Née en 1991, Lilia Hassaine est une romancière et journaliste française. Après des études littéraires, elle passe par le programme Monde Académie en 2012 avant d’obtenir son diplôme de l’Institut français de presse en 2015. Elle fait ses débuts dans le journalisme en travaillant pour Arte, Le Parisien et Le Monde, remportant au passage un prix pour son web-documentaire sur le cancer.
Sa carrière prend un virage en 2018 lorsqu’elle rejoint l’émission Quotidien de Yann Barthès, où elle présente notamment la chronique « Le Zoom ». En parallèle, elle se lance dans l’écriture avec la publication de son premier roman « L’œil du paon » chez Gallimard en 2019. Son deuxième roman « Soleil amer » (2021) aborde la question de l’intégration des Algériens en France et est sélectionné pour le prix Goncourt.
En 2023, elle publie « Panorama », une contre-utopie qui lui vaut le prix Renaudot des lycéens. La même année paraît également « Des choses sans importance ». En reconnaissance de son travail littéraire, l’Institut de l’Université de Londres à Paris lui décerne un doctorat honoris causa en littérature en 2022. Membre permanent du Prix Méduse, Lilia Hassaine s’impose comme une voix importante de la nouvelle génération d’écrivains français.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Soleil amer (2021)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans l’Algérie des années 1950, Naja vit seule avec ses trois filles, Maryam, Sonia et Nour, depuis que son mari Saïd a été recruté pour travailler dans une usine automobile en France. Après cinq années de séparation, il réussit à économiser suffisamment d’argent pour faire venir sa famille en région parisienne. Pour Naja, c’est l’espoir d’une nouvelle vie, loin de la pauvreté de son village des Aurès.
Mais le déménagement en France s’avère difficile. Le couple s’installe dans une cité HLM de banlieue où cohabitent différentes communautés. Saïd, usé par le travail à la chaîne, a changé : il boit et se montre parfois violent. Quand Naja tombe enceinte peu après son arrivée, leurs conditions de vie précaires ne leur permettent pas d’envisager de garder l’enfant. Le couple décide alors de le confier à Kader, le frère de Saïd, et son épouse française Eve qui ne peuvent pas avoir d’enfants. Mais un événement inattendu vient bouleverser leurs plans : Naja donne naissance à des jumeaux.
Sur trois décennies, de 1960 à 1990, le roman suit le destin de cette famille tiraillée entre deux cultures, à travers notamment les parcours d’Amir et Daniel, les jumeaux séparés à la naissance. En toile de fond se dessine l’évolution des cités HLM, depuis leur âge d’or comme symboles du « vivre ensemble » jusqu’à leur progressive dégradation et leur abandon par les pouvoirs publics.
Autour du livre
Dans « Soleil amer », titre emprunté au « Bateau ivre » de Rimbaud, les thèmes de l’immigration et de l’intégration se déploient sur trois décennies de l’histoire française. Le contexte historique imprègne chaque page : de la guerre d’Algérie aux manifestations d’octobre 1961, des années prospères des HLM jusqu’à leur déclin sous Giscard d’Estaing. La politique du président, qui instaure une prime de 10 000 francs pour inciter les immigrés à rentrer au pays, symbolise le basculement d’une époque où l’utopie du « vivre ensemble » cède la place à l’exclusion.
Les personnages féminins insufflent une force singulière au récit. Chaque fille de Naja incarne une facette différente du combat pour l’émancipation : Maryam subit un mariage forcé, Sonia tente d’échapper à la puberté qui la condamnerait au même sort, tandis que Nour refuse catégoriquement les traditions familiales. Ces destins contrastés témoignent des tensions entre modernité et coutumes, entre fidélité aux origines et désir d’affranchissement.
La question identitaire traverse l’œuvre avec une acuité particulière. « La dualité comme identité, c’était déjà une contradiction, il n’existait pas de mot pour dire ‘un et deux’ à la fois », note Lilia Hassaine. Cette impossibilité à nommer leur condition reflète le déchirement des personnages, étrangers tant en France qu’en Algérie. Le parallèle entre les jumeaux séparés – Amir et Daniel – et cette dualité culturelle donne une dimension supplémentaire à cette réflexion sur l’identité.
Sélectionné dans la première liste du Goncourt 2021, « Soleil amer » s’inscrit dans une lignée d’œuvres portées par des voix féminines issues de l’immigration, aux côtés d’autrices comme Faïza Guène ou Alice Zeniter. Ce deuxième roman de Lilia Hassaine, après « L’œil du paon », confirme l’émergence d’une nouvelle génération d’écrivaines qui revisitent l’histoire franco-algérienne à travers le prisme familial. La chroniqueuse de l’émission « Quotidien » y démontre sa capacité à transformer une saga familiale en miroir d’une époque, où résonnent encore les questions brûlantes de l’intégration et de l’identité.
Aux éditions FOLIO ; 192 pages.
2. Panorama (2023)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
La France de 2049 ne ressemble plus à celle que nous connaissons. Suite à une semaine d’insurrection baptisée « Revenge Week » en 2029, durant laquelle les victimes se sont fait justice elles-mêmes face à l’inefficacité du système judiciaire, le pays s’est métamorphosé. Une nouvelle Constitution a instauré le règne de la Transparence : les citoyens vivent désormais dans des maisons aux murs de verre, perpétuellement épiés par leurs voisins. Cette surveillance mutuelle a fait chuter la criminalité, mais a aussi redéfini les notions d’intimité et de vie privée.
Dans ce monde ultra-sécurisé, la société s’est réorganisée en quartiers hiérarchisés. À Paxton, l’élite s’épanouit dans des demeures luxueuses entièrement vitrées. À Bentham, la classe moyenne s’accommode de cette vie sous contrôle permanent. Aux Grillons, les réfractaires et les plus démunis persistent à vivre derrière des murs opaques. L’ordre règne, jusqu’au jour où l’impensable survient : la disparition inexpliquée d’une famille entière – Miguel, Rose et leur fils Milo – de leur maison transparente de Paxton. Hélène Dubern, ex-commissaire reconvertie en « gardienne de protection », mène l’enquête. Comment trois personnes ont-elles pu s’évaporer au vu et au su de tous ?
Autour du livre
Sous ses apparences de polar futuriste, « Panorama » prolonge à l’extrême les tendances actuelles de notre société : justice populaire sur les réseaux sociaux, addiction au paraître, surveillance permanente. La construction même du monde imaginé par Lilia Hassaine reflète les fractures sociales contemporaines : les quartiers se divisent selon les moyens et les affinités, perpétuant une ségrégation volontaire qui fait écho à nos ghettos modernes.
Lauréat du Prix Renaudot des lycéens 2023, ce troisième texte de Lilia Hassaine marque une rupture avec ses précédentes publications. Après « L’œil du paon » (2019) et « Soleil amer » (2021), cette incursion dans la dystopie sociale témoigne d’une évolution thématique significative. Le parcours même de l’autrice, révélée au grand public en 2017 grâce à ses chroniques décryptant l’actualité dans l’émission « Quotidien » de Yann Barthès, nourrit sa lecture critique des médias et des réseaux sociaux.
La mise en scène d’une société où l’intimité devient un luxe résonne avec plusieurs œuvres majeures : « 1984 » d’Orwell pour la surveillance permanente, mais surtout « Nous autres » d’Evgueni Zamiatine (1920) qui imaginait déjà une cité de verre où la transparence règne en maître. « Les enfants sont rois » de Delphine de Vigan constitue également un point de comparaison pertinent dans sa critique du voyeurisme numérique.
Cette dystopie s’inscrit dans une tendance littéraire actuelle qui interroge les dérives de notre époque hyperconnectée, à l’image de la série « Black Mirror ». La force du texte réside dans sa proximité temporelle – 2049 – et géographique – la France -, qui accentue le sentiment de malaise. Les innovations technologiques restent minimales, comme si la société avait régressé vers une forme primitive de contrôle social, où le regard des autres suffit à maintenir l’ordre.
Le système judiciaire décrit dans « Panorama » pousse jusqu’à l’absurde les mécanismes actuels de justice populaire sur les réseaux sociaux : les accusés doivent prouver leur innocence, les procès se déroulent en direct, les sentences sont votées en ligne. Cette vision glaçante d’une démocratie directe dévoyée soulève des questions majeures sur les limites de la transparence et le prix de la sécurité.
Aux éditions FOLIO ; 240 pages.
3. L’œil du paon (2019)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Sur une île sauvage au large de la Croatie vit Héra, une jeune femme de vingt-et-un ans, aux côtés de son père Adonis. Leur existence paisible est rythmée par la présence majestueuse des paons, en particulier celle de Titus, le roi des volatiles né le même jour qu’Héra. Mais la mort soudaine et inexpliquée de ce dernier bouleverse leur quotidien : convaincu qu’une malédiction menace désormais sa fille, Adonis la pousse à quitter l’île pour rejoindre Paris.
À son arrivée dans la capitale française, Héra s’installe chez sa tante Agathe, une femme distante qui la traite davantage comme une domestique que comme sa nièce. Dans cet appartement cossu où règnent l’indifférence et le non-dit, seul Hugo, son jeune cousin, lui témoigne de l’affection. C’est en accompagnant ce dernier à l’école qu’elle fait la connaissance de Gabriel, son instituteur, qui lui ouvre bientôt les portes d’un Paris mondain où elle découvre les soirées chics et le milieu artistique. Peu à peu grisée par ses premiers succès dans la photographie, Héra se transforme et délaisse ceux qui comptent vraiment pour elle, sans percevoir les dangers qui la guettent.
Autour du livre
Entre conte moderne et thriller psychologique, « L’œil du paon » bouleverse les codes en mariant traditions mythologiques et critique sociale contemporaine. Les chapitres, découpés selon le rythme des quatre saisons, tissent une trame où chaque personnage dissimule une part d’ombre derrière les apparences soigneusement entretenues. Cette construction en kaléidoscope souligne la métamorphose progressive d’Héra, de sa naïveté insulaire initiale à son cynisme parisien destructeur.
La dimension mythologique imprègne subtilement le récit, à commencer par le choix des prénoms : Héra, déesse grecque de la famille, se retrouve paradoxalement dans un foyer dysfonctionnel, tandis qu’Adonis, symbole de beauté et d’amour tragique, tente de protéger sa fille d’un destin funeste. Cette symbolique s’étend jusqu’au paon Titus, dont la mort mystérieuse au début du livre préfigure les événements à venir.
À travers le regard d’abord candide puis de plus en plus désabusé d’Héra, Lilia Hassaine dresse un portrait acerbe de la bourgeoisie parisienne. Les soirées mondaines, les vernissages, les conversations superficielles révèlent la vacuité d’un milieu où le paraître prime sur l’être. Cette satire sociale s’incarne notamment dans le personnage d’Agathe, figure de la bourgeoise névrosée qui préfère s’abîmer dans la lecture de Proust plutôt que d’affronter sa propre réalité.
Premier ouvrage de Lilia Hassaine, chroniqueuse pour l’émission « Quotidien » sur TMC, ce texte publié dans la prestigieuse collection « Blanche » de Gallimard en 2019 a reçu les éloges de David Foenkinos pour son originalité. Cette entrée remarquée dans le monde littéraire préfigure le succès de « Soleil amer », son deuxième roman, qui sera sélectionné pour le prix Goncourt. La singularité de « L’œil du paon » réside dans sa capacité à mêler le merveilleux du conte à la noirceur du thriller psychologique, tout en maintenant une tension narrative qui culmine dans un dénouement aussi brutal qu’inattendu.
L’orgueil, thème central du livre, se manifeste dans chaque personnage et structure l’ensemble du récit. Tel le paon qui déploie sa roue chatoyante pour masquer sa fragilité, les protagonistes cultivent leurs illusions jusqu’à l’inévitable chute. Cette fable moderne sur les dangers de la vanité résonne comme un avertissement contre les séductions trompeuses d’une société où l’apparence règne en maître.
Aux éditions FOLIO ; 256 pages.