Né en 1859 dans une famille paysanne norvégienne démunie, Knut Pedersen, qui prendra plus tard le pseudonyme de Knut Hamsun, grandit dans le rude paysage des îles Lofoten. Autodidacte, il exerce divers petits métiers et voyage à travers la Norvège dès ses 15 ans.
En 1884, après l’adoption de son nom de plume, il tente sa chance dans le milieu littéraire. Ses premiers essais restent médiocres, mais son retour des États-Unis marque un tournant : la publication de « La Faim » en 1890 le révèle au monde littéraire. Ce roman semi-autobiographique, qui préfigure les recherches stylistiques du XXe siècle, marque une rupture avec le naturalisme dominant.
Hamsun continue à publier avec « Mystères » (1892) et « Pan » (1894), qui asseyent sa réputation. Il diversifie ensuite sa production entre nouvelles, théâtre et poésie. Le diptyque « Benoni » (1908) et « Rosa » (1908), suivi de « L’Éveil de la glèbe » (1917), lui valent une reconnaissance internationale couronnée par le prix Nobel de littérature en 1920.
La fin de sa vie est marquée par son soutien controversé au nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale. Il va jusqu’à rencontrer Hitler en 1943 et offre sa médaille du prix Nobel à Goebbels. Après la guerre, il est jugé pour collaboration et condamné en 1948 à une lourde amende. Il meurt en 1952 à Nørholm, laissant une œuvre majeure mais une réputation ternie par ses engagements politiques. Son influence sur la littérature du XXe siècle reste néanmoins considérable, comme en témoigne l’admiration que lui voue Henry Miller, qui le qualifie de « Dostoïevski du Nord ».
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. La Faim (1890)
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Résumé
Dans le Christiania (l’actuelle Oslo) de la fin du XIXe siècle, un jeune homme affamé déambule à travers les rues glaciales. Écrivain en devenir, il tente de survivre en vendant des articles aux journaux locaux, mais ses maigres gains suffisent à peine à lui procurer quelques repas. Malgré sa situation désespérée, il s’accroche à un code d’honneur personnel, allant jusqu’à donner ses dernières pièces à des mendiants plus nécessiteux que lui.
Sa quête effrénée de nourriture le pousse dans des situations toujours plus précaires. Il perd successivement son logement, ses affaires, sa crédibilité sociale. Les hallucinations provoquées par le manque de nourriture altèrent sa perception du réel : il invente des noms fantaisistes pour les passants, se lance dans des conversations délirantes, oscille entre euphorie et désespoir. Sa rencontre avec une mystérieuse jeune femme, qu’il surnomme Ylajali, lui offre une parenthèse enchantée. L’histoire culmine lorsque, chassé de sa dernière demeure et à bout de forces, il décide de s’engager sur un navire en partance.
Autour du livre
Publié en 1890, ce roman s’inspire directement de l’expérience personnelle de Hamsun, qui en commença l’écriture lors d’une escale à Christiania, ville où il avait lui-même connu la misère quelques années plus tôt. Le manuscrit, d’abord publié anonymement dans une revue danoise, provoqua immédiatement l’admiration. André Gide, notamment, évoqua ce « livre étrange » qui laisse « des larmes et du sang plein les doigts, plein le cœur ».
L’œuvre se démarque par sa modernité psychologique : les délires et obsessions du narrateur, ses sautes d’humeur inexpliquées, ses accès de colère ou de joie démesurés préfigurent les écrits de Kafka et la littérature existentialiste du XXe siècle. Cette innovation littéraire valut à Hamsun une reconnaissance internationale immédiate et contribua à l’obtention du Prix Nobel de littérature en 1920. Adapté plusieurs fois au cinéma, notamment en 1966 par Henning Carlsen dans une version saluée au Festival de Cannes, le roman continue d’exercer une influence considérable sur la littérature contemporaine.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 285 pages.
2. Pan (1894)
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Résumé
Au milieu du XIXe siècle, dans les contrées sauvages du Nordland norvégien, le lieutenant Thomas Glahn mène une existence solitaire dans une hutte forestière, accompagné de son fidèle chien Ésope. Ancien militaire reconverti en chasseur, il subsiste grâce à la chasse et la pêche, ne descendant que rarement vers la petite ville côtière de Sirilund. Sa vie bascule lors de sa rencontre avec Edvarda, la fille d’un riche marchand influent de la région.
Une relation intense mais tourmentée se noue entre Glahn et Edvarda, tous deux incapables de déchiffrer les sentiments de l’autre. Leur liaison se caractérise par une alternance d’élans passionnés et de rejets violents. En parallèle, Glahn se rapproche d’Eva, une femme mariée au forgeron local. La spontanéité et le naturel d’Eva contrastent avec la sophistication d’Edvarda, mais cette idylle se termine par un drame : Eva périt dans un accident provoqué par Glahn. Rongé par la culpabilité et aliéné par la société de Sirilund, Glahn s’exile une fois encore.
Autour du livre
Publié en 1894, « Pan » transcende la simple histoire d’amour pour dresser le portrait d’un homme en rupture avec la civilisation. Le rythme du récit épouse celui des saisons : l’amour naît au printemps, s’épanouit en été et meurt en automne. Il souligne l’opposition fondamentale entre Glahn, créature instinctive liée aux forces de la nature, et Edvarda, produit d’une société policée qu’il rejette.
L’œuvre a suscité l’intérêt des cinéastes, avec pas moins de quatre adaptations à l’écran. La version allemande de 1937, produite sous l’égide de Joseph Goebbels, admirateur de Hamsun, témoigne de la récupération politique dont l’œuvre a fait l’objet. Plus récemment, le réalisateur canadien Guy Maddin s’en est inspiré pour son film « Twilight of the Ice Nymphs » (1997) tandis que le peintre Oskar Kokoschka lui a consacré une série de lithographies en 1975.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 160 pages.
3. L’Éveil de la glèbe (1917)
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Résumé
Au cœur des terres désertes du Nord de la Norvège, vers 1870, un homme mystérieux dont nul ne connaît les origines s’établit en pionnier. Isak choisit un terrain vierge, y construit une modeste cabane de tourbe et commence à défricher la forêt environnante. Dans la solitude de ces étendues sauvages, il survit en troquant des écorces contre des provisions au village le plus proche. Un jour, une femme, Inger, que la vie n’a pas épargnée à cause de son bec-de-lièvre, vient partager son existence.
Par leur travail acharné sur cette terre ingrate, le couple parvient peu à peu à bâtir une vie stable : ils élèvent du bétail, cultivent les champs fraîchement défrichés, remplacent la hutte par une maison en bois et acquièrent même un cheval. Deux fils naissent de leur union : Eleseus et Sivert. Mais le destin frappe lorsqu’Inger, enceinte une troisième fois, donne naissance à une petite fille marquée du même bec-de-lièvre qu’elle. Pour lui épargner une existence de souffrances, elle tue le nourrisson. Inger est condamnée à huit ans de réclusion dans un établissement pénitentiaire de Trondheim.
Durant les années d’incarcération, le monde moderne s’immisce peu à peu dans ce coin reculé : une ligne télégraphique traverse désormais la montagne, de nouveaux colons s’installent aux alentours et une mine de cuivre ouvre ses portes sur les terres d’Isak. À sa sortie de prison, Inger retrouve un territoire transformé, où la civilisation commence à imposer ses règles.
Autour du livre
« L’Éveil de la glèbe », publié en 1917 pendant la Première Guerre mondiale, s’inscrit dans un contexte où l’autosuffisance alimentaire devient une préoccupation majeure. Le roman puise sa substance dans l’expérience personnelle de Hamsun qui tenta lui-même de devenir agriculteur à Hamarøy, sans succès. Il séduit aussi bien Thomas Mann qu’Arnold Schönberg, Albert Einstein ou André Gide. Il donne lieu à une adaptation cinématographique dès 1921 par le réalisateur Gunnar Sommerfeldt, avec une partition musicale de Leif Halvorsen.
Aux éditions SILLAGE ; 378 pages.
4. Vagabonds (1927)
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Résumé
La vie s’écoule paisiblement dans un village de pêcheurs du nord de la Norvège lorsqu’en 1864, le retour d’August, un jeune marin aux récits extraordinaires, vient bouleverser la communauté. Ce personnage hâbleur et charismatique se lie d’amitié avec Edevart, un villageois à la nature plus posée. Ensemble, ils se lancent dans le commerce itinérant, parcourant les côtes norvégiennes pour vendre leurs marchandises.
Si August ne cesse de rebondir d’une aventure à l’autre, dilapidant ses gains aussi vite qu’il les obtient, Edevart connaît un destin plus tourmenté. Sa rencontre avec Lovise Margrete, femme mariée et mère de deux enfants, le plonge dans une passion déchirante qui le conduit à alterner entre périodes d’errance et tentatives d’enracinement. Dans cette région où la survie dépend de la pêche aux harengs et d’une agriculture précaire, nombreux sont ceux qui rêvent de partir pour l’Amérique, terre promise où l’on dit que les émigrés « ont toujours des dollars d’argent à faire sonner dans leur poche ».
Le roman suit les allées et venues de ces deux amis que tout oppose mais que le destin ne cesse de réunir, dans un monde rural en plein bouleversement où les valeurs traditionnelles se heurtent à la modernisation de la société.
Autour du livre
Publié en 1927, ce premier tome d’une trilogie s’inspire largement des années de jeunesse de Hamsun dans la région des îles Lofoten. L’écrivain y dépeint avec une acuité remarquable la communauté de son enfance, ses traditions séculaires et leur progressive dissolution face aux sirènes du progrès et de l’émigration. Les thématiques du déracinement et de la quête identitaire, portées par le duo contrasté August/Edevart, donnent au récit une dimension universelle qui explique son succès durable et son adaptation réussie au cinéma en 1989 par Ola Solum.
Aux éditions GRASSET ; 498 pages.
5. La dernière joie (1912)
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Résumé
Le narrateur, un écrivain quinquagénaire, fuit la civilisation pour s’établir dans une hutte de tourbe au cœur de la forêt norvégienne. Il y mène une existence rudimentaire, se nourrissant de fromage de renne et de viande conservée dans la neige, partageant sa solitude avec une souris qu’il baptise « Madame ». Cette retraite volontaire incarne pour lui la « dernière joie » : celle de se fondre dans la nature, loin des artifices de la société moderne.
Le printemps venu, il abandonne pourtant sa retraite pour s’installer dans une pension de montagne. Il y rencontre deux personnages qui bouleversent sa quiétude : Solem, un jeune vagabond énigmatique aux intentions troubles, et Mademoiselle Thorsen, une institutrice qui éveille en lui des sentiments amoureux qu’il tente de réprimer. Spectateur apparemment détaché de leur idylle naissante, le narrateur dissimule mal sa jalousie derrière un masque d’indifférence.
Autour du livre
Cette œuvre tardive de Hamsun se distingue par sa critique acerbe de la modernisation de la Norvège. Le narrateur y déplore l’avancée du tourisme, l’influence grandissante de la culture anglo-saxonne et ce qu’il perçoit comme la perte des valeurs traditionnelles, notamment l’émancipation des femmes qu’il juge contre-nature. Le titre même du roman revêt une double signification : la « dernière joie » représente tant la solitude recherchée par le narrateur que sa vision mélancolique d’un monde en mutation.
Le roman fut écrit alors que Hamsun, âgé de 53 ans, se considérait déjà comme un vieil homme. Cette perception précoce du vieillissement transparaît dans tout le récit, notamment à travers le regard que porte le narrateur sur la jeunesse qui l’entoure. Huit ans plus tard, Hamsun recevra le Prix Nobel de littérature, confirmant sa place parmi les grands écrivains européens du début du XXe siècle.
Aux éditions FOLIO ; 304 pages.