : la corruption par le pouvoir, la persistance du mal à travers l’histoire, la résistance acharnée de quelques individus face à des forces qui les dépassent.
Aux éditions POCKET ; 1200 pages.
3. Terreur (2007)
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Résumé
En 1845, deux navires de la marine britannique, l’HMS Erebus et l’HMS Terror, quittent l’Angleterre sous le commandement de Sir John Franklin. Leur mission : découvrir le mythique passage du Nord-Ouest reliant l’océan Atlantique au Pacifique. À leur bord, 129 hommes pleins d’espoir et d’ambition s’apprêtent à affronter les périls de l’Arctique. Mais l’expédition tourne rapidement au cauchemar quand les navires se retrouvent prisonniers des glaces.
Le capitaine Francis Crozier, commandant du HMS Terror, doit faire face à une situation qui empire de jour en jour. Le froid mordant (-50°C), la nuit polaire interminable, les vivres qui s’épuisent et le scorbut qui décime l’équipage ne sont que le début de leurs malheurs. Car une créature monstrueuse rôde autour des navires et massacre méthodiquement les hommes qui s’aventurent sur la banquise. L’apparition d’une jeune Inuite mutique, surnommée Lady Silence, ajoute au mystère qui entoure cette bête surnaturelle.
Dans ces conditions extrêmes, la discipline se délite peu à peu. Les tensions montent entre les officiers et l’équipage qui fomente une mutinerie. Quand la situation devient intenable, Crozier ordonne l’abandon des navires. Les survivants tentent alors une marche désespérée vers le sud, à travers la banquise hostile.
Autour du livre
Avec « Terreur » (2007), Dan Simmons s’approprie un mystère historique – la disparition en 1845 de deux navires de la Royal Navy partis découvrir le passage du Nord-Ouest – pour en faire la matière première d’une œuvre polymorphe, à la croisée du récit maritime, du thriller surnaturel et de l’étude anthropologique.
La force du livre tient d’abord à son ancrage documentaire exceptionnel. Simmons s’appuie sur une recherche méticuleuse, comme en témoigne la bibliographie fournie en fin d’ouvrage. Cette rigueur historique sert de socle au déploiement d’une dimension fantastique incarnée par le Tuunbaq, créature monstrueuse issue de la mythologie inuit. Cette entité démoniaque, qui traque et décime l’équipage, symbolise la nature indomptable de l’Arctique, territoire sacré dont les occidentaux violent l’intégrité.
La narration polyphonique amplifie la portée du propos. En alternant les points de vue des différents protagonistes, Simmons nous permet d’observer la descente progressive dans l’horreur sous des angles multiples. Cette technique atteint son paroxysme lors du bal costumé où les marins, déjà minés par le froid et la faim, sombrent collectivement dans une folie carnavalesque. La séquence marque le basculement définitif du récit vers les abysses de la déshumanisation.
Les personnages apparaissent travaillés en profondeur, à l’image du capitaine Crozier dont la trajectoire psychologique s’avère saisissante. D’abord rongé par l’alcoolisme et le ressentiment social lié à ses origines irlandaises modestes, il se métamorphose au contact des épreuves, jusqu’à transcender sa condition en s’ouvrant à la spiritualité inuit. Cette évolution contraste avec la déchéance morale incarnée par le machiavélique Hickey, figure du mal qui précipite la dissolution des liens au sein de l’équipage.
La dimension symbolique du livre se trouve renforcée par le traitement des thèmes du froid et de la nuit polaire. Ces éléments naturels deviennent des personnages à part entière, agents d’une implacable érosion physique et mentale. Simmons excelle particulièrement dans la description clinique des ravages causés par le scorbut et la malnutrition, créant une atmosphère d’horreur corporelle digne des meilleurs romans gothiques.
Nommé au British Fantasy Award en 2008, « Terreur » a connu une seconde vie à travers son adaptation en série télévisée par AMC en 2018. Cette production, qui compte notamment Ridley Scott parmi ses producteurs exécutifs, démontre la puissance d’évocation du matériau original. La découverte des épaves de l’Erebus et du Terror, respectivement en 2014 et 2016, n’a fait que renforcer la fascination exercée par cette histoire qui continue d’interroger les limites de l’ambition humaine face aux forces primordiales. Une tradition littéraire qui remonte à « Moby Dick » de Melville, dont Simmons cite d’ailleurs les réflexions sur la nature effrayante de la couleur blanche en exergue.
Aux éditions POCKET ; 1056 pages.
4. Ilium (2003)
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Résumé
Dans un système solaire du futur, les dieux grecs habitent sur Mars. Depuis l’Olympus Mons, ils orchestrent une reconstitution de la guerre de Troie, observée par Thomas Hockenberry, un universitaire du XXe siècle qu’ils ont ramené à la vie. Ce « scholiaste » utilise des technologies avancées pour se téléporter sur le champ de bataille et prendre l’apparence des combattants. Sa mission : vérifier que les événements suivent scrupuleusement le récit d’Homère. Mais les machinations d’Aphrodite vont le précipiter au cœur d’un complot qui menace l’équilibre des forces divines.
Sur Terre, une humanité réduite à quelques milliers d’individus vit dans l’insouciance, servie par des robots. Ces « humains à l’ancienne » ne connaissent ni l’écriture ni leur histoire, jusqu’à ce qu’un petit groupe commence à remettre en question leur existence paisible. Pendant ce temps, deux robots moravecs quittent les lunes de Jupiter pour investiguer sur d’étranges phénomènes quantiques sur Mars. L’un est spécialiste de Shakespeare, l’autre de Proust, et leurs discussions littéraires ponctuent leur périlleuse mission.
Ces trois récits distincts convergent peu à peu dans une fresque qui entremêle science-fiction et mythologie grecque. Les nanotechnologies côtoient les dieux antiques, tandis que les discussions littéraires des robots s’intercalent entre les scènes de bataille homérique.
Autour du livre
Avec « Ilium » (2003), Dan Simmons opère un retour remarqué à la science-fiction après des incursions dans d’autres genres. Cette œuvre monumentale de près de 900 pages mêle mythologie grecque et science-fiction dans un cocktail explosif qui lui vaut le Prix Locus en 2004 et une nomination au Prix Hugo la même année.
La force principale d’ « Ilium » réside dans son mélange harmonieux entre références classiques et technologies futuristes. Les dieux grecs manient la téléportation quantique tandis que des robots discutent de Proust et Shakespeare. Cette juxtaposition improbable fonctionne grâce à l’humour omniprésent qui parcourt le texte, notamment à travers le regard cynique du personnage d’Hockenberry sur les divinités grecques et leurs manigances. Les scènes de bataille devant Troie s’éloignent des descriptions glorieuses traditionnelles pour montrer la guerre dans toute sa brutalité, sa saleté, son absurdité.
L’érudition de Simmons transparaît dans chaque page, sans jamais tomber dans le pédantisme. Les dialogues entre les deux moravecs Mahnmut et Orphu d’Io sur Proust et Shakespeare offrent des moments de pure jubilation intellectuelle qui contrastent avec l’action frénétique des combats. Cette alternance de tons et de rythmes maintient le lecteur en haleine tout au long du récit.
La construction en trois trames narratives distinctes, qui convergent progressivement, demande un effort initial d’adaptation au lecteur. La partie concernant les « humains à l’ancienne » présente quelques faiblesses en comparaison des deux autres fils narratifs, mais l’ensemble forme une mécanique narrative bien huilée qui monte en puissance jusqu’au dénouement.
Le succès d’ « Ilium » s’inscrit dans la lignée des précédents triomphes de Simmons. Stephen King lui-même salue le talent de l’auteur, le considérant comme l’un des écrivains majeurs de son époque. L’influence d’autres œuvres de science-fiction transparaît également : les « humains à l’ancienne » rappellent les Éloïs de « La Machine à explorer le temps » de H. G. Wells, tandis que certains aspects technologiques évoquent les romans de Bruce Sterling ou Ken MacLeod.
Cette première partie d’un diptyque qui se poursuit avec « Olympos » pose les bases d’un univers foisonnant où la science la plus pointue côtoie la mythologie ancestrale. Les nanotechnologies, les manipulations quantiques et les voyages spatiaux s’entremêlent avec les figures mythologiques dans un maelström narratif qui ne laisse pas le lecteur reprendre son souffle.
« Ilium » marque ainsi un tournant dans l’œuvre de Simmons. Sans atteindre peut-être les sommets poétiques d’ « Hypérion », le roman impressionne par son ambition et son originalité. La science-fiction s’y révèle comme un terrain de jeu idéal pour réinventer les mythes fondateurs de notre civilisation, tout en questionnant le devenir de l’humanité.
Aux éditions POCKET ; 896 pages.
5. Nuit d’été (1991)
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Résumé
À Elm Haven, Illinois, l’été 1960 commence par une disparition. Le dernier jour de classe à Old Central, une imposante école gothique promise à la démolition, le jeune Tubby s’évapore mystérieusement après avoir découvert un étrange trou dans les toilettes. Si les autorités locales privilégient la thèse de la fugue, ses camarades de la « Cyclo-patrouille » – un groupe de garçons d’une dizaine d’années – pressentent quelque chose de plus sinistre.
Sous le soleil brûlant du Midwest, Dale, Duane, Mike, Lawrence, Kevin et Jim sillonnent leur petite ville à vélo pour mener l’enquête. Des événements inexplicables se multiplient : l’apparition d’un soldat mort pendant la Grande Guerre, des bruits inquiétants dans la nuit, un camion d’équarrissage aux activités suspectes. Pendant que les adultes restent sourds et aveugles à ces phénomènes surnaturels, les jeunes garçons affrontent seuls une force maléfique qui semble avoir fait d’Old Central son repaire.
L’été avance et le danger s’intensifie. Des morts violentes secouent la communauté, des créatures cauchemardesques rôdent dans l’ombre, et la Cyclo-patrouille met au jour un terrible secret lié à l’histoire de leur école. Pour survivre et sauver leur ville, les enfants devront faire preuve d’un courage extraordinaire face à une horreur qui dépasse l’entendement.
Autour du livre
Publié en 1991, « Nuit d’été » s’inscrit dans une période particulièrement féconde de la carrière de Dan Simmons, qui venait alors de connaître un succès retentissant avec son cycle « Hypérion ». Le roman remporte d’ailleurs le Prix Locus du meilleur roman d’horreur en 1992, confirmant le talent protéiforme d’un auteur capable d’exceller aussi bien en science-fiction qu’en littérature horrifique.
L’intrigue puise directement dans l’enfance de Dan Simmons à Brimfield, Illinois, qui sert de modèle à la ville fictive d’Elm Haven. L’école Old Central, élément central du récit, s’inspire de la Brimfield School, démolie en 1960. Les personnages eux-mêmes trouvent leurs origines dans l’entourage de l’auteur : son frère Wayne devient Lawrence Stewart, tandis que lui-même se glisse dans la peau de Dale. Ses amis d’enfance Mike O’Toole et Jim Hatten prêtent respectivement leurs traits à Mike O’Rourke et Jim Harlen, tandis que Kevin Hasselbacher inspire le personnage de Kevin Grumbacher.
Stephen King, dans une critique élogieuse, considère « Nuit d’été » comme l’un des trois meilleurs romans d’horreur des cinq années précédant sa publication. Cette comparaison avec le maître du genre n’est pas fortuite : les deux auteurs partagent une sensibilité commune pour la description de l’enfance américaine des années 1960, période charnière entre l’innocence d’une époque révolue et les bouleversements sociaux à venir.
La tension narrative s’articule autour d’une structure en crescendo. Les premières pages baignent dans une atmosphère estivale nostalgique, ponctuée de séances de cinéma en plein air et de parties de base-ball interminables. Cette apparente légèreté contraste progressivement avec l’émergence d’éléments surnaturels de plus en plus menaçants. Dan Simmons réactive ainsi les peurs enfantines universelles : le placard, la cave, le dessous du lit deviennent les points d’ancrage d’une terreur grandissante.
La singularité du roman réside aussi dans son traitement des figures adultes. Contrairement aux conventions du genre, les parents et autorités ne sont pas simplement absents ou hostiles : ils évoluent dans une réalité parallèle, imperméables aux événements surnaturels qui bouleversent l’existence de leurs enfants. Cette rupture entre les deux mondes renforce le sentiment d’isolement des jeunes protagonistes.
Le choix du cadre estival, inhabituel dans un roman d’horreur, permet à Simmons de jouer sur le contraste entre la luminosité écrasante des journées et les ténèbres qui s’insinuent progressivement dans le quotidien des protagonistes. La chaleur moite de l’Illinois contribue ainsi à l’atmosphère oppressante du récit.
Premier volet d’un triptyque baptisé « cycle d’Elm Haven », « Nuit d’été » trouve ses prolongements dans « Les Fils des ténèbres » et « Les Chiens de l’hiver ». Ces suites, publiées respectivement en 1992 et 2002, narrent le devenir des personnages plusieurs décennies après les événements initiaux, notamment Dale Stewart devenu écrivain. Elles permettent à Simmons de sonder les répercussions à long terme du traumatisme originel sur la psyché des protagonistes.
Aux éditions POCKET ; 768 pages.
6. L’Abominable (2013)
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Résumé
En 1924, l’alpiniste George Mallory et son compagnon Sandy Irvine disparaissent lors de leur tentative d’ascension de l’Everest. L’année suivante, une équipe de trois hommes se lance sur leurs traces : Jake Perry, un jeune Américain tout juste sorti d’Harvard, Richard « le Diacre » Deacon, un vétéran britannique de la Grande Guerre, et Jean-Claude Clairoux, un guide français de Chamonix. Leur mission officielle : retrouver le corps d’un autre disparu, le jeune Lord Percival Bromley, dont la mère finance l’expédition.
L’aventure prend un virage inattendu lorsque les trois alpinistes découvrent que la mort de Lord Bromley n’était peut-être pas accidentelle. À 8500 mètres d’altitude, alors que l’oxygène se raréfie et que le froid mord jusqu’aux os, une menace bien plus mortelle que les éléments naturels se profile : des hommes armés les poursuivent sur les pentes glacées. Entre espionnage international et rivalités meurtrières, l’ascension se transforme en une course effrénée vers les sommets, où chaque pas peut être le dernier.
Autour du livre
Paru initialement en 2013 aux États-Unis, « L’Abominable » met six ans à franchir l’Atlantique avant sa publication française chez Robert Laffont en 2019. Dan Simmons multiplie les strates narratives dès les premières pages. Dans une préface qui appartient déjà à la fiction, il se met lui-même en scène, prétendant avoir reçu les mémoires d’un certain Jake Perry, rencontré dans une maison de retraite du Colorado alors qu’il recherchait des informations pour écrire « Terreur ». Cette construction en abyme brouille les frontières entre réalité et fiction, au point que plusieurs lecteurs se sont demandé si Jake Perry avait réellement existé.
Les années 1920 constituent la toile de fond historique où s’entremêlent l’ascension périlleuse de l’Everest et la montée du nazisme en Allemagne. La documentation impressionnante sur l’alpinisme de l’époque mériterait presque le qualifié d’encyclopédique : crampons à douze pointes, bouteilles d’oxygène, cordes en chanvre, parkas en duvet d’oie… Certains critiques y voient une démonstration excessive de recherches qui ralentit le récit. D’autres saluent cette précision technique qui permet une immersion dans les conditions extrêmes de l’époque.
Les personnages se conforment à des archétypes nationaux parfois caricaturaux : l’Américain idéaliste, le Britannique flegmatique marqué par la Grande Guerre, le Français expansif. Cependant, leur solidarité face aux éléments et leur évolution psychologique sous l’effet de l’altitude transcendent ces stéréotypes initiaux. La présence inattendue d’une femme alpiniste, Lady Bromley-Montfort, dite Reggie, apporte une dimension féministe bienvenue dans cet univers masculin.
Le titre induit volontairement en erreur. Qui s’attend à croiser le Yéti sur les pentes enneigées sera déçu – ou soulagé. L’abomination se révèle plus prosaïque mais non moins glaçante. Ce choix narratif divise : certains lecteurs crient à la tromperie marketing, d’autres apprécient ce détournement des attentes qui permet d’aborder des thématiques historiques méconnues.
Les derniers chapitres suscitent aussi la controverse. Les scènes d’action à 8000 mètres d’altitude défient la vraisemblance physiologique, tandis que la révélation finale paraît tirée par les cheveux à de nombreux critiques. L’épilogue s’étire sans nécessité apparente, comme si Simmons peinait à conclure son récit. La fluidité de la traduction française par Cécile Arnaud mérite toutefois d’être soulignée. Elle réussit à restituer le vocabulaire technique de l’alpinisme tout en préservant le souffle épique du récit original.
« L’Abominable » s’inscrit dans la lignée des précédents romans historiques de Simmons comme « Terreur » ou « Drood », où un fait réel – ici la disparition de Mallory et Irvine en 1924 – sert de point de départ à une fiction ambitieuse. Toutefois, contrairement à ces œuvres antérieures, le surnaturel reste ici en retrait, quasi absent, au profit d’une intrigue d’espionnage qui ne convainc pas totalement.
Aux éditions POCKET ; 960 pages.
7. Drood (2009)
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Résumé
Le 9 juin 1865, Charles Dickens échappe de justesse à un terrible accident ferroviaire près de Londres. Alors qu’il porte secours aux victimes, l’écrivain fait la rencontre d’une mystérieuse créature au visage émacié, sans nez et aux dents limées : Drood. Cette apparition bouleverse profondément Dickens qui, obsédé par ce personnage énigmatique, décide de partir à sa recherche dans les bas-fonds londoniens.
Cette quête nous est relatée par Wilkie Collins, ami proche et rival littéraire de Dickens. Consommateur compulsif de laudanum pour soulager ses douleurs chroniques, Collins suit « l’Inimitable » – surnom donné à Dickens – dans sa descente aux enfers. Ensemble, ils s’enfoncent dans les entrailles de Londres, un monde souterrain peuplé de criminels et d’opiomanes, à la poursuite d’un être qui pourrait bien n’être qu’une hallucination née de leurs esprits tourmentés.
Le roman couvre les cinq dernières années de la vie de Charles Dickens, jusqu’à sa mort mystérieuse en 1870. Entre temps, l’amitié entre les deux écrivains se délite peu à peu, rongée par la jalousie de Collins envers le succès de son mentor. La consommation excessive d’opium du narrateur brouille davantage les frontières du réel, laissant planer le doute sur la véracité des événements relatés.
Autour du livre
Dan Simmons bâtit avec « Drood » une fiction vertigineuse qui prend sa source dans un fait historique avéré : l’accident ferroviaire de Staplehurst dont Charles Dickens sort miraculeusement indemne en 1865. À partir de cet événement et du fait que les cinq dernières années de la vie de Dickens demeurent peu documentées, l’écrivain américain imagine une confession fiévreuse attribuée à Wilkie Collins, romancier victorien ami et rival de Dickens.
La structure du récit repose sur une mise en abyme : Collins s’adresse directement aux lecteurs du XXIe siècle pour livrer sa version des faits concernant la relation entre Dickens et le mystérieux Drood. Cette construction permet à Simmons d’entrecroiser trois niveaux de lecture : la reconstitution historique de l’époque victorienne, l’enquête littéraire autour du dernier roman inachevé de Dickens « Le Mystère d’Edwin Drood », et une intrigue horrifique qui puise dans les codes du roman gothique.
L’originalité principale tient dans le choix du narrateur : Wilkie Collins, opiomane notoire, dont la dépendance au laudanum teinte le récit d’une atmosphère hallucinée. Cette subjectivité trouble maintient constamment l’ambiguïté entre réalité et imagination, entre faits historiques et délires paranoïaques. Les descriptions des bas-fonds londoniens, des fumeries d’opium et de la « Ville-du-Dessous » acquièrent sous sa plume une dimension cauchemardesque qui rappelle l’univers des romans sensationnalistes dont Collins fut l’un des maîtres.
Le portrait psychologique des deux écrivains constitue l’un des points forts du livre. La relation complexe entre Dickens et Collins oscille entre admiration et jalousie, amitié et rivalité. Simmons dépeint un Dickens arrogant et mystérieux, obsédé par Drood, et un Collins rongé par l’envie, conscient de demeurer dans l’ombre de « l’Inimitable » malgré des tirages parfois supérieurs. Cette dynamique sous-tend une réflexion plus large sur la création littéraire, la postérité et les aléas de la reconnaissance artistique.
Le travail documentaire colossal transparaît dans la précision des références aux œuvres des deux auteurs. Les personnages et intrigues de « La Pierre de lune », « La Dame en blanc » ou du « Mystère d’Edwin Drood » s’entremêlent brillamment à la narration.
L’adaptation cinématographique prévue par Guillermo del Toro pour Universal Pictures en 2008 n’a finalement pas abouti. Cette œuvre protéiforme confirme néanmoins la capacité de Dan Simmons à transcender les genres, comme il l’avait déjà prouvé avec « Hypérion » en science-fiction ou « L’Échiquier du mal » dans le registre de l’horreur.
« Drood » a été nommé pour le Prix Locus du meilleur roman de fantasy 2010, se classant à la troisième place. Si certains lecteurs peuvent trouver le rythme parfois lent, la construction labyrinthique et l’ambiance délétère maintiennent l’attention jusqu’au dénouement, qui bouleverse toutes les certitudes établies au fil des pages.
Aux éditions POCKET ; 1216 pages.
8. Le Chant de Kali (1985)
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Résumé
Dans les années 1970, un éditeur new-yorkais mandate Robert Luczak, un poète-journaliste, pour une mission délicate : retrouver à Calcutta le manuscrit d’un écrivain indien mythique, M. Das, disparu depuis huit ans. Luczak s’envole pour l’Inde avec Amrita, son épouse d’origine indienne, et leur nourrisson Victoria.
Dès son arrivée, il se heurte à une ville labyrinthique et suffocante, où la misère côtoie l’horreur. Un mystérieux intellectuel, M.T. Krishna, s’improvise son guide tandis que ses demandes pour rencontrer Das se heurtent à des refus incompréhensibles. Un témoignage lui révèle que le poète aurait été ressuscité lors d’un rituel des Kapalikas, adorateurs de Kali. Luczak finit par obtenir un rendez-vous avec le poète, qu’il découvre rongé par la lèpre dans un repaire sordide. Peu après, Das se suicide et Luczak se retrouve prisonnier des sectateurs.
L’horreur atteint son paroxysme lorsque sa fille Victoria est kidnappée. Retrouvée morte quelques jours plus tard, elle a été utilisée comme « mule » par des trafiquants de diamants. Dévasté, le couple rentre aux États-Unis. Mais quand Luczak apprend la publication en Inde du « Chant de Kali » attribué à Das, il se persuade de retourner à Calcutta armé d’un revolver.
Autour du livre
Premier roman de Dan Simmons paru en 1985, « Le Chant de Kali » marque l’entrée d’un auteur majeur dans le paysage littéraire. Cette œuvre singulière remporte le World Fantasy Award en 1986, une première historique pour un premier roman dans l’histoire de ce prix prestigieux.
La force du récit tient à son ambiguïté fondamentale : s’inscrit-il dans le registre du fantastique traditionnel ou de l’horreur pure ? La narration maintient savamment cette indécision jusqu’au bout. Chaque événement surnaturel trouve une potentielle explication rationnelle, laissant le lecteur dans un entre-deux caractéristique du fantastique classique. Cette dualité d’interprétation nourrit la tension narrative et pose une question essentielle : le mal émane-t-il de forces cosmiques ancestrales ou des profondeurs de l’âme humaine ?
La ville de Calcutta s’impose comme personnage à part entière, dépeinte dans toute sa complexité sociale et culturelle des années 1970. Dan Simmons situe précisément son intrigue dans un moment historique particulier : la ville subit alors une crise socio-économique majeure, submergée par l’afflux de réfugiés du Bangladesh, paralysée par des grèves massives et minée par des mouvements insurrectionnels.
Les références littéraires abondent, de W.B. Yeats à Rabindranath Tagore, premier lauréat non européen du Prix Nobel de littérature. Cette intertextualité sophistiquée tisse des liens entre poésie et violence, création et destruction. La figure de Kali elle-même incarne cette dualité : déesse de la mort et de la destruction, mais aussi force de renouveau et de préservation dans l’hindouisme – une complexité que le récit tend parfois à simplifier au profit de sa dimension terrifiante.
Les critiques soulignent l’influence lovecraftienne manifeste dans la construction narrative : un intellectuel occidental confronté à des forces qui le dépassent, une narration à la première personne, une montée progressive vers l’horreur. Mais Simmons transcende ces influences pour créer une œuvre personnelle où la terreur naît autant de la confrontation culturelle que du surnaturel.
La structure temporelle surprend par son asymétrie : le cœur du récit se concentre sur quelques jours, avant une ellipse finale vertigineuse couvrant plusieurs années. Cette structure atypique permet d’explorer les séquelles durables du traumatisme et offre une conclusion d’une rare puissance.
Dans « Le Chant de Kali » se dessinent déjà les thèmes qui caractériseront l’œuvre future de Simmons : l’érudition littéraire, la relation père-fille (qui trouvera son apogée dans « Hypérion »), la confrontation entre rationalité occidentale et mystères ancestraux. La maîtrise dont fait preuve Simmons dans ce premier roman laisse présager les chefs-d’œuvre à venir comme « L’Échiquier du mal » ou les « Cantos d’Hypérion ». Considéré comme un classique moderne de l’horreur, il influence toute une génération d’écrivains dans leur approche du genre. Sa capacité à entrelacer horreur viscérale et questionnements métaphysiques en fait une œuvre fondatrice du renouveau du genre dans les années 1980.
Aux éditions POCKET ; 368 pages.