Après avoir refermé « Sa Majesté des Mouches » de William Golding, difficile de ne pas rester hanté par cette fable sombre sur la fragilité de la civilisation et la part sauvage tapie en chacun. Que lire ensuite pour renouer avec cette même tension entre survie, isolement et luttes de pouvoir ? Voici vingt récits, classiques ou contemporains, qui questionnent le devenir des individus quand disparaissent les règles du monde connu.
1. Troupe 52 (Nick Cutter, 2014)
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Sur l’île isolée de Falstaff Island, cinq adolescents scouts et leur chef, Tim Riggs, s’installent pour un séjour de camping. La routine attendue – feu de camp, taquineries, randonnées – est brutalement rompue lorsqu’un homme famélique et malade surgit dans la nuit, réclamant à manger. Ce qu’il transporte en lui va déclencher une contamination effroyable. Coupés du monde, les jeunes doivent affronter la faim, la peur, et surtout la violence qui se réveille parmi eux. Survivre devient une épreuve autant physique que mentale.
Si vous avez aimé « Sa Majesté des Mouches », « Troupe 52 » présente un terrain familier : un groupe de jeunes isolés, privé d’autorité extérieure, forcé de se confronter à ses instincts primaires. Là où Golding scrutait la dégradation morale et les rapports de force, Nick Cutter pousse l’isolement vers une dimension d’horreur viscérale. Les personnalités se fissurent, les alliances se brisent, la menace extérieure se mêle aux tensions internes.
Les passages entre le huis clos sur l’île et des extraits de journaux ou d’interrogatoires enrichissent la perspective, tout en renforçant le sentiment que l’issue sera implacable. Un récit qui entrelace la cruauté des rapports humains et la brutalité d’un danger monstrueux. Une intensité qui devrait séduire celles et ceux qui ont été percutés par l’atmosphère implacable de Golding.
Aux éditions J’AI LU ; 512 pages.
2. Station Eleven (Emily St. John Mandel, 2014)
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Dans « Station Eleven » d’Emily St. John Mandel, tout bascule le soir où Arthur Leander, célèbre acteur, s’effondre sur scène pendant une représentation du « Roi Lear » à Toronto. Tandis qu’une grippe foudroyante décime 99 % de l’humanité, les survivants se dispersent en petites communautés. Vingt ans plus tard, Kirsten, enfant au moment du drame, fait partie de la Symphonie Itinérante, troupe d’acteurs et de musiciens qui parcourt la région des Grands Lacs pour jouer Shakespeare et Beethoven. Entre routes dangereuses, rencontres hostiles et liens mystérieux avec le passé, le récit alterne les époques pour relier les destins des personnages avant et après l’effondrement.
Ce roman offre un puissant écho à certaines des thématiques de « Sa Majesté des Mouches ». La question de ce que deviennent les règles et les repères quand la structure sociale disparaît est au cœur du récit. Comme chez Golding, l’absence d’autorité centrale révèle autant la brutalité que la solidarité possibles chez l’être humain. Les tensions entre communautés pacifiques et groupes dominés par un prophète rappellent les luttes de pouvoir, les manipulations et les dérives de l’isolement.
« Station Eleven » interroge ce qui mérite d’être préservé quand tout est perdu : ici, ce sont l’art, la mémoire et la transmission qui tiennent lieu de flamme à protéger, là où Golding plaçait cette fonction dans le maintien de l’ordre et des règles. L’histoire conserve ainsi le même arrière-plan de survie extrême, tout en déplaçant la question centrale vers ce qui, dans l’humain, résiste à l’effacement.
Aux éditions RIVAGES ; 480 pages.
3. Silo (Hugh Howey, 2012)
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Dans « Silo » de Hugh Howey, l’humanité vit recluse dans un immense bunker souterrain de 144 étages, coupée d’un monde extérieur toxique et réputé mortel. La vie y est régie par des règles strictes : les naissances sont contrôlées par une loterie, les déplacements se font uniquement à pied dans un escalier sans fin, et toute remise en question de l’ordre établi est punie par « l’envoi au nettoyage » — une sortie fatale où le condamné doit dépoussiérer les capteurs qui transmettent les images du dehors. Lorsque Juliette, une mécanicienne du bas du Silo, accède au poste de shérif, elle met à jour un réseau de mensonges et de manipulations qui menace l’équilibre fragile de cette société close.
Ce roman devrait séduire quiconque a aimé « Sa Majesté des Mouches » car il interroge la façon dont une communauté enfermée gère le pouvoir, les conflits et la survie. Comme chez Golding, l’espace limité agit comme une pression constante : les tensions s’exacerbent, les alliances se nouent ou se brisent, le vernis de l’organisation sociale craque face aux ambitions et à la peur. L’isolement du Silo met en lumière la fragilité des règles quand elles reposent sur le contrôle et le secret.
On retrouve aussi une observation fine des comportements collectifs et des jeux de domination, dans un décor radicalement différent mais avec la même question en toile de fond : que deviennent les hommes quand leur monde se réduit à un espace clos où toute issue semble impossible ?
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 744 pages.
4. Divergente (Veronica Roth, 2011)
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Dans « Divergente » de Veronica Roth, l’action se déroule dans un Chicago futuriste où la population est divisée en cinq factions, chacune fondée sur une valeur dominante : altruisme, courage, sincérité, fraternité ou érudition. À seize ans, chaque jeune doit choisir à quelle faction il appartiendra pour le reste de sa vie. Béatrice Prior, issue des Altruistes, découvre que son profil ne correspond pas à une seule faction : elle est divergente, une singularité dangereuse dans ce système. Elle décide de rejoindre les Audacieux, où l’attendent un entraînement impitoyable, des rivalités violentes, mais aussi de nouvelles alliances et un secret politique qui menace la stabilité de la société.
Ce livre peut séduire celles et ceux qui ont aimé « Sa Majesté des Mouches » par sa manière de montrer comment un groupe isolé se réorganise autour de règles strictes… et comment ces règles s’effondrent lorsque la peur, l’ambition et la soif de pouvoir prennent le dessus. Comme chez Golding, la hiérarchie entre adolescents devient une lutte pour la survie, avec des épreuves physiques et psychologiques qui révèlent le vrai visage de chacun.
Les dynamiques de groupe, la pression de la conformité et le rejet des individus « différents » rappellent la mécanique cruelle à l’œuvre sur l’île des garçons. L’évolution de Tris, partagée entre adaptation et résistance, rejoint aussi celle des personnages de Golding confrontés à des choix moraux dans un environnement clos et sous tension. Ici, la menace ne vient pas seulement de l’extérieur, mais des fractures internes qui transforment les liens en armes.
Aux éditions POCKET JEUNESSE ; 504 pages.
5. Le Passage (Justin Cronin, 2010)
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Dans « Le Passage » de Justin Cronin, un virus mis au point par l’armée américaine échappe à tout contrôle. Douze condamnés à mort, cobayes de l’expérience, se transforment en créatures quasi-vampiriques qui anéantissent l’humanité. Un siècle plus tard, les rares survivants vivent retranchés dans des colonies protégées de la nuit. L’arrivée d’Amy, jeune fille à l’allure adolescente mais âgée de plus de cent ans, bouleverse leur quotidien : elle pourrait bien détenir la clé pour inverser le cours des choses.
Ce bouquin déploie un autre terrain d’observation d’un groupe coupé du reste du monde. On y retrouve cette tension permanente entre cohésion et rivalités internes, cet équilibre précaire qui peut basculer à tout moment. Cronin montre comment, face à la menace extérieure, une communauté invente ses propres règles, hiérarchies et mythes, parfois au prix de choix cruels. La survie ne repose pas seulement sur les armes ou la ruse : elle dépend aussi de la capacité à rester unis malgré la peur et la défiance. Dans cet univers post-apocalyptique, la confrontation entre instincts primaires et valeurs collectives rappelle, sous une autre forme, la lutte morale qui traverse le roman de Golding.
Aux éditions POCKET ; 1280 pages.
6. Le Labyrinthe (James Dashner, 2009)
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Dans « Le Labyrinthe » de James Dashner, Thomas se réveille sans souvenir dans un lieu étrange entouré de murs gigantesques. Avec une quarantaine d’autres adolescents, il vit au cœur d’un immense labyrinthe dont les portes se referment chaque nuit, abritant alors des créatures mortelles, les Griffeurs. Chaque jour, les Coureurs cartographient les couloirs changeants dans l’espoir de trouver une sortie. L’arrivée de Teresa, première et seule fille du groupe, déclenche une série d’événements qui perturbent le fragile équilibre du Bloc et précipitent la quête d’évasion.
Ce bouquin offre un autre huis clos adolescent où la survie dépend de la coopération, de l’organisation et des rapports de force entre jeunes livrés à eux-mêmes. On y retrouve la création d’une micro-société, ses règles, ses tensions et ses figures d’autorité, mais transposées dans un cadre plus futuriste, plus dangereux. La mémoire effacée des personnages ajoute une dimension intrigante : le lecteur avance dans le même brouillard qu’eux, partage leur désorientation et leur méfiance. Qui plus est, le labyrinthe et ses menaces constantes créent une pression qui révèle les caractères, pousse à la prise de décision rapide et met à l’épreuve les alliances. Cette intensité prolonge avec une tonalité différente les questions que soulève Golding sur le comportement humain en situation extrême.
Aux éditions POCKET JEUNESSE ; 464 pages.
7. Hunger Games (Suzanne Collins, 2008)
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Dans « Hunger Games » de Suzanne Collins, Katniss Everdeen, 16 ans, vit dans le district 12 d’un pays futuriste et autoritaire, Panem. Chaque année, le Capitole impose aux districts d’envoyer un garçon et une fille, tirés au sort, pour participer à un jeu télévisé où les 24 adolescents s’affrontent jusqu’à la mort. Quand sa petite sœur Prim est désignée, Katniss se porte volontaire pour la remplacer et se retrouve projetée dans une arène truffée de pièges, sous l’œil constant des caméras, avec une seule issue possible : survivre.
Ce roman peut séduire un lecteur ayant apprécié « Sa Majesté des Mouches » par sa façon de confronter des jeunes à un environnement clos où la survie prime sur toute autre considération. Comme chez Golding, la pression extrême révèle autant la force que les failles des protagonistes, et interroge sur la manière dont le pouvoir, la peur et la faim façonnent les comportements.
Les alliances précaires, la tension entre solidarité et instinct de conservation, ou encore l’émergence de stratégies parfois cruelles rappellent les dynamiques observées sur l’île de Golding. « Hunger Games » ajoute une dimension politique forte : le contrôle social par la violence spectacle, et la possibilité qu’un geste de défi – même involontaire – déclenche une rébellion plus large. Cette tension entre lutte individuelle et enjeux collectifs donne au récit une intensité qui résonnera chez celles et ceux qui ont été marqués par l’atmosphère de « Sa Majesté des Mouches ».
Aux éditions POCKET JEUNESSE ; 432 pages.
8. La Route (Cormac McCarthy, 2006)
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Dans « La Route », un cataclysme a anéanti toute trace de civilisation. Le ciel reste voilé, la terre est recouverte de cendres et les rares survivants se terrent ou s’attaquent entre eux. Un père et son fils, jamais nommés autrement que « l’homme » et « le petit », avancent vers le sud avec leurs maigres affaires dans un caddie. Chaque journée est une lutte contre le froid, la faim et la peur, dans un monde où la barbarie domine. Leur objectif n’est pas seulement de rester en vie, mais de préserver ce qui reste d’humain en eux.
Ce récit peut toucher un lecteur qui a aimé « Sa Majesté des Mouches » parce qu’il s’intéresse, lui aussi, à la manière dont les règles s’effondrent lorsque la société disparaît. Dans les deux histoires, l’isolement et la nécessité de survivre révèlent la fragilité des valeurs collectives. « La Route » pousse cette idée à son extrême : ici, il ne reste plus de groupe à organiser ni de lois à transgresser, seulement une poignée de survivants prêts à tout pour subsister. Face à cette violence, la relation entre le père et l’enfant devient un acte de résistance. C’est par ce lien, et par la volonté de transmettre un sens moral, que le roman interroge ce qui empêche l’humanité de s’éteindre complètement, même au cœur du chaos.
Aux éditions POINTS ; 256 pages.
9. Battle Royale (Koushun Takami, 1999)
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Dans « Battle Royale » de Koushun Takami, quarante-deux collégiens sont sélectionnés au hasard par un régime totalitaire pour participer à un jeu macabre : enfermés sur une île isolée, ils doivent s’entretuer jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul survivant. Équipés d’armes distribuées au hasard et de colliers explosifs qui empêchent toute fuite, ils sont constamment surveillés par l’armée. L’affrontement est inévitable, et les alliances fragiles se brisent au rythme des annonces de morts diffusées par haut-parleur.
Ce grand classique devrait vous intéresser par sa manière de placer des adolescents dans un environnement clos où l’ordre social habituel s’effondre. Ici, le danger ne vient pas seulement de l’isolement, mais d’un système qui pousse sciemment chacun à voir l’autre comme une menace. L’histoire met en lumière les tensions entre instinct de survie, loyauté et morale : qui aider, qui trahir, comment rester humain alors que tout incite à devenir un bourreau ?
Comme chez Golding, la dynamique de groupe se déforme, les personnalités se révèlent ou se corrompent, la violence se conjugue avec des moments d’amitié ou de solidarité inattendus. « Battle Royale » pousse cependant plus loin l’aspect politique : derrière le jeu se dessine la volonté d’un État de briser toute confiance entre citoyens pour mieux les soumettre. C’est cette double dimension – étude des comportements et critique d’un pouvoir oppressif – qui en fait un écho saisissant et plus brutal au roman de Golding.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 864 pages.
10. La Plage (Alex Garland, 1996)
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Richard, jeune routard britannique, débarque à Bangkok avec l’envie de vivre quelque chose de fort. Dans une pension miteuse, il reçoit d’un voisin fantasque la carte d’une île secrète, réputée interdite aux touristes et bordée par une plage idéale. Avec un couple de Français rencontré sur place, il part la chercher. Derrière le décor de sable blanc et d’eau turquoise, une petite communauté vit en autarcie, loin du monde. Mais l’harmonie apparente se fissure, et la quête d’un paradis tourne lentement à la survie dans un climat de tensions, de peurs et de violence.
Celles et ceux qui ont aimé « Sa Majesté des Mouches » retrouveront ici un décor très différent, mais des dynamiques proches. « La Plage » s’attache elle aussi à montrer comment un groupe isolé, coupé de tout cadre extérieur, finit par reproduire — et parfois amplifier — les travers qu’il voulait fuir. Alex Garland installe une tension qui grandit à mesure que les enjeux deviennent vitaux, avec des règles internes qui se durcissent et des alliances qui vacillent. Comme chez Golding, l’utopie de départ laisse place à une mécanique implacable où la peur et l’instinct prennent le pas sur les idéaux. Le roman conjugue le plaisir d’un récit d’aventure avec une réflexion acérée sur la fragilité de toute communauté, surtout lorsque le vernis de civilisation se craquèle.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 474 pages.
11. Le Passeur (Lois Lowry, 1994)
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Dans un monde où tout est réglé pour éviter la douleur et les conflits, Jonas grandit sans savoir ce que sont l’amour, la couleur ou la musique. Chaque famille est formée sur mesure, chaque vie balisée par des règles strictes. Le jour de ses douze ans, Jonas se voit confier un rôle rarissime : Dépositaire de la Mémoire. Il devient le seul, avec le Passeur, à porter le souvenir de ce que fut l’humanité avant l’uniformisation : la joie, la beauté, mais aussi la guerre et la souffrance. Au fil de cette transmission, il découvre l’envers de la perfection qui l’entoure et comprend le prix payé par la communauté pour préserver cette harmonie artificielle.
Si « Sa Majesté des Mouches » montre comment un groupe livré à lui-même sombre dans la violence, « Le Passeur » renverse la perspective : ici, la société a éradiqué toute agressivité, mais au prix de la liberté et de l’individualité. Dans les deux récits, un jeune protagoniste se retrouve confronté à une vérité qui dynamite sa vision du monde et l’oblige à se positionner face à un système – qu’il soit chaotique ou parfaitement ordonné. Jonas, comme Ralph chez Golding, prend conscience que l’organisation humaine n’est jamais neutre : elle reflète toujours un choix, et ce choix implique des pertes.
Ce roman interroge directement la notion de libre arbitre et la place des émotions dans la vie collective. Les lecteurs qui ont apprécié la tension psychologique et les questionnements moraux de « Sa Majesté des Mouches » retrouveront ici un même mélange de suspense et de réflexion, mais dans un décor totalement différent. Une lecture qui, comme chez Golding, pousse à se demander : que reste-t-il de l’humain quand on prétend le protéger de tout ?
Aux éditions L’ÉCOLE DES LOISIRS ; 224 pages.
12. La servante écarlate (Margaret Atwood, 1985)
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Dans « La servante écarlate », Margaret Atwood raconte l’histoire de Defred, une femme forcée de servir comme mère porteuse dans la République de Gilead, régime totalitaire où la religion dicte la loi et où les femmes n’ont plus aucun droit. Arrachée à sa famille, privée de son nom, elle vit recluse, soumise à un Commandant et à son épouse, dans un monde où chaque geste est surveillé et où la moindre désobéissance peut mener à la mort. Entre son présent étouffant et les souvenirs d’une vie passée où elle était libre, elle cherche un moyen de survivre et d’espérer.
Ce roman pourrait vous séduire par la manière dont il interroge la fragilité des structures sociales et la rapidité avec laquelle la civilisation peut basculer dans la barbarie. Comme chez Golding, on assiste à l’effacement des repères moraux et à l’instauration de nouvelles règles, ici soutenues par une idéologie religieuse. Le récit joue sur la tension entre instinct de survie, peur et désir de résistance, tout en montrant comment un système oppressif formate les comportements.
À travers Defred, Atwood met en scène un personnage lucide, ni héroïne ni martyre, qui tente de préserver son humanité dans un cadre conçu pour l’écraser. C’est cette observation précise de la violence sociale, et la question lancinante de ce qui reste de l’individu face au groupe, qui font écho au roman de Golding et qui donnent à ce texte une puissance durable.
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 576 pages.
13. Marche ou crève (Stephen King, 1979)
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Dans « Marche ou crève », Stephen King imagine un concours d’endurance : cent adolescents, volontaires, partent marcher depuis la frontière canadienne jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un survivant. La règle est simple : ne jamais descendre sous 6,5 km/h, ne jamais s’arrêter. Au bout de trois avertissements, un tir de fusil met fin à la course du fautif. Le vainqueur obtient une récompense qui peut combler tous ses désirs. Ray Garraty, 16 ans, se retrouve au cœur de cette épreuve, entouré de camarades éphémères avec lesquels il partage amitiés, rivalités et épuisement extrême, tandis que la foule assiste, enthousiaste, à ce spectacle de mort.
Ce bouquin devrait vous parler car il met à nu, lui aussi, les mécanismes d’un microcosme soumis à une pression extrême. Dans les deux histoires, un groupe de jeunes se retrouve isolé dans un cadre où des règles impitoyables dictent la survie, où la morale vacille au fil de l’épreuve. Stephen King montre comment la solidarité peut naître au milieu de la compétition, mais aussi comment la peur, la fatigue et la perspective de mourir altèrent les relations et la perception de soi. On y retrouve ce même regard lucide sur la violence latente, l’instinct de domination et la fragilité des codes sociaux dès que l’environnement se dérobe. Là où Golding utilisait une île, King utilise une route ; mais dans les deux cas, le décor est un laboratoire cruel pour observer ce que l’humain conserve – ou perd – de son humanité.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 384 pages.
14. L’Orange mécanique (Anthony Burgess, 1962)
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Dans un futur proche oppressant, Alex, adolescent charismatique et chef de bande, passe ses nuits à semer la terreur dans les rues. Avec ses amis, il vole, frappe, viole, sans autre but que le plaisir. Trahi et arrêté, il devient cobaye d’une méthode radicale censée le rendre incapable de commettre des violences. Mais ce « traitement » le prive aussi de son libre arbitre et le transforme en être docile, coupé de ce qui faisait de lui un homme.
Si vous avez été retourné par « Sa Majesté des Mouches », « L’Orange mécanique » pousse plus loin certaines questions déjà présentes chez Golding : que devient un groupe livré à lui-même quand il n’existe plus de cadre moral solide ? Chez Burgess, la brutalité n’est pas seulement celle des jeunes livrés à leurs pulsions, mais aussi celle d’un système prêt à broyer un individu pour le conformer à ses attentes. Cette double violence – sauvage et institutionnelle – rappelle la tension constante entre ordre et chaos dans « Sa Majesté des Mouches ». Le roman interroge aussi ce qui définit l’humanité : est-on encore un homme quand on ne peut plus choisir, même entre le mal et le bien ?
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 352 pages.
15. Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants (Kenzaburō Ōe, 1958)
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Pendant la Seconde Guerre mondiale, un groupe d’enfants d’une maison de correction est conduit dans un village de montagne pour échapper aux bombardements. Le lieu, censé être un refuge, devient vite une prison. Les habitants, hostiles, les forcent à enterrer des animaux morts d’une mystérieuse épidémie. Lorsque la maladie frappe aussi des humains, les villageois fuient et enferment les enfants derrière eux. Livrés à eux-mêmes, ceux-ci investissent les maisons désertées, s’organisent pour survivre, jusqu’au retour des adultes décidé à les chasser.
« Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants » résonne avec « Sa Majesté des Mouches » par sa manière de placer un groupe de jeunes isolés face à la nécessité de se gouverner seuls. On y retrouve cette tension entre solidarité et rivalités, l’illusion d’une liberté retrouvée vite rattrapée par la peur et la violence. Kenzaburō Ōe capte avec précision la brutalité du monde adulte et la manière dont elle façonne ou brise des enfants encore marqués par l’innocence. Ici, la nature humaine se dévoile dans sa complexité, entre entraide fragile, pulsion de domination et refus d’abandonner toute dignité, ce qui en fait un écho sombre et puissant au roman de Golding.
Aux éditions GALLIMARD ; 240 pages.
16. La loterie (Shirley Jackson, 1948)
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Dans un petit village de Nouvelle-Angleterre, les habitants se rassemblent chaque 27 juin pour une loterie annuelle. L’ambiance semble bon enfant : les enfants jouent, les adultes bavardent. Mais derrière ce rituel se cache un tirage bien différent de celui que l’on imagine. Lorsque Tessie Hutchinson se retrouve avec le papier marqué d’un point noir, la fête bascule dans l’horreur : elle est mise à mort par lapidation, sous les yeux et avec la participation de tous, y compris de ses proches. Personne ne remet en cause la tradition, dont l’origine même est oubliée.
Pour qui a aimé « Sa Majesté des Mouches », « La loterie » déploie une même observation impitoyable de la mécanique collective qui mène des individus ordinaires à commettre le pire. Ici, la violence ne naît pas du chaos mais de l’ordre, entretenu par une coutume transmise sans réflexion. Comme chez Golding, les personnages basculent dans la brutalité avec une facilité déconcertante, portés par la force du groupe et la peur d’en sortir. Le texte met à nu l’aveuglement collectif, la soumission aux règles établies et l’indifférence face à la souffrance d’autrui. C’est court, glaçant, et cela laisse la même question en suspens : jusqu’où serions-nous prêts à aller si « tout le monde » le fait ?
Aux éditions RIVAGES ; 256 pages.
17. La Ferme des animaux (George Orwell, 1945)
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Dans « La Ferme des animaux », George Orwell raconte comment les bêtes d’une ferme anglaise, galvanisées par les paroles d’un vieux cochon nommé Sage l’Ancien, se révoltent contre leur propriétaire, M. Jones. Elles prennent le contrôle des lieux, établissent des règles censées garantir l’égalité et la solidarité, puis organisent leur vie sans humains. Mais peu à peu, une élite s’impose (les cochons), déforme les lois, réécrit l’histoire et installe un régime autoritaire où la peur, la propagande et la manipulation remplacent les idéaux initiaux. Au terme du récit, il devient impossible de distinguer les cochons de leurs anciens maîtres.
Ce livre propose une autre façon d’observer comment un groupe, libéré d’une autorité, en recrée une nouvelle, parfois plus dure encore. Dans les deux histoires, une communauté, d’abord uni par un projet commun, se fragmente sous l’effet de la lutte pour le pouvoir. On y voit des règles conçues pour le bien collectif peu à peu détournées, un chef charismatique imposer son autorité par la force et la peur, et une communauté se transformer en terrain d’oppression. Orwell met en lumière les mécanismes qui transforment un idéal en dictature. Comme Golding, il montre comment l’organisation sociale peut se dégrader jusqu’à la violence et à la domination brute, même chez ceux qui prétendaient agir pour le bien commun.
Aux éditions FOLIO ; 176 pages.
18. Le Meilleur des mondes (Aldous Huxley, 1932)
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Dans « Le Meilleur des mondes », Aldous Huxley imagine un futur où la société est entièrement façonnée par l’eugénisme et le conditionnement. Les humains naissent en laboratoire, prédestinés dès l’embryon à appartenir à une caste bien précise, de l’élite des Alphas aux Epsilons assignés aux tâches les plus simples. Le libre arbitre est remplacé par des réflexes inculqués dès l’enfance, la famille n’existe plus et le bonheur se maintient grâce au soma, drogue sans effets secondaires qui gomme toute douleur ou insatisfaction. Au cœur de ce système surgit John, un “Sauvage” élevé en marge de cette civilisation et qui découvre, incrédule, un monde où la stabilité a effacé toute individualité.
Ce roman intéressera particulièrement les fans de « Sa Majesté des Mouches » car il interroge, lui aussi, la manière dont une organisation sociale impose ses règles et ses valeurs, quitte à étouffer l’individu. Là où le roman de Golding montre un groupe d’enfants inventant un ordre fragile et violent, Huxley met en scène un ordre total, rigide, pensé pour empêcher tout conflit – mais au prix d’une uniformité étouffante. Les deux histoires confrontent le lecteur à la tension entre la nature humaine et les systèmes qui cherchent à la dompter. Dans « Le Meilleur des mondes », le choc entre John et la société fordiste devient un miroir inversé de l’île de Golding : un lieu où la sauvagerie n’est pas un dérapage mais un souvenir perdu, où la sécurité elle-même peut devenir une prison.
Aux éditions POCKET ; 320 pages.
19. Le cœur des ténèbres (Joseph Conrad, 1899)
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Dans « Le cœur des ténèbres », Charles Marlow, marin britannique, raconte comment il a été envoyé par une compagnie commerciale pour remonter un fleuve africain et retrouver Kurtz, un agent chargé de collecter l’ivoire et dont on est sans nouvelles. Au fil de son avancée sur ce long serpent d’eau, Marlow découvre un territoire hostile, des postes coloniaux rongés par la fièvre et la désorganisation, et surtout l’ombre grandissante de Kurtz. Celui-ci, autrefois présenté comme un homme brillant et idéaliste, est devenu le chef tout-puissant d’une communauté indigène, et semble avoir sombré dans la cruauté et la folie.
Ce grand classique est intéressant par la manière dont il interroge la fragilité du vernis de civilisation. Comme chez Golding, l’isolement, l’absence de repères extérieurs et la confrontation à un environnement implacable révèlent des instincts enfouis. Chez Conrad, la jungle joue un rôle similaire à l’île de Golding : un lieu où l’ordre imposé s’effrite, où la violence et la domination prennent le pas sur les idéaux proclamés. La figure de Kurtz, fascinante et répulsive, rappelle comment un individu respecté peut basculer lorsque disparaissent les contraintes sociales. L’ambiguïté morale qui traverse le texte – l’impossibilité d’assigner des explications simples aux actes ou aux choix – rejoint le malaise que « Sa Majesté des Mouches » laisse au lecteur : la certitude que les ténèbres ne viennent pas seulement du dehors, mais aussi de l’intérieur.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 216 pages.
20. Robinson Crusoé (Daniel Defoe, 1719)
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Dans « Robinson Crusoé » de Daniel Defoe, un marin anglais échoue sur une île inhabitée après un naufrage. Seul rescapé, il récupère ce qu’il peut de l’épave, apprend à chasser, cultiver, fabriquer outils et abri. Les années passent, jusqu’au jour où il sauve un prisonnier de cannibales, qu’il nomme Vendredi et avec qui il partage la vie sur l’île. Après vingt-huit ans d’isolement, il parvient à regagner l’Angleterre.
Cette histoire est remarquable pour la tension qu’elle instaure entre survie matérielle et équilibre moral. Comme chez Golding, l’isolement met à nu la nature humaine et oblige à inventer de nouvelles règles. Chez Defoe, la lutte n’est pas contre un groupe rival mais contre la faim, la peur et l’ennui. Le récit montre comment un individu façonne son propre ordre, décide seul de ce qui est juste ou non, et transforme un environnement hostile en territoire familier.
Les thèmes du pouvoir, de la solitude et de la reconstruction d’une micro-société — ici réduite à deux personnes — font écho aux dynamiques humaines et aux rapports de domination que l’on retrouve sur l’île des garçons de Golding. C’est aussi un texte qui questionne la frontière entre civilisation et nature, entre adaptation et contrôle, ce qui prolonge de façon différente mais complémentaire la lecture de « Sa Majesté des Mouches ».
Aux éditions FOLIO ; 512 pages.