Né Charles McCarthy en 1933 à Providence dans le Rhode Island, Cormac McCarthy grandit principalement dans le Tennessee où son père, juriste, travaille pour la Tennessee Valley Authority. Adolescent peu intéressé par l’école mais passionné par divers hobbies, il s’inscrit à l’université du Tennessee en 1951 avant de rejoindre l’US Air Force. C’est durant son service en Alaska qu’il découvre véritablement la lecture.
De retour à l’université en 1957, il publie ses premières nouvelles sous le nom de C. J. McCarthy Jr. Il adopte ensuite le prénom Cormac, version gaélique de Charles, pour se distinguer d’une célèbre marionnette de ventriloque homonyme. Son premier roman, « Le gardien du verger », paraît en 1965. La même année, lors d’une traversée vers l’Irlande, il rencontre Anne DeLisle qu’il épouse en 1966. Le couple vit dans une pauvreté extrême, McCarthy refusant les apparitions publiques et les conférences rémunérées, préférant se consacrer entièrement à l’écriture.
Après plusieurs romans remarqués mais au succès commercial limité, McCarthy connaît la consécration en 1992 avec « De si jolis chevaux » qui remporte le National Book Award. Son roman post-apocalyptique « La Route » lui vaut le prix Pulitzer en 2007. Plusieurs de ses œuvres sont adaptées au cinéma, notamment « No Country for Old Men » par les frères Coen, qui remporte quatre Oscars en 2008.
Écrivain exigeant et solitaire, McCarthy préfère la compagnie des scientifiques à celle des autres écrivains. Il devient d’ailleurs membre du Santa Fe Institute, un centre de recherche multidisciplinaire. Son style, caractérisé par une ponctuation minimaliste et des descriptions de violence explicite, en fait l’un des plus grands romanciers américains contemporains. Ses derniers romans, « Le passager » et « Stella Maris », paraissent en 2022. Il décède le 13 juin 2023 à Santa Fe, Nouveau-Mexique, à l’âge de 89 ans.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. La Route (2006)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Un père et son jeune fils errent sur les routes d’une Amérique méconnaissable, dévastée par un cataclysme qui a transformé le monde en un désert de cendres. Le ciel, perpétuellement gris, masque un soleil devenu pâle et froid. La végétation a disparu, les animaux sont morts. Les rares humains encore en vie se terrent ou, pour la plupart, se sont transformés en chasseurs impitoyables prêts à tout pour survivre.
Dans ce monde hostile, les deux personnages – que l’auteur ne nomme jamais – cheminent vers le sud en quête d’un hypothétique refuge. Ils transportent leurs maigres possessions dans un caddie de supermarché : quelques conserves, des couvertures, et un revolver avec deux balles. Le père, rongé par la maladie, tente désespérément de préserver l’innocence de son fils et de lui transmettre des valeurs morales, alors même que l’humanité semble avoir sombré dans la barbarie.
Autour du livre
Récompensé par le Prix Pulitzer en 2007 et le James Tait Black Memorial Prize en 2006, « La Route » naît d’une expérience de Cormac McCarthy. Lors d’un séjour à El Paso en 2003 avec son jeune fils, l’écrivain contemple la ville et imagine son aspect cinquante à cent ans plus tard. Cette projection mentale, marquée par des « feux sur les collines », ne le quitte plus. Quelques années après, en Irlande, le livre surgit en à peine six semaines.
L’œuvre se distingue par sa construction métaphorique qui transcende le simple récit post-apocalyptique. Elle pose la question fondamentale de la transmission des valeurs dans un monde où l’humanité régresse vers la barbarie. Le lien entre le père et son fils occupe une place centrale : leur relation incarne la perpétuation de la mémoire et de la culture dans un univers submergé par les ténèbres. Cette dimension initiatique se double d’une portée métaphysique : tel Sisyphe condamné à pousser éternellement son rocher, les protagonistes doivent sans cesse reprendre la route sans connaître ni leur destination ni la raison de leur présence.
La réception critique s’avère exceptionnelle. Le magazine Entertainment Weekly la désigne comme la meilleure œuvre de fiction des 25 dernières années. En 2019, The Guardian la classe au 17e rang des 100 meilleurs livres du XXIe siècle. Le critique environnemental George Monbiot va jusqu’à la qualifier « d’œuvre environnementale la plus importante jamais écrite » pour sa représentation d’un monde privé de biosphère.
John Hillcoat l’adapte au cinéma en 2009 avec Viggo Mortensen et Kodi Smit-McPhee dans les rôles principaux. Le monde vidéoludique s’en empare également : le célèbre jeu « The Last of Us » s’en inspire manifestement, comme en témoigne la présence d’un livre attribué à une certaine Kathryn McCormac. La bande dessinée s’en saisit à son tour en 2024 avec l’adaptation du dessinateur Manu Larcenet. Le Festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire lui consacre même une parcelle en 2010, baptisée « Le jardin de la Terre gaste ».
Du point de vue linguistique, la narration se démarque par sa création de néologismes comme « hagmoss », « batboard » ou « godspoke », ainsi que par des innovations grammaticales transformant des verbes en adjectifs. Cette inventivité verbale renforce la singularité d’une œuvre qui, selon la revue autrichienne Profil, aurait pu sombrer dans un « kitsch d’action » entre les mains d’un auteur moins talentueux, mais devient sous la plume de McCarthy « une grande narration aux accents vétérotestamentaires ».
Aux éditions POINTS ; 256 pages.
2. Méridien de sang (1985)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans l’Amérique de 1850, un adolescent de quatorze ans fuit son foyer du Tennessee et part vers le Texas. Sans nom (jamais son nom n’est mentionné, tout au long du livre, c’est « the kid ») ni instruction, il rejoint une bande de mercenaires commandée par le capitaine Glanton. La petite troupe gagne sa vie en chassant et en scalpant les Indiens pour le compte des autorités.
Cette troupe d’hommes hirsutes et violents traverse les déserts du Sud des États-Unis et du Nord du Mexique, laissant dans son sillage un chapelet de massacres sanglants. Payés au scalp par les gouverneurs locaux, ils tuent sans discrimination Indiens, Mexicains et colons, hommes, femmes et enfants. La violence est leur mode d’existence.
Autour du livre
Fruit d’une longue gestation débutée au milieu des années 1970, « Méridien de sang » naît d’une immersion de McCarthy dans l’univers du Sud-Ouest américain. En 1974, l’écrivain quitte le Tennessee pour s’installer à El Paso, Texas, où il apprend l’espagnol en autodidacte – une langue qui imprègne les dialogues du livre. La documentation méticuleuse qui sous-tend chaque page du récit en fait « l’un des romans les plus proches de l’histoire », selon les critiques.
L’œuvre puise sa substance dans les mémoires de Samuel Chamberlain, « My Confession: The Recollections of a Rogue », qui relate les exactions de la bande de John Joel Glanton. Le personnage énigmatique du juge Holden y trouve son origine : Chamberlain le dépeint comme un colosse de plus d’1m80, à la peau blafarde et au crâne glabre, aussi érudit que maléfique. Les rumeurs qui circulaient autour de lui évoquaient déjà des crimes atroces, notamment le viol et le meurtre d’une fillette de dix ans.
McCarthy y déconstruit radicalement les mythes du western. Ni les Amérindiens ni les cowboys n’incarnent le Bien ou le Mal : tous les personnages sont pris dans une spirale de violence nihiliste. Cette dimension apocalyptique se retrouve jusque dans la description des scènes les plus banales, ce que certains critiques considèrent comme une faiblesse du livre. La figure du juge Holden incarne cette ambivalence : polyglotte et érudit, il allie une intelligence remarquable à une cruauté sans limites. Sa présence surnaturelle – il ne vieillit pas en trente ans – et son obsession pour la guerre comme principe divin confèrent au roman une dimension métaphysique qui transcende le genre du western historique.
À sa parution en 1985, le livre reçoit un accueil mitigé. Il faut attendre les années 1990 et la reconnaissance critique de « De si jolis chevaux » pour que « Méridien de sang » soit réévalué comme l’opus magnum de McCarthy. Harold Bloom, figure majeure de la critique américaine, le considère parmi les plus grands romans du XXe siècle, comparable à « Moby Dick » de Melville. Une enquête du New York Times en 2006 le classe parmi les cinq œuvres majeures des 25 dernières années, tandis que le Time l’intègre à sa liste des 100 meilleurs romans en langue anglaise parus entre 1923 et 2005.
La violence extrême qui irrigue le récit a longtemps découragé les adaptations cinématographiques. Même Ridley Scott, qui acquiert les droits dans les années 2000, abandonne le projet. En 2023, la société New Regency relance une tentative d’adaptation avec John Hillcoat à la réalisation, un choix pertinent puisque ce dernier a déjà porté à l’écran « La Route » du même McCarthy.
Aux éditions POINTS ; 480 pages.
3. No Country for Old Men (2005)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans les étendues désertiques du Texas, à la frontière mexicaine, Llewelyn Moss fait une découverte qui va bouleverser sa vie. Au début des années 1980, cet ancien combattant de la guerre du Viêt Nam tombe par hasard sur une scène macabre : des véhicules criblés de balles, des cadavres, des sacs remplis d’héroïne et une mallette contenant plus de deux millions de dollars. Pour lui qui vit dans une caravane avec sa jeune femme, la tentation est trop forte.
Cette décision le précipite dans une course-poursuite infernale. Sur ses traces, Anton Chigurh, un tueur psychopathe d’une froideur absolue, est bien décidé à récupérer l’argent pour le compte des trafiquants. Armé d’un pistolet d’abattage, il laisse derrière lui une traînée de cadavres, éliminant sans état d’âme quiconque croise sa route.
Entre les deux hommes, le shérif Ed Tom Bell tente de comprendre et d’arrêter cette spirale meurtrière. Vétéran de la Seconde Guerre mondiale proche de la retraite, il observe avec amertume la montée inexorable de la violence dans son pays. Ses réflexions désabusées ponctuent ce récit noir qui brosse le portrait d’une Amérique en pleine mutation, où les codes moraux s’effacent devant la puissance de l’argent et la sauvagerie des cartels de drogue.
Autour du livre
À l’origine conçu comme un scénario, « No Country for Old Men » puise sa force dans cette genèse cinématographique qui imprègne profondément sa structure narrative. Cette particularité transparaît dans l’écriture épurée et la construction visuelle des scènes, qui s’enchaînent avec la précision d’un découpage technique.
« No Country for Old Men » se démarque nettement des précédents romans de McCarthy par son minimalisme assumé. Les dialogues, dépouillés, alternent avec treize chapitres en italique qui constituent les monologues intérieurs du shérif Bell. Ces passages méditatifs offrent une résonance philosophique aux événements sanglants qui se déroulent, questionnant le déclin moral de la société américaine.
Le titre, emprunté au poème « Sailing to Byzantium » de W.B. Yeats (1926), établit d’emblée un parallèle entre le désarroi du vieux shérif et celui du poète face à un monde qui leur échappe. Cette dimension métaphysique s’incarne particulièrement dans le personnage d’Anton Chigurh, tueur psychopathe qui se perçoit comme un instrument du destin, laissant parfois une pièce de monnaie décider du sort de ses victimes.
La réception critique initiale s’est révélée contrastée. William J. Cobb, dans le Houston Chronicle, salue en McCarthy « notre plus grand écrivain vivant ». À l’inverse, le critique Harold Bloom considère que l’œuvre ne rivalise pas avec « Méridien de sang », jugeant que ses « jugements moraux apocalyptiques » constituent un recul artistique. Walter Kirn, dans le New York Times Book Review, qualifie l’intrigue de « sinistre hokum » tout en louant la virtuosité narrative de McCarthy.
L’adaptation cinématographique des frères Coen en 2007 remporte un succès retentissant, couronnée par quatre Oscars dont celui du meilleur film. Javier Bardem, dans le rôle d’Anton Chigurh, reçoit l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, tandis que les Coen sont récompensés pour la réalisation et le scénario adapté.
La précision géographique du roman mérite d’être soulignée : la poursuite meurtrière peut être suivie pas à pas à travers les petites villes du Texas occidental, conférant à la traque une dimension cartographique absente du film. Cette attention méticuleuse aux lieux ancre le récit dans un territoire concret tout en amplifiant sa portée allégorique.
Certains universitaires critiquent l’absence de personnages mexicains dans une œuvre centrée sur la violence liée au trafic de drogue à la frontière mexico-américaine. Cette observation souligne les limites potentielles de la perspective adoptée par McCarthy dans son traitement des enjeux frontaliers.
Aux éditions POINTS ; 320 pages.
4. La trilogie des confins – De si jolis chevaux (1992)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Au Texas, à l’orée des années 1950, John Grady Cole voit son univers s’effondrer. À seize ans, ce jeune homme épris de chevaux et d’espaces sauvages apprend que le ranch familial va être vendu. Refusant de se soumettre à cette modernité qui signe la fin d’un mode de vie, il décide de partir vers le Mexique avec son ami Lacey Rawlins.
Sur les routes poussiéreuses, les deux adolescents croisent le chemin d’un mystérieux garçon de treize ans, Jimmy Blevins, monté sur un magnifique cheval qui ne lui appartient manifestement pas. Cette rencontre marque le début d’une suite d’événements qui les mènera bien au-delà de leurs rêves d’aventure initiaux.
Autour du livre
Publié en 1992, « De si jolis chevaux » marque un virage dans l’œuvre de Cormac McCarthy. Premier volet de « La trilogie des confins », ce récit d’apprentissage conjugue habilement les codes du western et de la romance, tout en s’éloignant du nihilisme caractéristique des précédents ouvrages de l’auteur. Cette orientation nouvelle séduit immédiatement le public et la critique : le livre remporte la même année le National Book Award et le National Book Critics Circle Award.
L’intrigue se déroule en 1949, à une époque charnière où le métier de cow-boy perd progressivement sa raison d’être. À travers le périple de John Grady Cole, McCarthy interroge la fin d’un monde et la persistance du rêve américain dans un Ouest qui n’existe plus. La frontière entre le Texas et le Mexique devient alors une ligne de démarcation tant géographique que symbolique, séparant deux univers : celui de la modernité qui avance inexorablement et celui d’une tradition équestre qui résiste encore.
Le bilinguisme du protagoniste, parlant couramment l’anglais et l’espagnol, témoigne d’une double culture qui transcende les frontières physiques. Son éducation par une famille mexicaine pendant quinze ans sur les seize années de sa vie fait de lui un personnage à la croisée de deux mondes, capable de naviguer entre les cultures mais paradoxalement incapable de trouver sa place dans aucune d’elles.
L’écrivain Saul Bellow salue dans ce livre une « force et une vitalité biblique » où « alternent paradis et inferno ». Cette dualité structure effectivement l’ensemble du récit, depuis l’idylle amoureuse jusqu’aux scènes de violence carcérale, en passant par la relation complexe entre tradition et modernité.
L’adaptation cinématographique réalisée en 2000 par Billy Bob Thornton, avec Matt Damon et Penélope Cruz dans les rôles principaux, tente de retranscrire cette complexité à l’écran. Le roman connaît également une adaptation radiophonique en 1997, sous forme de feuilleton en trois parties pour la radio allemande WDR, dans une mise en scène de Walter Adler.
Aux éditions POINTS ; 408 pages.
5. La trilogie des confins – Le grand passage (1994)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans les années 1940, aux confins du Nouveau-Mexique, la famille Parham mène une existence paisible jusqu’au jour où une louve commence à s’attaquer à leur bétail. Billy, le fils aîné âgé de dix-sept ans, parvient à la capturer. Mais face à l’animal blessé, l’adolescent prend une décision qui bouleversera sa vie : plutôt que de l’abattre, il choisit de la ramener sur ses terres d’origine, au Mexique.
Ce périple à travers les terres arides n’est que le début d’une succession d’épreuves. À son retour, Billy découvre que ses parents ont été assassinés et leurs chevaux volés. Accompagné de son frère Boyd, quinze ans, il repart vers le sud dans l’espoir de retrouver les bêtes dérobées.
Autour du livre
Second volet de « La trilogie des confins », « Le grand passage » se démarque de son prédécesseur « De si jolis chevaux » par une tonalité plus mélancolique, sans pour autant sombrer dans le désespoir absolu qui caractérise les premières œuvres de McCarthy. La dimension picaresque imprègne le récit, à travers le périple d’un héros désargenté qui enchaîne les quêtes apparemment vouées à l’échec.
Le récit s’enracine dans le Nouveau-Mexique des années 1940, à l’aube de l’entrée en guerre des États-Unis. Cette toile de fond historique, esquissée par touches discrètes, confère une profondeur supplémentaire aux thématiques du passage et de la frontière qui structurent l’œuvre. Les trois traversées successives de Billy Parham vers le Mexique dessinent une trajectoire initiatique où chaque franchissement de la frontière engendre son lot de bouleversements.
La relation entre Billy et la louve constitue l’un des nœuds dramatiques majeurs du roman. Les critiques se divisent sur la portée de cet épisode : pour Wallis Sanborn, la noble mission de Billy masque en réalité une forme de domination violente sur l’animal sauvage. Raymond Malewitz met quant à lui en lumière l’autonomie littéraire de la louve, qui transparaît dans le décalage entre la perception qu’en a Billy et la description qu’en livre le narrateur.
Les rencontres qui jalonnent le parcours de Billy donnent lieu à des dialogues philosophiques d’une grande densité. Ainsi, un Mormon converti au catholicisme livre sa vision du rapport entre récit et réalité : « Les choses séparées de leurs histoires n’ont pas de sens. […] L’histoire, elle, ne peut jamais être perdue de sa place dans le monde car elle est ce lieu même. »
McCarthy y déploie aussi une réflexion sur les liens entre territoire et identité. La quête initiale de Billy pour ramener la louve dans son habitat d’origine fait écho à sa tentative ultérieure de rapatrier la dépouille de son frère sur sa terre natale. Le déracinement progressif du protagoniste culmine dans la scène finale où, confronté à un chien errant blessé, il manifeste une violence qui contraste brutalement avec la tendresse dont il faisait preuve envers la louve dans sa jeunesse.
Aux éditions POINTS ; 528 pages.
6. La trilogie des confins – Des villes dans la plaine (1998)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans le Nouveau-Mexique des années 1950, deux cow-boys, John Grady Cole et Billy Parham, travaillent ensemble dans un ranch menacé d’expropriation par l’armée américaine. Ces hommes du grand Ouest parcourent les terres à cheval, s’occupent du bétail et mènent une existence rude mais libre, perpétuant les traditions d’un monde en déclin. Leurs soirées de détente les conduisent régulièrement au Mexique voisin, dans les bordels de Ciudad Juárez.
C’est là que John Grady croise le regard de Magdalena, une jeune prostituée mexicaine de seize ans. Belle mais fragile, sujette à des crises d’épilepsie, elle ne parle pas un mot d’anglais et vit sous l’emprise d’Eduardo, son proxénète. John tombe éperdument amoureux d’elle et forme le projet insensé de l’épouser, de l’emmener avec lui aux États-Unis. Billy tente en vain de le raisonner avant d’accepter de l’aider, conscient que cette histoire ne peut que mal finir.
Autour du livre
Ce dernier volet de « La trilogie des confins », paru en 1998, puise sa force dans l’entrecroisement des destins de deux personnages déjà connus des lecteurs : John Grady Cole et Billy Parham. Le titre lui-même résonne comme un écho biblique à Sodome et Gomorrhe, inscrivant d’emblée le récit dans une dimension mythologique qui transcende la simple histoire d’amour tragique.
« Des villes dans la plaine » se distingue par son ancrage temporel précis en 1952-1953, dans un Sud-Ouest américain où l’industrie du bétail périclite sous la double menace de la sécheresse et des expropriations militaires. Cette toile de fond sociale et économique confère au roman une épaisseur historique, tandis que la frontière entre les États-Unis et le Mexique s’impose comme une ligne de démarcation tant géographique que symbolique.
Le New York Times souligne la violence de la prose et l’usage d’un vocabulaire parfois archaïque, tout en regrettant la simplicité évocatrice de la vie des cowboys qui caractérisait les premiers tomes. La réception critique s’avère néanmoins largement positive, comme en témoignent les avis favorables du Daily Telegraph, du Guardian et du Sunday Telegraph.
L’épilogue, qui propulse le lecteur cinquante ans plus tard, transforme ce qui aurait pu n’être qu’une histoire d’amour tragique en une méditation sur le temps et la mort. La rencontre finale de Billy, devenu sans-abri, avec un mystérieux interlocuteur – peut-être la Mort elle-même – ouvre sur un dialogue philosophique qui élargit considérablement la portée du texte.
Le projet d’adaptation cinématographique par Andrew Dominik avec James Franco, annoncé puis abandonné en 2018, témoigne du potentiel visuel et dramatique de l’œuvre, même si celle-ci reste pour l’heure cantonnée au domaine littéraire.
Aux éditions POINTS ; 384 pages.
7. Suttree (1979)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans les années cinquante, aux marges de Knoxville, Tennessee, Cornelius Suttree mène une existence précaire sur une barge aménagée. Ancien détenu issu d’une famille aisée qui l’a renié, il survit en pêchant des poissons-chats dans les eaux polluées de la rivière. Son quotidien s’écoule entre ses tournées de pêche, la vente de ses prises au marché et les soirées d’ivresse dans les bars sordides de la ville.
Le long des berges du Tennessee se rassemble tout un monde de déclassés : chômeurs, ivrognes, petits malfrats et vagabonds. Parmi eux, Gene Harrogate, un jeune homme simple d’esprit tout juste sorti de prison pour avoir vandalisé un champ de pastèques. Entre deux gorgées de whisky frelaté, Suttree tente d’empêcher son nouveau protégé de retourner derrière les barreaux.
Autour du livre
« Suttree » se démarque dans l’œuvre de McCarthy par son ampleur narrative et sa dimension semi-autobiographique. Fruit de vingt années d’écriture, il puise son essence dans les paysages du Tennessee que McCarthy a intimement connus durant son enfance.
La critique littéraire rapproche unanimement l’œuvre de grands classiques américains : on y retrouve l’esprit de « Huckleberry Finn » dans sa descente du fleuve Tennessee, l’influence du « Ulysse » de Joyce dans sa structure fragmentée et ses multiples retours en arrière, ainsi que la tendance faulknérienne à mêler ironie et mélancolie. Stanley Booth souligne d’ailleurs la dualité singulière du texte, qu’il considère comme le plus drôle et simultanément le plus déchirant des livres de McCarthy.
Le fleuve Tennessee s’impose comme l’artère principale du récit, charriant dans ses eaux les destins d’une galerie de personnages marginaux : voleurs, meurtriers, prostituées, sorcières et alcooliques peuplent les berges de cette « Amérique brutale des années cinquante ». Le protagoniste Cornelius Suttree navigue entre ces figures déchues, lui qui a délibérément quitté le confort bourgeois pour vivre dans une simple cabane flottante.
La dimension sociale transparaît à travers ce choix radical de Suttree : en rejetant ses privilèges, il pénètre dans ce que McCarthy nomme « un monde dans le monde », invisible aux yeux des « justes » qui ne l’aperçoivent que furtivement depuis leurs voitures et leurs trains. Le romancier questionne ainsi les frontières entre les classes sociales américaines du début des années 1950.
Roger Ebert, dans ses dernières années, confie avoir été profondément touché par la lecture, au point de « commencer à vivre à travers cet homme désespéré ». Cette résonance émotionnelle trouve son écho dans l’accueil critique unanimement positif reçu par l’œuvre dès sa parution, du New York Times au Times Literary Supplement, en passant par le Chicago Tribune où Nelson Algren salue une « mémorable comédie américaine d’un conteur original ».
Aux éditions POINTS ; 640 pages.
8. L’obscurité du dehors (1968)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans les montagnes des Appalaches, au cœur d’une Amérique rurale et désolée, Culla et Rinthy Holme survivent tant bien que mal dans une cabane délabrée. Frère et sœur unis par des liens incestueux, ils doivent faire face aux conséquences de leur relation le jour où Rinthy met au monde un enfant.
Culla décide d’abandonner le nouveau-né dans la forêt, mais un colporteur de passage le trouve et l’emporte avec lui. Lorsque Rinthy découvre que son bébé n’est pas mort comme le prétendait son frère, elle part sur les routes à sa recherche. De son côté, Culla se lance à la poursuite de sa sœur.
Autour du livre
L’écriture de « L’obscurité du dehors » s’inscrit dans un moment personnel tumultueux pour Cormac McCarthy. Entamé le 15 décembre 1962 à Asheville en Caroline du Nord, le premier jet prend forme à La Nouvelle-Orléans en 1964, dans le sillage d’un divorce douloureux avec Lee Holleman McCarthy en juillet 1963. La solitude marque cette période où, séparé de sa femme et de son fils, McCarthy poursuit son travail entre Knoxville et l’île espagnole d’Ibiza, où il achève les versions intermédiaires et finales. Le manuscrit définitif voit le jour dix-huit mois après son union avec Anne DeLisle.
À la différence de son premier roman « Le gardien du verger », McCarthy abandonne ici les conventions naturalistes pour créer un univers impitoyable, ancré dans une conception calviniste du péché et de la rédemption. Le titre même puise sa source dans l’Évangile selon Matthieu, lors de la rencontre entre Jésus et le centurion romain : « les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents ». Cette référence biblique teinte l’ensemble de l’œuvre d’une noirceur métaphysique.
L’inceste initial entre Culla et Rinthy profane un état d’innocence originel, symbolisé par leur isolement familial au cœur de la nature. La difformité physique de l’enfant retrouvé à la fin – brûlé d’un côté et borgne – fait écho à la monstruosité morale de sa conception. Le colporteur qui recueille le nouveau-né incarne lui-même une forme de perversion, vendeur d’articles divers et de pornographie.
La justice cosmique prend corps à travers un trio d’hommes meurtriers, avatars des Érinyes de la mythologie grecque. Leur violence aveugle ne distingue pas entre innocents et coupables, créant un monde où les considérations éthiques semblent avoir disparu. Le sens même se dérobe, comme en témoignent les scènes d’ouverture et de clôture : le salut promis par le prophète dans le rêve de Culla ne survient jamais, tandis que l’image finale d’un aveugle s’enfonçant dans un marécage symbolise un univers sans repères ni issue.
La critique américaine salue unanimement cette œuvre lors de sa parution en 1968. Le Time y discerne « une parabole profonde, qui parle en définitive à toute société, en tout temps ». The New York Times souligne sa capacité à « transformer le vrai en fabuleux, l’ordinaire en mystérieux ». En 2009, le réalisateur Stephen Imwalle adapte le roman en un court-métrage de quinze minutes, avec Jamie Dunne et Azel James dans les rôles de Rinthy et Culla Holme.
Aux éditions POINTS ; 240 pages.
9. Un enfant de Dieu (1973)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans le Tennessee des années 1960, Lester Ballard vient de se faire expulser de la ferme familiale. Sans le sou, cet homme solitaire trouve refuge dans une cabane délabrée, puis dans les grottes de la montagne. Pour subsister, il braconne, vole du maïs et erre dans la région, son fusil comme seul compagnon.
Sa descente dans l’horreur commence le jour où il découvre un couple mort dans une voiture. Un désir morbide s’empare alors de lui : il profane le cadavre de la femme. Ce premier passage à l’acte va déclencher une spirale macabre.
Autour du livre
Troisième roman de McCarthy, « Un enfant de Dieu » s’inscrit dans la lignée de « L’obscurité du dehors » en poursuivant une réflexion sur l’isolement extrême et la violence comme manifestations de l’expérience humaine. Publié en 1973, le livre reçoit les éloges de la critique, notamment du New York Times qui y décèle, sous la dureté tragique, une dimension « sentimentale » inattendue.
Le personnage central, Lester Ballard, s’inspire d’une figure historique réelle dont McCarthy a préservé l’anonymat. L’ancrage dans le Tennessee des années 1960 permet d’éclairer les tensions sociales de l’époque, notamment à travers les références aux groupes d’autodéfense comme les White Caps et les Bluebills, versions locales du Ku Klux Klan dans les années 1890 – le grand-père du protagoniste appartenait d’ailleurs aux White Caps.
La singularité narrative se manifeste dans l’alternance entre descriptions factuelles, prose poétique et narration à la première personne dont l’identité reste mystérieuse. McCarthy s’affranchit également des conventions typographiques en supprimant les guillemets des dialogues. Cette hybridation formelle fait écho à la désagrégation progressive du personnage principal, décrit comme « un enfant de Dieu comme vous peut-être ».
La thématique de la survie imprègne l’ensemble du récit : à mesure que la société repousse Ballard dans ses marges, celui-ci régresse littéralement et métaphoriquement vers un état primitif. Sa rage devient sa seule force vitale.
En 2013, James Franco adapte le roman au cinéma avec Scott Haze dans le rôle de Ballard. Malgré sa sélection à la Mostra de Venise et au Festival de Toronto, le film reçoit un accueil mitigé, la critique pointant la difficulté à transposer à l’écran la matière littéraire complexe de McCarthy.
Aux éditions POINTS ; 192 pages.
10. Le passager (2022)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans le Golfe du Mexique en 1980, Bobby Western, un ancien physicien reconverti en plongeur professionnel, inspecte l’épave d’un avion de ligne échoué en eaux peu profondes. Sur place, il constate des anomalies : la boîte noire a disparu et un passager manque à l’appel. Peu après, des agents fédéraux commencent à le harceler, son appartement est fouillé et son collègue meurt dans des circonstances suspectes.
Mais cette enquête n’est qu’un prétexte pour dévoiler l’histoire tourmentée de Bobby, hanté par le suicide de sa sœur Alicia dix ans plus tôt. Génie des mathématiques internée à l’institut psychiatrique Stella Maris, elle entretenait avec son frère une relation fusionnelle qui frôlait l’inceste. En alternance avec le récit principal, des chapitres en italique relatent les conversations hallucinées d’Alicia avec le « Thalidomide Kid », un être imaginaire à nageoires qui dirige une troupe de personnages fantasmagoriques.
Le roman mêle plusieurs fils narratifs : la fuite de Bobby poursuivi par des forces obscures, son deuil impossible, et l’ombre du père, scientifique qui collabora avec Oppenheimer à la création de la bombe atomique. À travers de longs dialogues philosophiques dans les bars de La Nouvelle-Orléans, McCarthy compose une méditation mélancolique sur la culpabilité, la solitude et les limites de la science face aux mystères de l’existence.
Autour du livre
La genèse de ce roman s’étend sur plus de quatre décennies. McCarthy commence à l’écrire en 1980, bien que certaines sources situent ses premiers travaux dans les années 1970. Il faudra attendre 2022 pour que « Le passager » soit finalement publiée, seize ans après son précédent livre « La Route ». Cette longue maturation transparaît dans la densité intellectuelle du texte, nourri par les fréquentations scientifiques de l’auteur durant cette période.
L’ouvrage se distingue par son ambition mathématique et analytique, au point d’être qualifié de « Cormac 3.0 » par le biologiste David Krakauer. Les dialogues philosophiques et scientifiques qui jalonnent le récit créent une complexité narrative délibérée. Cette construction particulière délaisse la résolution des mystères initiaux au profit d’une réflexion plus large sur la nature de l’existence.
Le personnage du « Thalidomide Kid » établit un pont avec l’œuvre antérieure de McCarthy. Selon le critique John Jeremiah Sullivan, cette figure représenterait une version zombifiée du protagoniste de « Méridien de sang » (1985), marquée cette fois par les traumatismes du XXe siècle.
La publication s’inscrit dans un diptyque avec « Stella Maris », paru six semaines plus tard. Le succès commercial confirme l’attente suscitée par ce retour : plus de 100 000 exemplaires vendus fin 2022. L’accueil critique souligne l’audace d’un auteur nonagénaire qui s’aventure sur des territoires inexplorés. Le texte se distingue notamment par une structure qualifiée de « kaléidoscopique » par Nick Romeo, fusion inédite de genres et d’idées obsessionnelles. Il est sélectionné pour la Médaille Andrew Carnegie 2023.
Une adaptation cinématographique est en préparation sous la direction de Jeff Nichols, qui a manifesté son intérêt pour porter à l’écran l’ensemble du diptyque.
Aux éditions POINTS ; 528 pages.
11. Stella Maris (2022)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
À l’automne 1972, une jeune femme de 20 ans franchit les portes de Stella Maris, un établissement psychiatrique du Wisconsin. Elle s’appelle Alicia Western, une mathématicienne qui a choisi de s’y faire interner. Diagnostiquée schizophrène, elle est suivie par le Dr Cohen avec qui elle entame une série de séances thérapeutiques.
Le roman retranscrit leurs conversations, sans narration ni description. Au fil des entretiens se dessine le portrait d’une intelligence hors norme : enfant précoce devenue mathématicienne de haut vol, Alicia a côtoyé les plus grands cerveaux de son époque. Mais ses démons la rattrapent. Elle est visitée la nuit par des créatures imaginaires menées par le « Thalidomide Kid ». Et surtout, elle nourrit pour son frère Bobby un amour qui dépasse la simple affection fraternelle.
Dans l’ombre de ces tourments plane l’histoire familiale : leur père, éminent physicien, a participé à la conception de la bombe atomique aux côtés d’Oppenheimer. Entre réflexions scientifiques pointues et confessions intimes, ce dialogue thérapeutique compose le deuxième tome d’un diptyque complété par « Le passager », qui raconte le destin de Bobby dix ans plus tard.
Autour du livre
Dernier roman publié du vivant de Cormac McCarthy, « Stella Maris » concrétise un projet mûri pendant un demi-siècle. « Je planifiais d’écrire sur une femme depuis 50 ans », confiait l’écrivain en 2009. La genèse particulièrement longue du roman – plusieurs décennies de maturation – témoigne de l’ambition intellectuelle qui l’anime. McCarthy puise dans son expérience à l’Institut Santa Fe, où il a longuement côtoyé des scientifiques de premier plan, pour nourrir les réflexions sur les fondements des mathématiques et les limites de la connaissance qui parcourent le texte.
La singularité formelle de « Stella Maris » réside dans sa construction presque exclusivement dialoguée, sans narration ni didascalies, hormis la page d’ouverture. Cette architecture épurée sert d’écrin à des échanges d’une rare densité intellectuelle entre une jeune prodige des mathématiques et son psychiatre. Leurs conversations embrassent un spectre vertigineux de disciplines : mathématiques avancées, physique quantique, théorie musicale, philosophie du langage.
L’ouvrage s’inscrit dans un diptyque avec « Le passager », paru six semaines plus tôt. Les deux volets se complètent et s’éclairent mutuellement, « Le passager » privilégiant les développements sur la physique quand « Stella Maris » approfondit les aspects mathématiques. Cette architecture bipartite n’était pas initialement prévue – les deux livres devaient former un seul volume ou paraître simultanément.
Les critiques saluent majoritairement l’audace de cette entreprise tardive, même si certains pointent la complexité parfois hermétique des références scientifiques. Le New York Times y voit « l’œuvre extraordinairement audacieuse d’un écrivain de près de 90 ans ». La dimension tragique du personnage d’Alicia Western divise : figure trop archétypale pour certains, incarnation des limites du rationalisme pour d’autres.
Le cinéaste Jeff Nichols manifeste son intérêt pour une adaptation cinématographique du diptyque, et la production du film est confirmée. L’œuvre connaît déjà une importante diffusion internationale avec des traductions dans une vingtaine de langues en 2024.
Aux éditions POINTS ; 240 pages.