Né en 1973 à Neuilly-sur-Seine, Giuliano Da Empoli grandit entre Bruxelles, Paris et Rome. Fils de l’économiste Antonio da Empoli, il suit des études de droit à l’université La Sapienza de Rome avant d’obtenir un diplôme en sciences politiques à Sciences Po Paris.
Sa carrière politique débute en Italie où il devient notamment conseiller du ministre de la Culture Francesco Rutelli, puis adjoint à la Culture auprès du maire de Florence, Matteo Renzi, dont il devient plus tard le conseiller politique lorsque celui-ci accède au poste de président du Conseil italien.
En 2016, il fonde le think tank Volta à Milan, une structure dédiée à la réflexion sur les évolutions du monde contemporain. Parallèlement à ses activités politiques, il mène une carrière d’écrivain et de journaliste, collaborant avec les plus grands journaux italiens.
En 2019, son essai « Les ingénieurs du chaos » sur les spin doctors nationaux-populistes connaît un succès international. En 2022, il publie « Le mage du Kremlin », son premier roman, qui remporte le Grand Prix du roman de l’Académie française.
Aujourd’hui, il enseigne la politique comparée à Sciences Po Paris et préside le think tank Volta. En 2023, il est fait chevalier de la Légion d’honneur.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Le mage du Kremlin (roman, 2022)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Une nuit à Moscou, un écrivain rencontre Vadim Baranov, ancien producteur de télé-réalité devenu l’éminence grise de Vladimir Poutine. Dans l’intimité d’une conversation nocturne, ce personnage énigmatique dévoile les coulisses du pouvoir russe depuis les années 1990. Petit-fils d’un opposant au régime soviétique, fils d’un fonctionnaire zélé du système, Baranov commence sa carrière comme artiste avant de croiser la route de l’oligarque Boris Berezovsky, alors propriétaire de la principale chaîne de télévision russe.
C’est Berezovsky qui lui présente Vladimir Poutine, « un blond pâle aux traits décolorés » dirigeant le FSB, qu’il considère comme le successeur idéal d’un Eltsine affaibli. Devenu le conseiller principal de Poutine, Baranov orchestre son ascension en bâtissant pierre par pierre la légende du nouveau tsar qui séduit un peuple las du chaos post-soviétique. À travers les grands événements qui marquent cette période – la guerre de Tchétchénie, l’élimination des oligarques, les Jeux de Sotchi – il façonne la mythologie du nouveau pouvoir russe jusqu’à ce que, las de ce rôle, il choisisse de s’en éloigner.
Autour du livre
À mi-chemin entre fiction et analyse politique, « Le mage du Kremlin » puise sa force dans l’imbrication entre personnages réels et fictifs. La figure centrale de Vadim Baranov s’inspire directement de Vladislav Sourkov, stratège politique dont Giuliano da Empoli s’est imprégné lors de ses recherches pour « Les ingénieurs du chaos », son précédent essai sur les conseillers des leaders populistes. Sans jamais l’avoir rencontré, da Empoli a saisi dans ce personnage atypique – à la fois amateur de rap, metteur en scène de théâtre d’avant-garde et homme d’affaires – la matière première de sa création littéraire.
La genèse du texte s’inscrit dans une temporalité singulière. Achevé en janvier 2021, le manuscrit aurait dû paraître la même année, mais la pandémie de Covid-19 en a retardé la publication jusqu’en avril 2022. Cette sortie, deux mois après le début de la guerre russo-ukrainienne, a placé l’ouvrage dans une lumière particulière : les libraires l’ont proposé simultanément au rayon littérature et sur les tables d’actualité. Da Empoli confie d’ailleurs qu’il n’aurait peut-être pas pu écrire ce livre après le déclenchement du conflit, tant la perception du régime de Poutine s’est modifiée.
Les récompenses littéraires ont afflué : Grand prix du roman de l’Académie française avec neuf voix sur dix-sept, prix Honoré-de-Balzac 2022, et une finale serrée pour le prix Goncourt, perdu au quatorzième tour face à « Vivre vite » de Brigitte Giraud. Cette « défaite » a suscité des remous, notamment chez Tahar Ben Jelloun, membre du jury, qui a critiqué le texte lauréat en soulignant son « manque d’écriture ».
L’impact du livre dépasse vite le cercle littéraire : certains chercheurs en études russes, comme Antoine Nicolle, pointent une vision parfois stéréotypée de la « vraie Russie », tandis que d’autres y voient un précieux outil pour comprendre les ressorts du conflit ukrainien. Cette ambivalence nourrit les débats, tout comme les parallèles établis avec « Les Bienveillantes » de Jonathan Littell par Frédéric Beigbeder. La dimension universelle de cette méditation sur le pouvoir, comparée aux moralistes français du XVIIe siècle, notamment La Rochefoucauld, transcende l’actualité immédiate.
Le projet d’adaptation cinématographique par Olivier Assayas, annoncé en mai 2024, avec Paul Dano dans le rôle de Baranov et une distribution incluant Alicia Vikander, Jude Law et Tom Sturridge, promet de donner une nouvelle dimension à cette réflexion sur les mécanismes du pouvoir et ses dynamiques irrationnelles.
Aux éditions FOLIO ; 320 pages.
2. Les ingénieurs du chaos (essai, 2019)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
« Les ingénieurs du chaos » de Giuliano da Empoli décortique comment une poignée d’experts en communication politique et en données massives ont orchestré la montée des mouvements populistes à travers le monde occidental depuis 2010. Ces stratèges de l’ombre, tels que Gianroberto Casaleggio en Italie, Steve Bannon aux États-Unis ou Arthur Finkelstein en Hongrie, ont compris que la « rage » des citoyens constituait une force politique colossale qu’il suffisait de canaliser via les réseaux sociaux.
Leur méthode repose sur un changement radical de paradigme : plutôt que de chercher à rassembler autour d’un programme cohérent, ils divisent l’électorat en une myriade de groupes aux intérêts contradictoires, qu’ils bombardent ensuite de messages ciblés grâce aux algorithmes. Les réseaux sociaux deviennent ainsi le terreau idéal pour propager des théories du complot et des informations mensongères qui se répandent « six fois plus vite que les vraies nouvelles ». Cette stratégie a permis l’émergence de figures comme Donald Trump, Boris Johnson ou Viktor Orbán.
Giuliano da Empoli montre comment ces « ingénieurs du chaos » ont transformé la politique en un « carnaval permanent » où la vulgarité devient une preuve d’authenticité, l’incompétence un gage d’intégrité, le mensonge une marque d’indépendance d’esprit. Leur cible : une population connectée en permanence, dont chaque clic peut être analysé pour affiner le ciblage des messages.
Salué par la critique internationale, cet essai percutant a marqué les esprits en montrant que derrière le chaos apparent du populisme se cachait une stratégie minutieusement élaborée. Sa parution en 2019 lui confère aujourd’hui une dimension prophétique, tant les mécanismes qu’il décrit se sont généralisés dans le débat public. Son succès a d’ailleurs conduit l’auteur à poursuivre sa réflexion dans « Le mage du Kremlin », roman qui lui a valu une reconnaissance internationale.
Aux éditions FOLIO ; 240 pages.