Franck Bouysse naît le 5 septembre 1965 à Brive-la-Gaillarde, d’un père ingénieur agronome et d’une mère institutrice. Son enfance se partage entre l’appartement du lycée agricole et la ferme de ses grands-parents en Corrèze, où il développe un profond attachement au monde rural. Une grippe qui le cloue au lit à l’adolescence marque un tournant décisif : sa mère lui offre trois romans d’aventures qui éveillent sa vocation d’écrivain.
Après un baccalauréat agronomique et des études d’horticulture, il devient professeur de biologie à Limoges. En parallèle de l’enseignement, il cultive son goût pour l’écriture et se nourrit des œuvres de Faulkner, London et Hemingway. Il publie son premier roman noir, « L’Entomologiste », en 2007, suivi d’une trilogie policière. Mais c’est avec « Grossir le ciel » en 2014 qu’il connaît son premier grand succès public. Le roman, qui dépeint la vie quotidienne d’un village des Cévennes, est vendu à 100 000 exemplaires.
Sa consécration vient avec « Né d’aucune femme » (2019), qui remporte notamment le Prix des libraires. En 2020, il reçoit le Grand prix Jean-Giono pour « Buveurs de vent ». Il vit aujourd’hui dans un hameau de Corrèze, où il continue d’écrire.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Né d’aucune femme (2019)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Un jour de marché, Onésime, paysan miséreux du XIXe siècle, vend sa fille aînée Rose, quatorze ans, au maître des forges de la région. La jeune adolescente se retrouve alors prisonnière d’un sinistre manoir où règnent la violence et la cruauté. Le maître et sa mère la réduisent en esclavage, la maltraitent, l’humilient sans relâche.
Bientôt, Rose comprend l’horrible dessein qui a motivé sa venue : elle doit donner un héritier au maître des forges. Malgré la présence réconfortante d’Edmond le palefrenier, qui tente de l’aider maladroitement, les sévices s’intensifient. Après avoir empoisonné son bourreau, Rose est internée dans un asile psychiatrique. C’est là qu’elle accouche d’un fils qui lui est immédiatement enlevé, et qu’elle commence à consigner son histoire dans des carnets.
Ces écrits sont découverts par le père Gabriel, un jeune prêtre appelé à bénir sa dépouille. Quarante-quatre ans plus tard, il décide enfin de révéler cette histoire bouleversante qui cache encore bien des secrets sur l’identité des personnages et le destin de l’enfant.
Autour du livre
À travers cette histoire aux allures de conte noir, « Né d’aucune femme » dépeint avec force la condition des femmes et des plus démunis dans la France rurale du XIXe siècle. La construction chorale, qui alterne les voix des différents protagonistes, tisse une trame complexe où s’entremêlent les destins. Chaque personnage livre sa version des événements dans un jeu de miroirs qui amplifie la tension dramatique.
Les thèmes de la servitude, de la violence et de la résilience s’incarnent dans le personnage de Rose. Malgré son enfermement et les sévices subis, elle trouve dans l’écriture un moyen de résistance et de libération. Comme elle le dit elle-même : « Les mots ne sont rien face à cela, ils sont des habits de tous les jours, qui s’endimanchent parfois, afin de masquer la géographie profonde et intime des peaux. » Cette métaphore textile illustre comment l’écriture devient pour elle un rempart contre la déshumanisation.
Paru en janvier 2019 aux éditions de La Manufacture de livres, « Né d’aucune femme » a immédiatement séduit public et critiques. Le chroniqueur du Monde Christophe Claro s’est dit « tout bonnement ébloui », tandis que La Libre Belgique l’a qualifié de « merveille d’écriture et d’émotion ». Le succès commercial a suivi, avec 30 000 exemplaires vendus avant même l’obtention du Prix des Libraires en mai 2019. Le livre a également reçu le Grand prix des lectrices de Elle (catégorie policier) et le Prix Babelio dans la catégorie Littérature française.
La magnifique couverture, qui représente une madone allaitante photographiée par l’artiste tchèque Sarah Saudek, fait écho aux thèmes de la maternité et de la transmission qui traversent le récit. Cette image, comme le souligne une critique, résonne particulièrement avec le personnage de Rose : « Cette sublime Madone allaitante, forte et attentive, en écho à Rose, à sa mère et ses trois filles arrachées au néant. »
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 336 pages.
2. Grossir le ciel (2014)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans une vallée reculée des Cévennes, au lieu-dit Les Doges, deux fermes se font face. Dans la première vit Gus, un quinquagénaire solitaire qui partage sa vie avec son chien Mars. Son seul voisin, Abel, occupe la seconde demeure à quelques centaines de mètres. Ces deux taiseux se contentent d’une entraide occasionnelle pour les travaux agricoles, malgré une vieille querelle entre leurs familles respectives dont Gus ignore l’origine.
Le 22 janvier 2007, l’annonce de la mort de l’abbé Pierre à la télévision coïncide avec d’étranges événements. En partant chasser, Gus entend des coups de feu près de la ferme d’Abel et trouve des traces de sang dans la neige. L’attitude de son voisin est de plus en plus étrange, tandis que des évangélistes commencent à rôder autour des fermes. Dans ce climat de tension grandissante, les souvenirs douloureux de l’enfance de Gus ressurgissent, notamment sa relation toxique avec ses parents qui le haïssaient inexplicablement.
Autour du livre
À travers ce huis clos cévenol, Franck Bouysse peint un monde rural crépusculaire qui résonne comme un écho du « Roi sans divertissement » de Giono. La dimension tragique s’inscrit dans l’ADN même du territoire : pays protestant, terre de huguenots qui ont combattu pour leur liberté, les Cévennes imposent leur présence minérale et leur climat hostile aux personnages.
Le choix de situer l’action en janvier 2007, au moment de la mort de l’abbé Pierre, n’est pas anodin. Cette figure tutélaire, qui incarne paradoxalement une forme de spiritualité catholique dans ce bastion protestant, plane sur le récit comme une ombre protectrice. Sa disparition marque symboliquement la fin d’une époque et précipite le drame à venir. La dimension religieuse irrigue d’ailleurs tout le texte, notamment à travers la présence inquiétante des « suceurs de Bible », ces évangélistes qui tentent de convertir les habitants.
« Grossir le ciel » se distingue par son refus des codes traditionnels du polar rural. Si le Prix SNCF du polar 2015 et le Prix Polar Pourpres 2015 sont venus récompenser cette œuvre, elle transcende les frontières du genre pour devenir une méditation sur la solitude et la violence des relations humaines. Les dialogues, économes et percutants, alternent avec des moments de pure tension dramatique, comme cette scène bouleversante où Gus observe sa mère haïe agoniser au bout d’une corde.
La noirceur du propos se teinte parfois d’une poésie âpre, notamment dans le rapport quasi mystique des personnages à leur environnement. Les descriptions de la nature cévenole évitent le piège du folklore pour révéler un paysage aussi hostile que ses habitants. Cette dimension tellurique confère au texte une profondeur mythologique, où les secrets de famille s’entremêlent aux drames de la terre.
Le titre prend tout son sens dans les dernières pages, quand ces lignées de paysans qui s’éteignent partent « grossir le ciel », laissant derrière elles un monde en voie de disparition. Cette extinction d’une certaine ruralité constitue la véritable tragédie qui sous-tend l’intrigue policière.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 240 pages.
3. Glaise (2017)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Au cœur du Cantal, trois fermes isolées s’apprêtent à vivre le bouleversement de la Grande Guerre. En ce brûlant mois d’août 1914, la mobilisation arrache les hommes à leurs terres. À la ferme de Chantegril, Joseph, quinze ans, se retrouve seul avec sa mère Mathilde et sa grand-mère Marie après le départ de son père Victor. Heureusement, le voisin Léonard les aide pour les travaux agricoles.
Dans la ferme voisine, Valette enrage. Sa main mutilée l’empêche de partir au front, contrairement à son fils unique. Quand sa belle-sœur Hélène et sa nièce Anna viennent se réfugier chez lui, sa colère grandit. Entre Anna et Joseph naît un amour ardent, mais dangereux. Car Valette, rongé par l’alcool et la frustration, pose sur sa nièce un regard trouble qui ne présage rien de bon.
Les mois passent, rythmés par les travaux des champs et les rares nouvelles du front. Les femmes s’organisent tant bien que mal, pendant que la tension monte entre les habitants du hameau. Des secrets enfouis remontent à la surface, la folie s’installe progressivement chez certains personnages, jusqu’à l’inévitable explosion de violence.
Autour du livre
Avec « Glaise », Franck Bouysse renverse la perspective habituelle sur la Première Guerre mondiale. Pas de tranchées ni de combats au front, mais une guerre invisible qui se livre dans les campagnes françaises vidées de leurs hommes. Le drame se noue dans les silences, les non-dits et les tensions entre trois fermes isolées du Cantal.
La géographie des lieux reflète les rapports de force entre les personnages : plus on monte vers le Puy-Violent, plus l’atmosphère s’alourdit, jusqu’à la ferme des Valette où couve la folie. Cette progression physique dans l’espace accompagne la montée inexorable de la violence. Les éléments naturels – orages, chaleur écrasante, froid mordant – scandent le récit et présagent des drames à venir.
Le texte frappe par son ancrage dans le monde rural du début du XXe siècle. La terre occupe une place centrale, à la fois nourricière et tombeau. Cette glaise que Joseph modèle avec talent symbolise aussi la boue des tranchées qui engloutit les soldats. Le parallèle entre ces deux terres s’impose sans être explicité.
« Glaise » s’inscrit dans la lignée des précédents livres de Bouysse comme « Grossir le ciel » ou « Plateau », tout en marquant une évolution. Si l’on retrouve les personnages taiseux et la nature âpre caractéristiques de son écriture, la dimension historique apporte une nouvelle profondeur. Les femmes notamment acquièrent une place prépondérante : contraintes de prendre en main les exploitations, elles s’émancipent par nécessité plus que par choix.
Le livre a fait l’objet d’une adaptation en roman graphique, preuve de sa force visuelle. La critique salue particulièrement le traitement de cette période historique sous un angle inédit, à travers le prisme de ceux qui restent plutôt que de ceux qui partent. Les relations entre les personnages, tissue de silences et de regards, créent une tension permanente qui culmine dans un dénouement tragique dont l’écho résonne longtemps après la lecture.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 448 pages.
4. L’homme peuplé (2022)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Harry est un écrivain en panne d’inspiration. Cinq ans après le succès fulgurant de son premier roman, il décide d’acheter sur un coup de tête une ferme isolée dans un village perdu du centre de la France. En plein hiver, il s’installe dans cette demeure vétuste, espérant y retrouver l’élan créatif qui lui fait défaut. Rapidement, des événements étranges surviennent : des bruits inexpliqués résonnent la nuit, des objets se déplacent mystérieusement, et Harry se sent constamment épié.
Dans la ferme voisine vit Caleb, un homme solitaire aux dons particuliers. Guérisseur et sourcier comme sa mère avant lui, il est craint et tenu à l’écart par les villageois. Quand il n’est pas occupé à soigner les animaux, Caleb observe avec méfiance ce nouvel arrivant qui perturbe sa tranquillité. Les deux hommes ne se croisent jamais mais se surveillent à distance, tandis qu’au village, Harry tente d’en apprendre davantage sur son mystérieux voisin auprès de Sofia, la discrète tenancière de l’épicerie.
Autour du livre
Dans « L’homme peuplé », le sixième ouvrage de Franck Bouysse, la narration progresse sur un rythme singulier. Les chapitres alternent entre deux voix distinctes, celle de Harry et celle de Caleb, dans un jeu de miroirs où présent et passé s’entremêlent. Cette structure polyphonique permet d’orchestrer une montée graduelle de la tension, tout en distillant avec parcimonie les indices qui mèneront au dénouement final.
Le choix du cadre temporel – un hiver mordant où la neige et le brouillard enveloppent tout – n’est pas anodin. Ces éléments naturels participent à l’isolement physique et mental des personnages, tout en effaçant les repères habituels. Cette dimension climatique renforce l’aspect métaphysique du récit, où les frontières entre réel et imaginaire s’estompent progressivement.
La thématique de la création littéraire occupe une place centrale. À travers le personnage de Harry, confronté à l’angoisse de la page blanche, Bouysse interroge les mécanismes de l’inspiration et le rapport complexe entre fiction et réalité. « Un auteur ne devrait pas écrire une seule ligne qui ne soit pas en rapport avec des obsessions profondes », affirme-t-il, livrant ainsi une clé de lecture essentielle.
La dimension rurale, omniprésente dans l’œuvre de Bouysse, prend ici une coloration particulière. Les personnages taiseux, les secrets enfouis, les croyances ancestrales et le surnaturel se mêlent pour créer une atmosphère où le moindre bruit, le moindre geste prend une signification nouvelle. Cette ruralité âpre devient le terreau où germent les questionnements sur la solitude, l’exclusion et la transmission.
Le final, que plusieurs critiques qualifient de sidérant, oblige à une relecture complète de l’histoire. Tous les éléments disséminés au fil des pages prennent alors un sens nouveau, révélant la construction minutieuse d’une œuvre qui transcende les genres. Entre thriller rural et conte fantastique, « L’homme peuplé » se lit comme une méditation sur les fantômes qui habitent chaque créateur.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 288 pages.
5. Buveurs de vent (2020)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Au cœur d’une vallée perdue baptisée le Gour Noir, trois frères et leur sœur défient la pesanteur en se suspendant aux cordes du viaduc qui surplombe leur village. Ils aiment ressentir les vibrations des trains et « boire le vent » qui monte de la vallée. Marc dévore les livres en secret, Matthieu parle aux arbres, Luc vit dans son monde de pirates, Mabel irradie de sa beauté. Leur vie est rythmée par le travail à la centrale électrique et aux carrières, propriétés de Joyce, un homme qui règne en despote sur la région, au point d’avoir donné son nom à toutes les rues.
Le départ forcé de Mabel, rejetée par sa mère bigote, déclenche une série d’événements tragiques. Des meurtres mystérieux ébranlent soudain la petite communauté. L’arrivée de Gobbo, un marin aux multiples vies, fait bientôt souffler un vent de rébellion dans la vallée. La fratrie, unie par un lien indéfectible, se retrouve au cœur d’une révolte contre l’ordre établi qui prendra des allures de western moderne.
Autour du livre
Après le succès retentissant de « Né d’aucune femme », « Buveurs de vent » marque l’arrivée de Franck Bouysse chez Albin Michel et lui vaut le Prix Jean Giono 2020. Il y mêle habilement plusieurs genres : western contemporain, conte noir et chronique sociale. Cette fusion inhabituelle crée une atmosphère singulière, où le réalisme côtoie le merveilleux dans une vallée hors du temps.
Les références littéraires parsèment le texte et jouent un rôle central dans la construction des personnages. Marc puise sa force dans Stevenson, Whitman, Faulkner et London, tandis que Luc s’identifie au Jim Hawkins de « L’île au trésor ». Ces échos littéraires dépassent la simple citation pour nourrir la dimension mythologique du récit. Le personnage de Gobbo, notamment, semble tout droit sorti d’une pièce de Shakespeare.
La construction narrative opère un changement par rapport aux précédents livres de Bouysse. Pour la première fois, le paysage – et particulièrement le viaduc surplombant la vallée – précède la création des personnages. Cette inversion du processus créatif génère une tension permanente entre les êtres et leur environnement. La nature, omniprésente, s’érige en personnage à part entière.
Si certains critiques regrettent un démarrage lent et une fin trop abrupte, la majorité salue la puissance allégorique du texte. Les thèmes de l’émancipation et de l’insoumission s’incarnent dans des scènes devenues emblématiques, comme celle des quatre enfants suspendus à leurs cordes sous le viaduc. La dimension métaphorique se double d’une réflexion sociale sur les mécanismes de domination et la possibilité de la révolte.
Les critiques soulignent les similitudes avec « Germinal » de Zola ou les romans de Cormac McCarthy, tout en reconnaissant la singularité de cette fable noire aux accents de tragédie antique. « Buveurs de vent » prouve la capacité de Bouysse à se renouveler sans trahir ses obsessions : la transmission qui saute une génération, la puissance de la nature, la résistance face à l’oppression.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 408 pages.
6. Pur sang (2014)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Montana, années 2000. Elias mène une existence paisible à Eden Creek, élevé par Papa et Mama Tulssa, un couple d’Amérindiens de la tribu des Nez-Percés. Bien qu’il sache depuis toujours avoir été adopté, sa vie bascule lorsque Mama Tulssa, sur son lit de mort, lui révèle que ses parents biologiques ne sont pas morts comme on le lui avait fait croire, mais sont repartis en France en le confiant temporairement au couple indien, sans jamais revenir le chercher.
Seul au monde après la disparition de ses parents adoptifs, Elias décide de traverser l’Atlantique pour comprendre son histoire. Son enquête le conduit au château de la Croix du Loup en Haute-Vienne, où il fait la connaissance de John Gray, un Écossais solitaire qui l’héberge dans son gîte. Entre ces deux hommes marqués par le poids des secrets se noue une amitié silencieuse, tandis qu’ils percent peu à peu le mystère des origines d’Elias.
Autour du livre
« Pur sang » occupe une place singulière dans l’œuvre de Franck Bouysse. Publié initialement en 2014, la même année que « Grossir le ciel », il précède les succès de « Buveurs de vent » et « Né d’aucune femme ». Dans son avant-propos de la réédition 2023, Bouysse confie qu’à cette époque, il se cherchait encore : « Après m’être nourri de toutes sortes de livres sans projet préétabli, j’ai longtemps fait des gammes, écrit ‘à la manière de’, expérimenté le fond plutôt que la forme ».
La structure narrative alterne entre deux temporalités : le présent d’Elias et l’histoire tragique des Nez-Percés au XIXe siècle. Ces passages en italique relatent l’exode forcé de la tribu, leur massacre par les tuniques bleues, et la création d’Eden Creek par les survivants. Cette double narration résonne avec les thématiques centrales du déracinement et de la filiation. L’écho entre ces deux récits souligne la persistance des blessures historiques à travers les générations.
La nature s’impose comme un personnage à part entière, des montagnes du Montana aux forêts du Limousin. Les descriptions évoquent une communion profonde avec les éléments, héritée de la sagesse amérindienne : « Sais-tu que les arbres parlent ? Oui, ils parlent. Ils se parlent entre eux et ils te parleront si tu prêtes l’oreille ». Cette dimension mystique culmine dans une scène marquante entre Elias enfant et un loup, qui rappelle certains passages de David Vann.
La suite, « Âpre-monde », publiée en mars 2024, complète ce diptyque baptisé « La marche du rêveur », dont certains lecteurs regrettent déjà la brièveté. Ce texte méconnu de Bouysse, malgré quelques maladresses relevées par la critique concernant la crédibilité de l’adaptation d’Elias au monde moderne, démontre que les thèmes qui feront plus tard sa renommée – l’attachement à la terre, les secrets de famille, l’amitié virile – étaient déjà présents dans ses premiers écrits.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 256 pages.
7. Plateau (2016)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Sur le plateau de Millevaches, dans un hameau isolé de Corrèze, Virgile et Judith mènent une existence modeste dans leur petite ferme. Le couple vieillissant fait face à de lourdes épreuves : Judith sombre peu à peu dans la maladie d’Alzheimer tandis que Virgile perd progressivement la vue. Ils ont élevé comme leur fils Georges, leur neveu devenu orphelin à cinq ans après la mort accidentelle de ses parents. À quarante ans passés, Georges vit dans une caravane face à la maison familiale, incapable d’y pénétrer tant le poids du passé l’écrase.
La quiétude austère du hameau est bouleversée par l’arrivée de deux nouveaux habitants. D’abord Karl, un ancien boxeur tourmenté par ses démons intérieurs, qui jongle entre pulsions violentes et ferveur religieuse. Puis Cory, la nièce de Judith, qui cherche refuge après avoir fui un mari brutal. Sa présence réveille des désirs enfouis chez Georges, tandis qu’un mystérieux chasseur rôde dans les parages, observant les habitants à travers la lunette de son fusil.
Dans ce huis clos à ciel ouvert, les secrets longtemps tus commencent à affleurer. Les non-dits s’accumulent comme autant de bombes à retardement, prêtes à faire voler en éclats l’équilibre précaire de cette microsociété rurale.
Autour du livre
« Plateau » s’inscrit dans la continuité de « Grossir le ciel », reprenant les thèmes qui ont fait le succès du précédent opus : un monde rural âpre, des personnages taiseux et cabossés par la vie, des secrets enfouis qui resurgissent. Michel Abescat dans Télérama souligne « l’acuité et la générosité du regard » ainsi que le talent à « installer des ambiances sourdes » qui caractérisent cette œuvre.
La nature y occupe une place prépondérante, non pas comme simple décor mais comme force agissante qui façonne les destins. Le plateau de Millevaches devient un personnage à part entière, avec ses « sources inatteignables », ses « ruisseaux et rivières aux allures de mues ». Cette omniprésence de l’environnement naturel rapproche « Plateau » des grands auteurs américains comme Ron Rash, tout en s’inscrivant dans une tradition française qui remonte à Giono.
Les personnages féminins apportent une dimension nouvelle par rapport à « Grossir le ciel ». Judith, dont les moments de lucidité deviennent de plus en plus rares, et Cory, qui tente de se reconstruire après avoir fui la violence conjugale, insufflent une profondeur émotionnelle singulière au récit. Leurs présences contrastent avec la rudesse des protagonistes masculins, créant une tension qui structure l’ensemble de l’œuvre.
Le dialogue entre tradition et modernité constitue l’une des forces majeures du texte. Sans jamais verser dans le folklore ou la nostalgie, « Plateau » dépeint un monde rural en mutation où subsistent encore quelques poches de résistance à l’uniformisation. Les conversations entre Virgile et Karl, notamment leurs échanges sur la religion, illustrent cette confrontation entre différentes visions du monde.
La narration alterne entre passages contemplatifs et montée progressive des tensions, jusqu’à un dénouement que plusieurs critiques jugent particulièrement éprouvant. Cette structure rappelle les tragédies grecques, où le destin rattrape inexorablement les protagonistes malgré leur volonté d’y échapper.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 384 pages.
8. Oxymort (2014)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Louis Forel mène une vie paisible de professeur de SVT dans un lycée de Limoges. Sa rencontre récente avec Lily, une étudiante dont il est éperdument amoureux, illumine son quotidien. Mais un jour, il se réveille nu et enchaîné dans une cave plongée dans l’obscurité totale, sans comprendre ce qui lui arrive ni pourquoi il se trouve là.
Dans ce cachot souterrain, son geôlier invisible ne communique avec lui que par des dessins énigmatiques glissés sous la porte, accompagnant les maigres repas qu’il lui apporte pendant son sommeil. Pour ne pas sombrer dans la folie, Louis s’efforce de reconstituer le fil des événements qui ont précédé son enlèvement. Au fil des jours, ses souvenirs lui permettent de comprendre qu’il est peut-être victime d’un rival amoureux obsessionnel.
En parallèle de cette trame principale se développe une intrigue parallèle centrée sur Suzanne Schmidt, une collègue de Louis qui nourrit des sentiments secrets à son égard, et son voisin Hubert qui tente maladroitement de la séduire. De son côté, le commissaire Farque enquête sur la disparition mais peine à rassembler des indices probants.
Autour du livre
L’écriture d’ « Oxymort » précède de plusieurs années les succès qui ont fait la renommée de Franck Bouysse. Initialement publié en 2014 chez Geste Éditions, ce court texte noir a connu une seconde vie en 2019 chez Moissons Noires, porté par le triomphe de « Né d’aucune femme ». Cette première incursion dans le thriller psychologique laisse déjà transparaître les thèmes qui marqueront plus tard la bibliographie de Bouysse : la solitude, l’isolement, les passions destructrices.
Le titre lui-même constitue un jeu de mots significatif entre « oxymore » et « mort », une construction qui fait écho à la dualité structurant tout le récit. Cette opposition entre ombre et lumière se manifeste jusque dans la mise en page : des caractères de grande taille et des marges généreuses aèrent le texte, contrastant avec la noirceur du propos. Les phrases courtes et directes, presque télégraphiques, créent un rythme haché qui souligne l’urgence de la situation du protagoniste.
Si certains critiques regrettent le caractère prévisible de l’intrigue principale, d’autres soulignent la manière dont la narration alterne habilement entre l’enfermement de Louis et le monde extérieur. Cette construction en miroir trouve son prolongement dans l’histoire parallèle de Suzanne et Hubert, qui selon plusieurs critiques méritait un développement plus approfondi. Le choix de situer l’action à Limoges, ville natale de l’auteur, n’apporte paradoxalement aucune couleur locale particulière au récit.
Les 224 pages d’ « Oxymort » portent en germe les qualités qui s’épanouiront plus tard dans « Grossir le ciel » ou « Glaise » : la capacité à insuffler une tension psychologique croissante, l’art de créer une atmosphère oppressante. Mais ce premier essai dans le genre du thriller laisse aussi entrevoir les limites d’un texte qui s’apparente davantage à une longue nouvelle qu’à un roman pleinement abouti.
Aux éditions J’AI LU ; 224 pages.