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Ismaïl Kadaré en 8 romans majeurs – Notre sélection

Ismaïl Kadaré en 8 romans – Notre sélection

Ismaïl Kadaré (1936-2024) est l’un des plus grands écrivains albanais du XXe siècle. Né à Gjirokastër en Albanie, il étudit la littérature à l’université de Tirana puis à l’institut Maxime-Gorki de Moscou. Sa carrière littéraire démarre véritablement en 1963 avec la publication du « Général de l’armée morte », roman qui le fait connaître internationalement.

Écrivain prolifique sous la dictature albanaise, il développe un style singulier mêlant histoire, folklore et critique voilée du totalitarisme. Malgré la censure et les périodes de disgrâce, il continue à écrire et à publier, notamment « Le palais des rêves » (1981), œuvre majeure considérée comme antitotalitaire. En 1990, se sentant menacé, il s’exile en France où il obtient l’asile politique, partageant ensuite sa vie entre Paris et Tirana.

Son œuvre, traduite dans plus de 45 langues, lui vaut de nombreuses distinctions, dont le prix international Booker (2005), le prix Prince des Asturies (2009) et le prix Jérusalem (2015). Membre de l’Académie des sciences morales et politiques depuis 1996, il est souvent cité comme favori pour le prix Nobel de littérature. Il s’éteint le 1er juillet 2024 à Tirana.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Les tambours de la pluie (1970)

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Au XVe siècle, les troupes ottomanes encerclent la citadelle albanaise de Kruja. À leur tête, Tursun Pacha joue son destin : en cas d’échec, le sultan le condamnera à mort. Face à lui, une poignée de défenseurs déterminés résiste sous la protection de Skanderbeg, héros national qui mène des raids dévastateurs contre les assaillants.

Le récit se déroule essentiellement dans le camp ottoman, où le chroniqueur Mevla Çelebi côtoie les différents protagonistes du siège : officiers ambitieux, experts militaires et conseillers religieux. Malgré leur supériorité numérique et technique, les Turcs voient leurs stratégies échouer les unes après les autres : assauts frontaux, tunnel, sabotage de l’aqueduc, rats infectés par la peste. Quand les tambours annoncent enfin la saison des pluies, qui permettra aux assiégés de reconstituer leurs réserves d’eau, Tursun Pacha préfère se donner la mort plutôt que d’affronter la colère du sultan.

Publié en 1970 sous la dictature d’Enver Hoxha, ce récit médiéval masque une critique du bloc soviétique qui menaçait alors l’Albanie. Le choix de narrer l’histoire depuis le camp des envahisseurs permet d’éviter l’écueil d’un simple récit patriotique. La structure alterne habilement entre les longs chapitres consacrés aux Turcs et de brèves chroniques albanaises, contraste saisissant entre l’individualité des uns et l’unité des autres.

Aux éditions FOLIO ; 352 pages.


2. Le palais des rêves (1981)

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Dans un empire ottoman imaginaire, Mark-Alem, héritier de l’illustre famille albanaise des Quprili, intègre le Tabir Sarrail, une institution gouvernementale aussi redoutée que mystérieuse. Sa mission : analyser et interpréter les rêves des citoyens, collectés chaque matin aux quatre coins de l’empire. Car selon la tradition, Allah envoie ses messages les plus importants dans l’inconscient du peuple.

Le jeune homme gravit rapidement les échelons de cette bureaucratie labyrinthique, passant du simple tri des songes à leur interprétation. Dans les couloirs déserts du palais, il découvre peu à peu l’influence considérable de cette institution qui peut, sur la base d’un simple rêve jugé subversif, faire torturer des innocents ou condamner des familles entières. Un jour, Mark-Alem tombe sur un songe qui semble incriminer les siens. Écartelé entre sa loyauté familiale et ses fonctions officielles, il se retrouve au cœur d’un affrontement sanglant entre les partisans du Sultan et son oncle le Vizir.

Publié en 1981 en Albanie communiste, ce roman allégorique sur la surveillance totalitaire fut immédiatement censuré par le régime d’Enver Hoxha. Lors d’une réunion d’urgence de l’Union des Écrivains, le successeur désigné de Hoxha menaça personnellement Kadaré : « Le peuple et le Parti t’ont élevé jusqu’à l’Olympe, mais si tu ne leur es pas fidèle, ils te précipiteront dans l’abîme ». Les 20 000 exemplaires imprimés s’étaient pourtant déjà vendus.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 224 pages.


3. Avril brisé (1980)

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Dans l’Albanie des années 1930, sur les hauteurs brumeuses du Nord où règne encore le code d’honneur médiéval du « Kanun », le jeune Gjorg vient d’accomplir son devoir : venger son frère en tuant son meurtrier. La tradition lui accorde une trêve de trente jours, pendant laquelle il doit verser au prince local le tribut exigé pour chaque mort. Passé ce délai, il deviendra la proie légitime de la famille adverse, nouveau maillon dans l’interminable chaîne des vendettas.

C’est durant cette période que surgit sur le plateau un couple de citadins : Bessian, écrivain subjugué par ces coutumes qu’il idéalise, et sa jeune épouse Diana. Le regard échangé entre cette dernière et Gjorg, l’homme marqué pour la mort, va précipiter leur destin dans une tragédie digne des légendes qu’affectionne tant Bessian.

Cette œuvre singulière d’Ismaïl Kadaré décrit avec une froide précision les rouages du « Kanun », l’étrange économie de la vendetta où la vengeance devient une marchandise taxée et comptabilisée. Le livre a reçu un accueil international remarquable et valu à son auteur d’être considéré par le Wall Street Journal comme « l’un des romanciers les plus puissants écrivant dans n’importe quelle langue ». Le roman a connu une adaptation au cinéma en 2001 par le réalisateur brésilien Walter Salles, qui a transposé l’intrigue dans le Brésil de 1910.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 215 pages.


4. Le Pont aux trois arches (1978)

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En 1377, sur les rives de l’Ouyane en Albanie médiévale, la construction du premier pont en pierre bouleverse l’ordre établi. Le moine Gjon, narrateur et témoin, chronique les événements qui entourent ce chantier hors du commun. Jusqu’alors, la traversée de la rivière se faisait par bacs et radeaux, une activité monopolisée par une puissante compagnie locale.

L’arrivée d’étrangers mystérieux, qui convainquent le seigneur local de bâtir un pont moyennant finance, déclenche une série d’incidents inquiétants. Des actes de sabotage entravent la progression des travaux. Une crise d’épilepsie est interprétée comme un message divin. Des rhapsodes ambulants colportent d’étranges ballades. La tension monte jusqu’au meurtre d’un homme, dont le corps est emmuré dans la structure même du pont.

Cette chronique médiévale, publiée par Ismaïl Kadaré en 1978 sous le régime stalinien d’Enver Hoxha, tisse habilement plusieurs niveaux de lecture. À travers ce pont qui relie les deux rives de l’Ouyane se dessine la menace de l’invasion ottomane, qui marquera le début de quatre siècles d’occupation. Le récit alterne entre réalisme historique et dimension légendaire, entre chronique locale et parabole politique sur les mécanismes du pouvoir et la manipulation des croyances populaires.

Aux éditions SILLAGE ; 176 pages.


5. Le Dossier H. (1981)

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Dans l’Albanie des années 1930, deux chercheurs irlandais de New York, Max Roth et Willy Norton, débarquent dans une petite ville du nord du pays avec un objectif ambitieux : résoudre l’énigme entourant la composition de l’Iliade et de l’Odyssée d’Homère. Armés d’un tout nouveau magnétophone, ils comptent enregistrer les derniers rhapsodes, ces poètes-chanteurs ambulants qui perpétuent la tradition millénaire de l’épopée orale.

Mais leur arrivée sème le trouble. Le sous-préfet, persuadé qu’il s’agit d’espions, les fait suivre par son informateur. Sa femme Daisy, elle, s’ennuie dans cette province reculée et rêve d’aventures avec ces étrangers. Les deux Irlandais s’installent à l’auberge de l’Os de Buffle, carrefour fréquenté par les rhapsodes. Entre leurs enregistrements et leurs découvertes sur les origines albanaises possibles de l’Iliade, ils devront composer avec la méfiance des autorités, les tensions entre Albanais et Serbes, et les superstitions locales.

Ce roman de Kadaré, publié en 1981, s’inspire librement des recherches menées dans les années 1930 par les universitaires Milman Parry et Albert Lord sur la poésie orale des Balkans. La dimension absurde de la surveillance politique se conjugue à une méditation sur la transmission de la culture populaire, tandis que l’atmosphère de suspicion rappelle celle de l’Albanie communiste où vivait l’auteur.

Aux éditions FAYARD ; 216 pages.


6. Le Général de l’armée morte (1963)

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Au début des années 1960, un général italien arrive en Albanie avec une mission singulière : retrouver et rapatrier les ossements des soldats de son pays, morts lors de l’invasion fasciste de 1939. Accompagné d’un prêtre qui lui sert d’interprète, il sillonne ce territoire montagneux hostile, muni de listes précises et de descriptions anatomiques permettant d’identifier les corps.

La quête macabre s’étire sur des mois, dans la pluie et la boue. Le général, d’abord gonflé de l’importance de sa tâche, perd peu à peu sa superbe face à l’ampleur du travail et à l’accueil glacial des habitants. Sa recherche obsessionnelle du colonel Z., chef du terrible « Bataillon Bleu », le mène jusqu’à une noce villageoise où une vieille femme lui jette aux pieds un sac d’ossements : ceux du colonel qu’elle avait tué de ses mains après qu’il eut violé sa fille.

Premier roman d’Ismail Kadaré publié en 1963, « Le Général de l’armée morte » constitue une puissante métaphore de l’absurdité de la guerre et de la fierté du peuple albanais. Le livre propulse son auteur sur la scène internationale malgré la censure du régime communiste d’Enver Hoxha. Adapté au cinéma par Luciano Tovoli en 1983 avec Marcello Mastroianni, le roman figure parmi les cent livres du siècle selon le classement établi par la Fnac et Le Monde en 1999.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 285 pages.


7. Qui a ramené Doruntine ? (1980)

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Au cœur de l’Albanie médiévale, un mystère secoue une petite communauté : Doruntine, mariée depuis trois ans en Bohême lointaine, réapparaît soudainement chez sa mère. Elle prétend que son frère Constantin l’a ramenée à cheval, conformément à la promesse qu’il avait faite à leur mère. Or, Constantin et ses huit frères sont morts depuis longtemps, emportés par la peste lors d’une guerre.

Le capitaine Stres mène l’enquête pour découvrir l’identité du mystérieux cavalier. Les hypothèses se multiplient : résurrection miraculeuse, histoire d’amour interdite, complot politique ? Les églises catholique et orthodoxe s’affrontent sur l’interprétation des événements, tandis que la mort subite de Doruntine et de sa mère peu après leurs retrouvailles ajoute au mystère.

Basé sur une légende albanaise, ce roman publié en 1980 a été interdit dans son pays d’origine. En mêlant conte fantastique et intrigue policière, il dissimule une critique du régime totalitaire albanais à travers la confrontation entre la « bessa » (la parole donnée, sacrée dans la tradition albanaise) et les institutions qui cherchent à imposer leur autorité. Les critiques internationales ont salué cette œuvre qui a contribué à faire connaître Ismaïl Kadaré hors des frontières de l’Albanie.

Aux éditions ZULMA ; 192 pages.


8. Chronique de la ville de pierre (1971)

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Dans les années 1940, la ville de Gjirokastër en Albanie vit au rythme des occupations successives : Italiens, Grecs, puis Allemands prennent tour à tour possession des lieux. Vue à travers les yeux d’un jeune garçon, cette cité de pierre aux ruelles tortueuses devient le théâtre d’une guerre dont le sens échappe à ses habitants. Les drapeaux changent, les proclamations se succèdent, et certains, comme Gjergj Pula, adaptent leur nom au gré des occupants : Giorgio pour les Italiens, Yiorgos pour les Grecs.

Entre deux bombardements, l’enfant narrateur observe ce monde en mutation depuis la grande maison familiale, où les femmes du quartier se rassemblent pour partager leurs craintes. La mère Pino ponctue chaque commérage d’un « C’est la fin de tout », tandis que les vieilles dames prédisent l’avenir et perpétuent les histoires de sorcellerie. Dans ce décor où même les objets semblent doués de conscience, le petit garçon découvre la lecture et s’émerveille devant les mots de Shakespeare.

Ismail Kadaré puise dans ses souvenirs d’enfance pour composer cette chronique où l’horreur côtoie le merveilleux. Les noms des personnages changent comme les drapeaux, les nonnes arrivent en même temps que les prostituées, la ville elle-même semble parfois prendre vie. La publication du livre en 1971, sous le régime d’Enver Hoxha – lui-même originaire de Gjirokastër et brièvement mentionné dans le récit – ajoute une épaisseur politique à cette fresque historique saluée par le Times comme « une conjonction envoûtante de réalisme et de fantaisie ».

Aux éditions FOLIO ; 315 pages.

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