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Joan Didion en 6 livres – Notre sélection

Joan Didion en 6 livres – Notre sélection

Joan Didion naît le 5 décembre 1934 à Sacramento, en Californie. Enfant timide et studieuse, elle développe très tôt une passion pour l’écriture. Elle s’exerçe notamment à recopier les phrases d’Ernest Hemingway pour en comprendre la structure. Après des études de littérature à l’université de Berkeley, elle remporte un concours d’essais organisé par le magazine Vogue, qui lui ouvre les portes d’une carrière à New York. Elle y travaille comme rédactrice de 1956 à 1964.

En 1964, elle épouse l’écrivain John Gregory Dunne avec qui elle forme un duo créatif prolifique. Le couple s’installe à Los Angeles et adopte une fille, Quintana Roo, en 1966. Ils écrivent ensemble plusieurs scénarios pour Hollywood, dont « Panique à Needle Park » et « Une étoile est née ». Parallèlement, Didion se forge une réputation d’observatrice aiguë de la société américaine, documentant notamment la contre-culture hippie dans des articles pour de grands magazines.

Sa carrière prend un tournant tragique au début des années 2000. Son mari meurt d’une crise cardiaque en 2003, et sa fille Quintana décède en 2005. De ces épreuves naît « L’Année de la pensée magique » (2005), ouvrage bouleversant qui lui vaut le National Book Award. En 2011, elle poursuit cette évocation du deuil avec « Le Bleu de la nuit ».

Reconnue comme l’une des pionnières du Nouveau Journalisme aux côtés de Tom Wolfe et Truman Capote, Didion développe un style d’écriture atypique, accordant autant d’importance à la structure de la phrase qu’à son contenu. Elle meurt le 23 décembre 2021 à Manhattan, des suites de la maladie de Parkinson, laissant derrière elle une œuvre influente qui croise journalisme, roman et mémoires.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. L’Année de la pensée magique (récit autobiographique, 2005)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En décembre 2003, Joan Didion voit sa vie basculer en l’espace de quelques jours. Sa fille unique Quintana, récemment mariée, est hospitalisée à New York pour ce qui semble d’abord être une sévère grippe. L’état de la jeune femme s’aggrave brutalement : la pneumonie se double d’un choc septique qui nécessite son placement en coma artificiel sous assistance respiratoire. Le 30 décembre, après une énième visite à leur fille inconsciente, Joan et son mari John Gregory Dunne rentrent dans leur appartement de l’Upper East Side. Pendant qu’elle prépare le dîner, John, installé dans le salon, s’arrête soudain de parler au milieu d’une phrase. Il s’effondre, terrassé par une crise cardiaque foudroyante. Les secours arrivent rapidement mais ne peuvent que constater son décès.

En quelques instants, quarante années de vie commune s’évaporent. Joan se retrouve seule, confrontée à la double épreuve de la mort de son mari et de la maladie de sa fille. Dans le déni, elle s’accroche à des rituels irrationnels : elle garde les chaussures de John, persuadée qu’il en aura besoin à son retour. Elle ressasse le passé à la recherche de signes avant-coureurs qu’elle aurait manqués. Elle se remémore leurs dernières conversations, leurs habitudes, leurs projets. Chaque lieu, chaque objet est susceptible de déclencher ce qu’elle nomme un « vortex » – ces moments où les souvenirs surgissent sans prévenir et la submergent.

Quatre semaines après la mort de John, Quintana sort du coma. Mais à peine commence-t-elle à se remettre qu’elle s’effondre à l’aéroport de Los Angeles et doit subir une opération du cerveau d’urgence. Entre les visites à l’hôpital et la gestion du quotidien, Joan accumule les lectures médicales sur le deuil, cherche des réponses dans la littérature, tente de donner un sens à cette année où la mort rôde. À plusieurs reprises, elle doit annoncer à sa fille la disparition de son père, car Quintana oublie régulièrement en raison du lourd traitement qu’elle reçoit. La cérémonie d’adieu à John ne peut avoir lieu qu’après la sortie d’hôpital de leur fille. Dans cette année de « pensée magique », Joan Didion affronte la plus terrible des expériences : apprendre à ne pas sombrer alors que l’existence vous prive de vos plus précieux repères.

Autour du livre

Ce récit autobiographique naît entre octobre et décembre 2004, soit un an après la mort de John Gregory Dunne. Joan Didion puise dans les notes prises au chevet de sa fille hospitalisée et dans sa mémoire pour restituer cette période. Le manuscrit est achevé avant le décès de Quintana, survenu en août 2005 des suites d’une pancréatite aiguë. Elle choisit de ne pas modifier son texte et réserve l’histoire de la mort de sa fille pour un autre livre, « Le Bleu de la nuit », qu’elle écrira des années plus tard.

Loin des confessions larmoyantes, Joan Didion dissèque son chagrin avec une précision chirurgicale. Elle alterne entre observations cliniques et monologue intérieur, entre recherches médicales sur le deuil et souvenirs personnels. Cette démarche analytique, caractéristique de son style journalistique, se double d’une dimension universelle : elle examine comment la perte d’un être cher bouleverse les repères du quotidien et déforme la perception du temps.

La réception critique se révèle exceptionnelle. Le New York Times Book Review souligne que malgré son sujet terrible, l’écriture reste « exaltante » et que le récit « ressemble à une narration d’aventure ». The New York Review of Books va jusqu’à déclarer : « Je ne peux pas imaginer mourir sans avoir lu ce livre. » En 2019, The Guardian le classe parmi les 100 meilleurs livres du XXIe siècle. Il remporte le National Book Award en 2005 et le Prix Médicis essai en 2007.

Une adaptation théâtrale, signée par Joan Didion elle-même et mise en scène par David Hare, débute à Broadway le 29 mars 2007 avec Vanessa Redgrave dans l’unique rôle. Le spectacle tourne pendant 24 semaines au Booth Theatre de New York avant de partir en tournée mondiale. La pièce intègre la mort de Quintana, survenue après la publication du livre. En 2011, Fanny Ardant interprète la version française au Théâtre de l’Atelier à Paris, dans une mise en scène de Thierry Klifa. De nombreuses productions internationales suivent, notamment à Barcelone, Sydney, Chicago et Oslo.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 288 pages.


2. Le Bleu de la nuit (récit autobiographique, 2011)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 2011, Joan Didion publie « Le Bleu de la nuit », mémoire consacré à sa fille Quintana Roo, disparue six ans plus tôt. Le récit s’ouvre sur la cérémonie de mariage de Quintana à la cathédrale St. John the Divine de New York : les leis sortent des boîtes du fleuriste, un paon blanc déploie sa roue, l’orgue résonne tandis que la mariée tresse des fleurs de stéphanotis dans ses cheveux. Cette scène lumineuse préfigure pourtant une cascade de tragédies : cinq mois après ses noces, la veille de Noël 2003, Quintana est hospitalisée pour des symptômes grippaux apparemment bénins. Son état s’aggrave brutalement. Le 30 décembre, son père John Gregory Dunne meurt d’une crise cardiaque. S’ensuivent pour Quintana vingt mois d’hospitalisations et de complications jusqu’à son décès en août 2005, à l’âge de 39 ans.

Le fil chronologique se distend pour laisser place aux souvenirs : l’adoption de Quintana en mars 1966, quand un médecin appelle les Didion au petit matin pour leur annoncer qu’un bébé les attend ; les années d’enfance marquées par les angoisses précoces de la petite fille – à cinq ans, elle téléphone à un asile psychiatrique pour savoir « ce qu’elle doit faire si elle devient folle ». Les diagnostics s’accumulent au fil des ans : anxiété, dépression, et plus tard, un trouble de la personnalité borderline que Quintana tente d’apaiser par l’alcool. Sa mère observe ces manifestations avec une acuité douloureuse : « J’avais vu le charme, j’avais vu le calme, j’avais vu le désespoir suicidaire. »

Entre ces fragments de vie surgissent les interrogations de Joan Didion sur son rôle de mère. Les questions la hantent : a-t-elle su protéger sa fille ? L’a-t-elle vraiment comprise ? Ces doutes se mêlent à sa propre confrontation avec le vieillissement, alors qu’elle traverse ses soixante-quinze ans dans une solitude nouvelle.

Autour du livre

Ce récit autobiographique fait suite à « L’Année de la pensée magique », publié en 2005, dans lequel Didion relatait la mort de son mari. Alors que ce premier ouvrage sur le deuil avait été rédigé en 88 jours, « Le Bleu de la nuit » a exigé une gestation plus longue, comme si la perte d’un enfant résistait davantage à la mise en mots. Le titre fait référence à ces crépuscules particuliers du solstice d’été où la lumière s’attarde et bleuit – moments qui annoncent paradoxalement le déclin à venir de la luminosité.

La structure narrative refuse toute linéarité. Didion procède par fragments, retours en arrière et répétitions obsessionnelles de certaines phrases clés, à l’image d’une conscience qui tourne autour de la perte sans pouvoir l’affronter directement. Cette forme éclatée traduit aussi la difficulté croissante qu’éprouve l’autrice, alors âgée de 75 ans, à organiser ses souvenirs et sa pensée. Le livre devient ainsi méditation sur la fragilité, celle du corps qui vieillit comme celle de la mémoire qui s’efface.

Pour Rachel Cusk dans The Guardian, « Le Bleu de la nuit » manifeste un effritement de la capacité de l’artiste à créer de l’ordre à partir du chaos de l’expérience. John Banville, dans le New York Times, note que le style de Didion a évolué depuis « L’Année de la pensée magique », passant d’une prose journalistique à une écriture plus émotionnelle. Lawrence Frascella de NPR évoque « une détermination désespérée à atteindre une révélation bouleversante sur la mortalité ».

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 224 pages.


3. Sud & Ouest (récit de voyage, 2017)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En juin 1970, Joan Didion quitte la Californie pour un périple d’un mois dans le Sud profond des États-Unis. Accompagnée de son mari John Gregory Dunne, elle sillonne la Louisiane, le Mississippi et l’Alabama, carnet en main. Son point de départ : la Nouvelle-Orléans, où un premier incident donne immédiatement le ton du voyage quand une femme s’effondre au volant de sa voiture et percute un arbre.

Sur les routes du Sud, Didion note scrupuleusement ses rencontres, les conversations entendues dans les ascenseurs et les laveries automatiques. À Oxford, Mississippi, elle cherche en vain la tombe de William Faulkner. Dans les petites villes, elle observe les panneaux Confederate Flag Beach Towels, s’arrête dans des motels où les mégots de cigarettes flottent dans l’eau chlorée des piscines. Elle observe un jour un vieil homme au beau milieu d’une rue brûlante qui tire des coups de fusil vers le ciel.

La journaliste s’entretient avec le propriétaire blanc d’une radio pour auditeurs noirs à Meridian, Mississippi, qui affirme que l’influence du Ku Klux Klan décline. Elle rencontre une jeune fille dans un salon de beauté qui prévoit d’obtenir sa licence de cosmétologie. Elle discute avec des familles de planteurs qui conservent encore leurs certificats d’esclaves accrochés aux murs. Partout, la question raciale affleure, à peine voilée sous le vernis de la courtoisie sudiste.

La torpeur du climat se mêle à une désorientation croissante. Didion lutte contre une envie constante de fuir : elle évite soigneusement Jackson, Mississippi, de peur de céder à la tentation de prendre le premier avion pour New York ou la Californie. La chanson « Leaving on a Jet Plane » tourne en boucle dans son esprit. Le soir, dans sa chambre d’hôtel, elle calcule méticuleusement les distances qui la séparent des aéroports les plus proches.

À travers ces notes brutes jamais publiées à l’époque, Didion dépeint un Sud où le temps semble suspendu, où la guerre de Sécession reste une blessure à vif. Les habitants rejouent ses batailles pendant les week-ends. Le FBI revient comme un leitmotiv dans les conversations, de Biloxi à Greenville. Cette région lui apparaît comme le centre psychique de l’Amérique, source d’une énergie aussi malveillante que bienveillante.

Autour du livre

Ce carnet de route inédit est né d’une intuition : Didion pensait qu’en « comprenant » le Sud, elle saisirait mieux l’essence de la Californie. Ce pressentiment trouve son origine dans un fait historique – de nombreux pionniers californiens étaient originaires des États frontaliers du Sud. Pourtant, le projet initial n’aboutit pas à l’article escompté. Les notes sont restées en jachère pendant près de cinquante ans avant d’être exhumées et publiées en 2017.

L’ouvrage se divise en deux parties. La première, la plus substantielle, rassemble les observations de Didion lors de son périple sudiste. La seconde, nettement plus courte, consiste en quelques réflexions sur la Californie rédigées en 1976, alors qu’elle couvrait le procès de Patty Hearst pour le magazine Rolling Stone. Cette structure déséquilibrée reflète la difficulté de Didion à établir des connexions tangibles entre ces deux régions qui incarnent des pôles opposés de l’expérience américaine : le Sud englué dans son passé, l’Ouest tourné vers un horizon perpétuellement neuf.

Les critiques saluent unanimement l’acuité du regard que Didion pose sur le Sud des années 1970. Peter Conrad, dans The Guardian, souligne sa capacité à dépeindre cette région comme « un paysage métaphorique, le cœur des ténèbres de l’Amérique ». Megan Garber, pour The Atlantic, y voit « un acte d’humilité radicale ». Pour The New York Times, Laila Lalami met en avant la qualité d’observation qui compense l’absence de trame narrative conventionnelle.

Les notes de Didion acquièrent une résonance particulière à l’aune des événements contemporains. Ses observations sur la persistance des tensions raciales, l’isolement culturel et l’attachement viscéral aux traditions révèlent une compréhension prémonitoire des fractures qui continuent de traverser la société américaine. Nathaniel Rich, dans sa préface de 2016, souligne d’ailleurs la pertinence de ces notes pour appréhender le Sud d’aujourd’hui, notamment dans le contexte de l’élection présidentielle de Donald Trump.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 128 pages.


4. Une saison de nuits (roman, 1963)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans la chaleur étouffante d’une nuit d’août 1959, un coup de feu résonne près de la rivière Sacramento. Lily McClellan entend la détonation depuis sa chambre, où elle ajuste machinalement sa montre sertie de diamants, cadeau de son dix-septième anniversaire de mariage avec Everett. Cette nuit-là, elle devait rejoindre son amant Ryder Channing sur le ponton, mais son mari l’a devancée.

De cette tragédie, Joan Didion remonte le fil du temps jusqu’en 1938, année où Lily Knight et Everett McClellan se rencontrent. Issus de deux familles de pionniers californiens, propriétaires de vastes domaines agricoles près de Sacramento, ils se marient rapidement. Lily, à peine sortie de l’adolescence, épouse Everett sans véritable conviction, comme si elle suivait un chemin déjà tracé.

Leur vie commune se délite peu à peu, rythmée par les infidélités de Lily, le départ d’Everett pour la guerre, et la présence envahissante de Martha, la sœur d’Everett. Dans cette atmosphère suffocante où l’alcool coule à flots, leur mariage subit une lente décomposition qui mène inexorablement vers cette nuit fatidique de 1959.

Autour du livre

Premier roman de Joan Didion publié en 1963, « Une saison de nuits » puise dans les racines californiennes de son autrice, native de Sacramento. L’ouvrage porte déjà les germes des thèmes qui marqueront ses écrits ultérieurs : la désillusion du rêve américain, la fragilité des liens familiaux, la fin d’une certaine Amérique. Le titre original « Run River » devait être « In the Night Season », mais l’éditeur américain s’y est opposé. Par la suite, l’éditeur anglais Jonathan Cape a ajouté une virgule, « Run, River », modification que Didion a accueillie avec indifférence, déclarant détester les deux versions.

Didion y dessine une fresque saisissante de la Californie des années 1950, à l’heure où le rêve des pionniers s’effrite face à la modernité. Les familles McClellan et Knight incarnent le crépuscule d’une époque : leurs ranchs prospères, héritage des premiers colons, se heurtent à l’émergence d’une nouvelle économie incarnée par des hommes comme Ryder Channing, emblème d’un capitalisme agressif. La rivière Sacramento, présence tutélaire, charrie dans ses eaux les vestiges d’un monde en mutation.

En parallèle de cette chronique sociale, Didion dissèque les mécanismes d’un couple à la dérive. Lily, figure centrale aussi insaisissable que magnétique, traverse l’existence comme une somnambule, incapable de s’ancrer dans la réalité. Son mariage avec Everett vire à l’aliénation mutuelle où chacun joue un rôle sans parvenir à toucher l’autre.

Quarante ans après sa publication, dans son essai « Where I Was From » (2003), Didion pose un regard critique sur ce premier roman. Elle qualifie sa nostalgie de « pernicieuse » et reconnaît avoir écrit « Une saison de nuits » alors qu’elle était une jeune Californienne nostalgique fraîchement installée à New York, avoir construit un mythe idyllique de la vie rurale californienne qu’elle savait pourtant fictif.

La critique a néanmoins souligné la maturité exceptionnelle de ce premier roman. Certains y ont vu des résonances avec l’œuvre de F. Scott Fitzgerald, tandis que d’autres ont établi des parallèles avec les tourments conjugaux de « La fenêtre panoramique » de Richard Yates.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 360 pages.


5. Mauvais joueurs (roman, 1970)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Los Angeles, fin des années 1960. Maria Wyeth, 31 ans, se retrouve internée dans un hôpital psychiatrique. Son histoire nous arrive par fragments : fille d’un joueur du Nevada, elle quitte sa ville natale de Silver Wells pour devenir actrice à New York. Sa carrière démarre bien – elle décroche des contrats de mannequinat puis un rôle principal dans un film à succès, « Angel Beach ». Son mariage avec un réalisateur en vue, Carter Lang, la propulse dans le cercle du cinéma hollywoodien.

La première ombre au tableau est la santé fragile de leur fille Kate, 4 ans, qui nécessite son placement en institution. Dès lors, le couple se déchire. Carter s’éloigne pour tourner des films, tandis que Maria sombre dans une grave dépression. Pour fuir sa réalité, elle passe ses journées à sillonner les autoroutes de Californie au volant de sa Corvette.

Quand Maria découvre qu’elle est enceinte, peut-être de Carter, peut-être d’un amant, son mari la force à avorter clandestinement. Cette expérience traumatisante la précipite dans une spirale autodestructrice : alcool, drogues, sexe sans lendemain. Son seul réconfort vient de ses visites à sa fille Kate et de son amitié ambiguë avec BZ, un producteur de cinéma, et son épouse Hélène. Dans une société du spectacle où tout n’est qu’apparence et manipulation, Maria doit choisir : continuer à jouer le jeu ou tout abandonner…

Autour du livre

« Mauvais joueurs » est le deuxième roman de Joan Didion, publié en 1970 chez Farrar, Straus & Giroux. Il fait suite à son recueil d’essais « Slouching Towards Bethlehem » (1968) qui l’avait propulsée sur le devant de la scène littéraire. Si le roman présente quelques similitudes avec la vie de l’autrice – notamment la possession d’une Corvette jaune et un passage par New York avant la Californie – Didion a toujours nié son caractère autobiographique. Le titre original, « Play It as It Lays », fait référence à un conseil du père de Maria sur le craps : « it goes as it lays, don’t do it the hard way », une expression proche de « jouer avec les cartes qu’on nous a distribuées ».

Joan Didion y dépeint avec acuité la face sombre d’Hollywood à la fin des années 1960. L’industrie du cinéma y apparaît comme un univers impitoyable où règnent la manipulation et l’élitisme. Le désenchantement de Maria face à ce « paradis brisé » fait écho aux bouleversements sociaux de l’époque, notamment à la fin sanglante de l’été 1969 marquée par les meurtres Tate-LaBianca. La structure fragmentée du récit, avec ses chapitres courts et ses ellipses, reflète la désintégration mentale de l’héroïne.

Le thème du jeu traverse l’ensemble des pages. Maria, élevée dans les casinos du Nevada par un père joueur, perçoit la vie comme une partie où chaque joueur choisit sa stratégie – ou décide d’arrêter de jouer. Cette métaphore s’étend aux interactions sociales et à la mort elle-même, vue comme le choix d’abandonner la partie. Maria ne cherche pas de sens à la souffrance et répète que la réponse à toutes les questions est « rien ».

Time Magazine a inclus « Mauvais joueurs » dans sa liste des 100 meilleurs romans de langue anglaise parus entre 1923 et 2005. Le Library Journal a loué son intelligence et son esprit mordant. L’écrivain Bret Easton Ellis a reconnu l’influence majeure du roman sur son œuvre, notamment « Moins que zéro ». En 2023, le Los Angeles Times l’a classé parmi les trois livres les plus emblématiques de la ville.

« Mauvais joueurs » a été adapté au cinéma en 1972 par Frank Perry, avec Tuesday Weld dans le rôle de Maria et Anthony Perkins dans celui de BZ. Didion a co-écrit le scénario avec son mari, John Gregory Dunne.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 216 pages.


6. Un livre de raison (roman, 1977)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1977, dans la petite république d’Amérique centrale de Boca Grande, une Américaine du nom de Charlotte Douglas attend désespérément sa fille. Marin, dix-huit ans, a disparu après avoir participé à un attentat à la bombe à San Francisco et au détournement d’un avion avec un groupe de révolutionnaires d’extrême gauche. Persuadée que sa fille passera tôt ou tard par ce pays où les guérilleros pullulent, Charlotte s’installe à Boca Grande malgré la surveillance constante de la CIA.

Son histoire nous est racontée par Grace Strasser-Mendana, une Américaine de soixante ans qui a épousé l’un des hommes les plus puissants du pays. Ancienne anthropologue formée par Claude Lévi-Strauss, Grace contrôle maintenant la majorité des terres cultivables de Boca Grande. Atteinte d’un cancer en phase terminale, elle s’attache à comprendre cette femme énigmatique qui semble flotter entre deux mondes. Car Charlotte reste une énigme : ses deux mariages ont échoué – l’un avec Warren Bogart, père de Marin et professeur tyrannique, l’autre avec Leonard Douglas, avocat californien aux activités douteuses.

Dans ce pays où les coups d’État se succèdent au gré des intérêts des notables locaux, Charlotte se dévoue aux œuvres caritatives tout en se rendant chaque jour à l’aéroport, dans l’espoir fou d’apercevoir sa fille.

Autour du livre

Paru dans un contexte de bouleversements sociaux, « Un livre de raison » puise son inspiration dans l’affaire Patricia Hearst qui secoue l’Amérique des années 1970. Cette héritière fortunée avait rejoint l’Armée de Libération Symbionaise après son enlèvement, puis participé à des braquages de banques. Joan Didion transpose cette histoire dans le cadre d’une république bananière imaginaire en y mêlant la décomposition des valeurs américaines traditionnelles aux soubresauts politiques d’Amérique latine.

Le récit se construit à travers le prisme d’une narratrice qui remet en question ses propres méthodes d’observation. Grace abandonne l’anthropologie pour la biochimie, espérant y trouver des réponses plus tangibles aux mystères du comportement humain. Cette quête scientifique se révèle vaine face à l’opacité de Charlotte, figure insaisissable qui oscille entre naïveté et lucidité. Le regard clinique de Grace ne parvient jamais à cerner totalement cette femme qui refuse d’admettre la perte de sa fille.

Les phrases brèves, incisives, parfois réduites à quelques mots, créent un rythme syncopé qui traduit la désorientation des personnages. Cette économie stylistique contraste avec l’ampleur des enjeux abordés : l’effondrement des certitudes américaines, la corruption du pouvoir, les illusions du progrès et de l’engagement politique.

Les critiques littéraires soulignent la dimension novatrice de ce troisième roman. David Ulin y perçoit « l’effondrement d’un certain ensemble de présupposés, d’un certain récit ». Pour Joyce Carol Oates, Didion examine les conséquences de la déliquescence sociale sur les relations parents-enfants avec « une peur absolue, de l’humilité et de la crainte ». Le livre marque une évolution dans la trajectoire de l’autrice et préfigure ses futurs écrits sur les turbulences politiques en Amérique centrale.

Un projet d’adaptation cinématographique a été envisagé avec Campbell Scott à la réalisation. Christina Hendricks et Allison Janney devaient interpréter respectivement les rôles de Charlotte et Grace, mais le film n’a jamais vu le jour.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 288 pages.

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