Pierre Carlet, qui deviendra plus tard connu sous le nom de Marivaux, naît à Paris où il est baptisé le 4 février 1688. Issu d’une famille de nobles normands, il suit son père, Nicolas Carlet, lorsque celui-ci s’installe à Riom en Auvergne en 1698 pour y occuper un poste à la Monnaie. Le jeune Pierre fait ses études au Collège des Oratoriens de Riom, puis poursuit sa formation à Limoges.
En 1710, il s’installe à Paris chez son oncle Pierre Bullet, architecte du roi, et entreprend des études de droit. Sa carrière littéraire commence véritablement en 1716. L’année suivante, il épouse Colombe Bologne, fille d’un riche avocat, qui lui donne une fille, Colombe Prospère. Mais le bonheur est de courte durée : la famille est frappée par la banqueroute de Law en 1720, puis Marivaux perd son épouse en 1723.
Malgré ces épreuves, il se consacre à l’écriture. Fréquentant le salon de Madame de Lambert, il se range du côté des Modernes. Il trouve sa voie dans le théâtre, notamment grâce à la troupe des Comédiens-Italiens pour laquelle il écrit de nombreuses pièces. Il excelle particulièrement dans la comédie sentimentale avec des œuvres qui deviendront des classiques comme « Le Jeu de l’amour et du hasard » (1730) et « Les Fausses Confidences » (1737).
Parallèlement, il se fait journaliste et romancier, publiant notamment « La Vie de Marianne » sur une période de onze ans. En 1742, il est élu à l’Académie française, contre Voltaire. Après une longue maladie qui débute en 1758, il meurt d’une pleurésie à Paris le 12 février 1763, laissant derrière lui une œuvre importante qui, bien que parfois critiquée de son vivant, influencera durablement la littérature française.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. La Vie de Marianne (roman, 1731-1742)
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Résumé
Une fillette de deux ans survit miraculeusement à l’attaque d’un carrosse par des brigands qui massacrent tous les voyageurs. Recueillie par un curé de village et sa sœur, la petite Marianne grandit dans un environnement modeste mais bienveillant. À quinze ans, elle accompagne sa protectrice à Paris, où cette dernière meurt subitement. Seule dans la capitale, Marianne est placée chez une lingère par M. de Climal, un dévot aux intentions troubles. La jeune fille refuse de se soumettre à ses avances, préférant la dignité à la sécurité matérielle.
Sa rencontre avec Valville, jeune noble dont elle tombe éperdument amoureuse, bouleverse son existence. Le sentiment est réciproque, mais leur différence sociale menace leur union. Marianne trouve refuge dans un couvent où elle se lie avec Mme de Miran – qui n’est autre que la mère de Valville. Cette dernière, touchée par la noblesse d’âme de la jeune fille, accepte de la considérer comme sa fille. Alors que tous les obstacles semblent s’aplanir, Valville s’éprend d’une autre pensionnaire du couvent…
Autour du livre
Publié en onze livraisons entre 1731 et 1742, « La Vie de Marianne » présente une construction narrative novatrice : une comtesse quinquagénaire raconte dans une série de lettres à une amie les événements qui ont marqué sa jeunesse. Ce dispositif est encadré par une mise en scène éditoriale où un narrateur affirme avoir découvert le manuscrit dans une maison récemment acquise.
Cette structure permet à Marivaux de multiplier les jeux de miroir et les mises en abyme. L’histoire principale se ramifie en récits parallèles, notamment celui de Tervire, une religieuse dont le parcours fait écho à celui de Marianne. Les figures maternelles se démultiplient – Mme de Miran, Mme Dorsin, Mme Darcire, Mme de Tresle – créant un réseau de relations qui questionne la notion même de filiation.
Le mystère des origines de Marianne constitue le nœud central du récit. Dans une société d’ordres où la naissance détermine le rang, l’héroïne occupe une position ambiguë : elle pourrait être aussi bien fille de nobles que de roturiers. Cette incertitude lui confère paradoxalement une liberté d’action inédite. À travers son parcours, Marivaux interroge les fondements de la hiérarchie sociale et suggère que la noblesse peut être une qualité acquise plutôt qu’héritée.
Le personnage de Marianne incarne cette tension : elle manifeste une fierté naturelle qui suggère des origines nobles, mais doit constamment prouver sa valeur face aux préjugés sociaux. Son intelligence et sa beauté lui servent d’armes dans cette ascension sociale, tandis que sa capacité d’analyse lui permet de déchiffrer les codes d’une société dont elle est théoriquement exclue.
Marivaux rompt avec les conventions du roman de son époque en privilégiant l’analyse psychologique sur l’action. Les événements servent de prétexte à une observation minutieuse des sentiments et des comportements sociaux. La narratrice interrompt fréquemment son récit pour commenter les faits, livrer ses réflexions, établir des parallèles entre sa jeunesse et sa maturité.
L’inachèvement du roman – Marivaux s’arrête à la onzième partie sans résoudre ni l’énigme des origines de Marianne, ni son histoire d’amour avec Valville – participe de cette esthétique nouvelle. Il suggère que l’intérêt du récit réside moins dans sa résolution que dans son développement, dans l’analyse des situations et des caractères plutôt que dans leur dénouement.
La réception du roman témoigne de sa complexité. Jean-François de La Harpe le considère comme l’un des meilleurs romans français, tandis que Grimm, plus critique, y voit un « mauvais original » qui aurait inspiré de meilleures œuvres à Richardson et Fielding. Les lecteurs anglais, en revanche, lui réservent un accueil enthousiaste dès la traduction précoce de la première partie en 1736.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 704 pages.
2. Le Paysan parvenu (roman, 1734-1735)
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Résumé
Années 1730. Le jeune et séduisant Jacob quitte sa campagne natale pour livrer du vin aux seigneurs de son village. Ce fils de paysan champenois de dix-huit ans ne se doute pas que ce simple voyage vers Paris va métamorphoser son existence. Par un concours de circonstances, il se retrouve au service d’un riche financier dont l’épouse s’entiche de lui. À la mort subite de son maître, Jacob se lance dans une quête d’ascension sociale qui le mène des quartiers bourgeois aux salons aristocratiques de Versailles.
Son physique avantageux et son esprit vif lui attirent les faveurs de nombreuses femmes influentes. Un mariage avec une dévote fortunée, Mademoiselle Habert, lui permet de s’élever dans la société sous le nom de Monsieur de la Vallée. Mais ce n’est que le début de son ascension. Des dames de la haute société comme Madame de Ferval lui ouvrent les portes de cercles toujours plus prestigieux, tandis que sa rencontre providentielle avec le comte d’Orsan lui donne accès à l’aristocratie parisienne.
Jacob navigue dans ce monde aux codes complexes avec un mélange de naïveté calculée et d’opportunisme. Entre ses conquêtes féminines, ses protecteurs haut placés et les obstacles qu’il doit surmonter, le paysan devenu mondain apprend à maîtriser les règles du jeu social, quitte à parfois trahir ses principes d’honnêteté. Jusqu’où son charme et son ambition le mèneront-ils ?
Autour du livre
« Le Paysan parvenu » prend naissance en 1734 dans un contexte particulier : Marivaux, âgé de quarante-sept ans, interrompt la rédaction de « La Vie de Marianne » pour se consacrer à ce nouveau projet. Cette réorientation survient après la publication de « Tanzaï et Néadarné » de Crébillon fils qui raille, sous les traits d’une taupe nommée Moustache, le style de Marivaux. En réponse, l’auteur compose un roman aux scènes libertines où il démontre qu’un tel sujet nécessite finesse et observation plutôt que vulgarité.
L’ascension sociale du protagoniste s’inscrit dans les préoccupations personnelles de Marivaux. Issu de la bourgeoisie et ayant perdu sa fortune dans la banqueroute du système de Law, il connaît les affres du déclassement social. Cette expérience transparaît dans son traitement novateur du personnage de Jacob, dont le langage ne trahit pas ses origines modestes, contrairement aux conventions littéraires de l’époque.
La structure narrative innove par son usage du style indirect libre, technique peu commune au XVIIIe siècle. Le récit à la première personne permet une double lecture : celle des événements vécus par le jeune Jacob et celle du narrateur plus âgé qui commente son parcours avec distance. Cette dualité narrative engendre une ironie subtile qui innerve les pages.
Les contemporains ont salué l’audace de Marivaux. Son roman déclenche une vague d’imitations : « La Paysanne parvenue » de Mouhy, « Le Paysan Gentilhomme » de Catalde, « La Nouvelle paysanne parvenue » de Gaillard de la Bataille témoignent de l’engouement suscité par cette œuvre qui bouleverse les codes du roman d’ascension sociale.
L’inachèvement du roman – seules cinq des huit parties sont de la main de Marivaux – suscite la frustration des lecteurs. En 1756, un auteur anonyme publie à La Haye trois parties supplémentaires pour clore l’histoire. Cette suite apocryphe, jugée plus conventionnelle et moralisatrice, ne retrouve pas la finesse d’observation et l’ironie mordante qui caractérisent l’écriture de Marivaux.
Aux éditions FLAMMARION ; 386 pages.
3. Arlequin poli par l’amour (pièce de théâtre, 1720)
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Résumé
À la veille de son mariage avec le puissant enchanteur Merlin, une fée s’éprend d’Arlequin, un jeune homme d’une beauté exceptionnelle. Elle l’enlève durant son sommeil et l’emmène dans son palais. Son projet se heurte cependant à un obstacle majeur : si la nature a doté Arlequin d’une grande beauté, elle s’est montrée beaucoup moins généreuse concernant son esprit. Malgré tous ses efforts pour l’éduquer et éveiller en lui des sentiments amoureux – chansons tendres, divertissements, leçons de danse – la fée n’obtient que bâillements et demandes de nourriture de la part du jeune rustre.
Tout bascule quand Arlequin rencontre Silvia, une jeune bergère. Une métamorphose immédiate s’opère : le contact de l’amour véritable transforme le nigaud en jeune homme sensible et ingénieux. Arlequin et Silvia tombent éperdument amoureux l’un de l’autre. La fée, découvrant leur idylle, entre dans une rage folle. Elle use de ses pouvoirs magiques pour contraindre Silvia à repousser Arlequin, menaçant de lui faire du mal s’il en était autrement.
Mais c’est compter sans l’aide inattendue de Trivelin, le domestique de la fée. Celui-ci, ému par l’amour sincère des deux jeunes gens, révèle à Arlequin que le pouvoir de la fée réside dans sa baguette magique. Sur ses conseils, Arlequin feint de revenir vers la fée pour mieux s’emparer de l’objet. Une fois la baguette en main, les rôles s’inversent : la fée perd son pouvoir tandis qu’Arlequin et Silvia peuvent enfin vivre leur amour au grand jour.
Autour de la pièce
« Arlequin poli par l’amour » marque les véritables débuts de Marivaux au théâtre. La pièce constitue un moment crucial dans sa carrière : alors que sa tragédie « Annibal », jouée la même année à la Comédie-Française, essuie un échec, cette comédie remporte un succès significatif auprès du public des Comédiens-Italiens. Cette réception contraire oriente définitivement Marivaux vers la comédie.
La pièce opère une synthèse remarquable entre différentes traditions théâtrales : la commedia dell’arte, avec le personnage d’Arlequin et l’importance accordée aux jeux de scène ; le conte de fées, par son univers merveilleux et ses objets magiques ; la comédie française, par sa finesse psychologique et son langage élégant.
Marivaux s’inspire notamment d’un conte de Madame Durand, « Le prodige d’amour », mais innove dans le traitement du sujet : là où son modèle présentait une transformation progressive du héros, il opte pour une métamorphose immédiate sous l’effet du coup de foudre.
La pièce soulève des questions sur le langage amoureux. À travers le contraste entre le style sophistiqué de la fée et la simplicité d’Arlequin et Silvia, Marivaux oppose deux conceptions du langage : l’une artificielle et mondaine, l’autre naturelle et sincère. La scène X, qualifiée de « chef-d’œuvre » par les critiques, cristallise cette opposition lorsque Silvia déclare : « Ce sont des causeurs qui n’entendent rien à notre affaire. »
La critique contemporaine salue particulièrement la manière dont Marivaux a su « accorder la simplicité d’Arlequin avec le vrai sentiment de l’amour », selon les mots de La Harpe. La pièce inaugure une formule théâtrale que l’auteur développera dans ses œuvres ultérieures.
Après son succès initial (douze représentations consécutives à l’Hôtel de Bourgogne), la pièce connaît une postérité honorable. Régulièrement jouée dans les fêtes de château au XVIIIe siècle, elle entre au répertoire de la Comédie-Française en 1892. Sa popularité ne se dément pas au XXe siècle : reprise à l’Odéon en 1920, elle triomphe lors d’une tournée en Amérique en 1955. En 1965, la Comédie-Française en avait déjà donné cent quinze représentations.
Aux éditions FOLIO ; 144 pages.
4. La Double Inconstance (pièce de théâtre, 1723)
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Résumé
Au cours d’une chasse, un Prince tombe éperdument amoureux de Silvia, une jeune paysanne. Contraint par la loi d’épouser une de ses sujettes, mais se heurtant au refus catégorique de la belle qui aime déjà Arlequin, un paysan de son village, le Prince décide de la faire enlever. Il la retient dans son palais, où il la courtise discrètement en se faisant passer pour un simple officier.
Pour parvenir à ses fins, le Prince s’appuie sur Flaminia, une rusée conseillère, fille d’un de ses domestiques. Cette dernière met au point une stratégie sophistiquée : pendant que le Prince continue de séduire Silvia sous son déguisement d’officier, elle-même entreprend de charmer Arlequin, également amené au palais. Sa manœuvre s’avère d’une redoutable efficacité : Silvia, sensible aux attentions de l’officier et flattée par le luxe de la Cour, commence à oublier Arlequin. De son côté, le jeune paysan succombe peu à peu au charme et à l’intelligence de Flaminia.
L’habileté de ce double jeu de séduction réside dans sa progression insensible : les deux villageois, transplantés dans l’univers raffiné de la Cour, voient leurs sentiments évoluer sans vraiment s’en rendre compte. Quand le Prince révèle enfin sa véritable identité à Silvia, celle-ci découvre avec bonheur que l’homme dont elle est tombée amoureuse n’est autre que le souverain. Parallèlement, Flaminia, qui jouait la comédie avec Arlequin, s’aperçoit qu’elle s’est réellement éprise de lui. La pièce s’achève sur la formation de ces deux nouveaux couples, chacun ayant trouvé un amour plus conforme à sa vraie nature.
Autour de la pièce
Créée le 6 avril 1723 à l’Hôtel de Bourgogne par les Comédiens-Italiens, « La Double Inconstance » marque les débuts de Marivaux comme dramaturge majeur. L’originalité de la pièce réside dans sa structure dramatique sophistiquée et son traitement psychologique novateur. Marivaux dépeint avec une grande finesse l’évolution des sentiments amoureux, montrant comment l’attrait de la nouveauté et les influences sociales peuvent transformer des affections pourtant sincères. Le dramaturge excelle dans l’art de dévoiler les mouvements imperceptibles du cœur à travers un dialogue subtil et précis.
La pièce se distingue par sa dimension critique. Sous les apparences d’une comédie légère se cache une satire mordante de la société de Cour. À travers le personnage d’Arlequin, qui pose un regard naïf mais lucide sur les mœurs aristocratiques, Marivaux dénonce les artifices et l’hypocrisie qui règnent au palais. Le Prince lui-même incarne cette duplicité en dissimulant son identité pour parvenir à ses fins.
Les quatre protagonistes principaux présentent une profondeur psychologique remarquable : Silvia incarne d’abord la pureté campagnarde avant de découvrir progressivement une sensibilité plus raffinée au contact de la Cour. Son évolution illustre l’apprentissage sentimental cher à Marivaux. Arlequin conserve sa naïveté et sa spontanéité tout en développant une compréhension plus fine des relations humaines. Sa transformation n’altère pas son authenticité naturelle. Flaminia se révèle être plus qu’une simple manipulatrice : initialement détachée, elle finit par éprouver des sentiments sincères pour Arlequin. Le Prince, malgré ses stratagèmes, manifeste une vraie sensibilité dans sa quête d’un amour authentique.
L’ambiguïté morale de l’intrigue a suscité des interprétations contradictoires. Certains y voient une dénonciation du pouvoir aristocratique manipulant les classes populaires, d’autres un parcours initiatique permettant aux personnages de découvrir leur véritable nature. Cette richesse interprétative explique la pérennité de l’œuvre.
La pièce connut un succès immédiat avec quinze représentations consécutives, un chiffre remarquable pour l’époque. Elle fut rapidement reprise et jouée devant la Cour à Fontainebleau en 1725. Sa fortune critique ne s’est jamais démentie : inscrite au répertoire de la Comédie-Française en 1934, elle a inspiré de nombreuses mises en scène novatrices qui ont souligné tantôt sa dimension sociale, tantôt sa modernité psychologique.
« La Double Inconstance » a fait l’objet de multiples adaptations pour la télévision française. Jean-Marie Coldefy (1964), Marcel Bluwal (1968) avec Claude Brasseur et Jean-Pierre Cassel, Jean-Roger Cadet (1982) et René Lucot (1984) en ont proposé des versions fidèles à l’esprit du texte. Plus récemment, Carole Giacobbi (2009) a transposé l’intrigue dans l’univers contemporain des boîtes de nuit, avec Clément Sibony et Elsa Zylberstein.
Aux éditions FLAMMARION ; 163 pages.
5. La Fausse Suivante (pièce de théâtre, 1724)
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Résumé
Paris, 1724. Une jeune et riche aristocrate apprend qu’on lui destine pour époux un certain Lélio, qu’elle n’a jamais rencontré. Déterminée à connaître la véritable nature de son prétendant avant de s’engager, elle se déguise en chevalier et gagne sa confiance. Les confidences ne tardent pas : Lélio avoue être déjà engagé auprès d’une comtesse qui jouit d’une rente annuelle de six mille livres. Un contrat les lie – celui qui romprait leurs fiançailles devrait verser à l’autre une somme considérable. Or, Lélio vient d’apprendre l’existence d’une demoiselle de Paris, notre héroïne, dont la fortune double celle de la comtesse. Ce libertin calculateur échafaude alors un plan : il demande au prétendu chevalier de séduire la comtesse pour provoquer la rupture sans devoir payer le dédit.
L’héroïne, découvrant ainsi la cupidité de son futur époux, feint d’accepter le stratagème mais décide de retourner la situation à son avantage. Elle se présente également aux domestiques comme la suivante de la demoiselle de Paris, multipliant les masques et les identités. Le plan initial fonctionne : la comtesse succombe au charme du faux chevalier. Mais les serviteurs, appâtés par le gain, menacent de révéler que le chevalier est une femme. S’engage alors une course contre la montre où l’héroïne doit à la fois maintenir son double jeu, démasquer la fourberie de Lélio et s’emparer du fameux contrat avant que sa véritable identité ne soit dévoilée…
Autour de la pièce
Écrite à un moment charnière de l’histoire française, alors que le pays sort de l’absolutisme pour entrer dans la Régence, cette pièce de Marivaux se démarque nettement du reste de son œuvre. Loin des délicates comédies sentimentales qui ont fait sa renommée, il livre ici une satire mordante d’une société en pleine mutation où l’argent devient le moteur principal des interactions sociales. Le dramaturge, qui vient lui-même de perdre sa fortune dans le système de Law, porte un regard sans concession sur cette nouvelle réalité sociale.
La pièce se distingue par sa construction audacieuse autour d’un double travestissement – l’héroïne se fait passer pour un chevalier tout en prétendant être sa propre suivante. Cette superposition de masques crée un jeu sur l’identité et le genre, permettant à Marivaux d’interroger les rapports de pouvoir entre hommes et femmes. L’héroïne, en endossant une identité masculine, acquiert une liberté d’action inédite qui lui permet de déjouer les manipulations dont elle aurait pu être victime.
Le texte se démarque également par son ton inhabituellement sombre. Point de fin heureuse ni de triomphe de l’amour ici – la pièce s’achève sur un constat amer où tous les personnages sortent meurtris de leurs machinations. Cette noirceur préfigure les œuvres de la fin du siècle comme « Les Liaisons dangereuses », avec Lélio en esquisse de Valmont et l’héroïne annonçant la Marquise de Merteuil par sa maîtrise du jeu social.
L’accueil critique contemporain témoigne de la modernité troublante de l’œuvre. Les metteurs en scène qui s’en sont emparés, de Patrice Chéreau à Jacques Lassalle, y ont vu un miroir de notre époque et de ses questionnements sur l’identité, le genre et le pouvoir de l’argent. Comme le note Bernard Dort : « Cette fois, il s’agit d’une éducation sauvage, presque brute, où le désir compte plus que les sentiments. »
La pièce a connu plusieurs adaptations majeures qui ont contribué à sa redécouverte. Au cinéma, Benoît Jacquot en a proposé en 2000 une lecture épurée avec Isabelle Huppert, Sandrine Kiberlain et Mathieu Amalric, choisissant de filmer dans un théâtre vide pour mettre en valeur la mécanique implacable des sentiments. Des mises en scène comme celle d’Elisabeth Chailloux en 2005 ont souligné l’actualité du propos en transposant l’action dans un cadre contemporain, prouvant que cette œuvre singulière n’a rien perdu de sa force subversive.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 127 pages.
6. L’Île des esclaves (pièce de théâtre, 1725)
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Résumé
Dans une Athènes antique transposée au XVIIIe siècle, un naufrage jette quatre personnages sur une île mystérieuse : deux nobles, Iphicrate et Euphrosine, accompagnés de leurs serviteurs respectifs, Arlequin et Cléanthis. À peine débarqués, ils découvrent que ce territoire est gouverné par d’anciens esclaves qui, cent ans plus tôt, se sont révoltés contre leurs maîtres. Ces insulaires ont instauré une loi singulière : désormais, tout maître échouant sur leurs rivages doit échanger sa condition avec celle de son esclave.
Trivelin, le gouverneur de l’île, accueille les naufragés et leur explique le processus de « rééducation » qui les attend. Les maîtres doivent céder à leurs serviteurs leurs noms, leurs vêtements et leurs privilèges. Plus encore, ils doivent écouter sans broncher le portrait cruel mais véridique que leurs serviteurs dressent d’eux. Cette humiliation vise à leur faire prendre conscience de leurs défauts et de leur arrogance.
Dans un premier temps, Arlequin et Cléanthis savourent leur revanche. Ils s’amusent à imiter les manières affectées de la noblesse et poussent la provocation jusqu’à imaginer un double mariage contre-nature : Arlequin épouserait Euphrosine tandis que Cléanthis s’unirait à Iphicrate. Mais face aux larmes sincères d’Euphrosine, bouleversée par sa déchéance sociale, Arlequin est soudain saisi de compassion. Ce moment marque un tournant décisif : plutôt que d’abuser de son nouveau pouvoir, il choisit la voie du pardon. Sa générosité pousse Cléanthis à suivre son exemple.
Autour de la pièce
Cette pièce s’inscrit dans une double tradition littéraire. D’une part, elle s’inspire des textes utopiques qui choisissent l’île comme lieu d’expérimentation sociale, à l’instar du « Robinson Crusoé » (1719) de Daniel Defoe. D’autre part, elle perpétue la tradition des œuvres morales qui visent à présenter des considérations édifiantes à travers des fictions moralisatrices.
Le génie de Marivaux tient dans sa capacité à construire une critique sociale mordante tout en évitant la censure. En situant l’action dans une Athènes antique, il parvient à formuler une critique de la société française du XVIIIe siècle sans froisser directement la noblesse. L’île devient ainsi un espace utopique où les conventions sociales peuvent être questionnées sous couvert de divertissement théâtral.
La pièce se distingue par son traitement des relations de pouvoir. Les personnages d’Arlequin et de Cléanthis, issus de la commedia dell’arte, apportent une dimension comique essentielle tout en servant de vecteurs à une critique sociale acérée. Leur capacité à imiter et à tourner en dérision les manières de leurs maîtres révèle l’artificialité des codes sociaux de l’époque.
Le personnage de Trivelin occupe une position centrale dans ce dispositif dramaturgique. Ancien esclave devenu gouverneur, il incarne une figure d’autorité bienveillante qui cherche moins la vengeance que la réforme morale. Son objectif n’est pas de punir les maîtres mais de les « guérir » de leur orgueil en leur faisant éprouver la condition servile.
La critique littéraire a souvent débattu de la portée réformatrice de l’œuvre. Si certains y voient une pièce conservatrice en raison de son dénouement qui rétablit l’ordre social initial, d’autres soulignent la dimension subversive du texte. En effet, bien que les personnages retrouvent leurs positions d’origine, ils le font transformés par leur expérience, ayant acquis une nouvelle conscience qui les unit par-delà les différences sociales.
Pour certains commentateurs, comme Frédéric Deloffre et Françoise Rubellin, Marivaux ne remet pas fondamentalement en cause l’ordre social mais propose plutôt une réflexion morale sur l’importance de la sensibilité dans les relations humaines. D’autres, comme Henri Coulet et Michel Gilot, soulignent la hardiesse théâtrale de la pièce qui crée des « moments indépassables » de prise de conscience sociale.
Aux éditions FLAMMARION ; 160 pages.
7. Le Jeu de l’amour et du hasard (pièce de théâtre, 1730)
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Résumé
La France du XVIIIe siècle sert de cadre à cette comédie en trois actes où le cœur et la raison se disputent la primauté. Silvia, jeune aristocrate, doit épouser Dorante, le fils d’un ami de son père qu’elle n’a jamais rencontré. Réticente à l’idée d’un mariage arrangé, elle obtient de son père, Monsieur Orgon, la permission d’observer incognito son prétendant en échangeant sa place avec celle de sa femme de chambre Lisette. Par un hasard malicieux, Dorante nourrit les mêmes inquiétudes et arrive chez les Orgon déguisé en son propre valet, Bourguignon, tandis que son serviteur Arlequin joue le rôle du maître. Monsieur Orgon et son fils Mario, seuls au fait de ce double stratagème, observent avec amusement ce jeu de dupes qui se met en place.
Les rencontres qui s’ensuivent bouleversent les certitudes des personnages. Silvia, à sa grande confusion, se trouve attirée par celui qu’elle croit être un simple valet, tandis que Dorante lutte contre ses sentiments pour une prétendue servante. En parallèle, Lisette et Arlequin, grimés en leurs maîtres respectifs, tombent amoureux l’un de l’autre. Quand Dorante révèle finalement sa véritable identité à Silvia, celle-ci décide de poursuivre la mascarade. Elle souhaite mettre à l’épreuve les sentiments du jeune homme : acceptera-t-il de l’épouser en la croyant de condition modeste ? De cette réponse dépendra leur bonheur.
Autour de la pièce
Cette comédie en trois actes, créée le 23 janvier 1730 à l’Hôtel de Bourgogne par les Comédiens-Italiens, est considérée comme l’œuvre majeure de Marivaux. Elle marque l’apogée du « marivaudage », ce style caractérisé par une analyse minutieuse des mouvements du cœur et un usage subtil du dialogue où les personnages réagissent aux mots plus qu’aux idées. Les répliques s’enchaînent avec vivacité, dans un rebondissement constant qui sert l’étude psychologique des protagonistes.
La pièce est remarquable par sa structure parfaitement symétrique : deux couples, deux travestissements, deux spectateurs complices. Cette mécanique précise met en scène une réflexion sur les rapports entre l’être et le paraître, questionnant les fondements de l’ordre social. Si les maîtres conservent sous leur déguisement une noblesse naturelle qui les trahit, les valets ne parviennent pas à masquer leur condition malgré leurs efforts pour singer les manières aristocratiques.
Dans la tradition de la commedia dell’arte, Marivaux conserve le personnage d’Arlequin mais le renouvelle en lui insufflant une sensibilité touchante. La première distribution comptait des acteurs prestigieux comme Zanetta Rosa Benozzi, dite Mademoiselle Silvia, qui incarna le rôle-titre pendant vingt ans, et Thomassin dans le rôle d’Arlequin qu’il rendait « à la fois très drôle et touchant ».
L’innovation de Marivaux réside dans son traitement du mariage arrangé. Contrairement aux comédies de Molière où les jeunes filles subissent l’autorité paternelle, Monsieur Orgon se montre compréhensif et laisse à sa fille la liberté de refuser l’union si le prétendant ne lui convient pas. Cette modernité se prolonge dans le personnage de Silvia qui « agit en femme moderne qui veut assumer ses responsabilités et prendre part à son destin ».
La critique de l’époque salua immédiatement la pièce qui connut quinze représentations entre janvier et février 1730. Le Mercure de France en fit un compte-rendu élogieux dans son numéro d’avril. Le succès ne s’est jamais démenti : entre sa création et 1750, la pièce totalisa cent deux représentations et 42 000 spectateurs. Sa portée internationale débuta rapidement avec des représentations en allemand dès 1735 à Hambourg.
Le cinéma s’en empara avec « Monsieur Hector » (1940) et « El juego del amor y del azar » (1944). La télévision lui consacra plusieurs versions, notamment celle de Marcel Bluwal en 1967 avec Jean-Pierre Cassel et Danièle Lebrun, qui offrit aux téléspectateurs « un Marivaux dépoussiéré et rajeuni ». Plus récemment, le film « L’Esquive » (2003) d’Abdellatif Kechiche transpose l’intrigue dans une cité HLM contemporaine.
Aux éditions LIBRIO ; 128 pages.
8. Les Fausses Confidences (pièce de théâtre, 1737)
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Résumé
Paris, XVIIIe siècle. Dorante, jeune homme issu d’une famille honorable mais désormais désargentée, s’éprend passionnément d’Araminte, une séduisante veuve qui dispose de cinquante mille livres de rente. Pour approcher celle qui lui semble inaccessible, il bénéficie de l’aide précieuse de Dubois, son ancien valet qu’il n’a pu garder faute de moyens. Ce dernier, qui travaille maintenant chez Araminte, met au point un plan ingénieux : faire engager Dorante comme intendant dans la maison.
L’oncle de Dorante, Monsieur Rémy, recommande son neveu auprès d’Araminte sans connaître ses véritables intentions. La jeune veuve, séduite par la prestance et les bonnes manières du candidat, l’engage immédiatement. Mais deux obstacles majeurs se dressent sur la route de Dorante. D’une part, Madame Argante, la mère d’Araminte, souhaite marier sa fille au comte Dorimont – un prétendant fortuné qui permettrait d’éviter un procès coûteux entre les deux familles. D’autre part, Marton, la suivante d’Araminte, se persuade que Dorante est amoureux d’elle.
Pour parvenir à ses fins, Dubois orchestre une série de « fausses confidences » : il révèle à Araminte que Dorante l’aime en secret depuis des mois, fait circuler un mystérieux portrait, organise la découverte d’une lettre compromettante. Chaque stratagème vise à éveiller les sentiments d’Araminte. La jeune veuve, troublée par ces révélations et touchée par la sincérité apparente de Dorante, pourra-t-elle s’affranchir des conventions sociales pour écouter son cœur ?
Autour de la pièce
Créée le 16 mars 1737 par les Comédiens-Italiens à l’Hôtel de Bourgogne, « Les Fausses Confidences » marquent l’apogée de l’art théâtral de Marivaux. La pièce n’obtient initialement qu’un succès mitigé, avec seulement trois représentations. Ce n’est qu’à partir de sa reprise à la Comédie-Française en 1793, en pleine Révolution, qu’elle connaît une consécration tardive mais durable.
Cette ultime grande comédie de Marivaux se caractérise par son ancrage dans la réalité sociale du XVIIIe siècle. Le dramaturge y peint avec acuité les mutations d’une société où l’argent devient le nouveau marqueur social, détrônant progressivement les titres de noblesse. Les personnages incarnent chacun un état social précis : Dorante représente la bourgeoisie déchue, Araminte la puissance financière montante avec ses cinquante mille livres de rente, et le comte Dorimont la noblesse en quête de redressement économique.
La pièce renouvelle les codes de la comédie classique en proposant une réflexion sur le pouvoir du langage. Les « fausses confidences » qui parsèment l’intrigue prennent des formes variées – confidences verbales, lettres, portraits – et questionnent la frontière entre vérité et mensonge. Plus qu’un simple ressort dramatique, ces manipulations langagières permettent paradoxalement l’émergence d’une vérité des sentiments.
Le personnage d’Araminte incarne une figure féminine d’une étonnante modernité. Cette jeune veuve fortunée jouit d’une liberté exceptionnelle pour l’époque : elle peut choisir son époux sans se plier aux conventions sociales ni aux pressions familiales. Son parcours vers l’amour trace la voie d’une émancipation féminine encore balbutiante au XVIIIe siècle.
La presse et la critique de l’époque réservent d’abord un accueil mitigé à la pièce. Le célèbre Voltaire lui-même compare les œuvres de Marivaux à « peser des œufs de mouche dans des balances en toile d’araignée », critiquant leur apparente légèreté. Pourtant, cette métaphore souligne involontairement la finesse psychologique et la subtilité des jeux de langage qui font aujourd’hui la renommée des « Fausses Confidences ».
La pièce n’a cessé d’inspirer les metteurs en scène, donnant lieu à des adaptations remarquables. Parmi les plus notoires, citons celle de Jean-Louis Barrault en 1947 avec Madeleine Renaud, la version de Jean Piat en 1971, et plus récemment la mise en scène de Luc Bondy au Théâtre de l’Odéon en 2014 avec Isabelle Huppert et Louis Garrel. Le cinéma s’en est également emparé avec deux adaptations majeures : le film de Daniel Moosmann en 1984 et le téléfilm de Luc Bondy en 2017.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 168 pages.
9. La Dispute (pièce de théâtre, 1744)
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Résumé
Au milieu du XVIIIe siècle, dans un lieu mystérieux et reculé, un Prince invite Hermiane à assister à un « spectacle très curieux ». Pour trancher une querelle qui les oppose sur l’origine de l’infidélité amoureuse, il lui propose d’observer une expérience troublante imaginée vingt ans plus tôt par son père : quatre jeunes gens, deux garçons et deux filles, ont été élevés depuis leur naissance dans une forêt, isolés les uns des autres, sans autre contact que leurs précepteurs respectifs, Carise et Mesrou.
Désormais âgés de dix-huit ans, ils vont pour la première fois se rencontrer sous le regard attentif du Prince et d’Hermiane. La jeune Églé est la première à découvrir son reflet dans un ruisseau, puis fait la connaissance d’Azor, dont elle tombe immédiatement amoureuse. Mais l’arrivée d’Adine et Mesrin va perturber ces premiers émois et mettre à l’épreuve la fidélité des couples naissants. Le Prince et Hermiane observent avec attention cette expérience qui doit déterminer lequel des deux sexes a donné le premier exemple de l’inconstance et de l’infidélité en amour.
Autour de la pièce
Cette comédie philosophique tranche dans l’œuvre de Marivaux par son caractère expérimental. Écrite à 56 ans, alors qu’il a déjà largement exploité les mécanismes de l’amour dans ses pièces précédentes comme « L’Île des esclaves » (1725) et « Le Jeu de l’amour et du hasard » (1730), il y déploie une langue plus abrupte dans un décor qui s’éloigne des palais et villages habituels de son théâtre. La pièce s’inscrit dans l’esprit des Lumières par sa volonté de mettre en avant la raison et l’expérimentation pour comprendre la nature humaine.
La structure dramaturgique est remarquable par sa mise en abyme : le Prince et Hermiane deviennent les spectateurs d’une expérience sociale, créant ainsi un double niveau de représentation. Ce dispositif permet à Marivaux d’interroger les fondements mêmes du sentiment amoureux et de la fidélité. Les protagonistes, élevés hors de toute société, incarnent une humanité originelle dont les comportements naturels sont observés comme sous microscope.
Le thème de l’inconstance traverse toute la pièce. Marivaux montre comment l’attrait de la nouveauté et la séduction exercée par l’autre peuvent ébranler les serments les plus sincères. La rivalité entre les deux jeunes femmes révèle également le narcissisme et la jalousie comme des traits inhérents à la nature humaine, indépendants de l’éducation sociale.
L’accueil de la pièce fut glacial lors de sa création en 1744. Retirée après une seule représentation, elle est restée dans l’oubli pendant près de deux siècles. La mise en scène de Patrice Chéreau en 1973 l’a fait redécouvrir sous un jour nouveau, mettant en lumière sa modernité et sa profondeur psychologique. La pièce a également inspiré le nom du groupe de rock américain « La Dispute », dont le chanteur Jordan Dreyer a été marqué par les parallèles entre l’œuvre et sa musique.
Aux éditions FOLIO ; 144 pages.