Richard Brautigan naît le 30 janvier 1935 à Tacoma, dans l’État de Washington. Son enfance est marquée par la pauvreté et l’instabilité : sa mère enchaîne les relations avec différents hommes, la famille déménage fréquemment. Le jeune Richard trouve refuge dans l’écriture dès l’adolescence, encouragé par une professeure qui lui fait découvrir Emily Dickinson et William Carlos Williams.
À vingt ans, après un bref séjour en hôpital psychiatrique où il subit des électrochocs, il quitte l’Oregon pour San Francisco. Là, il s’intègre à la scène littéraire locale et côtoie les artistes de la Beat Generation. Il publie ses premiers recueils de poésie et se marie avec Virginia Dionne Alder, avec qui il a une fille, Ianthe.
La consécration arrive en 1967 avec la publication de « La pêche à la truite en Amérique », qui devient un best-seller international. Brautigan est alors propulsé comme figure emblématique de la contre-culture hippie. Dans les années qui suivent, il publie plusieurs romans qui mélangent les genres et jouent avec les codes littéraires.
Mais le succès est éphémère. Alors que les critiques se font plus dures et que les ventes déclinent, Brautigan trouve refuge dans l’alcool. Il partage désormais sa vie entre sa maison de Bolinas en Californie, un ranch dans le Montana et de fréquents séjours au Japon, où il épouse brièvement Akiko Yoshimura.
De plus en plus isolé, dépressif, il met fin à ses jours en se tirant une balle dans la tête en septembre 1984, dans sa maison de Bolinas. Son corps n’est découvert qu’un mois plus tard. Il laisse derrière lui une œuvre singulière, mêlant poésie et prose dans un style singulier fait de métaphores et d’humour décalé, qui influence encore aujourd’hui de nombreux écrivains à travers le monde.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Un privé à Babylone (1977)
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Résumé
San Francisco, 1942. C. Card est un détective privé sans le sou qui vit dans un taudis crasseux. Il n’a ni bureau, ni secrétaire, ni voiture. Son seul bien est un revolver – sans balles. Quand une mystérieuse cliente lui propose une mission à 1000 dollars, il entrevoit enfin une chance de sortir de la misère. La mission semble simple : subtiliser un cadavre à la morgue. Mais avant même de pouvoir s’y atteler, il doit d’abord trouver des munitions pour son arme.
S’engage alors une quête tragicomique dans les rues de San Francisco. Card sollicite tour à tour sa mère (qui le tient pour responsable de la mort de son père), son ancien instructeur de police (qui le méprise pour avoir raté son examen) et son ami Pilon, employé à la morgue. Entre deux errances, il s’évade régulièrement dans un monde imaginaire : Babylone, où il se rêve en détective adulé, secondé par une ravissante secrétaire.
Autour du livre
Après avoir parodié le western dans « Un général sudiste de Big Sur » et la science-fiction dans « The God of the Martians », Richard Brautigan s’attaque cette fois aux codes du roman noir. Mais sous ses allures de pastiche, « Un privé à Babylone » dissimule une réflexion sur l’échec et la fuite dans l’imaginaire. Les critiques y ont vu des échos de la propre vie de Brautigan, qui se suicidera sept ans plus tard. Premier roman de l’auteur traduit par Marc Chénetier, il reste aujourd’hui l’une de ses œuvres les plus singulières.
Aux éditions BOURGOIS ; 230 pages.
2. La pêche à la truite en Amérique (1967)
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Résumé
« La pêche à la truite en Amérique », écrit par Richard Brautigan en 1961 mais publié en 1967, dépeint les pérégrinations d’un narrateur entre son enfance dans le Nord-Ouest américain, sa vie à San Francisco et un séjour de camping en Idaho avec sa femme et sa fille. Sa quête apparente de lieux propices à la pêche à la truite se heurte constamment à l’absurde : il découvre une casse où l’on vend des morceaux de ruisseau au mètre, tombe sur des chutes d’eau qui ne sont que des escaliers, et finit par devenir lui-même une truite mangeant son propre appât.
Le livre se compose d’une série d’anecdotes et de chapitres courts où l’expression « La pêche à la truite en Amérique » prend des sens multiples : c’est tour à tour le titre du livre, un personnage, un hôtel, l’acte même de pêcher. Ces métamorphoses créent un jeu de miroirs où la quête initiale de pêche se transforme en méditation décalée sur l’Amérique contemporaine. Des objets symboliques – un pot de mayonnaise, une statue de Benjamin Franklin, des truites – reviennent comme des refrains tout au long du texte. La partie de pêche vire à l’odyssée surréaliste.
Autour du livre
Ce livre inclassable, édité d’abord en feuilleton dans Evergreen Review, est rapidement devenu une référence de la contre-culture américaine. Des lecteurs passionnés se sont approprié son univers insolite : en 1994, un adolescent californien a changé son nom en « Trout Fishing in America », un couple a aussi donné ce nom à leur nouveau-né, et un cratère lunaire a même été baptisé du patronyme d’un des personnages.
Aux éditions BOURGOIS ; 384 pages.
3. Sucre de pastèque (1968)
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Résumé
Dans un monde post-apocalyptique où le soleil change de couleur chaque jour, une communauté s’organise autour d’une bâtisse centrale nommée iDEATH. Les habitants y fabriquent la plupart de leurs biens à partir de sucre de pastèque, même si le bois de pin et la pierre servent aussi de matériaux de construction. Le narrateur, qui ne révèle jamais son nom, vit dans une cabane près d’iDEATH, où travaille sa compagne Pauline.
Cette quiétude apparente cache des tensions. Vingt ans plus tôt, la communauté a dû affronter des tigres doués de parole qui dévoraient les habitants – dont les parents du narrateur. Plus récemment, le groupe s’est déchiré avec le départ d’inBOIL, un rebelle parti vivre près des « Œuvres Oubliées », un immense dépotoir renfermant les reliques du monde d’avant. Margaret, l’ex-petite amie du narrateur, s’est rapprochée d’inBOIL et de ses disciples, qui fabriquent du whisky. Le conflit atteint son paroxysme quand inBOIL revient avec ses fidèles, prétendant dévoiler la véritable nature d’iDEATH.
Autour du livre
Écrit en 1964 et publié en 1968, ce texte minimaliste de Richard Brautigan se lit comme une allégorie de la contre-culture des années 1960. La communauté iDEATH, avec son mode de vie alternatif et son refus de la société de consommation (symbolisée par les Œuvres Oubliées), reflète les aspirations de la jeunesse de l’époque. Des artistes continuent de s’y référer, à l’image de Neko Case ou des Klaxons. Harry Styles s’en est d’ailleurs inspiré pour sa chanson « Watermelon Sugar ». Le livre a aussi influencé plusieurs communautés hippies réelles, comme The Farm dans le Tennessee.
Aux éditions BOURGOIS ; 384 pages.
4. L’avortement (1971)
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Résumé
San Francisco, 1966. Un bibliothécaire de 31 ans n’a pas quitté sa bibliothèque depuis trois ans. Cette institution hors du commun ne prête pas de livres – elle les reçoit. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une clochette d’argent retentit pour annoncer l’arrivée d’un nouveau manuscrit refusé par les éditeurs. Des enfants y déposent leurs histoires griffonnées au crayon, des adolescents leurs poèmes, des vieillards leurs mémoires – tous ces textes que personne ne lira jamais.
La routine du bibliothécaire bascule le jour où Vida franchit le seuil. Cette jeune femme d’une beauté stupéfiante vient confier un manuscrit dans lequel elle exprime sa haine pour son propre corps, ce corps qui lui vaut le harcèlement des hommes et la jalousie des femmes. Entre ces deux êtres singuliers naît une histoire d’amour. Mais bientôt Vida tombe enceinte. Le couple décide de se rendre à Tijuana où l’avortement y est légal, laissant la bibliothèque aux bons soins de Foster, un ami excentrique.
Autour du livre
Ce roman semi-autobiographique s’inspire du voyage que Brautigan fit lui-même à Tijuana en mars 1966 pour accompagner sa petite amie Janice Meissner. L’idée de cette « bibliothèque des refusés » a tellement marqué les esprits qu’une vraie « Brautigan Library » a ouvert ses portes en 1990 à Burlington dans le Vermont, avant de déménager à Vancouver dans l’État de Washington. Elle accueille encore aujourd’hui les manuscrits non publiés.
Aux éditions POINTS ; 208 pages.
5. Mémoires sauvés du vent (1982)
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Résumé
En 1979, un homme de quarante-quatre ans revit les souvenirs de son enfance dans l’Oregon des années 1940. Issu d’une famille pauvre, il subsiste grâce à l’aide sociale aux côtés de sa mère et ses deux sœurs, changeant régulièrement de logement. Pour gagner un peu d’argent, il ramasse des bouteilles vides et les revend. Son refuge : un étang où il pêche, fasciné par un couple qui y installe quotidiennement un improbable salon en plein air.
Sa vie bascule le 17 février 1948. Ce jour-là, avec les quelques dollars en poche, il hésite entre s’acheter un hamburger ou des munitions pour son fusil. Son choix se porte sur les balles. Dans un verger abandonné, alors qu’il tire sur des pommes avec son ami David, l’impensable survient : une balle perdue atteint mortellement son camarade. Bien qu’acquitté, le jeune garçon et son entourage subissent l’opprobre de la communauté. La situation devient intenable, forçant la famille à déménager.
Autour du livre
Cette œuvre constitue le testament littéraire de Richard Brautigan. Il y mêle des éléments de sa propre jeunesse – notamment un incident de chasse où il blessa accidentellement un ami – avec un fait divers survenu à Eugene : la mort accidentelle du fils d’un avocat lors d’une partie de chasse. Adapté en court-métrage en 2000 par Paul Swensen, ce récit fut le dernier publié avant le suicide de l’auteur en 1984.
Aux éditions BOURGOIS ; 176 pages.