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Vladimir Nabokov en 8 romans – Notre sélection

Vladimir Nabokov en 8 romans – Notre sélection

Vladimir Nabokov naît le 22 avril 1899 à Saint-Pétersbourg, dans une famille de l’aristocratie russe. Fils d’un professeur de droit et homme politique libéral, il grandit dans un milieu privilégié où il apprend l’anglais et le français dès son plus jeune âge. La révolution d’Octobre 1917 bouleverse sa vie : la famille doit fuir la Russie et s’exile d’abord en Crimée, puis en Europe occidentale.

De 1919 à 1923, le jeune Nabokov étudie à Cambridge. Il s’installe ensuite à Berlin, où il commence à publier des romans en russe sous le pseudonyme de V. Sirine. Face à la montée du nazisme, il quitte l’Allemagne en 1937 avec son épouse Véra Slonim et leur fils Dmitri pour s’installer à Paris, puis aux États-Unis en 1940.

C’est aux États-Unis que Nabokov connaît la consécration. Il enseigne la littérature à l’université Cornell et publie en 1955 son chef-d’œuvre controversé, « Lolita », qui fait scandale mais devient un succès mondial. Désormais riche et célèbre, il s’installe en 1961 en Suisse, au Montreux Palace Hôtel, où il partage son temps entre l’écriture et sa passion pour les papillons. Il y publie d’autres œuvres majeures comme « Feu pâle » (1962) et « Ada ou l’Ardeur » (1969).

Après plusieurs problèmes de santé, Nabokov s’éteint le 2 juillet 1977 à Lausanne. Il laisse derrière lui une œuvre remarquable qui traverse trois langues (russe, anglais, français) et fait de lui l’un des écrivains les plus importants du XXe siècle.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Lolita (1955)

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Résumé

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un intellectuel européen émigré aux États-Unis, Humbert Humbert, s’éprend passionnément de Dolores Haze, douze ans, fille de sa logeuse qu’il surnomme Lolita. Pour rester près d’elle, il épouse sa mère Charlotte. À la mort accidentelle de cette dernière, qui venait de découvrir ses intentions malsaines, Humbert devient le tuteur légal de la jeune fille.

S’ensuit un long périple à travers l’Amérique, durant lequel il abuse d’elle sous couvert d’une relation père-fille. Lolita finit par s’enfuir avec Clare Quilty, un dramaturge qui l’abandonne après avoir tenté de l’utiliser dans des films pornographiques. Des années plus tard, Humbert retrouve Lolita, mariée et enceinte. Après lui avoir donné de l’argent, il part tuer Quilty avant d’être arrêté. Le récit se présente comme les mémoires d’Humbert, écrites en prison.

Autour du livre

Chef d’œuvre controversé de Vladimir Nabokov, « Lolita » paraît d’abord en 1955 aux éditions parisiennes Olympia Press, après avoir été refusé par cinq éditeurs américains. Le roman déclenche une tempête médiatique quand le critique Graham Greene le désigne comme l’un des meilleurs livres de l’année, provoquant son interdiction temporaire en France et en Grande-Bretagne. Cette polémique contribue paradoxalement à son succès fulgurant lors de sa publication aux États-Unis en 1958, où il devient le premier roman depuis « Autant en emporte le vent » à dépasser les 100 000 exemplaires vendus en trois semaines.

Le texte se construit comme un jeu de miroirs vertigineux, où la voix du narrateur Humbert brouille constamment les frontières entre réalité et fantasme. Son récit sophistiqué multiplie les références littéraires, notamment à Edgar Allan Poe dont le poème « Annabel Lee » inspire directement le personnage d’Annabel Leigh, premier amour d’Humbert mort prématurément. Cette intertextualité permanente s’accompagne d’une maîtrise narrative qui fait d’Humbert un narrateur peu fiable, manipulant subtilement le lecteur tout en dévoilant sa propre monstruosité.

L’ambition littéraire dépasse largement le caractère scandaleux de l’intrigue pour livrer une réflexion profonde sur l’art et la morale. Nabokov y dissèque la société américaine d’après-guerre à travers le regard d’un intellectuel européen déraciné, tout en interrogeant les mécanismes de la perversion et de l’obsession. Les adaptations cinématographiques de Stanley Kubrick (1962) et Adrian Lyne (1997) témoignent de la force d’une œuvre qui continue de susciter des débats passionnés. Le terme « lolita », désormais entré dans le langage courant pour désigner une très jeune fille séductrice, illustre d’ailleurs le malentendu fondamental autour du roman : là où le grand public retient l’image d’une nymphette tentatrice, le texte dépeint avant tout la tragédie d’une enfance volée.

Aux éditions FOLIO ; 551 pages.


2. Ada ou l’Ardeur (1969)

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Résumé

Au crépuscule du XIXe siècle, sur Antiterra, un monde parallèle, le jeune Van Veen découvre l’amour auprès de sa cousine Ada lors d’un séjour au manoir familial d’Ardis. Cette passion naissante entre deux adolescents de 14 et 12 ans prend une dimension tragique lorsqu’ils découvrent qu’ils sont en réalité frère et sœur, fruits de la liaison entre Demon Veen et Marina. Cette révélation n’altère en rien leur ardeur : pendant quatre années, ils vivent un amour absolu jusqu’à ce que Van apprenne qu’Ada l’a trompé.

La séparation qui s’ensuit n’est que la première d’une longue série. Quand ils tentent de renouer leur relation quelques années plus tard, leur père Demon les contraint à s’éloigner l’un de l’autre. Ada épouse alors Andrey Vinelander tandis que Van se réfugie dans la psychiatrie et les bordels. Leur amour reste pourtant inextinguible malgré les obstacles, le suicide de leur demi-sœur Lucette – secrètement éprise de Van – et les années qui passent. Ce n’est qu’après dix-sept ans de mariage et la mort d’Andrey qu’ils peuvent enfin s’unir pour leurs dernières années.

Autour du livre

La genèse d’ « Ada ou l’Ardeur » témoigne d’une maturation exceptionnelle. En 1959, Nabokov travaille simultanément sur deux manuscrits : une méditation philosophique sur la nature du temps et un récit de science-fiction intitulé « Letters from Terra ». Ces textes s’entremêlent progressivement dans son esprit jusqu’à former, entre 1966 et 1968, une œuvre monumentale qui deviendra son plus long roman. L’engouement est immédiat : avant même sa publication, Columbia Pictures acquiert les droits d’adaptation pour 500 000 dollars, une somme considérable pour l’époque. Bien que plusieurs réalisateurs, dont Roman Polanski, manifestent leur intérêt, le projet n’aboutira jamais.

L’innovation majeure du roman réside dans sa construction d’un monde parallèle, Antiterra, qui permet à Nabokov de transcender les contraintes du réalisme historique. Cette uchronie audacieuse fusionne la Russie et l’Amérique en une seule nation, l’Amérosie, où le français, l’anglais et le russe se côtoient naturellement. L’interdiction de l’électricité suite à un mystérieux « désastre L » et la croyance des habitants en l’existence d’une planète jumelle nommée Terra (notre Terre) créent un décalage constant qui questionne notre rapport à la réalité.

Le texte se construit comme une mise en abyme vertigineuse : Van Veen, à 90 ans, rédige ses mémoires tandis qu’Ada y ajoute ses commentaires, créant un dialogue entre présent et passé. Cette architecture complexe permet à Nabokov d’entrelacer plusieurs niveaux de lecture : chronique familiale, méditation sur le temps, réflexion sur la mémoire, variations sur le thème de l’amour absolu.

La réception critique illustre la nature clivante de l’œuvre. Si « Ada ou l’Ardeur » atteint la quatrième place des meilleures ventes du New York Times, les réactions des critiques oscillent entre admiration et rejet. Certains, comme Alfred Appel, y voient l’égal des créations de Kafka, Proust et Joyce, tandis que d’autres jugent le texte hermétique ou prétentieux. Nabokov lui-même considère « Ada ou l’Ardeur » comme son chef-d’œuvre. Les premières traductions exigent un travail minutieux : le romancier supervise personnellement les versions italienne, allemande et française, conscient que la complexité linguistique du texte nécessite une attention particulière. La version définitive en anglais ne paraîtra qu’en 1990, sous la supervision de son fils Dmitri et du spécialiste Brian Boyd.

Aux éditions FOLIO ; 768 pages.


3. La défense Loujine (1930)

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Résumé

Dans la Pétersbourg du début du XXe siècle, un jeune garçon solitaire mal dans sa peau découvre les échecs lors d’une réception chez son père. Cette rencontre fortuite bouleverse sa vie : Alexandre Loujine se met à fréquenter assidûment sa tante pour apprendre les rudiments du jeu. Son talent prodigieux se révèle rapidement et, sous l’égide de l’opportuniste Valentinov qui devient son mentor, il s’impose comme l’un des plus grands joueurs de son époque. Contraint à l’exil après la révolution russe de 1917, il poursuit sa carrière en Europe.

Lors d’un tournoi, il rencontre une jeune femme qui, touchée par sa maladresse sociale et son génie singulier, l’épouse malgré l’opposition de sa famille. Mais sa confrontation avec le grand maître italien Turati provoque chez lui une grave crise nerveuse. Si son épouse tente de l’éloigner du monde des échecs pour le protéger, Loujine glisse inexorablement vers la folie, percevant sa vie comme une immense partie d’échecs dont il doit trouver l’issue.

Autour du livre

L’histoire de ce génie des échecs qui sombre dans la folie prend racine dans un drame qui a profondément marqué Nabokov : le suicide en 1924 de son ami le maître d’échecs Curt von Bardeleben, qui s’est défenestré. La rédaction du roman débute en 1929 dans les Pyrénées-Orientales, au Boulou, où l’auteur poursuit sa passion pour l’entomologie. Cette activité scientifique n’est pas anodine : le personnage de Turati, rival italien de Loujine, doit probablement son nom à Emilio Turati, éminent lépidoptériste dont les travaux sur les papillons des Alpes maritimes étaient connus de Nabokov.

La construction du récit adopte une mécanique calculée qui reflète son sujet : les événements s’enchaînent comme les coups d’une partie d’échecs, dans une progression aussi mathématique qu’inexorable. Cette architecture sert magnifiquement le propos central : montrer comment un don exceptionnel peut conduire à l’aliénation mentale. La démence progressive de Loujine met en lumière l’impossibilité de faire coexister deux modes de pensée antinomiques – la logique pure du jeu d’échecs et le chaos de l’existence quotidienne.

Paru d’abord sous le pseudonyme de V. Sirin dans la revue parisienne Sovremennye zapiski en 1930, puis en volume à Berlin, le roman connaît un succès immédiat auprès du public russe émigré. Sa traduction anglaise, réalisée par l’auteur lui-même avec l’aide de Michael Scammell, paraît en 1964. En 2000, la réalisatrice Marleen Gorris en tire une adaptation cinématographique avec John Turturro dans le rôle du protagoniste. Si le film prend quelques libertés avec l’intrigue originale, il conserve la tension psychologique qui fait la force de l’œuvre. La trajectoire tragique de Loujine continue ainsi de questionner les rapports entre génie et santé mentale, entre obsession et destruction de soi.

Aux éditions FOLIO ; 281 pages.


4. Feu pâle (1962)

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Résumé

Publié en 1962, « Feu pâle » de Vladimir Nabokov se présente sous la forme d’un long poème de 999 vers composé par John Shade, un éminent poète américain fictif, accompagné d’une préface, d’un commentaire et d’un index rédigés par Charles Kinbote, son voisin et collègue universitaire. L’action se déroule dans la petite ville universitaire de New Wye, en Appalachia, où Kinbote s’installe comme professeur et devient le voisin de Shade. Durant les derniers mois de la vie du poète, Kinbote lui raconte inlassablement l’histoire du royaume imaginaire de Zembla et de son roi déchu contraint à l’exil. Après l’assassinat de Shade par un déséquilibré échappé d’un asile, Kinbote s’empare du manuscrit du poème et s’enfuit dans une cabane touristique à Cedarn, dans l’Utah.

Le poème de Shade, divisé en quatre chants, évoque principalement le suicide de sa fille Hazel et sa quête désespérée pour communiquer avec elle dans l’au-delà. Dans son commentaire délirant, Kinbote tente d’imposer sa propre interprétation du poème, persuadé que celui-ci dissimule l’histoire de sa vie en tant que Charles II, roi de Zembla. Il élabore un récit rocambolesque mêlant la fuite du roi à travers les montagnes, une révolution soutenue par les Soviétiques et un assassin maladroit nommé Gradus.

Autour du livre

L’originalité foudroyante de « Feu pâle » réside dans sa structure inédite qui bouleverse les codes du roman traditionnel. Cette composition audacieuse, qualifiée de « métafiction » par la critique, préfigure l’hypertexte moderne par son système complexe de renvois et de références croisées. Nabokov y interroge les notions d’autorité littéraire et de propriété intellectuelle à travers le parasitage obsessionnel de Kinbote, qui détourne le poème de Shade pour y projeter ses propres fantasmes.

La dimension shakespearienne irrigue l’ensemble de l’œuvre, à commencer par son titre emprunté à « Timon d’Athènes ». Les thèmes du double, de l’exil et de la folie font écho à « Hamlet », tandis que le personnage de Kinbote incarne une figure tragicomique digne du théâtre élisabéthain. Brian Boyd, spécialiste de Nabokov, considère « Feu pâle » comme son « roman le plus parfait », tandis que le critique Harold Bloom y voit « la démonstration la plus éclatante de son génie ».

Dans un entretien, Nabokov révèle que le véritable narrateur n’est ni Kinbote ni Shade, mais un certain professeur Botkin, un Russe dérangé dont le nom constitue l’anagramme de Kinbote. Cette révélation ajoute une strate supplémentaire à ce chef-d’œuvre vertigineux qui ne cesse, soixante ans après sa publication, de susciter des interprétations contradictoires.

Aux éditions FOLIO ; 352 pages.


5. La méprise (1934)

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Résumé

Dans le Berlin des années 1930, Hermann Karlovich dirige une fabrique de chocolat et mène une existence en apparence paisible. Son mariage avec Lydia, qu’il décrit comme une femme écervelée, masque à peine la liaison de cette dernière avec son cousin Ardalion – relation qu’Hermann feint d’ignorer malgré les évidences les plus flagrantes.

Lors d’un séjour à Prague, Hermann rencontre Felix, un vagabond dans lequel il croit reconnaître son sosie parfait. Cette ressemblance, que Felix lui-même ne perçoit pas, devient une obsession pour Hermann qui conçoit alors un plan machiavélique : convaincre Felix de se faire passer pour lui contre rémunération, puis l’assassiner afin que Lydia puisse toucher son assurance-vie.

Son plan, qu’il considère moins comme une escroquerie que comme une œuvre d’art, s’écroule rapidement : la prétendue ressemblance entre les deux hommes n’existe que dans son esprit dérangé. Traqué par la police, Hermann se réfugie dans un petit hôtel français où il rédige ses mémoires jusqu’aux derniers instants avant son arrestation. Le récit se clôt sur une ultime note datée du 1er avril, jour des fous – ironie finale d’un narrateur qui a perdu tout contact avec la réalité.

Autour du livre

« La méprise » voit le jour dans un contexte historique particulier : Nabokov commence sa rédaction à Berlin en juillet 1932, période de grand trouble politique en Allemagne. Le Reichstag vient de s’effondrer et la violence entre nazis et communistes s’intensifie. Cette atmosphère tendue transparaît dans le roman à travers le personnage d’Hermann, sympathisant communiste, préfigurant l’aversion de Nabokov pour les régimes totalitaires qui s’exprimera plus fortement encore dans « Invitation au supplice ».

Le roman constitue une parodie des œuvres de Dostoïevski, que Nabokov méprisait pour leur propension à l’introspection et leur glorification des criminels. Hermann présente d’ailleurs des similitudes avec Raskolnikov de « Crime et Châtiment », tous deux planifiant un meurtre qu’ils jugent parfait. Le titre de travail initial, « Carnets d’un mystificateur », fait directement écho aux « Carnets du sous-sol » de Dostoïevski.

« La méprise » marque un tournant dans la carrière de Nabokov : sa traduction en anglais en 1937 représente sa « première tentative sérieuse d’utiliser l’anglais à des fins artistiques ». Malheureusement, l’édition anglaise connaît un échec commercial cuisant, Nabokov déplorant plus tard que son livre était « un rhinocéros dans un monde de colibris ». L’œuvre sera adaptée au cinéma en 1978 par Rainer Werner Fassbinder, avec Dirk Bogarde dans le rôle d’Hermann.

Aux éditions FOLIO ; 256 pages.


6. Pnine (1957)

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Résumé

Dans l’Amérique des années 1950, Timofey Pavlovich Pnine enseigne le russe au Waindell College. Ce quinquagénaire émigré, qui a fui successivement la révolution bolchévique puis la montée du nazisme, peine à s’adapter à son pays d’adoption. Son parcours est jalonné de pertes : ses parents morts dans sa jeunesse, sa fiancée Mira Belochkin assassinée à Buchenwald, et son ex-femme Liza Wind qui l’a manipulé pour rejoindre l’Amérique avant de l’abandonner pour un autre homme.

Professeur associé précaire et marginal, Pnine erre d’un logement à l’autre, malmené par son anglais approximatif qui le rend souvent ridicule aux yeux de ses collègues. Lorsqu’il parvient enfin à acquérir sa propre maison et à organiser une pendaison de crémaillère, il apprend que son département va être dirigé par Vladimir Vladimirovich – le narrateur du roman – sous lequel il refuse catégoriquement de travailler. Il quitte alors Waindell, accompagné d’un chien errant.

Autour du livre

La genèse du roman est intimement liée aux difficultés financières de Nabokov : les premiers chapitres paraissent d’abord en feuilleton dans The New Yorker pour lui assurer un revenu pendant qu’il cherche un éditeur pour « Lolita ». Contrairement aux idées reçues, c’est « Pnine » et non « Lolita » qui lance véritablement la carrière de Nabokov aux États-Unis en 1957. Le roman connaît un succès immédiat dans les cercles littéraires et est nominé pour le National Book Award en 1958.

Les déboires de Pnine font écho aux propres mésaventures de Nabokov dans le monde universitaire américain. Un jour, selon son ancien étudiant Alfred Appel, il se trompe de salle et commence son cours devant les étudiants d’un autre professeur. Il se sort élégamment de la situation en présentant sa prestation comme une « bande-annonce » pour son cours du semestre suivant. Le personnage de Pnine s’inspire partiellement du professeur Marc Szeftel, collègue de Nabokov à Cornell. Cette inspiration n’est pas du goût de l’intéressé, qui manifeste une certaine amertume face à la ressemblance. Le campus de Waindell emprunte quant à lui des éléments à Cornell University et Wellesley College, où Nabokov a enseigné.

La figure de l’écureuil, qui accompagne Pnine tout au long du récit, constitue un fil conducteur subtil : le nom « Belochkin » dérive du diminutif russe pour « écureuil ». Cette présence récurrente incarne le souvenir de Mira, première fiancée de Pnine assassinée dans les camps nazis, et confère au roman une dimension mémorielle inattendue. Brian Boyd y voit « le centre moral du roman », où la générosité et le courage de Mira dans ses derniers jours « incarnent l’humanité dans ce qu’elle a de meilleur et de plus vulnérable ».

Aux éditions FOLIO ; 267 pages.


7. La vraie vie de Sebastian Knight (1941)

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Résumé

En 1941, Vladimir Nabokov publie son premier roman en anglais, « The Real Life of Sebastian Knight ». Le narrateur V., un émigré russe établi en France, entreprend d’écrire la biographie de son demi-frère Sebastian Knight, romancier anglais d’origine russe récemment décédé. Cette quête le mène sur les traces de son aîné, de la Russie pré-révolutionnaire jusqu’à Paris, en passant par Cambridge où Sebastian a fait ses études.

Au fil de son enquête, V. rencontre les proches de Sebastian : son ancienne compagne Clare Bishop, son ex-secrétaire Mr. Goodman qui a déjà publié une biographie contestable, et diverses connaissances de l’université. La recherche s’intensifie lorsque V. découvre l’existence d’une mystérieuse femme russe ayant partagé les dernières années de Sebastian. Cette piste le conduit jusqu’à Mme Nina Lecerf, qui s’avère être la même personne que Mme de Rechnoy, le dernier amour de Sebastian. Le récit s’achève sur une course désespérée de V. pour rejoindre son frère mourant dans un hôpital, où il arrive trop tard.

Autour du livre

Écrit à Paris en 1940 alors que Nabokov s’apprête à fuir vers les États-Unis, ce premier roman en anglais de l’auteur russe constitue bien plus qu’une simple enquête biographique. La narration se déploie en cercles concentriques, mêlant les souvenirs d’enfance en Russie, les témoignages recueillis et l’analyse des œuvres de Sebastian. Cette structure labyrinthique brouille progressivement les frontières entre le biographe et son sujet.

L’originalité du roman tient notamment à sa dimension métafictionnelle avant-gardiste. Les romans attribués à Sebastian Knight – The Prismatic Bezel, Success, Lost Property et The Doubtful Asphodel – se révèlent être des miroirs subtils de l’œuvre qui les contient. Les thèmes qui y sont décrits trouvent leur écho dans la quête même de V., créant un vertigineux effet de mise en abyme.

La multiplicité des points de vue et l’impossibilité de saisir définitivement la vérité d’une existence constituent le cœur battant de ce texte. Du portrait initial de Sebastian émergent peu à peu des versions contradictoires, tandis que l’identité même du narrateur devient incertaine. Le roman culmine sur cette phrase énigmatique : « Je suis Sebastian Knight », qui ouvre la voie à de multiples interprétations. Cette œuvre magistrale, saluée par Edmund Wilson comme son préféré parmi les livres de Nabokov, préfigure les grands thèmes qui irrigueront toute son œuvre américaine à venir.

Aux éditions FOLIO ; 320 pages.


8. Chambre obscure (1932)

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Résumé

Berlin, années 1920. Albert Albinus, critique d’art respecté menant une existence bourgeoise confortable, succombe au charme vénéneux de Margot Peters, une ouvreuse de cinéma de 17 ans. Cette passion irrépressible le pousse à abandonner femme et enfant pour vivre avec la jeune femme, qui ne voit en lui qu’un marchepied vers une carrière d’actrice. Le piège se referme quand surgit Axel Rex, un peintre américain qui s’avère être l’amant de Margot. Les deux amoureux conspirent alors pour dépouiller Albinus, profitant notamment de sa cécité suite à un accident de voiture.

Autour du livre

« Chambre obscure » occupe une place singulière dans l’œuvre de Nabokov. Initialement publié en russe en 1932, le roman connaît un parcours éditorial mouvementé qui témoigne de la période de transition linguistique de son auteur. Mécontent de la première traduction anglaise parue en 1936, Nabokov entreprend lui-même une nouvelle version en 1938, modifiant substantiellement le texte original : les noms des personnages changent, certains passages sont réécrits, donnant naissance à une œuvre sensiblement différente.

Le thème central de l’homme mûr épris d’une jeune fille, que Nabokov développera magistralement dans « Lolita », trouve ici sa première expression. Mais contrairement à Humbert Humbert, le protagoniste de « Lolita », Albinus ne cherche pas à justifier sa passion. Sa naïveté confine à l’aveuglement bien avant qu’il ne perde réellement la vue. Là où « Lolita » déploie une complexité narrative vertigineuse, « Chambre obscure » opte pour une trame plus directe, presque cinématographique. Les jeux cruels auxquels se livrent Margot et Rex avec leur victime créent une atmosphère glaçante qui confine au Grand Guignol, entre tragédie et farce macabre.

Le roman a fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 1969 par Tony Richardson, avec Nicol Williamson et Anna Karina dans les rôles principaux. Plus récemment, le cinéaste Scott Frank a annoncé un nouveau projet d’adaptation avec Anya Taylor-Joy.

Aux éditions GRASSET ; 241 pages.

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