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Nathanael West en 2 romans – Notre sélection

Nathanael West en 2 romans – Notre sélection

Nathan Wallenstein Weinstein naît à New York en 1903 dans une famille juive de l’Upper West Side. Peu motivé par les études, il parvient à entrer à l’université Brown en usant de subterfuges. Passionné de littérature, il se plonge dans les œuvres des surréalistes français et des poètes britanniques, particulièrement Oscar Wilde. Son meilleur ami à l’université est S. J. Perelman, qui deviendra son beau-frère.

Après un bref séjour à Paris en 1925, où il adopte le nom de Nathanael West, il trouve un emploi de responsable de nuit dans un hôtel à Manhattan. C’est là qu’il commence à écrire sérieusement. Il publie son premier roman, « La vie rêvée de Balso Snell » en 1931, suivi de « Miss Lonelyhearts » en 1933, qui sera considéré comme son chef-d’œuvre.

La même année, West s’installe à Hollywood où il travaille comme scénariste pour Columbia Pictures. Malgré la publication de « Un million tout rond » (1934) et « L’Incendie de Los Angeles » (1939), ses livres se vendent peu. Il collabore à de nombreux scénarios de série B, dont « Five Came Back » (« Quels seront les cinq ? »).

Son œuvre, sensiblement marquée par la Grande Dépression, porte un regard sombre sur le rêve américain qu’il considère comme trahi tant spirituellement que matériellement. Sa carrière prometteuse s’achève brutalement le 22 décembre 1940, quand il meurt dans un accident de voiture avec son épouse Eileen McKenney, au lendemain de la mort de son ami Francis Scott Fitzgerald. Ce n’est qu’après sa mort que ses écrits seront véritablement reconnus, notamment avec la publication de ses œuvres complètes en 1957.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Miss Lonelyhearts (1933)

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Résumé

New York, années 1930, en pleine Grande Dépression. Un jeune journaliste de 26 ans, dont le nom n’est jamais révélé, se charge d’une rubrique de conseils dans un journal sous le pseudonyme « Miss Lonelyhearts ». Cette tâche, que ses collègues considèrent comme une farce destinée à augmenter le tirage, le confronte quotidiennement à des lettres bouleversantes. Des femmes battues, des malades incurables, des victimes de la pauvreté lui confient leur désespoir et implorent son aide. Fils de pasteur, le jeune homme prend ces appels au secours avec un sérieux qui confine à l’obsession. Son rédacteur en chef, l’impitoyable Shrike, se moque de sa sensibilité et le tourmente par ses sarcasmes.

Pour échapper à l’angoisse qui le submerge face à tant de souffrance, Miss Lonelyhearts multiplie les tentatives : il se tourne vers la religion, s’évade à la campagne avec sa fiancée Betty, se lance dans des liaisons avec la femme de Shrike puis avec Mrs Doyle, une de ses lectrices. Mais l’alcool, la violence et les aventures sans lendemain ne font qu’aggraver son mal-être. Sa relation avec Mrs Doyle, la femme d’un infirme désespéré, précipite une spirale tragique : quand elle tente de le séduire lors d’un dîner chez elle, il réagit brutalement. Elle l’accuse alors de tentative de viol auprès de son mari…

Autour du livre

Nathanael West écrit ce deuxième roman entre 1930 et 1932, alors qu’il travaille comme portier de nuit dans un hôtel new-yorkais. Son premier livre, « The Dream Life of Balso Snell », n’a connu qu’un tirage confidentiel de 500 exemplaires. Pour « Miss Lonelyhearts », il hésite longtemps sur la perspective narrative à adopter, rejetant finalement le récit à la première personne et le monologue intérieur qui auraient mal cadré avec la mort du protagoniste. Il opte pour une narration distanciée qui souligne l’isolement du personnage principal, volontairement maintenu dans l’anonymat.

Ce court récit expressionniste est remarquable par son ton grinçant et sa critique acerbe de la société américaine pendant la Dépression. L’histoire peut se lire comme une condamnation de l’aliénation et de la marchandisation de la vie sociale, annonçant les thèses situationnistes de Guy Debord. Miss Lonelyhearts ne parvient pas à jouer son rôle de conseiller dans un monde où tout est produit en masse, y compris les conseils donnés dans les journaux. Les êtres humains y sont réduits à des machines dont la seule fonction est de travailler. Incapable de trouver une solution à ses problèmes qui ont des causes systémiques, le protagoniste développe un « complexe du Christ » symptomatique de sa croyance en la religion comme réponse à un monde dépourvu de valeurs.

« Miss Lonelyhearts » rencontre initialement un succès commercial très modeste. Il paraît trois semaines avant la faillite de la maison d’édition Horace Liveright. Les critiques se montrent néanmoins plus favorables qu’à son premier livre. La chroniqueuse Josephine Herbst le compare à une « histoire de détective » se déroulant dans une pénombre onirique, sur fond de chômage et d’alcoolisme, mettant en scène la « faillite émotionnelle » de la « société moderne ».

Aujourd’hui, « Miss Lonelyhearts » est considéré comme un chef-d’œuvre par de nombreux critiques. Edmund Wilson évoque « une œuvre majeure de sa génération ». Harold Bloom le place parmi les plus grands romans américains du XXe siècle, estimant qu’il n’est surpassé que par certains textes de William Faulkner. Pour Bloom, le « désir messianique de rédemption, même par le péché » constitue l’un des thèmes centraux du livre. Il souligne l’originalité de son humour « apocalyptique » qui, dépourvu d’éléments libérateurs, provoque un rire défensif.

Le roman connaît plusieurs adaptations : dès 1933, une première version cinématographique intitulée « Advice to the Lovelorn » prend beaucoup de libertés avec le matériau original. En 1958, le film « Lonelyhearts » avec Montgomery Clift reste plus fidèle au texte mais opte pour une fin heureuse. Une adaptation théâtrale signée Howard Teichmann est montée à Broadway en 1957, avec Pat O’Brien dans le rôle-titre. En 1983, Eric Roberts incarne Miss Lonelyhearts dans un téléfilm. Plus récemment, en 2006, le compositeur Lowell Liebermann crée un opéra en deux actes d’après le roman.

Aux éditions SILLAGE ; 128 pages.


2. L’Incendie de Los Angeles (1939)

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Résumé

Los Angeles, années 1930. En pleine Grande Dépression, Tod Hackett quitte la prestigieuse École des Beaux-Arts de Yale pour rejoindre les studios hollywoodiens comme décorateur. Ce jeune artiste prépare secrètement une toile monumentale, « L’Incendie de Los Angeles », vision apocalyptique d’une ville promise aux flammes.

Dans son immeuble, Tod rencontre Faye Greener, une éblouissante figurante de dix-sept ans. Cette apprentie comédienne sans talent n’accorde ses faveurs qu’aux hommes riches ou séduisants, repoussant sans ménagement les avances de Tod qui se consume de désir pour elle.

Après la mort de son père, ancien artiste de vaudeville, Faye s’installe chez Homer Simpson, un comptable de l’Iowa venu en Californie soigner sa santé. Cet homme maladroit n’est qu’un des nombreux prétendants de la jeune femme, aux côtés d’Earle Shoop, un cow-boy de pacotille, et de Miguel, un mexicain organisateur de combats de coqs.

Dans les marges de l’industrie du cinéma, Tod observe cette faune bigarrée : des êtres brisés, venus chercher fortune à Hollywood et qui, confrontés à l’échec de leurs rêves, laissent sourdre une violence de plus en plus palpable. Tandis que les tensions s’exacerbent entre les soupirants de Faye, la Cité des Anges semble mûre pour l’embrasement que Tod pressent dans sa peinture.

Autour du livre

Publié en 1939, « L’Incendie de Los Angeles » (« The Day of the Locust ») puise sa matière dans la propre expérience de Nathanael West. Comme son protagoniste, il quitte la côte Est pour Hollywood où il travaille comme scénariste dans les studios. Cette immersion dans l’industrie cinématographique lui permet de dresser un portrait sans concession de l’envers du décor, loin des paillettes et du glamour. Le titre initial du roman, « The Cheated » (Les Dupés), souligne d’emblée son intention : mettre en lumière la désillusion des masses attirées par le mirage hollywoodien.

La force du livre réside dans sa peinture de ces êtres qui végètent aux marges de l’industrie du divertissement. Les personnages incarnent les stéréotypes du Hollywood des années 1930 : la starlette ambitieuse, l’acteur de vaudeville sur le déclin, le cow-boy de pacotille, le scénariste blasé. Mais West transcende ces archétypes en leur insufflant une profondeur inattendue. Il ne se contente pas de dépeindre leur médiocrité : il montre comment l’échec de leurs rêves les conduit inexorablement vers la violence. La métaphore biblique du titre original (« The Day of the Locust ») – une référence à la plaie des sauterelles dans l’Exode – annonce le caractère destructeur de cette quête effrénée du succès.

« L’Incendie de Los Angeles » déconstruit impitoyablement le mythe de la Californie comme terre promise. Les personnages ont fui la monotonie de leur existence pour rejoindre ce paradis illusoire : « Où iraient-ils sinon en Californie, terre du soleil et des oranges ? » Mais le soleil ne suffit pas à combler leur vide existentiel. West montre comment l’industrie du cinéma nourrit des espoirs impossibles en transformant ses victimes en êtres amers et frustrés : « Leur ennui devient de plus en plus terrible. Ils réalisent qu’ils ont été trompés et brûlent de ressentiment. »

La critique a initialement réservé un accueil mitigé au roman, qui ne s’est vendu qu’à 1480 exemplaires au premier tirage. Sa reconnaissance n’intervient que dans les années 1950, une décennie après la mort tragique de l’auteur dans un accident de voiture. En 1998, la Modern Library classe « L’Incendie de Los Angeles » au 73ème rang de sa liste des cent meilleurs romans de langue anglaise du XXe siècle. Time Magazine l’inclut dans sa sélection des cent meilleurs romans parus entre 1923 et 2005. Le critique Harold Bloom l’intègre dans son « canon occidental ».

John Schlesinger adapte le livre au cinéma en 1975. Le film, qui met en scène Donald Sutherland dans le rôle d’Homer Simpson et Karen Black dans celui de Faye Greener, reçoit un accueil critique favorable. L’influence du livre se manifeste également dans la culture populaire : Matt Groening, le créateur des « Simpson », confirme avoir emprunté le nom d’Homer Simpson au personnage de West. Le groupe Manic Street Preachers y fait référence dans sa chanson « Peeled Apples », tandis que Bob Dylan enregistre un morceau intitulé « Day of the Locusts ». La compagnie théâtrale britannique Punchdrunk s’en inspire pour sa performance « The Drowned Man » en 2013, preuve de la résonance contemporaine de cette œuvre visionnaire.

Aux éditions LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES ; 128 pages.

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