Henry Rider Haggard naît le 22 juin 1856 à Bradenham, dans le Norfolk, en Angleterre. Huitième d’une famille de dix enfants, il est le fils de William Meybohm Rider Haggard, avocat, et d’Ella Doveton, écrivaine et poétesse. Contrairement à ses frères aînés qui fréquentent des écoles privées prestigieuses, il étudie à l’Ipswich Grammar School, son père le considérant comme un élément peu prometteur.
En 1875, après avoir échoué à l’examen d’entrée dans l’armée, son père l’envoie en Afrique du Sud. Il y devient secrétaire du gouverneur colonial du Natal, puis est transféré auprès du Commissaire spécial du Transvaal. C’est sous cette fonction qu’il participe, en 1877, à l’annexion officielle de la République des Boers, hissant lui-même le drapeau britannique.
De retour en Angleterre, il épouse Marianna Louisa Margitson en 1880, une amie de sa sœur, après que son premier amour, Mary Elizabeth « Lilly » Jackson, s’est mariée à un autre homme. Le couple s’installe à Ditchingham, dans le Norfolk, où Haggard entreprend des études de droit. Il devient avocat en 1884 mais se consacre rapidement à l’écriture, qui lui paraît plus lucrative.
Son roman « Les Mines du roi Salomon » (1885) connaît un succès retentissant et lance sa carrière d’écrivain. Il enchaîne avec « Elle » (1887), qui devient l’un des livres les plus vendus de l’histoire avec 83 millions d’exemplaires en 1965. Ses romans d’aventures, situés principalement en Afrique, créent un nouveau genre littéraire : le « monde perdu ». Bien qu’imprégnés des préjugés coloniaux de l’époque victorienne, ses livres se distinguent par leur sympathie envers les populations locales, les personnages africains y jouant souvent des rôles héroïques.
Anobli en 1912 puis fait Chevalier commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique en 1919, Haggard s’implique également dans la réforme agraire à travers l’Empire britannique. Il meurt le 14 mai 1925 à Londres, laissant derrière lui une œuvre qui influence durablement la littérature d’aventure et la culture populaire, de Edgar Rice Burroughs à Indiana Jones.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Les Mines du roi Salomon (Allan Quatermain #1, 1885)
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Résumé
Afrique du Sud, années 1880. Allan Quatermain, chasseur expérimenté installé à Durban, reçoit une proposition inhabituelle. Sir Henry Curtis, accompagné du capitaine John Good, lui demande de les guider dans une expédition périlleuse pour retrouver son frère George, disparu depuis deux ans. Ce dernier était parti en quête des légendaires mines du roi Salomon, censées regorger de diamants et situées dans une région inexplorée du continent. Quatermain, qui possède justement une carte tracée avec du sang par un explorateur portugais du XVIe siècle, accepte la mission contre une généreuse rémunération et la garantie d’une pension pour son fils en cas de malheur.
L’expédition s’élance avec quelques porteurs dont Umbopa, un mystérieux guerrier africain. Les aventuriers traversent d’abord un désert impitoyable où la soif manque de les tuer, puis franchissent une chaîne montagneuse périlleuse. Ils tombent ensuite sur le royaume isolé des Koukouanas, une société guerrière gouvernée par le cruel roi Twala et manipulée par Gagool, une sorcière maléfique d’âge indéterminé.
Pour éviter d’être exécutés comme le veut la coutume locale envers les étrangers, les Européens se font passer pour des êtres surnaturels. Puis Umbopa révèle son secret : il est en réalité Ignosi, l’héritier légitime du trône, exilé enfant après l’assassinat de son père par Twala. Une rébellion éclate alors, précipitant nos héros dans une guerre civile sanglante. Les trois Anglais doivent maintenant faire un choix : poursuivre leur quête des mines fabuleuses ou aider Ignosi à reconquérir son royaume, sachant que leur survie même dépend de l’issue du conflit…
Autour du livre
« Les Mines du roi Salomon » naît d’un pari entre Henry Rider Haggard et son frère qui le défiait d’écrire un roman aussi captivant que « L’Île au trésor » de Robert Louis Stevenson, publié en 1883. Haggard relève le défi et compose son récit en un temps record – certaines sources évoquent six semaines, d’autres quinze jours – durant l’hiver 1882. Le livre paraît en septembre 1885 et connaît un succès immédiat, accompagné d’une campagne publicitaire sans précédent : des affiches proclament à Londres qu’il s’agit du « livre le plus étonnant jamais écrit ». Son succès s’inscrit dans un contexte historique particulier : à la fin du XIXe siècle, alors que les explorateurs occidentaux découvrent d’anciennes civilisations à travers le monde, l’intérieur de l’Afrique demeure largement inexploré et suscite toutes les fantasmagories.
Haggard révolutionne la littérature d’aventures en créant avec « Les Mines du roi Salomon » le tout premier roman d’aventures en langue anglaise se déroulant en Afrique et inaugure le genre littéraire du « monde perdu ». Il fonde ainsi une tradition qui influencera des écrivains comme Edgar Rice Burroughs (« La Terre que le temps avait oublié »), Arthur Conan Doyle (« Le Monde perdu »), Rudyard Kipling (« L’Homme qui voulut être roi ») ou encore H. P. Lovecraft (« Les Montagnes hallucinées »). Le personnage d’Allan Quatermain, qui fait sa première apparition dans ce roman, deviendra récurrent dans l’œuvre de Haggard qui lui consacrera quatorze romans et quatre nouvelles.
Haggard connaissait parfaitement l’Afrique pour y avoir vécu et voyagé entre 1875 et 1880, pendant la guerre anglo-zouloue et la première guerre des Boers. Il s’inspire directement de son vécu pour créer l’univers de son roman, notamment les descriptions des vastes richesses minières de l’Afrique du Sud et les ruines d’anciennes cités perdues comme le Grand Zimbabwe. Le personnage d’Allan Quatermain s’inspire largement de Frederick Courtney Selous, célèbre chasseur et explorateur britannique de l’Afrique coloniale. Haggard doit également beaucoup aux récits rapportés par l’explorateur Henry Morton Stanley.
« Les Mines du roi Salomon » porte indéniablement la marque des préjugés de son époque coloniale. Haggard présente néanmoins une certaine ambivalence dans sa représentation des Africains. S’il dépeint certains personnages comme Twala et Gagool en « barbares », il présente aussi des héros et héroïnes noirs, comme Ignosi, et témoigne d’un respect pour leur culture. Quatermain lui-même refuse d’utiliser le mot « nègre » et considère que beaucoup d’Africains méritent davantage le titre de « gentleman » que les Européens qui s’aventurent sur leur territoire. Le livre inclut même une idylle interraciale entre une femme koukouanaise, Foulata, et le capitaine Good. Si le narrateur craint les répercussions qu’un tel mariage provoquerait en Europe, il n’émet aucune objection personnelle à l’égard de cette femme qu’il considère comme belle et noble.
La critique de l’époque salue cette œuvre révolutionnaire. Andrew Lang, dans le Saturday Review, la qualifie de « conte d’aventures particulièrement palpitant et vigoureux » et loue « les pouvoirs d’invention très remarquables et peu communs et le don de vision que M. Haggard déploie ». Le biographe de Haggard, Morton N. Cohen, souligne l’influence considérable du roman en écrivant que « pour beaucoup d’Anglais, l’Afrique est devenue l’Afrique des ‘Mines du roi Salomon' ». D’abord refusé par plusieurs éditeurs, le livre devient rapidement un best-seller qui « satisfait l’intérêt vif pour les pays exotiques », bien qu’il présente « une image plus romantique qu’authentique de la vie africaine ».
Le succès des « Mines du roi Salomon » a suscité de multiples adaptations cinématographiques. Dès 1919, une première version muette voit le jour. En 1937, Robert Stevenson réalise une adaptation sonore suivie de celle de 1950, dirigée par Compton Bennett et Andrew Marton, considérée comme la plus prestigieuse avec Stewart Granger dans le rôle principal. Le roman connaît par la suite d’autres adaptations en 1985 avec Richard Chamberlain et Sharon Stone, puis en 2004 avec Patrick Swayze. Outre le cinéma, il inspire des séries télévisées, des émissions radiophoniques, des bandes dessinées et même des jeux vidéo.
Aux éditions TERRE DE BRUME ; 320 pages.
2. Elle (Ayesha #1, 1887)
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Résumé
Dans l’Angleterre victorienne du XIXe siècle, le professeur Horace Holly, homme laid solitaire, accepte d’élever Leo, le fils de son ami mourant. Avec cette tutelle, il reçoit une mystérieuse malle en fer à n’ouvrir que lorsque Leo atteindra vingt-cinq ans. Le jour venu, ils découvrent dans la malle un fragment de vase ancien qui leur révèle une histoire stupéfiante : Leo serait le descendant direct de Kallikrates, un prêtre égyptien ayant vécu deux mille ans auparavant, mort assassiné par une femme immortelle en Afrique. Cette femme aurait conservé une jeunesse éternelle et attendrait encore le retour de son amant.
Intrigués, Holly, Leo et leur serviteur Job partent pour l’Afrique sur les traces de cette légende. Après un naufrage et un périlleux voyage à l’intérieur des terres, ils sont capturés par les Amahagger, un peuple cannibale dirigé par une mystérieuse souveraine, une certaine « Celle-qui-doit-être-obéie ». Amenés dans les ruines de l’antique royaume de Kôr, ils rencontrent enfin Ayesha, une femme d’une beauté surnaturelle qui règne depuis deux millénaires.
À la vue de Leo, Ayesha est bouleversée : elle reconnaît en lui la réincarnation de Kallikrates, l’homme qu’elle a tué dans un accès de jalousie et qu’elle attend depuis deux mille ans. Elle dévoile à Leo sa véritable identité et lui propose de partager son immortalité en s’immergeant dans le mystérieux Pilier de Feu. Mais peut-on vraiment défier le cours du temps sans conséquences ?
Autour du livre
« Elle » naît d’une inspiration fulgurante. Henry Rider Haggard affirme l’avoir rédigé en seulement six semaines fébriles, entre février et mars 1886. Il explique dans son autobiographie qu’il l’écrivit « à un rythme effréné, presque sans repos », et qu’il aborda sa rédaction sans plan précis, hormis « l’idée d’une femme immortelle animée par un amour immortel ». Le reste de l’intrigue s’est construit autour de cette figure centrale d’Ayesha. La célèbre expression « Celle-qui-doit-être-obéie » provient des souvenirs d’enfance de Haggard – une bonne utilisait cette formule en agitant une poupée de chiffon pour effrayer les enfants et les amener à obéir.
L’origine du personnage d’Ayesha puise dans plusieurs sources. Des critiques ont identifié une influence probable dans « Une étrange histoire » (1862) d’Edward Bulwer-Lytton, qui présente déjà une mystérieuse femme voilée nommée « Ayesha ». La mythologie nordique a également influencé Haggard pour le nom de la cité souterraine « Kôr », dérivé du mot « Kör » qui désigne le lit de mort de la déesse Hel, signifiant « maladie » en vieux norrois – écho à la peste qui détruisit la civilisation décrite dans le roman.
Le personnage d’Ayesha constitue le cœur battant du livre. Publié en 1887, année du Jubilé d’or de la reine Victoria, « Elle » propose un troublant parallèle entre ces deux souveraines. Comme Victoria, Ayesha manifeste une fidélité inébranlable à son amour disparu. Mais contrairement à la « bénigne » Victoria, Ayesha incarne une autorité féminine poussée à l’extrême, nourrissant les peurs victoriennes face aux « Nouvelles Femmes » aspirant à « l’indépendance absolue couplée à un pouvoir suprême sur les hommes ».
Cette puissance féminine subjugue même le narrateur misogyne Holly, qui tombe à genoux et vénère Ayesha « comme jamais femme ne fut vénérée ». Séductrice fatale qui domine la souveraineté masculine, elle conquiert les Victoriens « éclairés » que sont Holly et Leo, régnant par son charme autant que par sa sorcellerie. Sa mort régressive dans le Pilier de Feu, où elle se métamorphose en créature simiesque, symbolise la punition de sa transgression des normes de genre victoriennes et condense les multiples anxiétés de l’époque face à l’évolution des rôles féminins.
« Elle » constitue en effet un véritable concentré d’anxiétés victoriennes. Écrit à l’apogée de l’Empire britannique, le roman appartient au genre du « Imperial Gothic » et reflète les craintes sociétales de la fin du XIXe siècle. La peur du déclin de l’Empire, l’inquiétude face aux populations colonisées susceptibles de se rebeller, la menace que représente la « Nouvelle Femme » pour le patriarcat établi – tous ces thèmes transparaissent dans la figure d’Ayesha.
Si les personnages blancs (Ayesha, les explorateurs anglais, les habitants originels de Kôr) incarnent la civilisation, tandis que les Amahagger représentent la barbarie, Haggard propose néanmoins une généalogie ethnique plus nuancée. L’évolution et la dégénérescence raciales, théories populaires à l’époque victorienne, imprègnent le texte. Les Amahagger sont décrits comme un mélange racial dégénéré, descendant des habitants de Kôr mais métissés avec des Arabes et des Africains – mixture perçue à l’époque comme synonyme de déclin.
Dès sa publication en 1887, « Elle » remporte un succès phénoménal. The Literary World déclare : « M. Rider Haggard s’est créé un nouveau champ dans la fiction ». Le magazine salue son imagination impressionnante et prédit une popularité similaire à celle des « Mines du roi Salomon ». The Public Opinion loue sa conception audacieuse et son imagination vivace, tandis que The Academy apprécie sa capacité à rendre crédibles des aventures impossibles grâce à « une certaine vraisemblance qui fait que les aventures les plus impossibles paraissent vraies ».
Sir Walter Besant félicite personnellement Haggard : « Je dois vous écrire pour vous féliciter d’une œuvre qui très certainement vous place à la tête – et de loin – de tous les écrivains contemporains de l’imaginaire ». Bien que certaines critiques, comme celle d’Augustus Moore dans « Time: A Monthly Miscellany », dénoncent le manque de qualité littéraire du texte, ces voix dissidentes n’entravent nullement le triomphe du roman. Vendu à plus de 83 millions d’exemplaires et traduit en 44 langues, « Elle » s’impose comme l’un des romans de fiction les plus populaires de tous les temps.
L’extraordinaire popularité d’ « Elle » engendre de nombreuses adaptations cinématographiques, la première datant de 1899 avec « La danse du feu » de Georges Méliès. Le roman connaît au moins onze versions filmées, dont sept du vivant de l’auteur (mort en 1925). Parmi les plus notables figurent « La Source de feu » (1935) avec Helen Gahagan, et « La Déesse de feu » (1965) produite par Hammer Film Productions avec Ursula Andress dans le rôle d’Ayesha, Peter Cushing et Christopher Lee.
La saga littéraire se poursuit avec trois suites écrites par Haggard lui-même : « Aycha, le retour d’Elle » (1905), « Elle et Allan Quatermain » (1921), et « La Fille de la sagesse » (1923). Elle inspire également plusieurs adaptations en bande dessinée, notamment « Elle, Tome 1 : Le Tesson d’Amenartas » (2010) et « Elle, Tome 2 : Celle-qui-voit-tout » (2012) par Élie Chouraqui et Alberto Jimenez Albuquerque. En 2007, une version comédie musicale/opéra-rock est présentée en Pologne par Clive Nolan, avant d’être jouée au Royaume-Uni en 2012.
Aux éditions TERRE DE BRUME ; 200 pages.