Né le 25 septembre 1953 à Chester en Caroline du Sud, Ron Rash grandit dans la petite ville de Boiling Springs en Caroline du Nord. Après des études à l’université Gardner-Webb puis à l’université de Clemson, où il obtient respectivement un baccalauréat et une maîtrise en littérature anglaise, il se lance dans l’enseignement. Il occupe aujourd’hui le poste de professeur distingué en études des Appalaches à l’université Western Carolina.
Sa carrière littéraire débute en 1994 avec un premier recueil de nouvelles, suivi d’un recueil de poésie en 1998. En 2002, il publie son premier roman policier, « Un pied au paradis », qui marque le début d’une série de succès. Son roman « Serena » (2008) est notamment adapté au cinéma par Susanne Bier en 2014.
Au fil des années, Ron Rash s’impose comme une voix majeure de la littérature américaine contemporaine, particulièrement reconnue pour ses descriptions de la région des Appalaches. Il remporte de nombreuses distinctions, dont le prestigieux Grand prix de littérature policière en 2014 pour « Une terre d’ombre ». Ses poèmes et nouvelles paraissent dans plus d’une centaine de magazines et revues, témoignant de sa prolifique production littéraire. Il vit actuellement à Asheville, en Caroline du Nord.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Un pied au paradis (2002)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
En 1952, dans le comté d’Oconee en Caroline du Sud, la disparition d’Holland Winchester, un vétéran décoré à tendance bagarreuse, déclenche une enquête menée par le shérif Alexander. La mère du disparu accuse formellement ses voisins, les Holcombe : elle a entendu un coup de feu provenant de leur propriété.
Billy Holcombe et son épouse Amy semblent dissimuler un lourd secret, d’autant plus que cette dernière attend miraculeusement un enfant alors que son mari est stérile. Sur fond d’expropriation imminente – la vallée doit être engloutie par un barrage hydroélectrique – le drame se noue inexorablement.
L’histoire se dévoile à travers un quintet de narrateurs qui prennent successivement la parole : le shérif, le couple Holcombe, leur fils et l’adjoint du shérif. Cette architecture narrative ingénieuse fait surgir progressivement la vérité sur dix-huit années, jusqu’à l’immersion définitive de la vallée.
Autour du livre
Premier roman de Ron Rash publié en 2002, « Un pied au paradis » a reçu le Prix des Lecteurs en 2011. La construction polyphonique, articulée autour de cinq voix narratives, offre cinq points de vue distincts qui se complètent et s’enrichissent mutuellement. Chaque personnage s’exprime dans un langage qui lui est propre, notamment à travers l’usage d’expressions rurales et de tournures populaires qui ancrent le récit dans son territoire.
La vallée de Jocassee, où se déroule l’action, porte en elle une dimension mythique : selon une légende Cherokee, une princesse s’y serait noyée sans que son corps ne soit jamais retrouvé. Cette malédiction ancestrale fait écho au destin de Holland Winchester, dont le cadavre demeure introuvable. Le territoire lui-même, condamné à disparaître sous les eaux d’un barrage, incarne la fin d’un monde rural traditionnel face à l’avancée inexorable de l’industrialisation.
Les personnages évoluent dans une nature omniprésente, décrite avec la précision du « nature writing » à l’américaine. La sécheresse qui frappe les terres, les serpents qui deviennent aveugles et agressifs en été, la poussière qui étouffe les cultures : autant d’éléments naturels qui participent à l’atmosphère suffocante du récit. « Quand arrive le plein été et que Sirius l’étoile du Grand Chien se lève avec le soleil, il arrive que la terre forme une croûte et qu’un gars voit ses cultures de printemps brunir et se recroqueviller comme quelque chose qui brûle. »
Les critiques littéraires rapprochent souvent cette œuvre des romans de Larry Brown et Cormac McCarthy, certains évoquant même des résonnances avec l’univers de Giono. La trame narrative, qui mêle enquête policière et drame psychologique, transcende les codes du polar rural pour atteindre une dimension tragique, presque shakespearienne. Les thèmes de la stérilité, de la vengeance et de la culpabilité s’entremêlent dans une partition où chaque voix contribue à dévoiler progressivement une vérité aussi complexe que les êtres qui la portent.
Aux éditions FOLIO ; 320 pages.
2. Une terre d’ombre (2012)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
1918. Dans un vallon isolé des Appalaches, en Caroline du Nord, Laurel Shelton et son frère Hank tentent de faire prospérer leur ferme familiale. Revenu amputé d’une main de la Grande Guerre, Hank s’acharne au travail tandis que Laurel, marquée d’une tache de naissance, subit l’hostilité des habitants de Mars Hill qui la considèrent comme une sorcière. Leur quotidien bascule lorsque Laurel rencontre Walter, un mystérieux vagabond muet jouant divinement de la flûte. Une histoire d’amour naît entre eux, mais le passé de Walter et les préjugés de la population menacent leur bonheur naissant.
Les événements s’enchaînent inexorablement vers la tragédie dans ce lieu que les Cherokee eux-mêmes évitaient, considéré comme maudit depuis toujours. La haine des Allemands, exacerbée par la guerre, et la xénophobie latente d’une communauté rurale repliée sur elle-même conduisent à un dénouement fatal que le prologue annonçait déjà avec la découverte d’un crâne au fond d’un puits.
Autour du livre
Cinquième roman de Ron Rash après le succès retentissant de « Serena » en 2008, « Une terre d’ombre » s’inscrit dans la continuité thématique du « Monde à l’endroit ». L’ouvrage se hisse rapidement à la 16e place du classement des meilleures ventes du New York Times Book Review en avril 2012, où il se maintiendra pendant plusieurs semaines.
La puissance du texte réside dans son habileté à mêler la petite et la grande Histoire. Les événements s’appuient sur des faits historiques peu connus : le camp d’internement allemand de Hot Springs en Caroline du Nord et l’histoire du Vaterland, un paquebot transatlantique mis en quarantaine dans le port de New York en 1917. Ces éléments authentiques insufflent une dimension sociale et politique au récit, qui questionne l’impact de la guerre sur les populations civiles éloignées du front.
La nature occupe une place prépondérante, tel un personnage à part entière. Les montagnes des Appalaches ne constituent pas un simple décor mais incarnent une présence active qui influence le destin des protagonistes. La symbolique de l’ombre, omniprésente, se manifeste tant dans l’environnement physique que dans la psychologie des personnages. Le vallon encaissé, privé de lumière par la falaise qui le surplombe, reflète l’obscurantisme qui gangrène les esprits.
« Une terre d’ombre » a reçu plusieurs distinctions, notamment le Southern Independent Booksellers Alliance Okra Pick pour l’été 2012 et figure dans la sélection des meilleurs livres d’avril 2012 d’Amazon.com. Le Grand Prix de Littérature Policière 2014 vient couronner ce roman qui transcende les genres en mariant habilement les codes du drame social, de la tragédie amoureuse et du thriller psychologique. Les influences littéraires de Rash s’étendent visiblement de Dostoïevski à Raymond Carver, en passant par Faulkner, Mo Yan ou Jean Giono, dans une œuvre qui résonne avec les préoccupations contemporaines sur l’intolérance et la xénophobie.
Aux éditions FOLIO ; 320 pages.
3. Serena (2008)
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Résumé
En 1929, le riche exploitant forestier George Pemberton retourne en Caroline du Nord avec sa nouvelle épouse Serena. Sur le quai de la gare, il tue en légitime défense le père de Rachel, une jeune fille qu’il a mise enceinte avant son mariage. Serena, cavalière émérite accompagnée d’un aigle dressé pour chasser les serpents, prend rapidement les rênes de l’exploitation. Le couple s’emploie à maximiser ses profits en rasant les forêts des Smoky Mountains, sans égard pour les lois ni les vies humaines. Mais l’existence de Jacob, le fils illégitime, tourmente Serena qui, devenue stérile après une fausse couche, lance une traque meurtrière contre l’enfant et sa mère.
Autour du livre
L’âpreté des Appalaches se mêle à une tragédie shakespearienne dans « Serena ». Ron Rash y compose une fresque sociale impitoyable de l’Amérique des années 1930, où la Grande Dépression pousse des hordes d’ouvriers à accepter des conditions de travail mortifères. Dans ce décor grandiose des Smoky Mountains, les accidents fatals se succèdent parmi les bûcherons, aussitôt remplacés par d’autres hommes affamés.
Le personnage éponyme de Serena s’inscrit dans la lignée des grandes héroïnes de la littérature américaine, surpassant même le cynisme de Scarlett O’Hara. Lady Macbeth des temps modernes, elle incarne un capitalisme sans âme qui dévaste autant les forêts que les vies. Les dialogues des bûcherons, émaillés de réflexions philosophiques rustiques, résonnent comme un chœur antique qui commente l’action et préfigure les drames à venir.
La narration alterne entre l’ascension meurtrière des Pemberton et la lutte pour la survie de Rachel et son fils. Cette dualité se retrouve dans l’opposition entre la création d’un parc national et la destruction systématique des forêts millénaires. Rash dépeint une nature à la fois sublime et hostile, où les crotales et les ours côtoient des prédateurs bien plus dangereux.
Finaliste du PEN/Faulkner Award en 2009, « Serena » s’est hissé à la 34e place des best-sellers du New York Times. L’adaptation cinématographique de 2014, avec Jennifer Lawrence et Bradley Cooper dans les rôles principaux, n’a toutefois pas convaincu la critique. Le film a notamment omis le chœur des bûcherons et modifié significativement le point de vue narratif, s’éloignant de l’essence tragique de l’œuvre originale.
Aux éditions FOLIO ; 544 pages.
4. Le chant de la Tamassee (2004)
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Résumé
Dans le comté d’Oconee, en Caroline du Sud, la Tamassee trace une frontière naturelle avec la Géorgie. Cette rivière sauvage, protégée par une loi fédérale, est le théâtre d’une tragédie lorsque Ruth, 12 ans, s’y noie lors d’un pique-nique familial. Son corps reste prisonnier sous un rocher dans les remous. Dans l’impossibilité de récupérer la dépouille, son père, un banquier influent du Minnesota, propose d’installer un barrage provisoire. Une solution qui divise la communauté : d’un côté les parents éplorés et leurs soutiens politiques, de l’autre les défenseurs de l’environnement qui craignent un précédent dangereux.
Maggie Glenn, photographe de presse native du comté d’Oconee, est envoyée sur place avec le journaliste Allen Hemphill pour couvrir l’événement. Ce retour aux sources la confronte à ses propres fantômes : un père malade avec qui elle doit se réconcilier, et Luke, son ancien amant devenu le chef de file des opposants au barrage.
Autour du livre
Deuxième ouvrage de Ron Rash, « Le chant de la Tamassee » puise son inspiration dans un drame authentique : la mort d’une adolescente de 17 ans sur la Chattooga River en 1999. Publié initialement en anglais en 2004 sous le titre « Saints at the River », il ne sera traduit en français qu’en 2016, après le succès d’autres titres comme « Un pied au paradis », « Le monde à l’endroit » et « Une terre d’ombre ».
La rivière Tamassee, qui donne son nom au livre, s’impose comme personnage central et symbolise les derniers bastions naturels préservés des États-Unis. À travers elle, les questions environnementales se heurtent aux drames humains, sans qu’aucune réponse simple ne s’impose. Cette dualité nourrit une réflexion sur la coexistence complexe entre l’homme et la nature sauvage.
L’ouvrage a reçu le Weatherford Award for Best Novel en 2004. Sa portée pédagogique lui a valu d’être choisi comme lecture obligatoire par plusieurs universités américaines, notamment Clemson University, Temple University et University of Central Florida. Cette reconnaissance académique souligne la pertinence des thématiques abordées dans le contexte social et environnemental américain.
Ron Rash y met en lumière les fractures d’une société rurale confrontée à la modernité. D’un côté, les « culs-terreux » méprisés par les citadins, de l’autre les militants écologistes considérés comme des extrémistes. Entre les deux, les journalistes tentent de maintenir une neutralité impossible face à un drame qui ne cesse de s’amplifier. Cette tension entre différentes visions du monde alimente la progression dramatique jusqu’au dénouement.
La structure narrative entrelace habilement plusieurs temporalités : le drame présent de la noyade, les souvenirs d’enfance de Maggie, et l’histoire plus large de cette région des Appalaches. Ces strates temporelles permettent d’éclairer les motivations profondes des personnages et leurs relations complexes avec le territoire.
Aux éditions POINTS ; 264 pages.
5. Par le vent pleuré (2016)
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Résumé
En 1969, dans une bourgade reculée des Appalaches, deux frères orphelins grandissent sous l’autorité écrasante de leur grand-père médecin. Bill, promis à une carrière de chirurgien, et Eugene, son cadet de cinq ans, voient leur existence bouleversée par l’arrivée de Ligeia. Cette jeune hippie sensuelle, chassée de Floride par ses parents, leur fait découvrir les plaisirs interdits de l’alcool, de la drogue et de l’amour libre. Mais sa disparition soudaine à la fin de l’été marque à jamais les deux frères.
Quarante-six ans plus tard, la découverte d’ossements près de la rivière fait ressurgir ce passé enfoui. Eugene, devenu un écrivain raté rongé par l’alcoolisme, soupçonne son frère Bill, désormais neurochirurgien respecté, d’être impliqué dans la mort de Ligeia. Sa quête obsessionnelle de vérité révèle les failles d’une famille brisée par les non-dits.
Autour du livre
Avec « Par le vent pleuré », Ron Rash s’attache aux thèmes qui lui sont chers : les secrets de famille, la quête de liberté et la force de la nature, incarnée ici par la rivière Tuckaseegee. Le titre, emprunté à Thomas Wolfe, suggère que même les êtres oubliés de tous méritent une complainte – celle du vent qui agite les branches au-dessus de l’eau où Ligeia se baignait.
Les années 60, période charnière de l’histoire américaine, servent de toile de fond à ce drame familial. Sur une bande-son rythmée par Jefferson Airplane, Grateful Dead et les Doors, le conflit entre la contre-culture hippie et l’Amérique puritaine prend corps dans cette petite ville repliée sur elle-même. L’histoire s’inspire d’un fait divers réel, comme le confirme l’auteur : « on n’a jamais rien trouvé contre les deux garçons, aucune trace de rien, l’enquête a été bouclée et la vie a continué. »
La construction en chapitres alternés entre 1969 et 2015 tisse un réseau complexe de liens entre passé et présent. Les souvenirs d’Eugene, narrateur alcoolique et brisé, se mêlent à sa quête obstinée de vérité, tandis que les non-dits empoisonnent sa relation avec son frère Bill. La figure du grand-père tyrannique, médecin tout-puissant qui règne sur la ville par la peur et le chantage, incarne l’autorité conservatrice contre laquelle se heurte le vent de liberté porté par Ligeia.
Le mythe biblique de Caïn et Abel résonne en filigrane dans cette histoire de fraternité déchirée. La rivalité entre les deux frères se cristallise autour de Ligeia, sirène maléfique qui précipite leur chute. Mais par-delà l’intrigue criminelle, « Par le vent pleuré » interroge la responsabilité individuelle face à l’oppression et le prix de la liberté dans une société étouffante. La vérité, comme les ossements de Ligeia, finit toujours par remonter à la surface.
Aux éditions POINTS ; 240 pages.
6. Le monde à l’endroit (2006)
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Résumé
Années 1970. Au pied de Divide Mountain, dans les Appalaches, Travis Shelton pêche la truite pour échapper à l’emprise d’un père cultivateur de tabac qui le dénigre constamment. Un jour, le jeune homme de 17 ans tombe sur une plantation clandestine de cannabis. Après avoir volé et revendu quelques plants à Leonard Shuler, un ex-professeur reconverti en dealer local, Travis retourne sur les lieux. Mais le propriétaire, Carlton Toomey, le surprend et lui taillade le tendon d’Achille. Chassé du domicile familial, Travis trouve refuge auprès de Leonard, qui partage son mobile-home délabré avec Dena, une toxicomane à la dérive.
Entre Leonard et Travis se noue une relation qui transcende leur rapport initial de dealer à client. Leonard pousse le jeune homme à reprendre ses études et lui transmet sa passion pour l’histoire régionale, particulièrement le massacre de Shelton Laurel en 1863, épisode sanglant de la guerre de Sécession qui continue d’empoisonner les relations entre les habitants.
Autour du livre
Dans ce troisième roman traduit en français, Ron Rash mêle avec brio la grande Histoire à celle, plus intime, de ses personnages. La communauté des Appalaches porte encore les stigmates du massacre de Shelton Laurel, survenu en 1863 pendant la guerre de Sécession, où treize civils unionistes, dont un adolescent de 13 ans, furent exécutés. Les extraits du journal du docteur Candler, disséminés tout au long du récit, rappellent que ces terres demeurent hantées par ce passé sanglant.
La force du « Monde à l’endroit » réside dans ses contrastes saisissants : entre la splendeur des paysages et la noirceur des âmes, entre la pureté des rivières et la corruption des hommes. Les scènes de pêche à la truite, empreintes de poésie, s’opposent à la brutalité des rapports humains dans cette Amérique rurale des années 1970, où la culture du tabac cède peu à peu la place aux plantations clandestines de cannabis.
Chaque personnage porte ses propres blessures : Travis, écrasé par un père incapable d’amour ; Leonard, professeur déchu qui a perdu femme et fille ; Dena, ravagée par la drogue. Leur quête de rédemption se heurte constamment au poids des origines et à la violence d’une société en pleine mutation.
Adapté au cinéma en 2015 par David Burris, avec Jeremy Irvine dans le rôle de Travis et Noah Wyle dans celui de Leonard, le film a reçu des critiques mitigées. Adelaide Clemens, Minka Kelly, Steve Earle et Haley Joel Osment complètent la distribution de cette adaptation tournée en Caroline du Nord.
Aux éditions POINTS ; 336 pages.
7. Un silence brutal (2015)
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Résumé
À trois semaines de sa retraite, le shérif Les doit résoudre une dernière affaire dans sa juridiction des Appalaches. Une centaine de truites ont été retrouvées mortes dans la rivière qui traverse le domaine de Tucker, propriétaire d’un relais de pêche haut de gamme. Les premiers soupçons se portent sur Gerald, un vieil homme bourru qui vit dans une ferme voisine et refuse de reconnaître les nouvelles limites de propriété imposées par Tucker.
Becky, responsable du parc naturel et amie du shérif, ne croit pas à la culpabilité de Gerald. Cette femme solitaire, marquée par une fusillade dans son enfance, trouve refuge dans l’observation méticuleuse de la nature et l’écriture de poèmes. Tandis que Les mène son enquête selon des méthodes peu orthodoxes, les tensions s’intensifient entre les habitants de cette vallée isolée, où chacun cache ses blessures derrière un masque de normalité.
Autour du livre
La publication en français d’ « Un silence brutal » en 2019 marque le retour attendu de la mythique collection « La Noire » chez Gallimard, après quatorze ans d’absence. Cette collection, créée en 1992 par Patrick Reynal, se distingue par sa volonté de transgresser les codes traditionnels du roman noir, en proposant des textes à la lisière des genres.
L’écriture alterne entre deux voix distinctes qui se répondent : Les, le shérif pragmatique confronté aux ravages de la méthamphétamine, et Becky, la garde forestière dont la sensibilité poétique sublime la nature environnante. Cette construction narrative naît d’une nécessité ressentie par Ron Rash lors de l’écriture : initialement rédigé avec la seule voix de Les, le texte manquait d’un ingrédient essentiel que la voix de Becky est venue apporter, comme il l’a expliqué lors d’une rencontre organisée par Gallimard en 2019.
La genèse du livre repose sur une image mentale, celle d’une truite, point de départ à partir duquel les personnages se sont imposés d’eux-mêmes. Le titre original « Above the waterfall » (« Au-dessus de la cascade ») souligne l’importance symbolique de ce cours d’eau, tandis que le titre français met l’accent sur la dimension plus sombre du récit. Les références au poète anglais Hopkins, qui émaillent les passages narrés par Becky, témoignent de l’influence conjuguée de la poésie et du « nature writing » sur l’œuvre.
Cette dualité narrative permet d’aborder les mutations profondes qui affectent les Appalaches : la disparition progressive des modes de vie traditionnels, l’émergence d’un tourisme marchand, les ravages de la drogue dans les communautés rurales. La qualité de l’eau devient même, selon les propos de l’auteur, un indicateur de l’état de la société américaine contemporaine. L’excellente traduction d’Isabelle Reinharez parvient à restituer cette ambivalence entre lyrisme naturel et noirceur sociale qui caractérise le texte original.
Aux éditions FOLIO ; 288 pages.