Poul Anderson naît le 25 novembre 1926 à Bristol, en Pennsylvanie, de parents scandinaves – un père suédois et une mère danoise. Peu après sa naissance, sa famille déménage au Texas où elle reste plus de dix ans. À la mort de son père Anton, sa mère emmène les enfants au Danemark. La famille revient aux États-Unis au début de la Seconde Guerre mondiale et s’installe dans une ferme du Minnesota.
Pendant ses études de physique à l’université du Minnesota, Anderson publie sa première nouvelle, « Tomorrow’s Children », en collaboration avec Howard Waldrop, dans le magazine Astounding Science Fiction en mars 1947. Diplômé avec mention en 1948, il choisit de devenir écrivain freelance plutôt que de poursuivre une carrière en physique.
En 1953, il épouse Karen Kruse et s’installe avec elle dans la région de San Francisco. Leur fille Astrid, qui épousera plus tard l’écrivain Greg Bear, naît en 1954. La même année, Anderson publie « L’Épée brisée », l’une de ses œuvres les plus connues.
Membre fondateur de la Society for Creative Anachronism en 1966, Anderson devient président de la Science Fiction and Fantasy Writers of America en 1972. Sa carrière prolifique le voit produire plus d’une centaine de romans et recueils, mêlant science-fiction, fantasy et romans historiques. Son œuvre, nourrie par ses connaissances en physique et son intérêt pour la mythologie scandinave, lui vaut de nombreuses récompenses, dont sept prix Hugo et trois prix Nebula.
Anderson continue d’écrire jusqu’à sa mort le 31 juillet 2001 à Orinda, en Californie, des suites d’un cancer de la prostate. Son influence sur la science-fiction reste considérable, comme en témoigne l’astéroïde 7758 Poulanderson, baptisé en son honneur.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Tau Zéro (roman de science-fiction, 1970)
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Résumé
Au XXIIIe siècle, cinquante scientifiques d’élite embarquent à bord du Leonora Christina pour une mission de colonisation vers Beta Virginis, une étoile située à 32 années-lumière de la Terre. Grâce à son moteur Bussard qui collecte l’hydrogène de l’espace comme carburant, le vaisseau peut atteindre des vitesses proches de celle de la lumière. Pour l’équipage, le trajet ne durera que 5 ans, mais sur Terre 33 années s’écouleront – un effet de la relativité mesuré par le facteur Tau qui tend vers zéro quand la vitesse augmente.
La traversée d’une minuscule nébuleuse endommage irrémédiablement le système de décélération. Impossible désormais de ralentir, le vaisseau continue d’accélérer indéfiniment. Charles Reymont, le responsable de la sécurité à bord, s’efforce de maintenir le moral et la cohésion du groupe face à cette situation désespérée. Tandis que des années-lumière défilent en quelques heures subjectives, l’équipage assiste impuissant au vieillissement accéléré de l’univers.
Autour du livre
Publié en 1970, « Tau Zero » est considéré comme l’un des sommets de la hard science-fiction, alliant rigueur scientifique et vertige métaphysique. James Blish l’a qualifié de « récit de science-fiction ultime ». Le roman transpose dans l’espace le poème « Aniara » du Prix Nobel suédois Harry Martinson, tout en s’appuyant sur des théories physiques solides comme la relativité d’Einstein.
Nominé pour le prix Hugo en 1971, « Tau Zero » n’a été traduit en français qu’en 2012, quarante-deux ans après sa parution américaine. Cette longue attente s’explique en partie par le contexte politique des années 1970 : les idées conservatrices prêtées à Anderson l’ont éloigné des éditeurs français de l’époque. L’astrophysicien Roland Lehoucq souligne dans sa postface l’exactitude remarquable des concepts scientifiques mobilisés, malgré quelques erreurs mineures.
Aux éditions POCKET ; 352 pages.
2. La patrouille du temps (recueil de nouvelles de science-fiction, 1960)
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Résumé
Dans les années 1950, Manse Everard, ingénieur américain vétéran de la Seconde Guerre mondiale, répond à une mystérieuse offre d’emploi qui le conduit à intégrer la Patrouille du temps. Cette organisation secrète, créée par les Danelliens – lointains descendants de l’humanité vivant un million d’années dans le futur – a pour mission de préserver le cours de l’Histoire. Équipé d’un pistolet paralyseur et d’un « saute-temps » antigravitationnel, Everard parcourt différentes époques pour empêcher que des voyageurs temporels malintentionnés ne modifient le passé et ne menacent ainsi l’existence même des Danelliens. Le recueil suit les missions d’Everard à travers cinq nouvelles indépendantes.
Dans « La Patrouille du temps », Manse Everard est recruté par une mystérieuse organisation et découvre qu’il s’agit d’une police temporelle créée par les Danelliens, descendants futurs de l’humanité. Après sa formation, sa première mission l’envoie dans l’Angleterre du Ve siècle où il doit traquer un voyageur temporel qui tente de créer un empire capable de rivaliser avec Rome. Ce criminel idéaliste pense pouvoir améliorer l’avenir de l’humanité en modifiant le passé.
Dans « Le Grand Roi », Everard part à la recherche de son collègue Keith Denison, disparu lors d’une mission dans la Perse antique. Il découvre que Denison, capturé à son arrivée au VIe siècle av. J.-C., a été forcé par le chiliarque Harpage à prendre l’identité de Cyrus II, le fondateur de l’empire perse. Devenu véritablement roi, Denison ne peut plus quitter cette époque sans modifier l’Histoire qui a déjà enregistré ses exploits et sa mort future.
« Les Chutes de Gibraltar » se déroule cinq millions d’années dans le passé, à la jonction du Miocène et du Pliocène. La Patrouille y étudie la formation du détroit de Gibraltar. Une agente, Feliz a Rach, chute dans la gigantesque cataracte créée par le déversement de l’océan Atlantique dans la future Méditerranée. Son assistant Thomas Nomura, secrètement amoureux d’elle, tente de la sauver avec l’aide d’Everard.
Dans « Échec aux Mongols », Everard et son collègue John Sandoval sont envoyés au XIIIe siècle pour empêcher une expédition mongole et chinoise de découvrir l’Amérique 200 ans avant Christophe Colomb. L’expédition, commandée par Toktai et accompagnée du savant Li Tai-Tsung, a déjà atteint l’embouchure du Columbia. Les deux agents doivent saboter cette découverte prématurée qui modifierait radicalement l’Histoire.
Dans « L’Autre Univers », de retour d’une mission de routine, Everard et son partenaire Van Sarawak se retrouvent dans un présent radicalement différent : New York est devenue Catuvellaunan, les Celtes dominent l’Amérique du Nord, et l’Europe n’a jamais connu le christianisme. Ils découvrent que Carthage a vaincu Rome dans le passé, créant une ligne temporelle alternative. Les deux agents doivent retrouver le point de divergence pour restaurer leur réalité.
Autour du livre
Publié initialement en 1960 sous le titre « Guardians of Time », ce recueil inaugure l’une des séries les plus emblématiques du sous-genre du « time opera ». Anderson y développe une conception originale du temps comme une trame élastique qui tend naturellement à retrouver son cours, hormis en certains points nodaux critiques. Cette approche lui permet d’éviter les habituels paradoxes temporels tout en questionnant la légitimité morale des interventions de la Patrouille.
Les nouvelles soulèvent des interrogations profondes sur le déterminisme historique et le libre arbitre. La dernière nouvelle en particulier, « L’Autre Univers », constitue l’une des premières uchronies majeures de la science-fiction, ouvrant la voie à tout un pan du genre. Ce premier volume sera suivi de nombreux autres textes jusqu’en 1995, l’ensemble formant l’un des cycles les plus influents de la science-fiction du XXe siècle.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 288 pages.
3. L’Épée brisée (roman de fantasy, 1954)
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Résumé
Dans l’Angleterre du début du second millénaire, le viking Orm le Fort s’établit sur de nouvelles terres après avoir massacré leurs occupants. Une sorcière saxonne, seule survivante du carnage, maudit sa descendance. Lorsque naît son premier fils, le duc des elfes Imric, alerté par la sorcière, enlève le nourrisson et le remplace par un changelin créé à partir d’une prisonnière troll. L’enfant humain, nommé Skafloc, grandit parmi les elfes tandis que son double maléfique, Valgard, est élevé comme le fils d’Orm.
Les années passent et Valgard, devenu un guerrier brutal, découvre ses véritables origines. Consumé par la rage, il massacre sa famille adoptive, excepté sa sœur Freda qu’il enlève. Skafloc la sauve et tombe éperdument amoureux d’elle, ignorant leur lien de parenté. Leur idylle tragique se déroule sur fond de guerre entre elfes et trolls, conflit dans lequel Skafloc joue un rôle crucial grâce à une épée mythique brisée par Thor lui-même, dont la reconstitution pourrait avoir des conséquences apocalyptiques.
Autour du livre
Publié en 1954, la même année que « La Communauté de l’Anneau », « L’Épée brisée » offre une vision radicalement différente de la fantasy médiévale. Là où Tolkien crée un univers épique empreint d’espoir, Anderson plonge dans les ténèbres de la mythologie nordique, entre violence barbare et passions destructrices. Les elfes, loin d’être des créatures nobles et bienveillantes, se révèlent manipulateurs et cruels.
L’œuvre n’a été traduite en français qu’en 2014, victime d’un ostracisme politique : les prises de position pro-américaines d’Anderson pendant la guerre du Vietnam lui ont valu d’être boycotté par les éditeurs français. Michael Moorcock, qui reconnaît l’influence majeure de ce roman sur son « cycle d’Elric », le considère comme l’un des textes fondateurs d’une fantasy plus sombre, plus réaliste, ouvrant la voie à des auteurs comme China Miéville ou Philip Pullman.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 384 pages.
4. Trois cœurs, trois lions (roman de fantasy historique, 1961)
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Résumé
En 1943, Holger Carlsen, un ingénieur danois installé aux États-Unis, retourne dans son pays natal pour rejoindre la Résistance contre l’occupation nazie. Lors d’une opération visant à exfiltrer un scientifique important, il se retrouve sous le feu ennemi sur une plage. Blessé dans l’affrontement, il perd connaissance et se réveille nu dans un monde médiéval parallèle où coexistent créatures légendaires et magie. À ses côtés l’attendent un cheval et un équipement de chevalier comprenant un bouclier orné de trois cœurs et trois lions. Dans sa quête pour comprendre ce qui lui arrive et retourner dans son monde, il est rejoint par Alianora, une jeune femme capable de se transformer en cygne, et Hugi, un nain.
Rapidement, Holger découvre que ce monde est le théâtre d’un conflit ancestral entre les forces de la Loi, incarnées par les humains, et celles du Chaos, représentées par les créatures magiques du « Monde du Milieu ». Son arrivée n’est pas fortuite : il serait en réalité Ogier le Danois, un champion légendaire de la Loi, et son retour marquerait l’imminence d’une bataille décisive entre ces deux puissances.
Autour du livre
Publié initialement sous forme de nouvelle en 1953 puis développé en roman en 1961, « Trois cœurs, trois lions » conjugue avec brio plusieurs traditions littéraires : les chansons de geste carolingiennes, les légendes arthuriennes et la mythologie nordique. La particularité du récit réside dans l’approche rationnelle qu’adopte le protagoniste face aux phénomènes magiques, utilisant ses connaissances en physique et en ingénierie pour appréhender ce monde fantastique.
Cette œuvre pionnière a durablement marqué la fantasy. Son système d’opposition entre Loi et Chaos a servi de matrice au « cycle d’Elric » de Michael Moorcock. Le jeu de rôle « Donjons & Dragons » lui a emprunté plusieurs concepts clés : les alignements moraux, l’archétype du paladin et certains monstres emblématiques comme les trolls régénérants. La nouvelle originale a d’ailleurs été nommée pour le prix Hugo rétrospectif, soulignant son statut d’œuvre fondatrice.
Aux éditions FOLIO ; 384 pages.