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Jane Austen en 7 romans – Notre sélection

Jane Austen en 7 romans – Notre sélection

Jane Austen naît le 16 décembre 1775 à Steventon, dans le Hampshire, en Angleterre. Elle grandit dans une famille cultivée et unie, avec six frères et une sœur, Cassandra, qui restera sa plus proche confidente. Son père, pasteur anglican, encourage ses enfants à lire et met sa bibliothèque à leur disposition.

Très jeune, Jane commence à écrire pour divertir sa famille. Entre 1787 et 1793, elle rédige ses « Juvenilia », textes satiriques pleins d’humour. À partir de 1795, elle entreprend l’écriture de ses premiers romans : « Elinor and Marianne » (qui deviendra « Sense and Sensibility »), « First Impressions » (futur « Pride and Prejudice »), et « Susan » (future « Northanger Abbey »).

En 1801, la famille déménage à Bath, ce qui affecte profondément Jane et ralentit son activité créatrice. En 1805, son père meurt, laissant sa mère et ses filles dans une situation financière précaire. Après quelques années d’instabilité, les femmes Austen s’installent en 1809 à Chawton, dans un cottage offert par Edward, l’un des frères de Jane. C’est là que commence la période la plus productive de sa carrière.

Entre 1811 et 1816, Jane Austen publie quatre romans qui connaissent un certain succès : « Raison et sentiments » (1811), « Orgueil et préjugés » (1813), « Mansfield Park » (1814) et « Emma » (1815). Ses œuvres, publiées anonymement, se distinguent par leur réalisme, leur ironie mordante et leur critique sociale subtile.

Début 1816, sa santé commence à décliner. Malgré la maladie, elle continue d’écrire et termine « Persuasion », tout en commençant un nouveau roman, « Sanditon », qu’elle ne pourra achever. Jane Austen meurt le 18 juillet 1817 à Winchester, à l’âge de 41 ans. Elle est enterrée dans la cathédrale de la ville. « Persuasion » et « L’Abbaye de Northanger » sont publiés à titre posthume en décembre 1817.

Bien que modestement reconnue de son vivant, Jane Austen devient progressivement l’une des romancières les plus appréciées et les plus influentes de la littérature anglaise.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Orgueil et préjugés (1813)

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Résumé

Angleterre, début du XIXe siècle. Une époque où le mariage est la seule voie possible pour les jeunes filles de bonne famille. « C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir besoin d’une épouse. » Dans la campagne du Hertfordshire, M. et Mme Bennet ont cinq filles à marier. Quand un riche célibataire, M. Bingley, s’installe dans le voisinage, c’est l’effervescence. L’aînée des demoiselles Bennet, la belle Jane, semble avoir toutes ses chances. Mais Elizabeth, sa cadette à l’esprit vif et indépendant, ne voit pas d’un bon œil l’ami de Bingley, le fier et hautain M. Darcy. Entre ces deux-là, l’antipathie est immédiate. Et pourtant, de disputes en bals, de malentendus en révélations, l’amour s’invite dans le jeu. Mais le chemin est semé d’embûches pour Elizabeth et son prétendant, prisonniers de leur orgueil et de leurs préjugés. Parviendront-ils à mettre de côté leur fierté pour écouter leur cœur ?

Autour du livre

La genèse d’ « Orgueil et préjugés » s’inscrit dans un moment particulier de la vie de Jane Austen. À vingt ans, partageant une chambre avec sa sœur Cassandra, elle rédige dans des cahiers ce qui deviendra l’un des romans les plus célèbres de la littérature anglaise. Cette première version, intitulée « First Impressions », émerge entre octobre 1796 et août 1797. Le manuscrit, proposé par son père à l’éditeur Thomas Cadell, essuie un refus immédiat. Il faudra attendre plus d’une décennie pour que le texte, considérablement remanié entre 1811 et 1812, trouve finalement son chemin vers la publication.

Le 28 janvier 1813, le roman paraît anonymement chez l’éditeur Thomas Egerton, qui l’acquiert pour 110 livres sterling – une transaction que la romancière regrettera amèrement. En effet, l’ouvrage remporte un succès considérable : la première édition de 1500 exemplaires s’épuise en six mois. Une deuxième édition suit en novembre de la même année, puis une troisième en 1817. La critique contemporaine salue l’épaisseur psychologique des personnages et la maîtrise narrative de l’autrice, certains doutant même qu’une femme puisse être à l’origine d’une telle œuvre.

Le choix du titre définitif révèle une réflexion minutieuse sur les thèmes centraux du roman. L’expression « Pride and Prejudice » apparaît pour la première fois sous la plume d’Edward Gibbon dans « Decline and Fall of the Roman Empire », mais Austen l’emprunte plus directement à « Cecilia » de Fanny Burney (1782), où elle figure dans la conclusion morale. Ce changement de titre s’accompagne d’une transformation majeure du manuscrit : initialement conçu comme un roman épistolaire, le texte évolue vers une narration plus sophistiquée, enrichie de dialogues et de coups de théâtre.

L’impact du roman sur la société de son époque se mesure à la rapidité de ses traductions. Dès juillet 1813, une version française (certes abrégée) paraît dans la Bibliothèque britannique de Genève. La première traduction allemande date de 1830 – « Stolz und Vorurtheil ». Ces multiples traductions témoignent non seulement de l’attrait universel du récit mais aussi du défi qu’il représente pour les traducteurs, contraints de transposer l’ironie subtile et les marqueurs sociaux propres à la société anglaise.

« Orgueil et préjugés » bouscule les conventions de son temps tout en respectant certains codes. L’héroïne, Elizabeth Bennet, incarne une nouvelle conception de la féminité : spirituelle, indépendante, refusant les mariages de convenance. Pourtant, le cadre social reste traditionnel – le mariage demeure l’unique perspective d’avenir pour les jeunes filles de la gentry. Cette tension entre conformisme et modernité constitue l’une des forces du texte.

Les questions économiques imprègnent chaque aspect de l’intrigue. L’entail, disposition légale réservant l’héritage aux héritiers mâles, menace directement l’avenir des cinq sœurs Bennet. Cette précarité financière potentielle justifie l’obsession matrimoniale de Mrs Bennet tout en soulignant l’audace du refus d’Elizabeth d’épouser Mr Collins ou même Darcy lors de sa première demande.

Les adaptations se multiplient depuis 1938, date de la première version télévisée de la BBC. Le roman inspire également de nombreuses réécritures contemporaines, du « Journal de Bridget Jones » d’Helen Fielding aux transpositions plus inattendues comme « Orgueil et Préjugés et Zombies » de Seth Grahame-Smith. En 2003, un sondage de la BBC le classe deuxième des « livres les plus aimés » au Royaume-Uni, juste après « Le Seigneur des Anneaux ».

L’héritage du roman se manifeste aussi dans le langage courant : au début du XXe siècle, le terme « Collins » devient en anglais synonyme de lettre de remerciement à un hôte, en référence au personnage obséquieux du roman. Les répliques cinglantes d’Elizabeth face à Lady Catherine de Bourgh sont régulièrement citées comme modèles de résistance à l’autorité arbitraire. Virginia Woolf admire les « merveilleux petits discours qui résument en une conversation tout ce qu’il faut savoir pour connaître définitivement un personnage ». E. M. Forster, dans « Aspects du roman » (1927), cite Austen comme l’une des premières à créer des personnages véritablement « ronds », capables d’évoluer et de surprendre le lecteur.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 512 pages.


2. Raison et sentiments (1811)

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Résumé

1792, Angleterre. La mort d’Henry Dashwood contraint sa veuve et ses trois filles à quitter le domaine familial, l’héritage revenant à John, le fils aîné issu d’un premier mariage. Réfugiées dans le Devonshire, Elinor, l’aînée prudente et mesurée, et Marianne, sa cadette passionnée, voient leurs vies sentimentales s’entremêler. Tandis qu’Elinor développe une tendre affection pour le timide Edward Ferrars, Marianne succombe au charme du séduisant John Willoughby. Mais les deux sœurs devront surmonter trahisons et désillusions avant de trouver le véritable amour.

Autour du livre

Jane Austen rédige « Raison et sentiments » dans une Angleterre profondément marquée par la Révolution française. Par-delà le conflit entre raison et passion, l’œuvre reflète les inquiétudes d’une société en mutation où l’aristocratie terrienne voit son pouvoir s’éroder face à l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie marchande. Le texte initial, écrit vers 1795 sous forme épistolaire, intitulé « Elinor and Marianne », subit plusieurs remaniements avant sa publication en 1811. Cette évolution témoigne d’un changement dans la conception même du roman : d’une correspondance entre deux sœurs, il devient une étude psychologique et sociale dense. La transformation du titre souligne cette ambition : le diptyque des prénoms laisse place à l’opposition philosophique entre « raison » et « sentiments ».

L’anonymat de la publication (« By a Lady ») n’est pas qu’une convention sociale : il révèle la position ambiguë des femmes écrivaines dans la société georgienne. La position sociale de Jane Austen lui interdisait de signer de son nom un roman destiné à la vente, mais elle tenait à affirmer sa féminité. Cette tension entre conformisme social et affirmation de soi traverse toute l’œuvre.

Le roman connaît un succès commercial immédiat. Les 750 exemplaires de la première édition s’écoulent rapidement, rapportant 140 livres à l’autrice. Les critiques contemporains saluent la justesse psychologique des personnages et la finesse de l’observation sociale. La princesse Charlotte, fille du futur George IV, déclare en janvier 1812 se reconnaître dans le personnage de Marianne. La traduction française d’Isabelle de Montolieu, parue dès 1815, illustre les difficultés de réception du récit. Cette adaptation très libre gomme l’ironie du texte original et accentue sa dimension sentimentale, révélant un décalage culturel significatif entre les sensibilités anglaise et française de l’époque.

Les personnages secondaires constituent l’une des grandes réussites de « Raison et sentiments ». John et Fanny Dashwood incarnent l’égoïsme et l’hypocrisie sociale ; Lucy Steele représente l’opportunisme sans scrupules ; les Middleton et Mrs. Jennings offrent une galerie de portraits satiriques particulièrement réussis. Leur présence ne relève pas du simple divertissement : ils forment un contrepoint essentiel aux héroïnes principales.

Jane Austen questionne les fondements économiques du mariage. La précarité financière des femmes célibataires de la gentry moyenne, l’importance de la dot, les mariages d’intérêt : autant de réalités sociales que la romancière met en lumière avec une précision quasi documentaire. Les sommes mentionnées, les revenus, les héritages ne sont jamais des détails anecdotiques mais des éléments structurants de l’intrigue.

La postérité de « Raison et sentiments » ne se dément pas. Les adaptations se multiplient, du théâtre au cinéma en passant par la télévision. L’adaptation d’Ang Lee (1995), avec Emma Thompson et Kate Winslet, remporte un Oscar pour son scénario qui modernise l’œuvre tout en préservant sa densité psychologique. En 2000, le film indien « Kandukondain Kandukondain » transpose l’histoire dans l’Inde contemporaine, prouvant l’universalité des thèmes abordés.

Le roman influence profondément la littérature britannique. Les sœurs Brontë, Elizabeth Gaskell ou George Eliot s’inscrivent dans son sillage, développant cette tradition du roman féminin qui conjugue analyse sociale et profondeur psychologique. Son impact se ressent jusqu’à la littérature contemporaine, comme en témoignent les nombreuses réécritures et adaptations modernes.

Les débats critiques autour du roman ne cessent de se renouveler. Les lectures féministes y voient une critique du patriarcat, tandis que les analyses socio-historiques soulignent sa dimension politique. La complexité des personnages, notamment masculins, continue de susciter des interprétations contradictoires, preuve de la modernité d’une œuvre qui échappe aux lectures univoques.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 576 pages.


3. Emma (1815)

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Résumé

Angleterre, début du XIXe siècle. À Highbury, paisible bourgade campagnarde, le quotidien s’écoule au rythme des visites de courtoisie et des réceptions de la bonne société. Maîtresse incontestée de ce microcosme, Emma Woodhouse, jeune fille gâtée par la nature et la fortune, mène une existence confortable auprès de son père, veuf hypocondriaque. Charmante mais imbue d’elle-même, Emma s’ennuie. Pour occuper ses journées, elle se découvre une passion pour les affaires de cœur. Désormais, son passe-temps favori consiste à arranger les idylles de son entourage, notamment celle de sa nouvelle amie, la douce Harriet Smith. Emma n’a de cesse de vouloir unir sa protégée aux partis les plus enviables de la région, faisant fi des sentiments des principaux intéressés. Mr Knightley, grand propriétaire terrien du voisinage et fidèle ami des Woodhouse, semble être le seul à pointer du doigt les excès de la jeune entremetteuse.

Autour du livre

« Emma » paraît en décembre 1815 chez John Murray, qui devient l’éditeur attitré d’Austen. L’écrivaine, consciente du caractère peu conventionnel de son héroïne, confie avant la rédaction : « Je vais créer une héroïne que personne d’autre que moi n’aimera beaucoup ». Emma Woodhouse se distingue en effet des autres protagonistes austeniennes : dotée d’une fortune personnelle de 30 000 livres, elle n’est pas contrainte au mariage par nécessité économique.

La réception critique s’avère contrastée. Walter Scott, dans le Quarterly Review, salue l’émergence d’un « nouveau genre de roman adapté à l’époque moderne », appréciant le réalisme de la description de la vie ordinaire. Maria Edgeworth, en revanche, abandonne la lecture après le premier volume, déplorant l’absence d’intrigue. Cette divergence d’opinions révèle la modernité du projet : Austen délaisse les péripéties romanesques au profit d’une observation minutieuse des relations sociales.

Le microcosme de Highbury, village fictif du Surrey inspiré notamment de Leatherhead, constitue un véritable personnage collectif. Les 352 habitants mentionnés créent un effet de réel saisissant, bien que la plupart demeurent hors-champ. Le mystérieux Mr Perry, apothicaire omniprésent mais jamais visible, illustre cette technique narrative novatrice. La voix collective du village s’exprime à travers les rumeurs et les jugements sociaux, formant une toile de fond essentielle à l’intrigue.

Les questions de genre trouvent un écho particulier dans le roman. Emma exerce un pouvoir inhabituel pour une femme de son époque, mais ce pouvoir reste circonscrit à la sphère domestique et matrimoniale. L’espace genré se manifeste dans la géographie même du roman : les femmes sont confinées aux salons tandis que les hommes circulent librement. Jane Fairfax incarne les limites de l’émancipation féminine, contrainte d’envisager une carrière de gouvernante malgré ses talents.

Les allusions à l’actualité politique transparaissent aussi. Les références à l’Irlande évoquent les débats sur son statut au sein du Royaume-Uni après Les actes d’Union de 1800. Les inquiétudes concernant la visite des Dixon à Ballycraig rappellent le soulèvement des United Irishmen de 1798. Cette dimension politique, longtemps négligée par la critique, a été mise en lumière par les travaux de Marilyn Butler dans les années 1970.

Le roman innove également par sa structure. Les jeux d’énigmes et de scharades reflètent la complexité des relations entre les personnages. Le mystère des fiançailles secrètes de Frank Churchill et Jane Fairfax en fait « un roman policier sans meurtre », selon l’expression de P.D. James. Cette construction subtile nécessite plusieurs lectures pour apprécier tous les indices disséminés dans le texte.

L’influence d’ « Emma » perdure à travers ses nombreuses adaptations. De « Clueless » (1995), qui transpose l’intrigue dans le Beverly Hills contemporain, à « Emma » (2020) d’Autumn de Wilde, en passant par « Aisha » (2010) à Bollywood, les réinterprétations démontrent l’universalité des thèmes abordés. Le roman a également inspiré des réécritures comme « Jane Fairfax » de Joan Aiken, qui adopte le point de vue d’un personnage secondaire.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 511 pages.


4. Persuasion (1817)

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Résumé

En 1814, Anne Elliot, seconde fille d’un baronnet vaniteux et dépensier, vit dans l’ombre de sa famille qui la néglige. À 27 ans, elle est encore célibataire, ayant refusé huit ans plus tôt la demande en mariage du capitaine Frederick Wentworth sous la pression de son entourage. Les revers financiers contraignent son père à louer leur domaine de Kellynch Hall à l’amiral Croft, dont l’épouse n’est autre que la sœur de Wentworth. Le retour du capitaine, désormais fortune faite grâce aux guerres napoléoniennes, ravive les sentiments d’Anne. Tandis que les jeunes sœurs Musgrove convoitent Wentworth, Anne observe avec mélancolie celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. Les circonstances les rapprochent peu à peu, jusqu’à ce qu’une lettre passionnée de Wentworth leur offre une seconde chance.

Autour du livre

« Persuasion » occupe une place à part dans l’œuvre de Jane Austen. La romancière le rédige entre août 1815 et août 1816, alors que les premiers symptômes de la maladie d’Addison qui l’emportera commencent à se manifester. C’est son dernier roman achevé, publié de manière posthume en décembre 1817 dans un volume double avec « L’Abbaye de Northanger ». Jane Austen commence la rédaction le 8 août 1815, le jour même où la population britannique apprend le départ définitif de Napoléon pour Sainte-Hélène. Cette toile de fond historique – la défaite française, l’abdication de l’Empereur, le traité de paix de 1814 – imprègne l’ensemble du récit. Le retour des marins victorieux en Angleterre constitue un élément central de l’intrigue.

La situation personnelle de l’autrice pendant l’écriture teinte le roman de tons mélancoliques. En 1814, son frère Edward Knight fait face à un procès contestant sa propriété du domaine de Chawton, y compris le cottage où vivent Jane et sa famille. À l’automne 1815, la faillite de la banque de son frère Henry entraîne de lourdes pertes financières pour plusieurs membres de la famille. Ces événements transparaissent dans le traitement des questions patrimoniales et financières au sein du roman.

Le titre même du livre possède son histoire. Jane Austen en parlait comme « The Elliots », et c’est son frère Henry qui choisit « Persuasion » pour la publication posthume. Ce changement s’avère particulièrement pertinent puisque le thème de la persuasion, sous toutes ses formes – sociale, familiale, amoureuse – traverse l’œuvre. Les mots « persuade », « persuasion », « persuadable » parsèment le texte, prenant des significations différentes selon les contextes.

« Persuasion » marque une rupture avec les codes habituels de Jane Austen. Pour la première fois, l’héroïne a dépassé la première jeunesse – Anne Elliot a 27 ans – et vit dans le regret d’un amour perdu. Les personnages positifs se distinguent par leur chaleur et leur spontanéité, contrairement aux héros traditionnellement réservés des romans précédents. Cette évolution reflète peut-être la maturité de l’autrice, qui approche alors de la quarantaine.

La Royal Navy y tient une place prépondérante. Jane Austen rend ainsi hommage à ses frères Francis et Charles, tous deux officiers de marine. Elle y dépeint avec précision ce milieu professionnel en pleine mutation sociale, où le mérite permet de s’élever indépendamment de la naissance. Cette thématique permet une critique de l’aristocratie terrienne traditionnelle, représentée par le vaniteux Sir Walter Elliot.

L’influence de « Persuasion » perdure à travers les nombreuses adaptations qu’il suscite. Depuis la première série télévisée de la BBC en 1960, les versions se succèdent pour le petit et le grand écran. La version cinématographique de 1995, avec Amanda Root et Ciarán Hinds, reçoit un accueil particulièrement favorable pour sa fidélité à l’esprit du texte. Les adaptations se poursuivent jusqu’à aujourd’hui, comme en témoigne la version Netflix de 2022 avec Dakota Johnson.

Le roman inspire également de nombreuses réécritures littéraires, des variations théâtrales et même des comédies musicales. Cette permanence témoigne de la modernité des thèmes abordés : l’autonomie féminine, la remise en question des hiérarchies sociales établies, la possibilité d’une seconde chance en amour. La profondeur psychologique des personnages et la finesse de l’observation sociale transcendent leur contexte historique pour parler aux lecteurs contemporains.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 432 pages.


5. L’Abbaye de Northanger (1817)

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Résumé

Bath, 1803. La jeune et innocente Catherine Morland effectue un séjour dans la cité balnéaire. Au fil des bals et des rencontres, elle se lie avec Isabella, une jeune fille frivole, et croise la route d’Henry Tilney, un charmant jeune homme. Mais les apparences sont parfois trompeuses. Quand Henry invite Catherine dans sa demeure familiale, l’abbaye de Northanger, l’imaginaire de la jeune fille, nourri de romans gothiques, prend le dessus. Elle est persuadée que l’abbaye recèle de noirs mystères et va jusqu’à soupçonner un crime. Pourtant, la vérité est tout autre et son séjour lui réserve bien des surprises et des déconvenues.

Autour du livre

Premier roman achevé par Jane Austen mais dernier publié, le parcours éditorial de « L’Abbaye de Northanger » s’avère mouvementé : écrit entre 1798 et 1799 sous le titre « Susan », il est vendu en 1803 pour dix livres à l’éditeur londonien Crosby & Co. Celui-ci, malgré l’annonce de sa publication, ne l’imprime pas et menace même de poursuites judiciaires lorsque l’autrice réclame son manuscrit. Il faut attendre 1816 pour que Henry Austen, frère de Jane, rachète les droits pour la même somme. Le roman paraît finalement de façon posthume en décembre 1817, accompagné de « Persuasion ». Cette publication tardive s’accompagne d’une notice biographique rédigée par Henry Austen. Premier texte levant l’anonymat de la romancière, il constitue pendant plus de cinquante ans la seule source d’information sur Jane Austen, jusqu’à la parution en 1870 de « A Memoir of Jane Austen » par son neveu James Edward Austen-Leigh.

Le roman se nourrit de multiples influences littéraires. Les œuvres de Fanny Burney, particulièrement « Camilla » (1796), inspirent le personnage de Catherine Morland et la structure du récit. Maria Edgeworth et son recueil « The Parent’s Assistant » imprègnent également le texte, comme en témoigne le titre initial « Susan ». Mais c’est surtout avec les romans gothiques d’Ann Radcliffe que le livre dialogue, dans un jeu de parodie et d’hommage.

« L’Abbaye de Northanger » se démarque par sa dimension métalittéraire. À travers les discussions entre Catherine et Henry sur les romans, Austen défend ce genre alors méprisé car majoritairement écrit par des femmes. Elle raille les préjugés de l’époque, notamment l’assimilation entre « femmes publiées » et « femmes publiques ». Cette défense s’inscrit dans un contexte de légitimation progressive du roman, portée par des auteurs comme Clara Reeves ou William Godwin.

La critique sociale transparaît notamment dans le traitement du temps. Le général Tilney, avec son obsession des horloges et des emplois du temps stricts, incarne cette nouvelle « discipline temporelle » théorisée par E.P. Thompson comme caractéristique du XVIIIe siècle. Son goût pour les « améliorations » modernes – foyers sans fumée, serres chauffées, cuisines rationnelles – révèle l’émergence d’une aristocratie terrienne capitaliste.

Les adaptations se multiplient depuis 1949, d’abord à la radio puis au théâtre et à l’écran. Deux versions télévisées marquantes : celle de la BBC en 1987 et celle d’ITV en 2007 avec Felicity Jones. Le roman inspire également des transpositions contemporaines : en 2014, Val McDermid en fait un thriller pour adolescents dans le cadre du Austen Project. Marvel publie en 2011 une adaptation en roman graphique. « L’Abbaye de Northanger » continue d’interpeller les lecteurs contemporains par sa modernité : sa réflexion sur les rapports entre fiction et réalité, sa critique des apparences sociales, son humour mordant en font une œuvre étonnamment actuelle. Son influence se mesure aux nombreuses références dans la littérature contemporaine, du roman « Expiation » de Ian McEwan aux œuvres de fantasy humoristique de Jasper Fforde.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 408 pages.


6. Mansfield Park (1814)

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Résumé

Angleterre, fin du XVIIIe siècle. Pour soulager ses parents, Fanny Price, dix ans, est envoyée à Mansfield Park chez son oncle, Sir Thomas Bertram. La fillette doit composer avec le dédain de ses cousines, la froideur de sa tante et les humiliations de Mrs Norris. Seul son jeune cousin Edmund, par sa gentillesse, illumine son quotidien. Les années passent. Alors que les pensionnaires de Mansfield Park atteignent l’âge de se marier, le domaine s’anime. L’arrivée de Henry et Mary Crawford dans le voisinage vient bousculer le destin de la maisonnée. Entre jeux de séduction, manigances familiales et quête du mariage idéal, chacun des jeunes gens doit affronter intrigues amoureuses et dilemmes moraux. Fanny, armée de ses seuls principes, parviendra-t-elle à trouver sa place ?

Autour du livre

Par-delà les apparences d’un roman sentimental, « Mansfield Park » constitue une œuvre charnière dans la carrière de Jane Austen. Rédigé entre 1812 et 1814 à Chawton, ce troisième roman marque une évolution significative dans sa production littéraire puisqu’il s’agit du premier entièrement écrit dans ses années de maturité. Le contexte d’écriture s’avère particulièrement riche : la Grande-Bretagne vient d’abolir la traite négrière (1807) et les guerres napoléoniennes font rage, deux événements qui imprègnent la trame narrative. L’année 1814 voit aussi la publication de « Waverley » de Walter Scott et « The Corsair » de Lord Byron. Malgré cette concurrence prestigieuse, « Mansfield Park » remporte un succès commercial immédiat : la première édition s’épuise en six mois, rapportant à Austen ses plus importants gains littéraires (350 livres).

Le roman bouscule les conventions du genre par le choix d’une héroïne inhabituelle. Fanny Price, avec sa timidité maladive et son inflexibilité morale, déconcerte les premiers lecteurs. La propre mère d’Austen la trouve « insipide », tandis que sa sœur Cassandra préfèrerait la voir épouser Henry Crawford. Cette rupture avec le modèle des héroïnes spirituelles comme Elizabeth Bennet témoigne d’une audace narrative qui divise encore la critique moderne.

Les thématiques abordées révèlent une conscience sociale aiguë. La question de l’esclavage, bien que traitée obliquement, traverse l’œuvre : le domaine de Mansfield Park tire sa prospérité des plantations antillaises des Bertram. Le silence embarrassé qui suit la question de Fanny sur ce sujet traduit l’hypocrisie d’une société refusant de regarder en face les fondements de sa richesse. La détestable tante Norris, modèle d’hypocrisie sociale, compte parmi les créations les plus réussies d’Austen. Son nom même porte une charge symbolique : Robert Norris était un célèbre négrier de l’époque.

L’architecture symbolique du roman se déploie à travers des lieux emblématiques minutieusement choisis. Mansfield Park incarne l’ordre moral menacé par les influences extérieures. Sotherton Court, avec son ha-ha (fossé séparant le jardin des pâturages), matérialise les frontières sociales que certains personnages transgresseront. Portsmouth représente la réalité brutale que Fanny doit affronter pour affirmer ses choix. L’épisode des répétitions théâtrales de « Lovers’ Vows » constitue un pivot narratif majeur. Cette pièce d’Elizabeth Inchbald, jugée scandaleuse pour l’époque, permet aux personnages de répéter symboliquement les drames qui se joueront ensuite dans leur vie. La mise en abyme questionne les rapports entre apparence sociale et authenticité morale.

Les multiples adaptations témoignent de la modernité des enjeux soulevés par le roman. La BBC en propose plusieurs versions télévisées (1983, 2007), mais c’est l’adaptation cinématographique de Patricia Rozema (1999) qui suscite le plus de débats. La réalisatrice choisit d’expliciter la critique sociale sous-jacente, notamment sur la question de l’esclavage, divisant critiques et spectateurs.

La réception critique évolue considérablement au fil des époques. Si les Victoriens louent unanimement la morale du roman, les lectures féministes et postcoloniales du XXe siècle en renouvellent l’interprétation. Edward Said y voit une illustration de l’impensé colonial britannique, tandis que certaines féministes soulignent la subversion des normes patriarcales à travers le personnage de Fanny. L’influence du roman sur la littérature ultérieure s’avère considérable. Les échos de « Mansfield Park » résonnent dans « Jane Eyre » de Charlotte Brontë, autre récit d’une jeune fille pauvre recueillie dans une riche demeure.

Aux éditions FOLIO ; 720 pages.


7. Lady Susan (1871)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Angleterre, fin du XVIIIe siècle. Lady Susan Vernon est une veuve de 35 ans qui collectionne conquêtes et scandales. À peine installée chez sa belle-famille, elle sème trouble et confusion. Son beau-frère lui cède. Sa belle-sœur la rejette. Les hommes s’enflamment. Les femmes enragent. Par calcul, elle cherche à marier sa fille de 16 ans, Frederica, à un prétendant fortuné un brin stupide. Peu lui importent les réticences de l’adolescente. Seuls comptent ses propres desseins. Au fil des lettres échangées entre Lady Susan, sa confidente et ses proches, se dessine le portrait d’une femme égoïste et manipulatrice.

Autour du livre

Ce roman épistolaire, rédigé aux alentours de 1794 lorsque Jane Austen n’avait que dix-huit ans, ne verra le jour qu’en 1871, soit plus de cinquante ans après sa mort. Le manuscrit original, entièrement recopié « au propre » à Bath vers 1805 selon le filigrane de certains feuillets, témoigne du soin particulier apporté à cette œuvre de jeunesse. Cette version soignée suggère qu’Austen appréciait suffisamment son texte pour le retravailler, sans toutefois envisager sa publication.

Les quarante et une lettres qui constituent le roman dressent le portrait saisissant d’une anti-héroïne qui bouleverse les conventions littéraires de son époque. Lady Susan incarne l’antithèse parfaite des héroïnes traditionnelles : là où ces dernières se caractérisent par leur innocence et leur passivité, elle se distingue par son intelligence manipulatrice et son refus des contraintes morales. Cette inversion des codes s’étend jusqu’aux relations amoureuses : contrairement aux romans contemporains où des hommes mûrs épousent de jeunes ingénues, Lady Susan séduit des hommes plus jeunes qu’elle.

La structure épistolaire, peu commune dans l’œuvre d’Austen qui l’abandonnera par la suite, permet une architecture narrative d’une grande finesse. Chaque correspondant offre sa perspective sur les événements, créant un jeu de miroirs où la vérité se révèle progressivement. Les lettres entre Lady Susan et Mrs Johnson, empreintes de cynisme et d’immoralité assumée, contrastent violemment avec la correspondance des autres personnages, mettant en lumière le décalage entre apparences sociales et réalité des intentions.

L’influence des « Liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos, publié en 1782 et traduit en anglais deux ans plus tard, transparaît dans plusieurs aspects du roman. La cousine d’Austen, Eliza de Feuillide, qui vécut en France de 1779 à 1790, pourrait avoir joué un rôle dans la découverte de cette œuvre par la jeune romancière. Le personnage de Lady Susan présente des similitudes frappantes avec la Marquise de Merteuil : toutes deux manient avec brio l’art de la manipulation sociale et rejettent les contraintes morales de leur temps.

Le traitement de l’adultère et la relative clémence accordée à l’héroïne démarquent ce texte des autres œuvres d’Austen. Alors que les personnages immoraux subissent généralement des châtiments exemplaires – comme Maria Bertram dans « Mansfield Park » – Lady Susan échappe à toute punition véritablement sévère. Cette indulgence inhabituelle pour l’époque révèle l’audace précoce d’Austen face aux conventions morales de son temps.

Le roman connaît une renaissance inattendue en 2016 grâce à l’adaptation cinématographique de Whit Stillman, intitulée « Love & Friendship ». Kate Beckinsale y incarne une Lady Susan magistrale, donnant corps à l’ambiguïté morale du personnage. Le succès critique du film s’accompagne d’une novélisation originale par Stillman lui-même, qui choisit de raconter l’histoire du point de vue du neveu de Lady Susan, ajoutant ainsi une nouvelle couche interprétative au texte original.

Cette œuvre de jeunesse se distingue également par son inspiration possible tirée d’un fait réel : le personnage de Lady Susan pourrait avoir été modelé sur Mrs Craven, une voisine d’Austen réputée pour sa beauté mais aussi pour sa cruauté envers ses filles, qu’elle maltraitait jusqu’à ce qu’elles fuient ou se marient en dessous de leur rang social. Cette possible source d’inspiration souligne la capacité précoce d’Austen à transformer des observations sociales en matériau littéraire.

« Lady Susan » a suscité de nombreuses adaptations théâtrales, notamment celle de Bonnie Milne Gardner en 1998-1999 à l’Université Wesleyan de l’Ohio, ou encore la version pour deux comédiennes présentée au Festival Fringe de Dublin en 2001. Ces différentes interprétations témoignent de la modernité surprenante du texte et de sa capacité à parler aux spectateurs contemporains.

La fin quelque peu abrupte du roman, rédigée sous forme de conclusion narrative plutôt qu’épistolaire, laisse entrevoir les limites que la jeune Austen percevait déjà dans le genre épistolaire. Cette conscience précoce des contraintes formelles annonce l’évolution de son écriture vers les chefs-d’œuvre de sa maturité. Le manuscrit révèle également des corrections minimales, suggérant une écriture déjà maîtrisée malgré son jeune âge.

Aux éditions FOLIO ; 128 pages.

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