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Ruth Rendell en 5 thrillers – Notre sélection

Ruth Rendell en 5 thrillers – Notre sélection

Ruth Rendell (1930-2015) est l’une des plus grandes figures du roman policier britannique. Née Ruth Barbara Grasemann à Londres dans une famille d’enseignants, elle grandit dans l’Essex et fait ses débuts comme journaliste local avant d’être contrainte de démissionner pour avoir inventé un reportage.

Sa carrière littéraire démarre en 1964 avec « Un amour importun » (From Doon with Death), premier roman mettant en scène l’inspecteur Wexford, personnage qui deviendra récurrent dans son œuvre. Elle développe trois types d’écriture : les enquêtes policières avec Wexford, des romans psychologiques évoquant la psyché des criminels, et à partir de 1986, sous le pseudonyme de Barbara Vine, des récits sur les secrets de famille et leurs conséquences.

Autrice prolifique, elle reçoit de nombreuses distinctions dont plusieurs Gold Dagger Awards et Edgar Awards. Elle est faite Commandeur de l’Empire britannique en 1996 et devient baronne Rendell of Babergh en 1997, siégeant à la Chambre des lords pour le Parti travailliste.

Son œuvre se caractérise par une analyse fine de la psychologie humaine et une attention particulière aux changements sociaux. Plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma et à la télévision, notamment par Claude Chabrol. Elle décède le 2 mai 2015 à Londres des suites d’un accident vasculaire cérébral, laissant derrière elle une œuvre majeure qui a profondément renouvelé le genre policier.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. L’Analphabète (1977)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans une riche demeure de la campagne anglaise des années 1970, les Coverdale mènent une existence paisible. L’arrivée d’Eunice Parchman comme domestique semble une aubaine : discrète, travailleuse, elle s’acquitte parfaitement de ses tâches. Mais dès les premières pages, Ruth Rendell nous annonce qu’Eunice assassinera ses employeurs – et que c’est son analphabétisme qui la poussera au crime. « C’est parce qu’elle ne savait ni lire ni écrire qu’Eunice Parchman tua les Coverdale ».

Le quotidien à Lowfield Hall se déroule d’abord sans heurts apparents. George et Jacqueline Coverdale, ainsi que leurs enfants Giles et Melinda, apprécient cette employée modèle. Pourtant, une anxiété sourde ronge Eunice : à 47 ans, elle dissimule qu’elle ne sait ni lire ni écrire. Dans cette maison où les livres occupent une place centrale, chaque jour se transforme en périlleux exercice de dissimulation. Sa rencontre avec Joan Smith, une épicière déséquilibrée membre d’une secte religieuse, va précipiter le drame.

Autour du livre

Ruth Rendell bouleverse les codes du roman policier avec « L’Analphabète » (1977) en dévoilant dès les premières pages l’identité du meurtrier et son mobile. Une révélation qui transforme radicalement l’expérience de lecture : le suspense ne réside plus dans la découverte du coupable mais dans le cheminement psychologique qui mène à l’acte criminel.

Le récit s’inspire de l’affaire des sœurs Papin, survenue en 1933, tout en s’en démarquant significativement. Là où les sœurs Papin étaient unies par une affection excessive proche de l’homosexualité, Eunice Parchman manipule son amie en lui dissimulant son analphabétisme. Cette transformation du fait divers permet à Rendell d’examiner les mécanismes sociaux et psychologiques qui conduisent au drame.

« L’Analphabète » brille par sa construction implacable qui fait de l’analphabétisme non pas une simple tare sociale mais un élément déterminant de la personnalité d’Eunice. Son incapacité à lire et à écrire a littéralement sculpté sa psyché, atrophiant son imagination et sa capacité d’empathie. Cette impossibilité d’accéder au langage écrit dans une société qui en fait le fondement de toute communication engendre chez elle une paranoïa croissante.

La tension sociale entre les Coverdale, famille cultivée incarnant une bourgeoisie intellectuelle bienveillante mais condescendante, et leur domestique illettrée constitue le terreau du drame. Les tentatives maladroites des Coverdale pour « améliorer » Eunice ne font qu’exacerber son ressentiment. Le choix de faire écouter « Don Giovanni » de Mozart lors de la scène du meurtre n’est pas anodin : l’opéra met en scène la statue du Commandeur, figure de pierre qui précipite Don Juan en enfer, faisant écho à la description d’Eunice comme « une pierre qui respirait ».

La présence de Joan Smith, ancienne prostituée devenue zélatrice d’une secte religieuse, ajoute une dimension supplémentaire à l’étude psychologique. Son fanatisme religieux agit comme un catalyseur qui précipite les événements vers leur conclusion tragique.

« L’Analphabète » occupe aujourd’hui la 39e place au classement des cent meilleurs romans policiers établi par la Crime Writers’ Association et la 89e place selon la Mystery Writers of America. Son adaptation la plus notable reste « La Cérémonie » (1995) de Claude Chabrol, avec Sandrine Bonnaire et Isabelle Huppert. Il s’agit d’ailleurs de l’une des rares adaptations cinématographiques qui ait satisfait Rendell elle-même.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 221 pages.


2. Un enfant pour un autre (1984)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Londres, milieu des années 1980. Benet Archdale élève seule son fils de deux ans, James. Cette romancière à succès reçoit la visite inattendue de sa mère Mopsa, une femme instable qui vit en Espagne et suit un traitement psychiatrique. Adolescente, Benet avait subi une agression au couteau de cette mère déséquilibrée.

Le drame frappe quand le petit James tombe gravement malade et meurt. Pendant que Benet s’enfonce dans le chagrin, sa mère kidnappe Jason, un enfant du même âge maltraité par sa mère Carol dans un quartier populaire. Mopsa l’offre à sa fille comme substitut. D’abord horrifiée, Benet découvre les traces de sévices sur le corps du petit garçon et finit par s’attacher à lui. Elle décide de le garder et de le faire passer pour James.

Cette décision la précipite dans un engrenage périlleux quand Edward, le père de James, comprend la supercherie et commence à faire chanter son ex-compagne. En parallèle se déroule l’histoire de Carol, femme négligente qui martyrise ses enfants, et de son jeune amant Barry, trop faible pour s’opposer à elle.

Autour du livre

Paru en 1984, « Un enfant pour un autre » se démarque dans la bibliographie de Ruth Rendell par sa construction narrative atypique : trois fils conducteurs s’entremêlent avec une précision d’horloger, comme des dominos disposés en rang qui, une fois la première pièce renversée, s’effondrent inexorablement les uns après les autres. Cette mécanique implacable sert de toile de fond à une réflexion sur la maternité et ses multiples visages.

Le titre original, « The Tree of Hands », emprunté à une œuvre d’art dans la salle d’attente de l’hôpital – un collage représentant un arbre couvert de mains en papier – prend une dimension symbolique saisissante. Ces mains, qui semblent « supplier, prier, implorer la délivrance ou l’oubli », incarnent les différentes formes d’amour maternel dépeintes dans le récit : celui de Benet, rationnel et protecteur, celui de Mopsa, déséquilibré mais bien intentionné, et celui de Carol, négligent et abusif.

L’action se déroule dans un Londres des années 1980 marqué par les inégalités sociales. Ruth Rendell dépeint avec acuité le contraste entre les quartiers huppés où vit Benet, romancière à succès, et les logements sociaux où réside Carol. Cette fracture sociale s’accompagne d’une misère culturelle que l’autrice pointe du doigt, rejoignant ainsi les thématiques qu’elle développait déjà dans « L’Analphabète ».

La force du roman réside dans son traitement des questions morales. Que faire quand une action moralement répréhensible – le kidnapping d’un enfant – conduit paradoxalement à une situation plus favorable pour l’enfant en question ? Ruth Rendell refuse les réponses simples et préfère confronter le lecteur à ses propres questionnements éthiques.

Le succès critique ne s’est pas fait attendre : « Un enfant pour un autre » reçoit le prestigieux Silver Dagger Award en 1984 et se voit nominé pour le Prix Edgar-Allan-Poe en 1986. Le roman connaît deux adaptations cinématographiques : une version britannique en 1989 avec Lauren Bacall, et une adaptation franco-canadienne en 2001 sous le titre « Betty Fisher et autres histoires », réalisée par Claude Miller avec Sandrine Kiberlain et Nicole Garcia.

La particularité de ce thriller psychologique tient à son refus des conventions du genre. Point de résolution satisfaisante ou de justice triomphante : le dénouement laisse certains criminels impunis tandis que des innocents paient pour les fautes des autres. Cette ambiguïté morale, servie par une tension psychologique croissante, transforme ce qui aurait pu n’être qu’un simple roman policier en une œuvre qui interroge la nature même de la justice et de l’amour maternel.

Les failles du système administratif britannique des années 1980, notamment l’absence de croisement entre les registres de naissance et de décès, jouent un rôle crucial dans l’intrigue. Ce détail historique ancre solidement le récit dans son époque tout en soulignant la fragilité des structures sociales censées protéger les plus vulnérables. Le roman se démarque également par son traitement de la maladie mentale à travers le personnage de Mopsa. Loin des clichés habituels, sa folie n’est pas utilisée comme une simple explication pratique pour justifier un crime, mais plutôt comme le point de départ d’une réflexion plus large sur la responsabilité et les liens familiaux.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 285 pages.


3. Celle qui savait tout (2014)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En juin 1944, alors que Londres subit les bombardements allemands, un groupe d’enfants trouve refuge dans des tunnels souterrains d’une banlieue verdoyante. Ces galeries deviennent leur terrain de jeu jusqu’à ce que John Winwood, le père de Michael, leur en interdise l’accès après avoir découvert l’infidélité de sa femme. Dans un accès de rage, il assassine les amants et dissimule leurs ossements dans une boîte à biscuits qu’il enterre dans les tunnels.

Sept décennies plus tard, la découverte fortuite de ces restes humains par des ouvriers du bâtiment provoque un séisme dans la vie des anciens enfants. Désormais septuagénaires, ils se retrouvent confrontés aux secrets enfouis de leur jeunesse. Michael s’interroge sur la véritable histoire de sa mère disparue. Lewis se remémore son oncle James, mystérieusement évaporé à la même période.

Autour du livre

Ultime roman publié du vivant de Ruth Rendell, « Celle qui savait tout » (2014) prend le contre-pied des conventions du genre. Dès les premières pages, l’identité du meurtrier et des victimes est dévoilée, privant délibérément le lecteur du suspense traditionnel. Cette subversion des codes s’inscrit dans une réflexion plus vaste sur le vieillissement et les relations humaines.

Le cadre temporel se déploie sur sept décennies, entre la période de la Seconde Guerre mondiale et l’époque contemporaine. Il permet d’examiner l’impact du temps sur une génération d’enfants devenus septuagénaires. Le crime initial – la découverte de mains coupées dans une boîte à biscuits – agit comme un catalyseur qui précipite les retrouvailles d’anciens camarades de jeu.

Les personnages se distinguent par leur complexité psychologique. Rosemary, d’abord présentée comme une épouse conventionnelle et rigide, se métamorphose après l’abandon de son mari en une femme libérée qui découvre ses propres désirs. Michael, marqué par une enfance sans affection, doit affronter son père, figure quasi centenaire qui incarne la persistance du mal. Alan, en quittant Rosemary pour Daphne, son amour de jeunesse, illustre comment la passion peut surgir à tout âge.

Ruth Rendell, elle-même octogénaire au moment de l’écriture, situe l’action à Loughton, dans l’Essex, sa ville natale. Cette proximité biographique confère une authenticité particulière à sa description des tunnels souterrains – les « qanats » – où jouent les enfants. Ces galeries souterraines symbolisent les secrets enfouis qui ressurgissent et bouleversent le présent.

Rendell s’attache moins à résoudre une énigme criminelle qu’à scruter les mécanismes de la mémoire et les choix de vie. Les personnages, confrontés à leur propre mortalité, oscillent entre regrets et nouvelles opportunités. Certains meurent de vieillesse au fil des pages, d’autres découvrent des possibilités inattendues d’épanouissement. Le meurtrier, qui vit confortablement ses derniers jours dans une maison de retraite luxueuse, n’est jamais vraiment inquiété pour ses crimes. Cette impunité soulève la question troublante des actes qui échappent à toute sanction.

Les critiques saluent particulièrement la manière dont Ruth Rendell dépeint le troisième âge, présentant ses personnages comme des êtres capables de passion, de cruauté et de folie amoureuse, loin des stéréotypes habituels des grands-parents bienveillants. Cette vision sans complaisance de la vieillesse constitue l’une des forces majeures du livre.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 416 pages.


4. Une vie si convenable (sous le pseudonyme Barbara Vine, 2012)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Londres, 2011. Grace et son frère Andrew emménagent dans la demeure victorienne dont ils viennent d’hériter. Leur cohabitation harmonieuse vole en éclats quand James, le compagnon d’Andrew, s’installe avec eux. Grace, qui travaille sur une thèse consacrée aux mères célibataires dans la littérature anglaise, trouve refuge dans ses recherches.

Un ami lui confie alors un manuscrit jamais publié datant des années 1920. L’histoire met en scène Maud, 15 ans, qui attend un enfant hors mariage, et son frère John, un enseignant qui cache son homosexualité. Pour éviter le scandale, ils fuient leur famille et s’installent dans le Devon où ils se font passer pour mari et femme. Mais leurs mensonges et les pressions sociales vont peu à peu détruire leur relation.

Le manuscrit occupe la majeure partie du livre, dans un effet de miroir saisissant entre les deux époques. Les thèmes de l’homosexualité et de la maternité hors mariage se font écho à travers le temps, révélant l’évolution – ou parfois l’absence d’évolution – des mentalités.

Autour du livre

Dernier roman publié sous le pseudonyme de Barbara Vine, « Une vie si convenable » marque la fin d’une ère pour Ruth Rendell. Paru en 2012, il s’éloigne des thrillers psychologiques habituels de l’autrice pour proposer une réflexion sur l’évolution des mentalités face à l’homosexualité et aux maternités hors mariage.

La construction singulière du récit repose sur un jeu de miroirs entre deux époques. La partie contemporaine, qui encadre le récit principal, occupe une place relativement modeste – environ un quart du livre. Cette disproportion interpelle de nombreux critiques qui y voient une faiblesse structurelle. Pourtant, ce déséquilibre apparent semble délibéré : le manuscrit fictif de Martin Greenwell constitue le véritable cœur de l’ouvrage, tandis que l’histoire moderne agit comme un contrepoint permettant de mesurer l’évolution – ou parfois l’absence d’évolution – des préjugés sociaux.

Le personnage de Maud incarne cette transformation insidieuse qui mène de la victime au bourreau. D’abord jeune fille vulnérable rejetée par sa famille, elle mue progressivement en une femme aigrie qui reproduit sur sa propre fille les schémas de rejet qu’elle a subis. Sa trajectoire illustre la transmission générationnelle des traumatismes sociaux. Elle devient « un monstre de ressentiment », tout en restant un personnage d’une troublante complexité psychologique.

Les thèmes traités – l’homosexualité masculine et les grossesses hors mariage – s’entrelacent pour questionner la hiérarchie des oppressions sociales. Le débat qui oppose Grace et James sur la question « qui a le plus souffert ? » trouve son prolongement dans le récit historique, où les destins de John et Maud démontrent l’absurdité d’une telle comparaison. La violence sociale s’exerce différemment mais avec une égale brutalité sur ces deux catégories de parias.

Bien que certains critiques déplorent l’absence de suspense caractéristique des précédents ouvrages de Vine/Rendell, « Une vie si convenable » se distingue par son ambition littéraire. Les références aux grands romans victoriens – de George Eliot à Thomas Hardy – ne constituent pas de simples citations : elles tissent un dialogue entre les époques et les œuvres, interrogeant la permanence des mécanismes d’exclusion sociale.

La fin du roman, jugée abrupte par plusieurs lecteurs, résonne comme un écho à l’impossibilité de résoudre complètement ces questions sociétales. Si les situations de Grace et d’Andrew trouvent une forme de résolution, l’histoire de Maud et John reste délibérément en suspens, suggérant que certaines blessures sociales ne cicatrisent jamais totalement.

Ce testament littéraire de Barbara Vine s’inscrit dans la tradition du roman social britannique, tout en modernisant ses codes. L’insertion d’un roman dans le roman permet d’établir un dialogue entre les époques, soulignant tant les progrès accomplis que le chemin restant à parcourir dans l’acceptation des différences.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 432 pages.


5. Les coins obscurs (2015)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

À la mort de son père, Carl Martin hérite d’une maison dans le quartier cossu de Maida Vale à Londres. Jeune romancier désargenté, il loue l’étage supérieur à Dermot McKinnon, premier candidat à se présenter. Dans la salle de bain, Carl trouve une collection de remèdes homéopathiques laissés par son père, notamment des pilules amaigrissantes controversées.

Lorsque son amie Stacey, une actrice en quête de minceur, lui demande de lui vendre ces gélules, Carl accepte sans mesurer les conséquences. Quelques jours plus tard, la jeune femme est retrouvée morte. Dermot, qui a été témoin de la transaction, commence alors à faire chanter Carl. Il refuse de payer son loyer et exerce une pression psychologique grandissante sur son propriétaire. La vie de Carl bascule dans un engrenage infernal.

Autour du livre

« Les coins obscurs » est l’ultime opus de Ruth Rendell, publié à titre posthume en 2015. Cette partition finale s’inscrit dans la lignée de ses œuvres psychologiques.

Le Londres contemporain sert de toile de fond à cette histoire qui se déroule principalement dans le quartier cossu de Maida Vale. La géographie urbaine occupe une place prépondérante à travers les pérégrinations d’un personnage secondaire, Tom, qui parcourt la ville en bus, offrant ainsi une cartographie sociale et spatiale de la capitale britannique. Cette dimension topographique s’entrelace avec les thématiques sociales, notamment la question du logement qui imprègne l’ensemble du récit.

Les personnages se distinguent par leur banalité apparente qui masque des abîmes psychologiques. Carl Martin, le protagoniste principal, incarne cette dualité : jeune écrivain prometteur, il se métamorphose progressivement sous l’effet d’une culpabilité dévorante. La transformation psychologique qui s’opère chez ce personnage ordinaire constitue l’un des points névralgiques du récit. Cette descente aux enfers psychologique s’accompagne d’une addiction croissante à l’alcool, symptôme de sa désagrégation mentale.

La notion d’opportunisme innerve l’ensemble de la narration. Les personnages secondaires – Dermot, Lizzie, la petite amie de Dermot – se révèlent être des calculateurs froids qui savent tirer profit des situations, contrairement à Carl dont les actions semblent toujours dictées par la panique et le désespoir. Cette opposition entre prédateurs sociaux et proies psychologiques structure l’ensemble du récit.

Plusieurs critiques notent que certaines intrigues secondaires, notamment un enlèvement et un attentat à la bombe, ne trouvent pas leur résolution, ce qui crée une impression d’inachèvement. Cette particularité pourrait s’expliquer par le décès de Rendell avant la finalisation complète du manuscrit. Le roman présente ainsi une forme plus épurée que ses œuvres précédentes, avec une narration plus directe et moins sophistiquée dans son architecture.

Mark Lawson, dans The Guardian, qualifie « Les coins obscurs » « d’œuvre mineure » en comparaison avec des titres comme « Simisola » ou « L’été de Trapellune ». Néanmoins, le roman conserve cette capacité propre à Rendell d’insuffler une tension psychologique croissante dans des situations quotidiennes. Ian Rankin souligne notamment le caractère « claustrophobique » du récit et sa capacité à générer une « menace palpable ».

Ce testament littéraire de Ruth Rendell, bien qu’imparfait dans sa construction, demeure fidèle à ses thèmes de prédilection : l’exploration des zones d’ombre de la psyché et la façon dont les circonstances peuvent transformer des individus ordinaires en êtres capables d’actes extraordinaires.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 320 pages.

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