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Arthur Miller en 4 pièces de théâtre – Notre sélection

Arthur Miller en 4 pièces de théâtre – Notre sélection

Arthur Miller naît le 17 octobre 1915 à Harlem, New York, dans une famille d’immigrants polonais juifs. Son père, Isidore Miller, possède une entreprise prospère de confection de vêtements féminins, mais la famille perd presque tout lors du krach boursier de 1929 et déménage à Brooklyn.

Après des études secondaires, Miller travaille dans divers emplois pour financer ses études à l’Université du Michigan, où il commence à écrire pour le théâtre. Sa première pièce, « No Villain » (1937), remporte le Prix Avery Hopwood. Exempté du service militaire pendant la Seconde Guerre mondiale en raison d’une blessure, il poursuit son activité d’écrivain.

Sa carrière décolle véritablement avec « Ils étaient tous mes fils » (1947), mais c’est « Mort d’un commis voyageur » (1949) qui le consacre avec le Prix Pulitzer. Dans les années 1950, en pleine période maccarthyste, il écrit « Les Sorcières de Salem » (1953), une allégorie du climat de suspicion qui règne alors. Convoqué lui-même devant la Commission des activités anti-américaines, il refuse de dénoncer ses pairs et est condamné pour outrage au Congrès, avant d’être réhabilité en appel.

Sa vie privée attire l’attention médiatique, notamment lors de son mariage avec Marilyn Monroe (1956-1961). Il se marie en tout trois fois : d’abord avec Mary Slattery (1940-1956), puis avec Monroe, et enfin avec la photographe Inge Morath (1962-2002), avec qui il reste jusqu’à la mort de celle-ci.

Miller continue d’écrire pour le théâtre jusqu’à la fin de sa vie avec des pièces comme « Après la chute » (1964) et « Le Prix » (1968). Il meurt le 10 février 2005 à Roxbury, Connecticut. Il est considéré comme l’un des plus grands dramaturges du XXe siècle.

Voici notre sélection de ses pièces de théâtre majeures.


1. Ils étaient tous mes fils (1947)

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Résumé

En 1946, dans une petite ville américaine, Joe Keller dirige une entreprise prospère après la Seconde Guerre mondiale. Pendant le conflit, son usine fabriquait des pièces d’avion. Un scandale a éclaté lorsque des pièces défectueuses ont causé la mort de vingt-et-un pilotes. Joe a été acquitté lors du procès, mais son associé Steve Deever a été condamné et purge sa peine en prison.

La famille Keller porte également le deuil de Larry, leur fils aîné, pilote disparu en mission il y a trois ans. Kate, la mère, refuse catégoriquement d’accepter sa mort et attend toujours son retour. Chris, le fils cadet revenu du front, souhaite refaire sa vie et projette d’épouser Ann Deever, qui était autrefois la fiancée de Larry. Cette situation crée déjà des tensions, d’autant plus qu’Ann est la fille de Steve, l’associé emprisonné.

Le fragile équilibre familial bascule avec l’arrivée de George, le frère d’Ann, qui vient de visiter son père en prison. Il accuse publiquement Joe d’être le vrai coupable dans l’affaire des pièces défectueuses. Chris, qui a toujours idolâtré son père, commence à douter de son innocence. Pour Joe, ses actions étaient justifiées par le besoin de protéger sa famille et son entreprise. Pour Chris, marqué par la guerre, la responsabilité morale prime sur les intérêts individuels.

Le conflit s’intensifie entre père et fils, tandis que Kate s’oppose désespérément au mariage, persuadée que son approbation signifierait admettre définitivement la mort de Larry.

Autour de la pièce

« Ils étaient tous mes fils » naît du désir d’Arthur Miller de rebondir après l’échec commercial de sa pièce précédente, « L’Homme qui avait toutes les chances », qui ne tint l’affiche que quatre représentations. Miller s’engagea alors dans ce qu’il considérait comme sa dernière tentative de créer une pièce commercialement viable, quitte à « chercher un autre métier » si elle ne trouvait pas son public. La source d’inspiration provient d’un article de journal que sa belle-mère lui montra, relatant comment la Wright Aeronautical Corporation de l’Ohio avait, entre 1941 et 1943, conspiré avec des officiers d’inspection de l’armée pour approuver des moteurs d’avion défectueux destinés à l’usage militaire. Cette affaire avait été révélée par des ouvriers lanceurs d’alerte, et trois officiers de l’armée de l’air furent reconnus coupables de négligence.

Les thèmes qui traversent « Ils étaient tous mes fils » portent une puissante charge symbolique et morale. Miller s’attaque à la relation complexe entre pères et fils, mais surtout au conflit entre éthique des affaires et morale individuelle. À travers Joe Keller, qui justifie ses actes répréhensibles par l’amour de sa famille, Miller interroge la notion de responsabilité collective face à l’individualisme mercantile. « Je crois qu’ils étaient tous mes fils », déclare Joe vers la fin de la pièce, réalisant tardivement que sa responsabilité s’étend par-delà son cercle familial, vers tous ces jeunes hommes envoyés au combat.

L’influence d’Henrik Ibsen sur Miller transparaît nettement dans « Ils étaient tous mes fils », notamment à travers la pièce « Le Canard sauvage » dont Miller s’inspira pour le motif des deux associés où l’un assume la responsabilité morale et légale pour l’autre. Cette dimension politique et sociale fut l’une des raisons pour lesquelles Miller fut convoqué devant la Commission des activités anti-américaines pendant les années 1950, alors que les États-Unis traversaient une période d’hystérie anticommuniste. Sa collaboration avec Elia Kazan, qui mit en scène la première version théâtrale, prit fin lorsque ce dernier, partageant initialement les vues de gauche de Miller, donna des noms de communistes présumés à la Commission pendant la « Chasse aux sorcières ».

Créée à Broadway au Coronet Theatre de New York le 29 janvier 1947, « Ils étaient tous mes fils » connut un succès immédiat avec 328 représentations jusqu’au 8 novembre de la même année. Dirigée par Elia Kazan et produite conjointement avec Harold Clurman, la pièce remporta le New York Drama Critics’ Circle Award. La distribution originale — Ed Begley, Beth Merrill, Arthur Kennedy et Karl Malden — contribua grandement à son triomphe. Elle fut également couronnée du Tony Award du meilleur auteur et du Tony Award de la meilleure mise en scène. La reprise de 1987 à Broadway, avec Richard Kiley, Joyce Ebert, Jamey Sheridan et Jayne Atkinson, rafla le Tony Award de la meilleure reprise.

« Ils étaient tous mes fils » connut sa première adaptation cinématographique en 1948, avec Edward G. Robinson incarnant Joe Keller, sous la direction d’Irving Reis. Le film reçut deux nominations pour le Prix du meilleur drame américain écrit et le Prix Robert Meltzer pour son co-scénariste Chester Erskine. En 1987, une nouvelle adaptation télévisuelle, plus fidèle à la pièce originale, mit en vedette James Whitmore, Aidan Quinn, Michael Learned et Joan Allen, sous la direction de Jack O’Brien. Le duo de rock alternatif Twenty One Pilots a choisi son nom en référence aux 21 pilotes qui ont péri dans la pièce.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 224 pages.


2. Mort d’un commis voyageur (1949)

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Résumé

Brooklyn, 1949. Willy Loman, commis voyageur de 63 ans, rentre chez lui après avoir abandonné son voyage d’affaires en Floride. Épuisé, mentalement instable, il se parle seul et semble revivre des événements passés comme s’ils se déroulaient au présent. Son épouse Linda le soutient avec dévotion malgré ses sautes d’humeur et ses « accidents » de voiture qu’elle soupçonne être des tentatives de suicide.

Leurs deux fils adultes sont temporairement de retour au foyer familial. Biff, 34 ans, ancien champion de football au lycée, mène une vie errante depuis qu’il a échoué aux examens et renoncé à l’université. Happy, son cadet de 32 ans, occupe un emploi médiocre mais se prétend sur le point de réussir. Les deux frères s’inquiètent de la dégradation mentale de leur père.

Le drame se noue autour de plusieurs échecs successifs : Willy se fait licencier par son patron alors qu’il espérait obtenir un poste sédentaire à New York. Biff tente sans succès d’obtenir un prêt d’un ancien employeur qui ne le reconnaît même pas. Lors d’un dîner censé être festif, la tension éclate entre Willy et Biff. Elle fait resurgir un événement traumatique : quatorze ans plus tôt, Biff avait surpris son père avec une maîtresse dans une chambre d’hôtel à Boston. Depuis ce jour, Biff a perdu toutes ses illusions sur son père et sur les valeurs qu’il prônait.

Las de ses échecs professionnels et conjugaux, Willy sombre dans le désespoir. Incapable d’accepter qu’il est un homme ordinaire et non le grand homme qu’il a toujours prétendu être, il envisage un geste radical qui, selon lui, donnerait enfin un sens à sa vie et permettrait à Biff de réaliser son potentiel grâce à l’argent de son assurance-vie.

Autour de la pièce

L’étincelle créatrice de « Mort d’un commis voyageur » jaillit d’une rencontre survenue en 1947. Arthur Miller croise alors son oncle Manny Newman, vendeur de métier, dans le hall d’un théâtre de Boston où l’on joue sa pièce « Ils étaient tous mes fils ». Miller raconte comment, en voyant son oncle, il perçoit par-delà sa simple présence physique : « Je pouvais voir la sinistre chambre d’hôtel derrière lui, le long voyage depuis New York dans sa petite voiture, l’espoir désespéré de la journée de travail. » Ce qui frappe particulièrement le dramaturge, c’est le décalage entre la réalité de cet homme et l’image qu’il projette. Miller décrit Manny comme « tellement absurde, si complètement isolé des lois ordinaires de la gravité, si élaboré dans ses inventions fantastiques » mais néanmoins animé par une telle soif de reconnaissance qu’il s’empare totalement de l’imagination du dramaturge.

La tragédie survient peu après : Manny se suicide, comme l’avaient fait précédemment deux autres vendeurs que Miller connaissait. Cette figure tragique cristallise les réflexions que Miller nourrissait depuis longtemps sur la figure du vendeur américain. Pour façonner Willy Loman et les autres personnages, il s’inspire également de sa relation avec son propre père et d’un autre vendeur qu’il avait côtoyé. Il va jusqu’à utiliser sa propre personne comme modèle pour le jeune Bernard.

La pièce dissèque ainsi le mythe du rêve américain et ses conséquences dévastatrices. Willy Loman incarne cette Amérique d’après-guerre obsédée par la réussite matérielle et le statut social. Son nom même, qui évoque phonétiquement « low man » (homme de peu) en anglais, symbolise sa position au bas de l’échelle sociale, bien que Miller ait nié cette interprétation. Il affirme plutôt avoir emprunté ce nom au film « Le Testament du docteur Mabuse » de Fritz Lang, décrivant le personnage comme « un homme terrifié qui appelle à l’aide dans le vide, une aide qui ne viendra jamais. »

La critique sociale se déploie dans l’opposition flagrante entre l’idéalisme désuet de Willy, qui croit qu’il suffit de « plaire aux gens » pour réussir, et la réalité brutale d’un système économique qui broie les individus devenus improductifs. Miller souligne ainsi la perversion des valeurs américaines : « la signification sociale d’un homme dérive uniquement de son statut. » Autrement dit, « chacun est l’artisan de son propre bonheur » et l’infortuné est seul responsable de son malheur, ne méritant plus le respect de la société.

Miller révolutionne la construction dramatique en abolissant les transitions temporelles conventionnelles. Cette ambition formelle se concrétise dans l’entrelacement constant du présent et des souvenirs de Willy. Les flashbacks ne constituent pas de simples retours en arrière mais font partie intégrante de la conscience troublée du personnage principal, une temporalité fluide où passé et présent coexistent. Cette structure reflète magistralement la détérioration mentale de Willy et permet au spectateur d’accéder simultanément à plusieurs niveaux de réalité. Le dispositif scénique original, conçu par Jo Mielziner pour la première mise en scène, matérialisait cette conception du temps en juxtaposant différents espaces sur le plateau, rendant visible l’imperceptible frontière entre réalité et illusion qui caractérise l’esprit de Willy Loman.

Dès sa création à Broadway le 10 février 1949, « Mort d’un commis voyageur » connaît un succès phénoménal avec 742 représentations consécutives. Le critique John Gassner écrit que « l’accueil extatique accordé à ‘Mort d’un commis voyageur’ résonne depuis un certain temps partout où il y a une oreille pour le théâtre, et c’est sans doute la meilleure pièce américaine depuis ‘Un tramway nommé Désir’. » La pièce remporte le Prix Pulitzer de l’œuvre théâtrale et de nombreux Tony Awards en 1949, dont ceux de la meilleure pièce, du meilleur auteur pour Arthur Miller, du meilleur acteur dans un second rôle pour Arthur Kennedy, des meilleurs décors pour Jo Mielziner, du meilleur producteur pour Kermit Bloomgarden et Walter Fried, et du meilleur metteur en scène pour Elia Kazan.

« Mort d’un commis voyageur » a connu d’innombrables adaptations à travers le monde. Au cinéma, la version de 1951 réalisée par László Benedek avec Fredric March remporte quatre Golden Globes et le Lion d’Or. La célèbre adaptation télévisée de 1985 dirigée par Volker Schlöndorff avec Dustin Hoffman et John Malkovich est également couronnée d’un Golden Globe. Plus récemment, le film iranien « Le Client » (2016) d’Asghar Farhadi, Oscar du meilleur film étranger, met en scène des acteurs interprétant des fragments de la pièce.

Sur les planches, les reprises se multiplient avec des interprètes prestigieux : George C. Scott (1975), Dustin Hoffman (1984), Brian Dennehy (1999) et Philip Seymour Hoffman (2012) à Broadway ; Warren Mitchell (1979) et Antony Sher (2015) au Royaume-Uni ; Jean Duceppe au Québec ; Heinz Rühmann en Allemagne ; Vittorio Gassman et Marcello Mastroianni en Italie. En France, François Périer incarne Willy Loman en 1988 dans une mise en scène de Marcel Bluwal. Plus récemment, en 2021, Imanol Arias reprend le rôle en Espagne.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 256 pages.


3. Les Sorcières de Salem (1953)

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Résumé

Salem, Massachusetts, 1692. Le révérend Samuel Parris surprend sa fille Betty, sa nièce Abigail Williams et d’autres jeunes filles en train de danser dans la forêt avec son esclave Tituba. Suite à cet incident, Betty tombe dans un état d’inertie inexplicable. Les rumeurs de sorcellerie commencent à circuler dans cette communauté puritaine où la moindre déviance religieuse suscite la peur.

Pour éviter d’être punies, Abigail et ses amies prétendent avoir été victimes de sorcellerie et accusent plusieurs villageois d’être des suppôts de Satan. Le révérend Hale, expert en démonologie, est appelé pour enquêter. Un tribunal spécial présidé par le juge Danforth s’installe à Salem pour juger les accusés.

Abigail, qui a travaillé comme servante chez les Proctor et eu une liaison avec John Proctor jusqu’à ce que son épouse Elizabeth la découvre et la congédie, profite de la situation pour se venger. Elle accuse Elizabeth de sorcellerie.

John Proctor, fermier respecté mais tourmenté par sa faute passée, tente de sauver sa femme en démasquant les mensonges d’Abigail. Devant le tribunal, il avoue son adultère pour démontrer qu’Abigail agit par jalousie et vengeance. Mais Elizabeth, ignorant que son mari a déjà confessé et voulant protéger son honneur, nie l’infidélité lors de son interrogatoire. Cette contradiction scelle le sort de John, qui est lui-même accusé de pactiser avec le malin.

Alors que l’hystérie collective enfle et que les exécutions se multiplient, John est confronté à un dilemme moral : signer de faux aveux pour sauver sa vie ou rester fidèle à la vérité et mourir.

Autour de la pièce

C’est en avril 1952 qu’Arthur Miller entreprend un voyage à Salem pour consulter les documents originaux liés aux procès des sorcières. À l’époque, la ville n’exploite guère cet épisode sombre de son histoire, le considérant comme une tache sur son passé. Le dramaturge lit les archives, s’imprègne des modèles linguistiques de l’époque et perçoit immédiatement un parallèle saisissant avec le climat oppressif qui règne dans l’Amérique des années 1950. Entre les procès pour sorcellerie du XVIIe siècle et les méthodes du sénateur McCarthy, Miller décèle la même mécanique d’accusation sans preuve, de délation récompensée, de justice instrumentalisée.

Miller construit ainsi une critique transparente du maccarthisme qui sévit alors aux États-Unis. Cette période voit des centaines d’Américains accusés d’activités communistes sur la base de témoignages souvent douteux. La pièce met en lumière comment une petite communauté peut sombrer dans la folie collective sous l’effet de la peur, de la superstition et de la manipulation. Le dramaturge ne se contente pas de raconter un épisode historique – il montre comment les mêmes erreurs se répètent quand la raison cède à la panique morale.

Miller prend quelques libertés avec les faits historiques pour renforcer la puissance dramatique de son œuvre. Il augmente notamment l’âge d’Abigail Williams, de 11 ans dans la réalité à 17 ans dans la pièce, pour pouvoir développer la relation adultère avec John Proctor. De même, John Proctor, âgé de 60 ans lors des véritables événements, est considérablement rajeuni pour accentuer le triangle amoureux au cœur de l’intrigue.

Les critiques qui accueillent la première représentation à Broadway le 22 janvier 1953 se montrent initialement hostiles. Pourtant, « Les Sorcières de Salem » remporte cette même année le Tony Award de la meilleure pièce. Un an plus tard, une nouvelle production rencontre cette fois un succès fulgurant. Lorsqu’en 1954, la pièce doit être présentée pour la première fois en Europe à Bruxelles, les autorités américaines refusent à Miller son passeport, illustration ironique de la pertinence de sa critique. En France, c’est Raymond Rouleau qui monte la pièce au Théâtre Sarah-Bernhardt en décembre 1954, sur une traduction de Marcel Aymé.

La pièce a fait l’objet de prestigieuses adaptations cinématographiques. La première, en 1957, intitulée « Les Sorcières de Salem » en français et réalisée par Raymond Rouleau, bénéficie d’un scénario de Jean-Paul Sartre et réunit à l’écran Yves Montand et Simone Signoret. Près de quarante ans plus tard, en 1996, Arthur Miller adapte lui-même sa pièce pour le grand écran dans « La Chasse aux sorcières » (The Crucible), un film de Nicholas Hytner avec Daniel Day-Lewis, Winona Ryder et Joan Allen. Cette seconde adaptation vaut à Miller une nomination aux Oscars pour le meilleur scénario adapté. Une transposition lyrique créée par Robert Ward, « The Crucible », remporte le Prix Pulitzer de musique en 1962.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 256 pages.


4. Vu du pont (1955)

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Résumé

New York, années 1950. Dans le quartier portuaire de Brooklyn, Eddie Carbone, docker d’origine italienne, partage son modeste logement avec son épouse Beatrice et leur nièce Catherine, jeune fille de 18 ans qu’ils ont élevée depuis son enfance. L’équilibre familial bascule lorsque deux immigrants clandestins italiens — Marco et Rodolpho, cousins de Beatrice — trouvent refuge chez les Carbone.

Marco, homme sérieux et travailleur, ne pense qu’à envoyer de l’argent à sa famille affamée en Italie. À l’inverse, le jeune et séduisant Rodolpho, aux cheveux blonds et à la voix mélodieuse, souhaite s’établir définitivement en Amérique. Une idylle naît rapidement entre Catherine et Rodolpho, déclenchant chez Eddie une jalousie dévorante qu’il masque sous une sollicitude paternelle excessive.

Eddie s’acharne à discréditer Rodolpho en l’accusant d’abord d’opportunisme — il n’épouserait Catherine que pour obtenir la nationalité américaine — puis en insinuant qu’il serait homosexuel. Ses tentatives échouent et le couple annonce son intention de se marier. Consumé par une passion inavouable pour sa nièce, incapable d’accepter de la perdre, Eddie commet l’impardonnable dans sa communauté : il dénonce Marco et Rodolpho aux services d’immigration…

Autour de la pièce

« Vu du pont » naît en 1955 sous la plume d’Arthur Miller, initialement comme une pièce en un acte partiellement écrite en vers. Elle connaît un succès immédiat lors de sa première représentation à Broadway, avec Van Heflin dans le rôle principal. Insatisfait, Miller retravaille son texte l’année suivante pour en faire une version en deux actes et en prose, qui deviendra la version canonique. Il l’écrit en réaction au film « Sur les quais » (1954) d’Elia Kazan, qui justifiait la délation. Ce dernier, autrefois ami de Miller, avait dénoncé plusieurs communistes pendant la période du maccarthysme pour préserver sa carrière.

Sur fond d’univers des dockers new-yorkais, la pièce aborde plusieurs thématiques sociétales notables : l’immigration clandestine, les tensions communautaires, mais surtout la psychologie tourmentée du protagoniste, Eddie Carbone. Miller y dépeint une passion taboue d’un homme pour sa nièce, passion qu’il refuse de s’avouer et qui le pousse à des actes destructeurs. Il s’inspire ici de la tradition de la tragédie grecque, où le héros court à sa perte, aveuglé par ses propres démons intérieurs. Le personnage d’Alfieri, avocat servant de narrateur, incarne une figure chorale rappelant le théâtre antique. Il commente l’action avec une distance qui souligne l’inéluctabilité du destin tragique qui se joue.

Peter Brook, qui met en scène la version en deux actes à Londres en 1956, contribue grandement à sa reconnaissance internationale. Le critique du Time Out qualifie cette production de « quasi parfaite », tandis que le New Statesman évoque « l’un des meilleurs événements présentés au National Theatre depuis son installation sur la rive sud ». En 2014, la mise en scène d’Ivo van Hove au Young Vic de Londres remporte trois Laurence Olivier Awards, celui du meilleur acteur pour Mark Strong dans le rôle d’Eddie, du meilleur metteur en scène et de la meilleure reprise.

Au cinéma, Sidney Lumet réalise en 1962 une version avec Raf Vallone dans le rôle d’Eddie Carbone. La pièce est également adaptée pour la télévision, notamment par la BBC en 1966 et 1986. Renzo Rossellini compose l’opéra « Uno sguardo dal ponte » en 1961, tandis que William Bolcom crée une nouvelle version opératique en 1999 avec la collaboration d’Arthur Miller lui-même pour le livret. L’influence de la pièce se fait aussi sentir dans « Rocco et ses frères » (1960) de Luchino Visconti, qui avait auparavant monté « Vu du pont » sur scène en Italie.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 294 pages.

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