Née à Kiev en 1903 dans une famille juive fortunée, Irène Némirovsky grandit dans un milieu déraciné, entre un père banquier souvent absent et une mère narcissique qui la délaisse. Seule sa gouvernante française lui témoigne de l’affection et lui transmet l’amour de la culture française.
La révolution russe de 1917 pousse sa famille à fuir, d’abord en Finlande puis en France. À Paris, la jeune femme mène une vie mondaine tout en poursuivant des études de lettres à la Sorbonne. Elle épouse en 1926 Michel Epstein, un banquier émigré russe avec qui elle aura deux filles.
Sa carrière littéraire décolle véritablement en 1929 avec la publication de « David Golder », roman qui connaît un immense succès. Dans les années 1930, elle devient une romancière reconnue, publiant régulièrement romans et nouvelles. Son œuvre, marquée par un style incisif et une grande lucidité, aborde notamment les thèmes de la relation mère-fille, de l’argent et de l’identité juive.
Malgré sa conversion au catholicisme en 1939 et son amour profond pour la France, elle ne parvient pas à obtenir la nationalité française. Après l’occupation allemande, elle se réfugie avec sa famille à Issy-l’Évêque, où elle écrit notamment « Suite française ».
Le 13 juillet 1942, elle est arrêtée en tant que Juive et déportée à Auschwitz, où elle meurt du typhus le 17 août. Son mari Michel la suit quelques mois plus tard. Leurs deux filles survivent, cachées par leur gouvernante. Il faudra attendre 2004 et la publication posthume de « Suite française » pour que son œuvre connaisse une véritable renaissance et une reconnaissance internationale.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Suite française (2004)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
« Suite française » se déroule en deux temps. En juin 1940, l’armée allemande marche sur Paris. Les habitants fuient en masse vers le sud du pays dans un exode chaotique où chacun lutte pour sa survie. La débâcle fait voler en éclats le vernis de la civilisation : les privilégiés s’accrochent à leurs prérogatives pendant que les plus modestes s’entraident sur les routes bombardées.
Un an plus tard, la vie s’est réorganisée sous l’occupation allemande dans le village de Bussy. Les officiers de la Wehrmacht logent chez l’habitant, bouleversant le quotidien des familles. Une jeune Française, dont le mari est prisonnier de guerre, se prend d’affection pour l’officier allemand hébergé chez elle. Cette idylle impossible se complique quand elle doit cacher un résistant recherché par l’occupant. L’ordre de départ du régiment pour le front russe précipitera sa décision.
Ces deux parties – « Tempête en juin » et « Dolce » – devaient ouvrir une suite romanesque en cinq volumes, interrompue par la déportation d’Irène Némirovsky à Auschwitz en 1942. Dans ses notes, l’écrivaine projetait de suivre l’émergence de la Résistance dans les parties suivantes, restées à l’état d’ébauche.
Autour du livre
Les circonstances de création de « Suite française » s’inscrivent dans l’urgence tragique de l’Histoire. À Issy-l’Évêque où elle s’est réfugiée avec sa famille, Irène Némirovsky conçoit une fresque ambitieuse de mille pages en cinq parties, dont seules les deux premières verront le jour avant sa déportation à Auschwitz en juillet 1942.
La structure musicale innerve l’ensemble de la composition. Le titre fait écho aux « Suites françaises » de Bach, tandis que chaque partie porte un tempo : « Tempête en juin » pour le chaos de l’exode, « dolce » (doux) pour l’occupation allemande. Cette architecture sonore se manifeste jusque dans la narration où les destins individuels s’entrecroisent comme autant de motifs d’une symphonie. Les scènes de foule alternent avec les solos des personnages principaux, créant une polyphonie narrative qui restitue la complexité sociale de l’époque.
La satire sociale irrigue chaque page. Les réactions face à la défaite révèlent la désagrégation morale des élites : Gabriel Corte, écrivain mondain, incarne l’égoïsme d’une certaine intelligentsia, tandis que Charlie Langelet symbolise la décadence esthétique d’une bourgeoisie à l’agonie. À l’opposé, les Michaud maintiennent leur dignité dans l’adversité grâce à leur amour conjugal. Cette galerie de portraits s’accompagne souvent d’un humour grinçant, comme en témoigne la scène où Corte retrouve avec soulagement ses pairs au Grand Hôtel de Vichy.
Conservé dans une valise par les filles de Némirovsky durant leur fuite, le manuscrit demeure inexploité pendant cinquante ans. Denise Epstein entreprend finalement sa transcription dans les années 1990, déchiffrant patiemment la minuscule écriture de sa mère. La publication en 2004 déclenche un succès international : traduction dans 38 langues, plus d’un million d’exemplaires vendus, Prix Renaudot décerné pour la première fois à titre posthume.
Les notes préparatoires dévoilent l’ampleur du projet inachevé. « Captivité », la troisième partie esquissée, devait retracer l’émergence de la Résistance à travers les retrouvailles de personnages clés à Paris. Les deux dernières parties, « Batailles » et « La Paix », restent à l’état d’ébauche, leur développement suspendu par l’arrestation de l’autrice.
En 2015, Saul Dibb adapte « Suite française » au cinéma avec Michelle Williams dans le rôle de Lucile et Kristin Scott Thomas dans celui de Madame Angellier. Le théâtre s’en empare également en 2018 avec une mise en scène de Virginie Lemoine au Festival d’Avignon.
Aux éditions FOLIO ; 576 pages.
2. Le Bal (1929)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Paris, 1928. Antoinette Kampf, quatorze ans, vit avec ses parents dans un luxueux appartement. Son père Alfred, ancien employé de banque, s’est enrichi grâce à des spéculations boursières deux ans plus tôt. Sa mère Rosine, ex-dactylographe, tyrannise sa fille sous prétexte de lui donner la meilleure éducation. Pour s’imposer dans la bonne société parisienne, les Kampf décident d’organiser un grand bal avec deux cents invités. Mais Rosine refuse catégoriquement que sa « morveuse » de fille y assiste. Humiliée et furieuse, Antoinette trouve une occasion de se venger : chargée de poster les invitations, elle les jette toutes dans la Seine. Le soir du bal, seule la professeure de piano se présente.
Autour du livre
Entre 1928 et 1929, Irène Némirovsky rédige « Le Bal », court récit publié d’abord dans la revue Les Œuvres libres sous le pseudonyme de Pierre Nerey – anagramme d’Irène choisi pour « gifler sa mère ». L’inspiration lui vient de l’observation d’une jeune fille au « regard malheureux et dur » sur le pont Alexandre-III. Mais aussi de ses propre souvenirs : le conflit mère-fille transpose sa propre relation orageuse avec sa mère Fanny, femme vaniteuse qui négligeait sa fille.
La dimension autobiographique se double d’une féroce satire sociale des parvenus. Les dialogues, empreints d’un style oral parfois familier, dépeignent avec causticité l’ignorance des codes mondains et la vulgarité des personnages. La liste des invités elle-même devient objet de dérision : elle se compose essentiellement de connaissances fugaces croisées dans les palaces, souvent des Juifs enrichis qui s’inventent des titres de noblesse.
Le récit se structure en six séquences, du matin de l’annonce du bal jusqu’au fiasco final. La narration à la troisième personne privilégie le point de vue d’Antoinette, permettant d’accéder à ses tourments d’adolescente mal-aimée. Les monologues intérieurs alternent entre exaltation lyrique et pensées vengeresses.
Si certains critiques, comme Paul Reboux, saluent un « poignant poème » comparable aux œuvres de Flaubert ou Maupassant, d’autres s’offusquent de la perversité du personnage d’Antoinette. Le livre alimente également la controverse sur l’antisémitisme supposé de Némirovsky, déjà soulevée par son roman « David Golder ».
Le roman connaît plusieurs adaptations : un film de Wilhelm Thiele en 1931 qui révèle Danielle Darrieux, un opéra d’Oscar Strasnoy créé à Hambourg en 2010, et une pièce de théâtre mise en scène par Virginie Lemoine en 2013. Longtemps oublié après la disparition tragique de l’autrice à Auschwitz en 1942, « Le Bal » ressurgit dans les années 1980 et s’impose comme un classique des cours de français, salué pour sa finesse psychologique et son évocation des tourments de l’adolescence.
Aux éditions GRASSET ; 144 pages.
3. Jézabel (1936)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Paris, 1934. Dans le box des accusés, Gladys Eysenach, une femme de la haute société dont la beauté exceptionnelle a fait tourner tant de têtes, est accusée d’avoir tué Bernard Martin, un étudiant de vingt ans. Face aux questions du tribunal, elle reste muette sur ses motivations : « J’ai tout avoué, tout ce qu’on a voulu ! » Le récit remonte alors le fil de son existence : son enfance solitaire, sa découverte enivrante de son pouvoir de séduction, son mariage fortuné, puis son veuvage qui la lance dans une quête effrénée d’amour et d’admiration. Mais le temps devient son pire ennemi. Quand sa fille Marie-Thérèse manifeste son désir d’indépendance, Gladys bascule dans une spirale destructrice qui la conduira au crime.
Autour du livre
« Jézabel », publié en 1936 chez Albin Michel, puise sa force dans son architecture narrative particulière. Le procès qui ouvre le roman fonctionne comme un miroir déformant : les témoignages esquissent le portrait d’une femme fatale avant que le retour en arrière ne dévoile une vérité plus complexe. Le titre fait référence à la reine biblique Jézabel, figure de la séduction maléfique qui détourne son époux du droit chemin – une allégorie qui trouve son écho moderne dans la trajectoire de Gladys.
L’ouvrage s’inscrit dans une filiation évidente avec « Le Portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde, tout en proposant une variation féminine sur le thème du refus du vieillissement. Le personnage de Gladys incarne une forme de narcissisme pathologique qui confine à la folie. Son obsession pour sa jeunesse dépasse la simple coquetterie pour devenir une prison dorée dont elle ne peut s’échapper.
Le roman trouve ses racines dans la propre histoire d’Irène Némirovsky. Gladys serait inspirée de sa propre mère, qui refusait de voir sa fille grandir et l’habillait encore en fillette à sa majorité. Cette dimension autobiographique prend un relief tragique à la lumière du destin de Némirovsky, morte à Auschwitz en 1942. Après la guerre, sa mère refusera d’ailleurs de prendre en charge ses petites-filles orphelines, reproduisant dans la réalité l’égoïsme destructeur de Gladys.
La construction du roman joue habilement avec les attentes du lecteur. Si le crime est annoncé dès l’ouverture, sa véritable nature ne se révèle qu’au terme d’une lente descente dans les méandres de la psyché de Gladys. Le personnage oscille entre figure monstrueuse et créature pathétique, victime de son époque autant que de ses propres démons.
Traduit en douze langues, « Jézabel » a reçu un accueil critique remarquable qui souligne sa modernité : le culte de l’apparence et la terreur du vieillissement qu’il dépeint résonnent encore aujourd’hui avec une troublante actualité.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 224 pages.
4. Le Vin de solitude (1935)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Kiev, début du XXe siècle. Hélène Karol vit une enfance solitaire dans une riche famille juive, aux côtés d’un père banquier qui s’absente pour les affaires et le jeu, et d’une mère égocentrique, Bella, qui parade avec son jeune amant Max. Seule Mademoiselle Rose, sa gouvernante française, lui prodigue un peu d’affection. Quand la révolution bolchévique éclate en 1917, la famille fuit vers Saint-Pétersbourg puis la Finlande, avant de s’installer à Paris. Dans la capitale française, Hélène, devenue adulte, tente de blesser sa mère en séduisant Max. Cette entreprise de vengeance lui révèle pourtant qu’elle risque de devenir comme celle qu’elle abhorre. À la mort de son père, Hélène choisit finalement de rompre avec sa famille pour construire sa propre vie.
Autour du livre
« Le Vin de solitude » (1935) constitue l’œuvre la plus autobiographique d’Irène Némirovsky. La romancière y transpose son propre parcours d’enfant mal-aimée, de l’Ukraine à la France, en passant par la Finlande. Le titre évoque « ce moût enivrant de l’enfance, lorsque l’oubli l’a foulé au pied », une « vendange d’amertume » selon les mots de l’autrice.
Les manuscrits révèlent une longue maturation où Némirovsky hésite entre autobiographie pure et fiction romanesque. Dans ses carnets de travail, elle note : « On ne pardonne pas son enfance. Une enfance malheureuse, c’est comme si votre âme était morte sans sépulture, elle gémit éternellement. » Ce fil conducteur structure l’ensemble du récit.
La construction s’inspire de la Symphonie en ré mineur de César Franck, chaque mouvement correspondant à une étape du développement d’Hélène : innocence déçue, méditation, inquiétude, angoisse, indifférence, haine, espoir de vengeance, pitié. Cette architecture musicale permet à Némirovsky d’orchestrer avec tact l’évolution psychologique de son héroïne.
L’écriture porte les traces d’un bilinguisme originel : dans les brouillons apparaissent des expressions en russe, particulièrement pour évoquer les sensations et souvenirs d’enfance. Ces traces de la langue maternelle, absentes du texte final, témoignent de l’ancrage profond de la romancière dans sa culture d’origine.
La dimension initiatique du récit se double d’une fresque historique saisissante sur la bourgeoisie russe pendant la révolution bolchévique. Les Karol incarnent ces familles qui « profitèrent des massacres de la Première Guerre Mondiale pour s’enrichir outrageusement », précipitant ainsi leur propre chute.
« Le Vin de solitude » marque un tournant dans l’œuvre de Némirovsky : s’y confrontent son passé douloureux et son aspiration à la liberté créatrice. Le roman paraît d’abord en feuilleton dans la Revue de Paris en mars 1935, avant sa publication en volume chez Albin Michel en août de la même année.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 288 pages.
5. Chaleur du sang (2007)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans un village du Morvan, au début des années 1930, Silvio mène une existence paisible après une jeunesse aventureuse. Observateur privilégié de la vie locale, il entretient des relations étroites avec ses cousins François et Hélène Erard, couple modèle dont la fille Colette épouse bientôt Jean Dorin, un jeune propriétaire terrien. Le mariage célébré, les jeunes époux s’installent au Moulin-Neuf où naît rapidement leur premier enfant.
Cette harmonie apparente vole en éclats lorsque Jean meurt noyé dans l’étang du moulin. Les circonstances troubles de l’accident éveillent les soupçons : on parle d’une dispute, d’une altercation fatale. L’enquête révèle que Colette entretenait une liaison avec Marc, lui-même fiancé à Brigitte, une jeune femme mariée par intérêt à un riche vieillard. La mort de Jean fait ressurgir d’autres secrets enfouis : jadis, Hélène elle-même a connu les tourments d’un amour interdit avant d’épouser François.
À travers le regard de Silvio, témoin et narrateur, se dessine le portrait d’une société provinciale où les apparences policées masquent mal les passions dévorantes. Dans ce huis clos rural où chacun vit sous le regard des autres, la « chaleur du sang » – cette force qui pousse la jeunesse aux amours interdites – finit toujours par briser les conventions et bouleverser l’ordre établi.
Autour du livre
« Chaleur du sang » paraît en 2007, soixante-cinq ans après la mort d’Irène Némirovsky à Auschwitz. Le manuscrit, partiellement dactylographié par son mari avant l’arrestation de l’autrice en 1942, demeure inachevé jusqu’à la découverte des dernières pages en 2005 à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine.
L’intrigue se déroule dans le village même où Némirovsky trouve refuge pendant l’Occupation et rédige « Suite française ». Sa connaissance intime du milieu rural transparaît dans la description de cette société paysanne repliée sur elle-même, où « chacun vit chez soi, sur son domaine, se méfie du voisin, rentre son blé, compte ses sous et ne s’occupe pas du reste. » Le roman dépeint une bourgeoisie terrienne « à peine sortie du peuple, au sang riche et qui aime tous les biens de la terre. »
Construite comme une enquête policière, l’histoire progresse par dévoilements successifs. Les secrets affleurent lentement à la surface, portés par la voix de Silvio dont le détachement permet de saisir la complexité des relations humaines. Son regard acéré dissèque les apparences trompeuses d’une société provinciale où tout se sait mais rien ne se dit.
Némirovsky brode une réflexion sur les âges de la vie et l’éternel recommencement des passions. La « chaleur du sang » devient une force quasi mystique qui traverse les générations, bouleversant l’ordre moral établi. Les personnages se débattent entre leurs pulsions et les conventions sociales, entre leurs désirs et leur devoir.
Le roman s’inscrit dans la lignée des grands romans ruraux de Maupassant, Mauriac ou Hardy. Mais là où ses prédécesseurs privilégiaient parfois le pittoresque, Némirovsky cisèle une œuvre d’une rare acuité psychologique qui transcende le simple tableau de mœurs provinciales.
Les critiques saluent la subtilité de l’analyse des sentiments humains et la maîtrise narrative, même si certains regrettent une fin quelque peu précipitée – conséquence probable des circonstances tragiques dans lesquelles le manuscrit fut achevé.
Aux éditions FOLIO ; 208 pages.
6. David Golder (1929)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Paris, 1926. David Golder dirige un empire financier bâti sur le pétrole et le charbon. Parti de rien, cet émigré juif russe a construit sa fortune grâce à des spéculations juteuses. Quand son associé de longue date, Marcus, le supplie de l’aider à éviter la faillite, Golder refuse sans pitié. Le soir même, Marcus se suicide.
Une première crise cardiaque ébranle Golder durant un voyage en train vers Biarritz, où résident sa femme Gloria et leur fille Joyce, âgée de 18 ans. Dans leur somptueuse villa, il se retrouve entouré de parasites mondains et d’aventuriers, dont Hoyos, l’amant de longue date de Gloria, et Alexis, un aristocrate décadent qui courtise Joyce. Les deux femmes ne voient en lui qu’une « machine à faire de l’argent » pour assouvir leurs caprices dispendieux.
Lors d’une violente dispute, Gloria lui révèle que Joyce est la fille de Hoyos. Peu après, Golder fait faillite. Seul dans son appartement parisien vidé de ses meubles, il semble avoir tout perdu quand Joyce vient le voir : elle menace d’épouser un vieil usurier répugnant si son père ne l’aide pas financièrement. Pour l’en empêcher, Golder accepte une dernière mission risquée : négocier avec les Soviétiques l’exploitation de gisements pétroliers au Caucase.
Autour du livre
Premier roman d’Irène Némirovsky, « David Golder » naît d’une longue gestation de quatre ans. L’idée germe en 1925 lors d’un séjour à Biarritz où la romancière observe « le spectacle de tous ces oisifs détraqués et vicieux, de tout ce monde mêlé de financiers douteux, de femmes à la recherche de plaisir et de sensations nouvelles, de gigolos, de courtisanes ». La première version, rédigée début 1926, met en scène un héros qui rêve de construire « David Town », une cité paradisiaque sur des marais.
L’œuvre se distingue par sa composition simple et son style direct. Les chapitres courts, non numérotés, s’enchaînent comme des séquences cinématographiques. Les dialogues, crus et familiers, contribuent à créer une atmosphère brutale dès l’incipit : « En 1920, quand tu les as achetées, tes fameuses pétrolifères, ça valait quoi ? […] Maintenant tu te rends compte que des terrains pétrolifères en Russie, en 1926, pour toi, c’est de la merde ? »
La dimension tragique s’articule autour de plusieurs thèmes majeurs. L’argent gouverne les interactions et modèle les passions. Le corps devient une marchandise, comme l’illustre Joyce qui cherche à rentabiliser sa beauté. Le judaïsme s’exprime à travers ce que Némirovsky considère comme le « génie » juif : « le courage, la ténacité, l’orgueil […] en un mot, ‘le cran' ».
Publié anonymement chez Grasset fin 1929, « David Golder » rencontre un succès immédiat dans le contexte du krach boursier. Les lecteurs sont séduits par ces fortunes qui se font et se défont au gré des cotations internationales. La critique salue unanimement la puissance du récit, certains le comparant à Balzac.
Le roman suscite néanmoins la controverse. La presse juive s’inquiète de portraits jugés antipathiques tandis que la droite nationaliste y voit la confirmation de ses préjugés. Némirovsky se défend en affirmant décrire uniquement les milieux qu’elle a observés, sans viser de généralisation.
En 1930, une version théâtrale est montée au Théâtre de la Porte-Saint-Martin avec Harry Baur dans le rôle-titre. L’année suivante, Julien Duvivier en tire son premier film parlant, conservant Baur comme interprète principal. Une adaptation plus libre voit le jour en 1950 sous le titre « My Daughter Joy », avec Edward G. Robinson.
Le succès de « David Golder » ne sera jamais égalé par les publications ultérieures de Némirovsky. Traduit dans toute l’Europe et jusqu’au Japon, il marque le début d’une carrière brillante tragiquement interrompue par la déportation de l’écrivaine à Auschwitz en 1942.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 192 pages.