Julien Green (1900-1998) est un écrivain américain d’expression française, né à Paris de parents américains. Premier étranger élu à l’Académie française, il est l’un des rares auteurs à avoir été publié dans « La Pléiade » de son vivant.
Élevé à Paris, il fait ses études au lycée Janson-de-Sailly. La mort de sa mère, alors qu’il a 14 ans, le marque profondément. Il se convertit au catholicisme en 1916, puis s’engage dans le service des ambulances américaines pendant la Première Guerre mondiale avant d’être détaché dans l’artillerie française.
Après des études à l’Université de Virginie (1919-1922), il retourne à Paris où il commence sa carrière d’écrivain en français. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il retourne aux États-Unis où il travaille pour « Voice of America ».
Son œuvre, marquée par sa foi catholique et son homosexualité, évoque les thèmes de la sexualité, du bien et du mal, et de la religion. Son monumental « Journal » (1919-1998) est un témoignage rare sur la vie littéraire parisienne du XXe siècle. Parmi ses romans majeurs figurent « Adrienne Mesurat » (1927), « Léviathan » (1929) et « Moïra » (1950).
Élu à l’Académie française en 1971, il refuse la nationalité française proposée par Georges Pompidou. Il démissionne de l’Académie en 1996 et meurt à Paris en 1998. Il est inhumé à Klagenfurt, en Autriche.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Adrienne Mesurat (1927)
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Dans une petite ville de Seine-et-Oise en 1908, Adrienne Mesurat, une jeune fille de dix-huit ans, vit recluse dans la villa familiale aux côtés d’un père tyrannique et d’une sœur maladive de trente-cinq ans. Les journées s’écoulent, monotones et étouffantes, rythmées par les manies du père et les reproches de Germaine. Un jour, le hasard met Adrienne sur le chemin du docteur Maurecourt : quelques secondes suffisent pour que ce bref échange de regards bouleverse son existence.
Désormais obsédée par cet homme qu’elle ne connaît pas, Adrienne multiplie les promenades nocturnes près de sa maison. Cette passion secrète attise les soupçons de sa famille. La tension monte dans la villa des Charmes jusqu’au drame : après la fuite de Germaine, le père meurt dans des circonstances troubles. Seule et libre pour la première fois, Adrienne sombre peu à peu dans une folie qu’alimentent la culpabilité et son amour impossible.
Publié en 1927 alors que Julien Green n’avait que vingt-sept ans, ce texte dessine le portrait d’une jeune femme prise au piège de la province française du début du XXe siècle. La description clinique de la psyché d’Adrienne, de ses obsessions et de sa déraison progressive, a valu au livre d’être qualifié de « roman psychanalytique écrit par quelqu’un n’entendant rien à la psychanalyse », selon les mots mêmes de Green qui rejetait pourtant les théories freudiennes.
Derrière son apparente simplicité, « Adrienne Mesurat » déploie une remarquable étude psychologique de l’enfermement et de la folie. La force du texte réside dans sa capacité à transformer un événement minime – un simple regard échangé – en catalyseur d’une inexorable descente aux enfers. La structure du récit s’articule comme un piège qui se referme : la disparition successive de la sœur puis du père, au lieu d’apporter la liberté espérée, précipite la chute mentale de l’héroïne.
Le génie de Green se manifeste dans sa façon de tisser trois fils narratifs qui s’entremêlent : l’étouffement de la vie provinciale au début du XXe siècle, la tyrannie des rituels familiaux, et l’obsession amoureuse qui vire à la psychose. Sans jamais verser dans le mélodrame, le texte maintient une tension sourde grâce à une narration clinique qui enregistre les moindres oscillations de la conscience d’Adrienne.
Si le roman s’inscrit dans la lignée des grandes figures féminines de la littérature française comme Emma Bovary, il s’en démarque par son traitement novateur de la folie. Green réussit à faire de la maison familiale non pas un simple décor mais un personnage à part entière, dont la présence oppressante reflète et amplifie le délabrement mental de son héroïne.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 384 pages.
2. Léviathan (1929)
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En 1929, dans une bourgade française, Paul Guéret mène une existence morne entre sa femme qu’il n’aime plus et son travail de précepteur chez les Grosgeorge. Sa vie bascule quand il croise Angèle, une jeune blanchisseuse dont la beauté le bouleverse. Une passion dévastatrice s’empare de lui, le pousse à l’épier chaque jour, à la suivre dans les rues, à l’attendre pendant des heures.
L’histoire se noue dans les rues étroites de Lorges, sous l’œil inquisiteur de Mme Londe. Cette patronne de restaurant manipule ses clients et prostitue ses « protégées ». Quand Angèle repousse Guéret, la violence qui couvait explose : il l’agresse sauvagement puis, dans sa fuite, tue un vieillard. Commence alors pour lui une existence de fugitif, partagée entre Paris où il se cache et Lorges où le ramène son obsession pour Angèle.
Ce roman publié en 1929 brille par sa façon de transformer une banale histoire d’amour malheureux en descente aux enfers. Tout commence par un simple regard, puis la spirale s’enclenche : désir, obsession, violence, meurtre. Green ne juge pas ses personnages – il les suit dans leur chute avec une précision d’horloger qui rend leur déchéance d’autant plus poignante. Son originalité tient aussi à son traitement de la sexualité et de la violence dans un contexte littéraire encore très pudibond. Les thèmes de la prostitution, de la pédophilie et du crime y sont abordés frontalement.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 352 pages.
3. Mont-Cinère (1926)
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À la fin du XIXe siècle, au « Mont-Cinère », une vaste demeure du Sud des États-Unis, la jeune Emily Fletcher subit les privations imposées par sa mère. Mrs Fletcher, veuve obsédée par la peur de manquer, économise sur tout : le chauffage, la nourriture, l’entretien de la maison. La situation s’aggrave avec l’arrivée de Mrs Elliot, la grand-mère, qui vient s’installer dans la propriété malgré les réticences de sa fille.
Entre ces trois femmes s’installe une lutte souterraine pour le contrôle de la maison. Emily ne supporte plus de voir sa mère dilapider ce qu’elle considère comme son héritage. Dans un acte désespéré, elle contracte un mariage avec un voisin veuf, sans comprendre qu’elle perd ainsi ses droits sur Mont-Cinère au profit de son époux.
Premier roman de Julien Green, publié à vingt-cinq ans, « Mont-Cinère » livre une vision glaçante de l’avarice. Le froid qui règne dans la maison s’insinue dans les relations, transforme les personnages et corrompt leurs âmes. Cette obsession maladive de la possession contamine peu à peu Emily elle-même, jusqu’à la pousser à un geste radical.
Aux éditions FAYARD ; 311 pages.
4. Moïra (1950)
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Au début des années 1950, Joseph Day quitte ses collines natales pour étudier à l’université de Virginie. Ce jeune protestant de 19 ans, obsédé par la pureté spirituelle, se heurte à la liberté de mœurs du monde étudiant. Sa chevelure rousse et son teint d’albâtre attirent tous les regards, mais Joseph repousse avec violence ces marques d’intérêt qui menacent sa quête de sainteté.
Le drame se noue quand Moïra fait irruption dans sa vie. Cette jeune femme expérimentée dans l’art de la séduction se trouve elle-même troublée par la ferveur du jeune homme. Leur passion commune explose lors d’une unique nuit d’amour, avant que Joseph, dans un sursaut de démence mystique, ne l’étrangle aux premières lueurs du jour.
Publié en 1950, ce texte fiévreux met en scène la destruction d’un être par ses propres contradictions. Green y dépeint les ravages d’une foi mal comprise qui, au lieu d’élever l’âme, pousse au crime. L’écho avec notre époque résonne : le fanatisme religieux, quelle que soit sa forme, mène toujours aux mêmes impasses mortifères.
Aux éditions FAYARD ; 253 pages.
5. Les pays lointains (1987)
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En 1850, la ruine contraint Mrs Escridge et sa fille Elizabeth, seize ans, à quitter Londres pour Dimwood, une plantation de Géorgie, au Sud des États-Unis. William Hargrove, leur lointain parent, les accueille dans sa vaste demeure où règnent les codes de l’aristocratie sudiste. Pour la jeune Anglaise, tout est nouveau : la chaleur suffocante, les grandes propriétés, les esclaves, les bals somptueux où se pressent les meilleures familles de Savannah.
Le cœur d’Elizabeth s’embrase à la vue de Jonathan Armstrong, un jeune homme aussi séduisant qu’inaccessible car promis à une autre. Tandis que les tensions montent entre États du Nord et du Sud, la menace d’une guerre civile plane sur ces terres où Elizabeth cherche sa place, tiraillée entre ses convictions anti-esclavagistes et son attirance pour ce monde sur le point de disparaître.
Premier volet d’une trilogie sudiste (suivi par « Les étoiles du Sud » et « Dixie »), ce roman de près de mille pages fait revivre les dernières années de l’ancien Sud. La prose de Julien Green, né de parents américains sudistes, recrée avec une minutie presque victorienne l’atmosphère languide des grandes plantations. Sans jamais sombrer dans le mélo, il tisse une trame romanesque où l’histoire d’amour se mêle aux questions politiques et morales qui déchirent l’Amérique d’avant-guerre.
Aux éditions POINTS ; 1056 pages.