Saul Bellow (1915-2005) est l’un des écrivains américains les plus importants du XXe siècle. Né de parents juifs russes à Lachine (Québec), il grandit dans un quartier multiculturel de Montréal avant de s’installer à Chicago en 1924. Après des études d’anthropologie et de sociologie, il entame une carrière d’enseignant et d’écrivain.
Son premier roman paraît en 1944 alors qu’il sert dans la Marine marchande. Sa carrière littéraire est couronnée de nombreuses récompenses prestigieuses, dont trois National Book Awards, le prix Pulitzer (1975) et le prix Nobel de littérature (1976).
Ses œuvres majeures incluent « Le faiseur de pluie » (1959) et « Herzog » (1964). Marié quatre fois, père de trois fils et d’une fille, il s’éteint à Brookline, Massachusetts, le 5 avril 2005.
Voici notre sélection de ses meilleurs romans.
1. Herzog (1964)
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Moses Herzog, un professeur d’université new-yorkais de 47 ans, traverse une période trouble après que sa seconde épouse Madeleine l’a quitté pour son meilleur ami, Valentin Gersbach. Nous sommes dans l’Amérique des années 1960 où ce brillant intellectuel juif, spécialiste de l’histoire des idées, peine à trouver ses repères dans une société en pleine mutation.
Pour exorciser sa douleur et sa colère, Herzog se lance dans une correspondance frénétique. Il écrit à ses proches, à des figures historiques, à des philosophes comme Nietzsche, et même à Dieu. Ces lettres, qu’il n’envoie jamais, deviennent le miroir de son esprit tourmenté. Entre New York et Chicago, il oscille entre lucidité et confusion, entre désir de vengeance et recherche d’apaisement.
Roman majeur de Saul Bellow, « Herzog » se distingue par la virtuosité de son exécution littéraire. L’écrivain innove en créant une narration qui épouse les mouvements de conscience de son protagoniste. Le texte alterne entre récit à la première personne et lettres imaginaires, dans un flux mental qui traduit les circonvolutions d’un esprit en crise. Bellow excelle particulièrement dans l’art du contraste : il fait cohabiter la haute culture philosophique avec l’humour yiddish, la méditation existentielle avec les trivialités du quotidien.
Aux éditions FOLIO ; 608 pages.
2. La planète de Mr. Sammler (1970)
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Publié en 1970, « La planète de M. Sammler » dépeint le quotidien d’Artur Sammler, un intellectuel juif de 70 ans dans le New York de la fin des années 1960. Miraculé de l’Holocauste où il a perdu sa femme et un œil, il vit désormais avec sa fille Shula dans un appartement de Manhattan, grâce au soutien financier de son neveu par alliance, le Dr Gruner.
Dans ce New York en pleine effervescence, où l’homme s’apprête à marcher sur la Lune, Sammler observe avec perplexité les mutations de la société américaine. Il affronte tour à tour plusieurs situations troublantes : un pickpocket noir qui le menace dans le bus, des étudiants qui le huent lors d’une conférence, sa nièce Angela qui lui confie ses excès sexuels. Le vieil homme tente de comprendre ce monde nouveau qui lui échappe.
Entre ses souvenirs tragiques de la Pologne et les excentricités de sa famille – une fille kleptomane, une nièce nymphomane, un neveu fantasque -, Sammler s’interroge sur la dégénérescence d’une société d’abondance qui ne semble pas rendre les gens plus heureux.
À travers le regard décalé de Sammler, Saul Bellow dresse un portrait au vitriol de l’Amérique des sixties : individualisme exacerbé, effondrement des valeurs traditionnelles, obsession du plaisir immédiat. Le choix d’un narrateur âgé, européen et traumatisé par l’Histoire offre un point de vue original sur cette société en mutation.
L’écriture de Bellow mêle avec brio le tragique et l’humour. Les digressions intellectuelles de Sammler, ses observations tantôt acerbes tantôt amusées sur ses contemporains, créent un ton singulier qui évite l’écueil du simple pamphlet moralisateur. Le style dense et sophistiqué peut parfois rebuter, mais il sert admirablement le propos : montrer un monde dont la complexité échappe à toute lecture simpliste.
Aux éditions FOLIO ; 416 pages.
3. Le faiseur de pluie (1959)
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Dans l’Amérique des années 1950, Eugene Henderson incarne le parfait paradoxe : héritier millionnaire, éleveur de porcs, ce colosse de près de deux mètres accumule les échecs matrimoniaux et se montre infernal avec son entourage. Une voix intérieure, lancinante, lui répète sans cesse « je veux, je veux ». Il décide alors de tout quitter pour l’Afrique.
Accompagné de son guide Romilayu, Henderson s’enfonce dans des contrées reculées où il rencontre d’abord les Arnewi. Cette tribu souffre de la sécheresse malgré un réservoir d’eau plein – mais infesté de grenouilles sacrées. Dans sa volonté maladroite d’aider, Henderson provoque une catastrophe et doit fuir.
Il trouve alors refuge chez les Wariri où le roi Dahfu, formé à la médecine occidentale, le prend sous son aile. Henderson devient « faiseur de pluie » et s’initie aux traditions locales. Cette quête spirituelle teintée d’humour et d’absurde se termine par une succession d’événements tragiques qui contraignent Henderson à rentrer chez lui.
Ce roman publié en 1959 se distingue par son audace narrative et sa capacité à transcender les genres, conjuguant avec brio le récit picaresque, la quête initiatique et la comédie existentielle. Le personnage d’Henderson, dans toute son imperfection, incarne parfaitement les contradictions de l’homme moderne, perdu entre ses aspirations spirituelles et son incapacité à s’extraire de sa condition matérielle.
Aux éditions FOLIO ; 480 pages.
4. Les aventures d’Augie March (1953)
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Dans le Chicago des années 1920-1930, Augie March grandit au sein d’une famille juive modeste. Sa mère, malvoyante, élève seule ses trois fils : Simon, l’aîné obsédé par la réussite sociale, Georgie, le cadet atteint d’un handicap mental, et Augie, le narrateur. Une vieille dame autoritaire, Grandma Lausch, règne sur ce foyer fragile et tente d’orienter le destin de chacun.
Tandis que son frère Simon gravit méthodiquement l’échelle sociale, Augie suit son instinct. Au moment où la Grande Dépression frappe l’Amérique, le jeune homme passe d’un emploi à l’autre : coursier, vendeur, secrétaire d’un magnat infirme. Il multiplie les rencontres : truands, intellectuels, femmes fatales. Sa quête d’indépendance le conduit du South Side de Chicago jusqu’aux terres mexicaines, où une histoire d’amour l’entraîne dans une improbable chasse à l’iguane, puis sur les côtes européennes en pleine Seconde Guerre mondiale.
« Les aventures d’Augie March » n’est pas qu’un simple roman d’apprentissage dans le Chicago de la Grande Dépression. C’est surtout dans sa réflexion sur la liberté qu’il prend toute sa force. À travers Augie March, Bellow questionne le mythe du rêve américain et propose une autre voie : celle d’un homme qui préfère l’indépendance d’esprit au confort matériel. Une œuvre majeure de la littérature du XXe siècle.
Aux éditions FOLIO ; 912 pages.
5. Ravelstein (2000)
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« Ravelstein », dernier roman de Saul Bellow paru en 2000, raconte l’histoire d’Abe Ravelstein, un professeur charismatique de philosophie politique à l’université de Chicago. Ce personnage extravagant, qui enseigne cigarette aux lèvres et cite Platon à l’envi, connaît un succès foudroyant grâce à la publication d’un livre. Sa nouvelle fortune lui permet d’assouvir son goût pour le luxe, entre costumes italiens et séjours dans les palaces parisiens.
Son ami Chick, le narrateur du roman, observe avec tendresse cet homme brillant qui règne sur un cercle d’étudiants fidèles. Sous son apparente désinvolture, Ravelstein cache une intelligence redoutable et une générosité sans bornes. Le professeur demande à Chick d’écrire sa biographie, pressentant peut-être ce qui l’attend.
Le diagnostic tombe : Ravelstein est atteint du sida. Le roman se transforme alors en une réflexion sur la disparition et la mémoire. Les conversations entre les deux amis, nourries de références à la philosophie antique et à la littérature, créent un contraste saisissant avec la réalité de la maladie.
Ce roman s’inspire de la relation entre Bellow et son ami Allan Bloom, autre figure marquante de l’université de Chicago. Il ne suit pas une trame narrative classique mais s’articule autour de la relation entre deux intellectuels. Il oscille entre légèreté et gravité. D’un côté, il brosse le portrait savoureux d’un professeur excentrique qui accumule les manies et les paradoxes : érudit négligent, penseur hédoniste, mentor autoritaire mais généreux. De l’autre, il aborde des thèmes graves comme la mort, la transmission et la mémoire.
Aux éditions FOLIO ; 320 pages.
6. Une affinité véritable (1997)
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Harry Trellman a passé sa vie à fuir : l’orphelinat de son enfance, puis Chicago, sa ville natale, pour des années d’errance entre la Birmanie et le Guatemala. À soixante ans, ce fin observateur de l’âme humaine retourne enfin chez lui. Son talent pour l’analyse psychologique séduit Sigmund Adletsky, un milliardaire qui cherche un conseiller capable de décoder les intentions de son entourage.
Le destin, sous les traits d’Adletsky, place à nouveau Harry sur la route d’Amy Wustrin. Cette femme, qu’il aime depuis le lycée, a traversé sa vie comme une ombre : mariée d’abord à leur ami Jay, puis à d’autres hommes. Leurs chemins n’ont cessé de se croiser sans jamais vraiment se rejoindre.
Ce texte brille particulièrement dans sa façon de montrer le décalage entre pensées et paroles. Harry Trellman, le narrateur, manifeste une lucidité presque clinique envers lui-même et les autres, mais reste paralysé dans l’action. En arrière-plan se dessine une peinture sociale du Chicago des années 1990 : une ville où la culture classique se mêle au matérialisme le plus cru. L’argent y règne en maître mais ne protège pas de la solitude.
Ce court roman condense ainsi les grands thèmes bellowiens : la quête du sens dans une société superficielle, la persistance de l’amour face au temps qui passe, et la possibilité – même tardive – d’une seconde chance.
Aux éditions FOLIO ; 120 pages.