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Jules Barbey d’Aurevilly en 6 livres – Notre sélection

Jules Barbey d’Aurevilly naît le 2 novembre 1808 à Saint-Sauveur-le-Vicomte, dans la Manche, au sein d’une famille normande catholique contre-révolutionnaire. Aîné d’une fratrie de quatre enfants, il grandit entre une mère distante et un père austère. Il fait ses études au collège de Valognes puis à Paris, au collège Stanislas, où il se lie d’amitié avec Maurice de Guérin.

Dans les années 1830, il s’installe à Paris et commence à écrire ses premières œuvres tout en menant une vie de dandy. La mort de son ami Maurice de Guérin en 1839 le bouleverse profondément. Il publie plusieurs ouvrages dont « Du dandysme et de George Brummell » (1845) qui connaît un succès dans les salons parisiens.

Vers 1846, Barbey d’Aurevilly revient au catholicisme et développe des positions monarchistes intransigeantes. Il écrit alors ses œuvres majeures : « Une vieille maîtresse » (1851), « L’Ensorcelée » (1852), « Le Chevalier des Touches » (1864) et « Un prêtre marié » (1865). En 1874, il publie « Les Diaboliques », recueil de nouvelles qui fait scandale et est temporairement retiré de la vente.

Parallèlement à son œuvre romanesque, il mène une intense activité de critique littéraire, n’hésitant pas à s’attaquer aux plus grands noms de son époque. Dans ses dernières années, il devient une figure respectée des cercles littéraires, particulièrement admiré par la jeune génération symboliste et décadente. Il s’éteint le 23 avril 1889 à Paris, dans son appartement de la rue Rousselet, après avoir marqué la vie littéraire française de la seconde moitié du XIXe siècle par son style flamboyant et ses positions intransigeantes.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. Une vieille maîtresse (roman, 1851)

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Résumé

Paris, 1851. Ryno de Marigny, séduisant dandy aux nombreuses conquêtes, s’apprête à épouser la pure et belle Hermangarde de Polastron. Pour convaincre la marquise de Flers, grand-mère et tutrice de la jeune femme, de sa sincérité, il lui confie son passé tumultueux avec Vellini, une Espagnole au physique ingrat qui fut sa maîtresse pendant dix ans. Cette liaison intense, scellée dans un pacte de sang, semble désormais révolue. La marquise, touchée par sa franchise, consent au mariage. Le couple part vivre en Normandie, dans le manoir de Carteret. Mais Vellini, persuadée que Ryno lui reviendra, s’installe dans les environs. Malgré son amour pour Hermangarde, Ryno succombe de nouveau à l’emprise de son ancienne maîtresse. Leur passion reprend, dévastatrice, tandis qu’Hermangarde, brisée par cette trahison, se mure dans une douloureuse résignation.

Autour du livre

Publié en 1851, « Une vieille maîtresse » provoque immédiatement le scandale. Cette histoire d’adultère et de passion dévorante choque la société de l’époque, particulièrement venant d’un auteur revendiquant son catholicisme. Théophile Gautier salue pourtant dans ce premier grand roman de Barbey d’Aurevilly une œuvre d’une puissance comparable à celle de Balzac.

Le personnage de Vellini incarne une figure de sorcière moderne aux multiples facettes. Son pouvoir de séduction inexplicable, ses origines troubles – fille illégitime d’une duchesse espagnole et d’un toréador – et ses pratiques rituelles comme le pacte de sang en font une créature démoniaque. Son physique même trahit cette nature : yeux noirs « vampires », corps serpentin, gestuelle féline. Les narrateurs successifs s’épuisent à tenter de cerner cette femme insaisissable qui échappe à toute catégorie.

L’opposition entre Vellini et Hermangarde structure le récit : d’un côté la passion charnelle, destructrice mais irrésistible, de l’autre l’amour pur et légitime. Mais cette dualité apparente se révèle plus complexe. Vellini n’est pas simplement maléfique – elle éprouve une véritable compassion pour sa rivale. Quant à la pure Hermangarde, son idolâtrie pour Ryno et son refus du pardon la rendent partiellement responsable de son malheur.

Le roman se déroule entre les salons parisiens et les côtes sauvages du Cotentin natal de Barbey d’Aurevilly. Cette Normandie battue par les vents devient le théâtre idéal des passions déchaînées, avec ses légendes et ses lieux emblématiques comme le « Tombeau du Diable » où se retrouvent les amants.

Écrit entre 1845 et 1848, le roman reflète les préoccupations de son époque : l’attrait pour l’irrationnel et le surnaturel propre au romantisme tardif, mais aussi une réflexion sur la nature du désir et ses liens avec le sacré. La construction narrative sophistiquée, alternant différents points de vue et temporalités, annonce déjà les innovations du roman moderne.

Catherine Breillat adapte le roman au cinéma en 2007 avec Asia Argento dans le rôle de Vellini. Si son interprétation met l’accent sur la dimension sensuelle de l’œuvre, elle peine à rendre la complexité théologique du texte original où la passion amoureuse prend la forme d’une véritable possession démoniaque.

Aux éditions FOLIO ; 544 pages.


2. L’Ensorcelée (roman, 1852)

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Résumé

Par une nuit d’automne, un voyageur traverse la lande de Lessay, en Normandie, accompagné de maître Tainnebouy. Le son d’une cloche mystérieuse incite ce dernier à narrer l’histoire de l’abbé de la Croix-Jugan. Ce prêtre chouan, après une défaite face aux républicains, tente de se suicider en se tirant une balle dans le visage. Survivant mais horriblement défiguré, il réapparaît quelques années plus tard à l’église de Blanchelande, le visage dissimulé sous un capuchon noir. Jeanne le Hardouey, une aristocrate mariée à un acquéreur de biens nationaux, succombe à une inexplicable fascination pour cet être énigmatique. Victime d’un sortilège jeté par un berger ou simplement consumée par une passion dévorante, elle finit noyée dans un lavoir. L’abbé sera à son tour assassiné d’une balle en pleine messe de Pâques, et la légende raconte qu’il continue depuis lors à célébrer chaque nuit cette messe inachevée.

Autour du livre

« L’Ensorcelée », paru en feuilleton en 1852 puis en volume en 1854, marque le retour de Barbey d’Aurevilly à ses racines normandes et à la foi catholique. Premier volet d’un cycle romanesque ambitieux intitulé « Ouest », ce récit mêle avec brio chronique historique et dimension fantastique.

Cette histoire sombre se déroule dans une Normandie superstitieuse où la guerre civile a laissé des plaies béantes. La lande de Lessay, terre désolée propice aux apparitions, devient le théâtre d’une tragédie où se mêlent passions interdites et sorcellerie. Baudelaire ne s’y trompe pas quand il déclare : « Je viens de relire ce livre qui m’a paru encore plus chef-d’œuvre que la première fois. »

La structure narrative multiplie les points de vue et les récits enchâssés, créant une troublante ambiguïté entre réalité et surnaturel. Le patois normand, savamment distillé, renforce l’authenticité du récit : « La poésie pour moi n’existe qu’au fin fond de la réalité et la réalité parle patois », affirme l’auteur.

Les personnages incarnent les contradictions d’une époque bouleversée. L’abbé de la Croix-Jugan, « ce chêne humain, dévasté par les balles à la cime », représente l’orgueil aristocratique blessé mais indomptable. Jeanne le Hardouey symbolise le déchirement entre deux mondes, tandis que la Clotte incarne une noblesse déchue mais fière.

L’ambition de Barbey était de « faire du Shakespeare dans un fossé du Cotentin ». Il réussit à créer une œuvre puissante où la violence des passions se mêle aux croyances populaires, où le fantastique surgit des tensions sociales et politiques. Les scènes marquantes – comme le lynchage de la Clotte ou l’assassinat de l’abbé – atteignent une dimension quasi mythologique.

La dimension politique transparaît à travers le prisme du fantastique : le combat perdu des Chouans devient une méditation sur l’impossibilité de restaurer un ordre ancien. Les bergers-sorciers, figures marginales et inquiétantes, représentent une forme de résistance primitive aux bouleversements sociaux.

« L’Ensorcelée » connut une adaptation télévisuelle en 1981, preuve de sa force dramatique intacte. Jean Prat y dirigea Jean-Luc Boutté et Julie Philippe, tentant de transposer à l’écran cette atmosphère si particulière où le réel et le surnaturel s’entremêlent inextricablement.

Aux éditions FOLIO ; 320 pages.


3. Le Chevalier des Touches (roman, 1864)

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Résumé

Dans une petite ville de Normandie sous la Restauration, six personnages se rassemblent un soir d’hiver : l’abbé de Percy, sa sœur Barbe, le baron de Fierdrap, les demoiselles de Touffedelys et la belle Aimée de Spens, devenue sourde. L’abbé annonce avoir croisé le chevalier des Touches, héros de la chouannerie que chacun pensait mort. Barbe narre alors l’histoire de cet être androgyne d’une beauté troublante : en 1799, douze chouans mènent deux expéditions pour le délivrer des prisons républicaines. Des Touches, sauvé au prix de la mort de Monsieur Jacques, exerce une vengeance sanglante sur son dénonciateur avant de sombrer dans la folie. Le narrateur le rencontre plus tard à l’asile et découvre comment Aimée sacrifia sa pudeur pour le sauver.

Autour du livre

« Le Chevalier des Touches », publié en 1864 mais conçu dès 1849, s’inscrit dans une lignée de romans historiques consacrés à la chouannerie normande. Barbey d’Aurevilly y retranscrit un épisode mineur de l’histoire, tiré de la vie réelle de Jacques Destouches, mais le transforme considérablement. Le romancier magnifie son personnage tout en le démolissant, créant un héros complexe et ambigu qui n’a plus rien du simple courrier qu’il fut historiquement.

La structure narrative adopte une mise en abyme : le récit-cadre met en scène des survivants d’un monde révolu qui évoquent leur jeunesse perdue, tandis que le récit enchâssé relate leurs exploits passés. Cette construction permet à Barbey d’Aurevilly de confronter deux temporalités : celle, héroïque, de 1799, et celle, crépusculaire, de la Restauration.

Les références à l’Antiquité jalonnent le texte, mais subissent un traitement particulier : l’épique se dégrade en héroï-comique, le merveilleux en superstition. Les douze chouans rappellent tantôt les chevaliers de la Table ronde, tantôt les apôtres du Christ, mais leur geste glorieuse s’achève dans la cruauté et l’inutilité. Des Touches lui-même, surnommé « la Belle Hélène », incarne cette ambivalence : sa beauté androgyne et sa force surhumaine en font une figure mythologique, mais sa vengeance le rapproche davantage de Némésis que d’un héros chrétien.

Barbey d’Aurevilly questionne également les genres littéraires : ni tout à fait épopée, ni simple roman historique, il mêle les registres et les traditions. L’influence revendiquée de Walter Scott se teinte d’originalité, Barbey d’Aurevilly refusant l’imitation servile. La référence à Fielding permet de comprendre comment le grotesque peut coexister avec le sublime sans nuire au réalisme.

Le contexte d’écriture éclaire certains aspects de l’œuvre : dédié à son père après vingt ans de rupture, « Le Chevalier des Touches » porte la trace de cette crise familiale. Le traitement ambigu de l’héroïsme chouan reflète peut-être aussi les doutes de Barbey sur le légitimisme dans une société moderne qu’il juge incompréhensible.

La dimension chrétienne se mêle aux références païennes, créant ce que Barbey d’Aurevilly compare à un « airain de Corinthe ». Cette fusion des métaux précieux que sont la mythologie et le christianisme fait du roman le témoin d’une Europe traditionnelle en voie de disparition.

Aux éditions FOLIO ; 288 pages.


4. Un prêtre marié (roman, 1865)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans la Normandie du début du XIXe siècle, Jean Sombreval, ancien prêtre devenu athée durant la Révolution française, revient s’installer avec sa fille Calixte dans son village natal. Il achète le château du Quesnay, provoquant l’indignation de la population locale qui voit d’un très mauvais œil le retour de cet apostat. Scientifique passionné de chimie, Sombreval consacre ses recherches à tenter de guérir sa fille, atteinte d’une mystérieuse maladie nerveuse. Calixte, marquée depuis sa naissance d’une croix sur le front, est secrètement entrée dans l’ordre du Carmel pour racheter par ses souffrances le péché de son père. Un jeune aristocrate, Néel de Néhou, tombe éperdument amoureux d’elle mais se heurte à son inflexible vocation religieuse. La population locale, scandalisée par la présence de ce prêtre renégat, propage des rumeurs d’inceste qui précipitent le destin tragique des protagonistes.

Autour du livre

Barbey d’Aurevilly met dix ans à achever « Un prêtre marié », commencé en 1855 sous le titre « Le Château des Soufflets ». Cette longue gestation aboutit en 1865 à une œuvre dense qui dépasse largement le cadre du roman régionaliste auquel on l’a parfois réduite. Si la Normandie y tient une place prépondérante, elle ne constitue pas un simple décor pittoresque : les villages de Blanchelande et du Quesnay ne sont que très peu décrits, comme vidés de leur substance. La province s’y révèle étrangement inconsistante, uniquement peuplée de voix hostiles et de rumeurs malveillantes.

Le roman s’articule autour de l’opposition entre science et foi, incarnée par le conflit entre Sombreval, scientifique athée, et sa fille mystique. Calixte représente la figure du martyr chrétien, sa beauté « nitescente mais toujours d’une pâleur albâtréenne et sépulcrale » évoquant celle d’une sainte. Face à elle, Sombreval apparaît comme une figure satanique, comparé à un « orang-outan » travaillant dans son laboratoire tel un alchimiste démoniaque.

La rumeur joue un rôle central dans le récit. Elle ne se contente pas de colporter des ragots : elle déforme systématiquement la réalité, transformant par exemple une potion tonique en « sang » bu par Sombreval. Cette parole collective malveillante finit par acquérir une force destructrice autonome que même la mort de ses propagateurs ne peut arrêter.

Barbey d’Aurevilly y propose une réflexion sur la transmission du péché et la possibilité de la rédemption. La croix que porte Calixte sur le front symbolise cette transmission de la faute paternelle, tandis que ses souffrances volontaires illustrent la doctrine catholique de l’expiation. L’œuvre s’inscrit ainsi dans une tradition du roman catholique dont Léon Bloy saluera la profondeur théologique.

L’atmosphère surnaturelle qui imprègne le récit naît moins d’événements explicitement fantastiques que d’une tension permanente entre le rationnel et l’irrationnel, entre les explications scientifiques de Sombreval et les interprétations superstitieuses des villageois. La scène finale de l’agonie de Calixte, avec sa communion miraculeuse, marque l’apothéose de cette dimension mystique.

Aux éditions FLAMMARION ; 473 pages.


5. Une histoire sans nom (roman, 1882)

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Résumé

À la fin du XVIIIe siècle, dans une petite bourgade des Cévennes, la baronne Jacqueline de Ferjol vit recluse avec sa fille Lasthénie dans une demeure austère. Veuve inconsolable d’un baron passionnément aimé, elle élève sa fille dans une atmosphère étouffante de dévotion rigide. Leur quotidien monotone se trouve bouleversé par l’arrivée d’un prédicateur itinérant, le Père Riculf, venu prêcher le Carême. Le moine disparaît mystérieusement peu après, mais Lasthénie commence à dépérir. La mère découvre avec horreur que sa fille est enceinte. Face au mutisme obstiné de Lasthénie qui ne peut ou ne veut révéler l’identité du père, la baronne la harcèle de questions jusqu’à la pousser au suicide. Ce n’est que vingt-cinq ans plus tard que Mme de Ferjol apprend la terrible vérité : sa fille avait été violée durant son sommeil par le Père Riculf.

Autour du livre

Publié en 1882, « Une histoire sans nom » est l’une des dernières œuvres de Jules Barbey d’Aurevilly. À plus de 70 ans, l’écrivain normand y déploie sa maîtrise du roman noir et du suspense psychologique. Le titre même de l’œuvre résonne comme une prétérition : cette histoire qui se veut sans nom en porte pourtant un, suggérant d’emblée le jeu complexe entre le dit et le non-dit qui structure tout le récit.

La narration s’inscrit dans la veine gothique chère à l’auteur, avec son décor oppressant de montagnes qui écrasent la petite ville « comme un cercle de Fées-Géantes debout ». Le manoir des Ferjol, comparé à une chouette ou une chauve-souris, incarne cette atmosphère funèbre. Les oppositions chromatiques – le noir du deuil maternel contre la pâleur maladive de la fille – renforcent la tension dramatique.

L’œuvre cristallise les thèmes de prédilection de Barbey d’Aurevilly : la passion dévorante, le crime, le surnaturel, le satanisme. La relation mère-fille, au cœur du drame, révèle une dynamique mortifère typique de l’univers aurevillien. Jacqueline de Ferjol, « plus épouse que mère », reporte sur sa fille une passion conjugale inextinguible, la transformant en objet de projection malsaine.

Le personnage de Riculf s’inscrit dans la lignée des religieux dévoyés qui hantent la littérature du XIXe siècle, de l’archidiacre Claude Frollo de Hugo à l’abbé Faujas de Zola. Son nom même constitue l’anagramme de Lucifer, illustrant la subtilité des jeux onomastiques chers à Barbey.

Le syndrome de Lasthénie de Ferjol, terme médical désignant une anémie auto-infligée, tire son nom de l’héroïne, preuve de l’impact durable de cette figure de victime sacrificielle. Le roman interroge les mécanismes de la culpabilité et de l’expiation, thèmes centraux de la pensée maistrienne qui influença profondément Barbey.

La dimension historique ne peut être négligée : l’action se déroule à la veille de la Révolution française, période charnière qui, pour l’auteur légitimiste, marque la fin d’un monde. Le drame intime des Ferjol fait écho au bouleversement social et politique qui s’annonce, dans une France sur le point de perdre ses repères traditionnels.

Aux éditions FLAMMARION ; 192 pages.


6. Les Diaboliques (recueil de nouvelles, 1874)

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Résumé

Dans ce recueil de six nouvelles publié en 1874, Jules Barbey d’Aurevilly brosse le portrait de femmes énigmatiques qui se livrent à des actes de passion, de vengeance ou de crime.

« Le Rideau cramoisi ». Le vicomte de Brassard, lors d’un voyage en diligence, relate une histoire de sa jeunesse à son compagnon de route. Jeune sous-lieutenant logé chez un couple de bourgeois, il s’éprend de leur fille Alberte, revenue du pensionnat. D’apparence froide et impassible le jour, la jeune femme se glisse la nuit dans sa chambre durant six mois, traversant celle de ses parents endormis. Un soir, elle meurt subitement dans les bras de son amant qui, sur les conseils de son colonel, s’enfuit sans jamais connaître la vérité sur ce drame.

« Le Plus Bel Amour de Don Juan ». Lors d’un souper donné par douze de ses anciennes maîtresses, le comte Ravila de Ravilès raconte sa plus belle histoire d’amour. Valentine, la fille de treize ans d’une de ses conquêtes, tombe éperdument amoureuse de lui. Persuadée d’être enceinte pour s’être assise dans un fauteuil qu’il venait de quitter, elle en meurt de honte et de désespoir.

« Le Bonheur dans le crime ». Le docteur Torty narre l’histoire d’Hauteclaire Stassin, fille d’un maître d’armes, qui devient la maîtresse du comte de Savigny. Elle se fait engager comme femme de chambre auprès de son épouse Delphine et l’empoisonne méthodiquement. Une fois veuf, le comte épouse Hauteclaire. Le couple vit depuis dans un bonheur absolu, sans le moindre remords.

« Le Dessous de cartes d’une partie de whist ». Dans une petite ville normande, un mystérieux joueur de whist écossais, Marmor de Karkoël, entretient une relation secrète avec la comtesse de Stasseville et peut-être sa fille. Après leur mort, on découvre dans une jardinière du salon le cadavre d’un enfant. L’identité de la mère et les circonstances du drame resteront à jamais inexpliquées.

« À un dîner d’athées ». Lors d’un dîner réunissant d’anciens militaires athées, Mesnilgrand explique sa présence à l’église. Il raconte sa liaison avec Rosalba, surnommée « La Pudica », maîtresse de son supérieur. À la mort de leur enfant, le major, fou de douleur, embaume son cœur. Découvrant l’infidélité de Rosalba, il jette le cœur au visage de sa maîtresse avant de la torturer. Mesnilgrand le tue et confie le cœur à un prêtre.

« La Vengeance d’une femme ». La duchesse de Sierra Leone, dont l’amant a été assassiné par son mari qui a fait dévorer son cœur par des chiens, est désormais une prostituée des bas-fonds parisiens. Elle raconte son histoire à tous ses clients pour salir l’honneur de son époux, jusqu’à mourir de maladies vénériennes. Sur sa tombe, elle fait graver ses titres de noblesse suivis de la mention « fille repentie », dernier acte de sa vengeance.

Autour du livre

Initialement intitulé « Ricochets de conversation », ce recueil aura nécessité vingt-trois années d’écriture avant sa parution chez l’éditeur Dentu. « Le Dessous de cartes d’une partie de whist » paraît en feuilleton dès 1850, après avoir été refusé par la Revue des deux Mondes. Barbey achève l’ensemble en 1873, retiré en Normandie après les événements de la Commune.

Le scandale éclate dès la publication : accusé d’atteinte à la morale publique, le Parquet de Paris fait saisir près de 500 exemplaires encore en fabrication. Seule l’intervention de Gambetta évite le procès. Le succès est pourtant immédiat – les 2200 exemplaires s’épuisent en quatre jours. Une nouvelle édition ne verra le jour qu’en 1882 chez Lemerre, accompagnée des illustrations sulfureuses de Félicien Rops.

Fervent catholique, Barbey d’Aurevilly affirme dans sa préface vouloir susciter l’horreur du vice à travers ces récits qu’il présente comme véridiques. Cette ambition moralisatrice contraste avec la jouissance manifeste qu’il prend à décrire le Mal sous toutes ses formes. Son écriture oscille entre condamnation et fascination pour ces femmes aux multiples visages – tour à tour manipulatrices, perfides, vengeresses ou criminelles.

La structure narrative fait preuve d’une grande sophistication : chaque nouvelle, hormis « La Vengeance d’une femme », repose sur un système d’enchâssements où un narrateur rapporte une histoire qu’on lui a contée. Cette mise à distance permet de maintenir le mystère autour des protagonistes féminines, dont les pensées demeurent inaccessibles au lecteur. Les chutes abruptes laissent souvent les énigmes irrésolues.

L’héritage de ce recueil s’avère considérable. En hommage à Barbey d’Aurevilly, Jean de La Varende compose deux nouvelles supplémentaires (la VIIe « Diabolique » et la VIIIe « Diabolique ») dans son roman « L’Homme aux gants de toile ». Plusieurs adaptations voient le jour : « Le Rideau cramoisi » d’Alexandre Astruc en 1953 avec Anouk Aimée, « Hauteclaire » pour la télévision en 1961 avec Michel Piccoli. Plus récemment, la bande dessinée s’en empare avec l’adaptation de « La Vengeance d’une femme » par Lilao en 2009.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 416 pages.

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