Albert Cohen, né en 1895 à Corfou (Grèce), a fait ses études secondaires à Marseille et ses études universitaires à Genève. Il a été attaché à la division diplomatique du Bureau international du travail, à Genève. Pendant la guerre, il a été à Londres le conseiller juridique du Comité intergouvernemental pour les réfugiés, dont faisaient notamment partie la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis.
En cette qualité, il a été chargé de l’élaboration de l’accord international du 15 octobre 1946 relatif à la protection des réfugiés. Après la guerre, il a été directeur dans l’une des institutions spécialisées des Nations Unies. Albert Cohen est mort à Genève le 17 octobre 1981.
1. Le livre de ma mère
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Ce livre bouleversant qu’après un long silence nous offre l’auteur de Solal et de Mangeclous est l’évocation d’une femme à la fois » quotidienne » et sublime, une mère, aujourd’hui morte, qui n’a vécu que pour son fils et par son fils. Ce livre d’un fils est aussi le livre de tous les fils.
Chacun de nous y reconnaîtra sa propre mère, sainte sentinelle, courage et bonté, chaleur et regard d’amour. Et tout fils pleurant sa mère disparue y retrouvera les reproches qu’il s’adresse à lui-même lorsqu’il pense à telle circonstance où il s’est montré ingrat, indifférent ou incompréhensif. Regrets ou remords toujours tardifs. » Aucun fils ne sait vraiment que sa mère mourra et tous les fils se fâchent et s’impatientent contre leurs mères, les fous si tôt punis. »
Mais il faut laisser la parole à Albert Cohen. » Allongée et grandement solitaire, toute morte, l’active d’autrefois, celle qui soigna tant son mari et son fils, la sainte Maman qui infatigablement proposait des ventouses et des compresses et d’inutiles et rassurantes tisanes, allongée, ankylosée, celle qui porta tant de plateaux à ses deux malades, allongée et aveugle, l’ancienne naïve aux yeux vifs qui croyait aux annonces des spécialités pharmaceutiques, allongée, désœuvrée, celle qui infatigablement réconfortait.
Je me rappelle soudain des mots d’elle lorsqu’un jour quelqu’un m’avait fait injustement souffrir. Au lieu de me consoler par des mots abstraits et prétendument sages, elle s’était bornée à me dire : » Mets ton chapeau de côté, mon fils, et sors et va te divertir, car tu es jeune, va, ennemi de toi-même. » Ainsi parlait ma sage Maman. »
2. Belle du Seigneur
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«Solennels parmi les couples sans amour, ils dansaient, d’eux seuls préoccupés, goûtaient l’un à l’autre, soigneux, profonds, perdus. Béate d’être tenue et guidée, elle ignorait le monde, écoutait le bonheur dans ses veines, parfois s’admirant dans les hautes glaces des murs, élégante, émouvante, exceptionnelle, femme aimée, parfois reculant la tête pour mieux le voir qui lui murmurait des merveilles point toujours comprises, car elle le regardait trop, mais toujours de toute son âme approuvées, qui lui murmurait qu’ils étaient amoureux, et elle avait alors un impalpable rire tremblé, voilà, oui, c’était cela, amoureux, et il lui murmurait qu’il se mourait de baiser et bénir les longs cils recourbés, mais non pas ici, plus tard, lorsqu’ils seraient seuls, et alors elle murmurait qu’ils avaient toute la vie, et soudain elle avait peur de lui avoir déplu, trop sûre d’elle, mais non, ô bonheur, il lui souriait et contre lui la gardait et murmurait que tous les soirs ils se verraient.»
Ariane devant son seigneur, son maître, son aimé Solal, tous deux entourés d’une foule de comparses : ce roman n’est rien de moins que le chef-d’œuvre de la littérature amoureuse de notre époque.
3. Solal
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Au premier plan de ce roman très romanesque, l’étincelant Solal, une sorte de seigneur juif venu d’Orient, et les deux chrétiennes, Adrienne et Aude. En retrait, mais fortement illuminé et enluminé, un chœur charmant de ghetto méditerranéen, les cinq Valeureux, beaux parleurs, brouillons et passionnés, ingénus, chimériques. Mais bien d’autres êtres, venus d’autres contrées, circulent dans cette épopée aux longues trajectoires, traversée çà et là par la houle d’un grand rire.Les aventures abondent.
De l’île grecque où il est né, Solal s’enfuit à seize ans avec Adrienne, la femme du consul de France. Et c’est le début d’une vie riche en brusques changements, en joies inouïes, en défaites, en victoires. Solal traverse l’Europe. Misère. Evasion de la misère. L’éternel banni conquiert et devient, pour un temps, un puissant de ce monde.Mais dans les souterrains du château où Solal, ministre français, vit avec Aude, sa femme, d’étranges chants se font entendre. Un monde mystérieux se cache sous cette demeure d’Europe. A la vérité, cette saga foisonnante, riche en péripéties, sans cesse en mouvement et en action, est loin d’être simple.
Albert Cohen n’a jamais été député ni ministre et n’a pas abrité des dizaines de coreligionnaires dans des souterrains. Il n’a pas davantage enlevé une future épouse à la barbe d’un prétendant. Solal est pourtant nourri de sa vie. La peinture de Céphalonie doit beaucoup à son séjour à Corfou en 1908, Genève est un pôle majeur de son existence, les silhouettes des diplomates et des politiciens, la famille Sarles, viennent directement de son expérience. Les préoccupations, voire les déchirements, de Solal trouvent leur source dans le moi profond de l’auteur, amoureux de la France et de sa culture sans vouloir rien renier de ses origines.
4. Mangeclous
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«Mangeclous est un vaste roman jovial et gaillard – mais dont la belle humeur est veinée d’humanité et de mélancolie. Comme dans Solal, un des lieux de l’action est l’île grecque de Céphalonie et son curieux ghetto. Les Juifs de Cohen ne sont pas ceux de Zangwill. Ce sont de bienheureux naïfs qui participent à la joie d’un climat lumineux, d’une mer tiède et d’un ciel bienveillant.
Dans cette foule grouillante se détache un merveilleux quintette, les Valeureux, tous des Solal, issus de Juifs originaires de Provence mais installés à Céphalonie depuis des générations. Beaux parleurs, brouillons et passionnés, paresseux, menteurs, ingénus, universellement incompétents, naïvement amoureux de la France qui est demeurée leur patrie et dont ils parlent la langue. Dans Solal, les Valeureux ne jouaient qu’un rôle de second plan. Dans Mangeclous, ils ont pris la meilleure place. Ils y folâtrent et s’en donnent à cœur joie.
L’écrivain épouse l’âme de sa race en des scènes et des dialogues d’une vérité comique irrésistible. Le famélique Mangeclous, l’homme aux cent métiers, est un faux avocat, toujours en quête de nourritures et de profits. Truculente figure que ce grandiose menteur doué d’une éloquence torrentielle et d’une faim implacable. À Céphalonie il vaque avec passion à des occupations chimériques, sublimes et commerciales, pieds nus mais en chapeau haut de forme, toujours toussant – et avec une vigueur qui met à mal les vitres des fenêtres. Mais un jour, un mystérieux cryptogramme arrive à Céphalonie, et Mangeclous s’embarque, accompagné de ses amis.
C’est alors que commence une série d’aventures extravagantes et hilarantes, à Genève entre autres. Car il n’y a pas que le ghetto de Céphalonie dans ce livre. Il y a les milieux de la Société des Nations où les Valeureux ne manquent pas de pétarader et de faire de la haute politique – milieux dépeints avec un humour délectable. Il y a les Deume dont la quiète et terrible vie bourgeoise est décrite avec une tendre férocité.
Il y a Solal qui, quoique tenu momentanément dans l’ombre par l’auteur, est toujours le solaire et solitaire, l’étincelant – un personnage nouveau dans la littérature. Il y a l’étrange et adorable Ariane à laquelle Solal porte un intérêt bizarrement exprimé. Et Scipion, le plus menteur des Marseillais. Et bien d’autres. Ce serait trahir que de résumer en si peu d’espace l’action de Mangeclous.
5. Ô vous, frères humains
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«Un enfant juif rencontre la haine le jour de ses dix ans. J’ai été cet enfant.» En deux courtes phrases, Albert Cohen livre l’essentiel de son propos. Un texte uppercut qui revit aujourd’hui sous la plume de Luz, né l’année de publication chez Gallimard de ce court récit moins connu que Belle du seigneur ou Solal, lus de générations en générations.
Après son album très personnel, Catharsis, Luz s’attèle à nouveau sur un sujet qui l’habite : la perte de l’innocence. Il s’affirme ici comme un dessinateur humaniste incontournable.