Née le 1er mars 1966 à Boulogne-Billancourt, Delphine de Vigan grandit avec sa sœur cadette auprès de leur mère, une femme qui travaille comme mannequin publicitaire et souffre de troubles bipolaires. Suite à l’hospitalisation de sa mère durant son année de première, elle part vivre en Normandie chez son père.
Brillante élève qui saute plusieurs classes, elle obtient son baccalauréat en 1983. Après des études en communication, elle traverse une période difficile marquée par l’anorexie qui la conduit à une hospitalisation de six mois. Elle travaille ensuite dans les études de marché pendant plusieurs années avant de se consacrer entièrement à l’écriture à partir de 2007.
C’est sous le pseudonyme de Lou Delvig qu’elle publie son premier roman autobiographique, « Jours sans faim », en 2001. La consécration arrive avec « No et moi » (2007), qui reçoit le Prix des Libraires. Elle poursuit son ascension littéraire avec des œuvres remarquées comme « Rien ne s’oppose à la nuit » (2011), où elle évoque la maladie de sa mère, et « D’après une histoire vraie » (2015), qui lui vaut le Prix Renaudot et le Prix Goncourt des lycéens.
Outre son travail d’écrivaine, elle s’aventure dans le cinéma comme scénariste et réalisatrice. Compagne de François Busnel, elle poursuit aujourd’hui son parcours d’autrice aux éditions Gallimard, où elle publie notamment « Les enfants sont rois » (2021) et « Les Figurants » (2024).
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Rien ne s’oppose à la nuit (2011)
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Résumé
À la suite du suicide de sa mère Lucile en 2008, Delphine de Vigan entreprend de retracer son histoire. En interrogeant ses proches et en fouillant dans les archives familiales, elle reconstitue le parcours de cette jolie femme tourmentée. Troisième d’une fratrie de neuf enfants, Lucile grandit dans une famille en apparence joyeuse mais marquée par des drames successifs : morts accidentelles, suicides, non-dits destructeurs. Enfant mannequin silencieuse au regard absent, elle développe peu à peu des troubles bipolaires qui la conduisent à alterner phases d’euphorie et périodes sombres. Mère de deux filles, elle lutte toute sa vie contre ses démons intérieurs, entre internements psychiatriques et tentatives de reconstruction. À travers ce portrait intime, Delphine de Vigan tente de comprendre et d’accepter le geste final de cette mère à la fois proche et inaccessible.
Autour du livre
Paru en 2011 aux éditions Jean-Claude Lattès, « Rien ne s’oppose à la nuit » s’inscrit dans une longue tradition d’écrivains qui s’attellent à narrer l’histoire de leur mère. Delphine de Vigan emprunte son titre à « Osez Joséphine », chanson d’Alain Bashung datant de 1991, dont elle extrait les paroles : « Plus rien ne s’oppose à la nuit, rien ne justifie ». Cette phrase résonne comme un sombre présage du destin de Lucile.
La genèse de l’ouvrage naît d’une nécessité impérieuse : après la disparition de sa mère, Delphine de Vigan se trouve dans l’incapacité d’écrire autre chose. Cette quête intime se transforme en véritable investigation familiale. Armée d’enregistrements, de vidéos, d’écrits et des témoignages des membres de sa famille, l’autrice reconstitue patiemment le puzzle d’une existence brisée. Sa démarche s’apparente à celle d’une archéologue qui exhumerait délicatement les strates d’une vie enfouie sous les non-dits.
À travers ce récit, la romancière questionne sans cesse sa légitimité à dévoiler l’intimité familiale. Ces interrogations métanarratives ponctuent le texte, créant une mise en abyme où l’écriture elle-même devient un personnage à part entière. « Ai-je le droit d’écrire que Georges a été un père nocif, destructeur et humiliant ? », s’interroge-t-elle, consciente des répercussions potentielles de ses révélations sur les vivants.
La particularité de l’ouvrage réside dans son architecture : il ne s’agit pas simplement d’une biographie maternelle mais d’une œuvre chorale où résonnent les voix de toute une famille. Les témoignages se contredisent parfois, illustrant la subjectivité des souvenirs et la complexité des relations familiales. Cette polyphonie permet de dessiner un portrait nuancé de Lucile, évitant l’écueil du manichéisme.
La force du livre tient aussi dans sa capacité à transcender l’histoire individuelle pour toucher à l’universel. En décrivant la bipolarité de sa mère, Delphine de Vigan dresse un tableau saisissant de ce trouble mental encore mal compris. Christian Gay, dans la préface de son ouvrage « Vivre avec un maniaco-dépressif » (2016), recommande d’ailleurs la lecture de « Rien ne s’oppose à la nuit » comme un éclairage différent des récits centrés sur la maladie.
La réception critique s’avère exceptionnelle. « Rien ne s’oppose à la nuit » remporte successivement le Prix du roman Fnac, le Prix Renaudot des lycéens et le Prix France Télévisions en 2011, avant de décrocher le Grand prix des lectrices de Elle en 2012. Cette reconnaissance institutionnelle s’accompagne d’un succès public retentissant avec plus de 400 000 exemplaires vendus.
Le livre s’inscrit dans une lignée d’œuvres consacrées à la figure maternelle, aux côtés d’ « Une femme » d’Annie Ernaux ou du « Livre de ma mère » d’Albert Cohen. Toutefois, il se distingue par son approche singulière qui conjugue enquête familiale, réflexion sur l’acte d’écrire et portrait intime. À travers ce « cercueil de papier », comme elle le nomme, Delphine de Vigan offre à sa mère « un destin de personnage » tout en accomplissant son propre travail de deuil.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 408 pages.
2. Les enfants sont rois (2021)
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Résumé
En 2001, Mélanie Claux, 17 ans, regarde avec enthousiasme la finale de « Loft Story » sur M6. Comme des millions de Français, elle rêve de devenir aussi célèbre que Loana. Après un échec dans une émission de téléréalité, elle se marie avec Bruno puis devient mère de deux enfants, Sammy et Kimmy. Ne renonçant pas à son désir de célébrité, elle crée une chaîne YouTube, « Happy Récré », où elle met quotidiennement en scène ses enfants. Le succès est fulgurant : cinq millions d’abonnés et des revenus conséquents grâce aux partenariats avec les marques. Mais un jour, Kimmy, 6 ans, disparaît lors d’une partie de cache-cache. Clara Roussel, procédurière à la brigade criminelle, mène l’enquête et découvre l’univers inquiétant des enfants youtubeurs. Le récit se prolonge jusqu’en 2031, révélant les conséquences dévastatrices de cette surexposition médiatique sur la vie des enfants devenus adultes.
Autour du livre
Vingt ans après « Loft Story », Delphine de Vigan saisit les mutations induites par la téléréalité dans notre société. En prenant comme point de départ cette première émission qui a rassemblé onze millions de téléspectateurs en 2001, elle trace le fil conducteur menant aux dérives actuelles des réseaux sociaux, où l’exposition permanente devient une norme et où les enfants se transforment en produits marketing.
Cette réflexion sociétale s’incarne à travers deux femmes que tout oppose : Mélanie, mère de famille obsédée par la notoriété qui filme ses enfants en permanence pour sa chaîne YouTube « Happy Récré », et Clara, policière procédurière solitaire découvrant avec effroi cet univers lors de l’enlèvement de la petite Kimmy. Le contraste entre ces deux trajectoires permet d’interroger notre rapport à l’image et à l’intime.
La force du propos réside dans sa dimension documentaire. Les mécanismes économiques des réseaux sociaux y sont justement disséqués : monétisation des vidéos, partenariats avec les marques, placement de produits. Delphine de Vigan révèle un système global où chaque acteur trouve son intérêt, des parents aux annonceurs, au détriment des enfants transformés en machines à générer du contenu.
La construction temporelle sur trois décennies (2001-2031) donne une perspective inquiétante sur le devenir de ces enfants surexposés. En projetant l’histoire dans un futur proche, la romancière fait surgir les conséquences psychologiques durables de cette exploitation précoce. Le syndrome de Truman, qui touche Sammy à l’âge adulte, symbolise le malaise d’une génération ayant grandi sous l’œil permanent des caméras.
La parution des « Enfants sont rois » en 2021 fait écho à l’adoption récente d’une loi encadrant l’exploitation commerciale de l’image des enfants sur les plateformes en ligne. Delphine de Vigan s’empare ainsi d’un sujet d’actualité brûlant, auquel les médias commencent tout juste à s’intéresser. The Walt Disney Company France a d’ailleurs acquis les droits pour une adaptation en série sur Disney+.
Le texte résonne particulièrement avec « Florida » d’Olivier Bourdeaut, autre roman contemporain traitant de l’emprise toxique d’une mère sur son enfant. Il s’inscrit également dans la lignée des œuvres questionnant notre société du spectacle, tout en renouvelant le genre du fait de son ancrage dans l’ère numérique.
Sans jamais tomber dans un jugement simpliste, « Les enfants sont rois » interroge notre responsabilité collective face à ces nouvelles formes d’exploitation. Comme le souligne l’épigraphe empruntée à Stephen King : « Nous avons eu l’occasion de changer le monde et nous avons préféré le téléachat ». La formule résume l’ambition du livre : montrer comment notre société a progressivement normalisé la marchandisation de l’intime et de l’enfance.
Aux éditions FOLIO ; 368 pages.
3. Les gratitudes (2019)
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Résumé
Dans une maison de retraite parisienne, Michka Seld lutte contre l’aphasie qui lui dérobe peu à peu ses mots. Cette femme cultivée, autrefois correctrice dans un grand journal, voit son vocabulaire se déliter jour après jour malgré les efforts de Jérôme, son orthophoniste. Seule Marie, une jeune femme dont elle s’est occupée enfant quand sa propre mère était défaillante, lui rend visite régulièrement. Tandis que sa parole s’érode et que la vie en EHPAD rétrécit son horizon, Michka est hantée par un regret : ne jamais avoir pu remercier Nicole et Henri, le couple qui l’a sauvée pendant l’Occupation alors qu’elle n’était qu’une petite fille juive. Dans une course contre la montre, Marie et Jérôme unissent leurs forces pour l’aider à accomplir ce dernier vœu, tandis qu’elle-même s’enfonce inexorablement dans le silence.
Autour du livre
Neuvième roman de Delphine de Vigan, « Les gratitudes » s’inscrit dans la continuité thématique des « Loyautés » (2018) en examinant les liens invisibles qui unissent les êtres. Paru aux éditions Jean-Claude Lattès en mars 2019, il s’est immédiatement hissé en tête des ventes avec un premier tirage de 160 000 exemplaires.
Delphine de Vigan y déploie une narration à deux voix, alternant les points de vue de Marie et Jérôme, ponctués d’interludes théâtraux qui transcrivent les cauchemars de Michka. Cette structure permet d’éclairer sous différents angles la dégradation progressive du langage chez la protagoniste. Les confusions verbales de Michka, loin d’être anecdotiques, créent une poésie involontaire : le « fauteuil croulant » remplace le « fauteuil roulant », tandis que « d’accord » devient systématiquement « d’abord ». Ces glissements sémantiques ajoutent une dimension tragicomique au récit tout en soulignant l’ironie cruelle de la situation – une ancienne correctrice qui perd l’usage précis des mots.
La question du placement en EHPAD, traitée sans concession, met en lumière la déshumanisation institutionnelle à travers le personnage glaçant de la directrice. Delphine de Vigan dénonce notamment la transformation des résidents en unités de rendement, symbolisée par l’entretien d’admission cauchemardesque où la vieille dame doit « montrer son adhésion, son implication, sa détermination ».
Le thème central de la gratitude s’entrelace avec celui de la transmission intergénérationnelle, créant un effet de mise en abyme : Michka a sauvé Marie comme elle-même fut sauvée pendant la guerre. Cette dette de reconnaissance traverse les époques et constitue le moteur dramatique du récit. L’urgence de dire « merci » avant qu’il ne soit trop tard propulse l’action, donnant au texte sa tension narrative.
Dans la lignée de « Rien ne s’oppose à la nuit » (Prix France Télévisions 2011) et « D’après une histoire vraie » (Prix Renaudot et Goncourt des Lycéens 2015), Delphine de Vigan livre un texte court mais dense. En 192 pages, elle parvient à tisser une réflexion sur la vieillesse, la perte et la transmission, sans jamais tomber dans le pathos ou la facilité. L’accueil critique unanimement positif souligne la justesse du ton et l’équilibre subtil entre émotion et pudeur.
La romancière réussit le tour de force de transformer un sujet a priori plombant – la fin de vie en EHPAD – en une méditation lumineuse sur les liens qui nous unissent et la nécessité de les verbaliser. Cette prouesse tient notamment à l’humanité des personnages et à leur complexité psychologique, qui transcendent les archétypes habituels des récits sur la vieillesse.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 192 pages.
4. No et moi (2007)
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Résumé
Lou a 13 ans, un QI de 160 et deux ans d’avance au lycée. Solitaire et mal à l’aise avec ses camarades de seconde, elle passe son temps à observer les gens à la gare d’Austerlitz. C’est là qu’elle rencontre No, une sans-abri de 18 ans au passé douloureux. Pour son exposé de sciences économiques et sociales, Lou décide d’interviewer No. De café en café, une amitié se noue entre la lycéenne et la jeune SDF. Bouleversée par son histoire, Lou s’obstine à vouloir sauver No de la rue et la fait héberger chez ses parents. Cette cohabitation apporte un nouveau souffle à la famille, notamment à la mère de Lou, dépressive depuis la mort de sa deuxième fille. Mais les blessures de No sont trop profondes. Après un bref passage chez Lucas, un ami de Lou, elle s’évanouit dans la nature.
Autour du livre
Publié en 2007 aux éditions Jean-Claude Lattès, « No et moi » apporte à Delphine de Vigan une reconnaissance critique immédiate, couronnée par le Prix des Libraires l’année suivante. L’ouvrage s’écoule à 100 000 exemplaires dès sa première année de parution, témoignant d’un succès commercial qui s’accompagne d’une réception enthousiaste du public.
La force du livre réside dans sa capacité à traiter de thèmes sociaux graves à travers le prisme d’une narratrice adolescente surdouée. Le décalage entre la maturité intellectuelle de Lou et sa naïveté émotionnelle crée une tension narrative singulière, permettant d’aborder la précarité des jeunes sans-abri sous un angle inédit. Les statistiques sur les SDF, disséminées tout au long du récit, prennent chair à travers le personnage de No, rendant palpable la réalité souvent invisible des femmes à la rue.
L’amitié improbable entre Lou et No transcende les clichés habituels sur les relations entre classes sociales. No n’incarne pas simplement la figure de la SDF à sauver, mais se révèle dans toute sa complexité : traumatisée par une enfance brisée, elle porte en elle une violence sourde qui ne demande qu’à resurgir. Cette violence, comme le souligne Lou, ne réside pas tant dans les coups que dans les silences, dans l’accumulation des blessures que le temps recouvre sans jamais les effacer.
La dimension initiatique du récit se déploie à travers trois solitudes qui s’entrechoquent : Lou, No et Lucas forment un trio d’écorchés vifs, chacun portant ses propres fêlures. La mère de Lou, murée dans sa dépression depuis la mort de sa fille Thaïs, compose un arrière-plan qui résonne avec l’abandon maternel vécu par No.
Delphine de Vigan ne cède pas à la tentation d’une conclusion édifiante. L’échec de la réinsertion de No, malgré les efforts déployés par Lou et sa famille, sonne comme un constat lucide sur la difficulté de sortir de la rue. Pourtant, ce qui pourrait s’apparenter à une défaite se transforme en apprentissage : Lou grandit à travers cette expérience, découvrant que l’idéalisme ne suffit pas toujours à changer le monde.
« No et moi » marque un tournant dans la carrière de Delphine de Vigan. Cette histoire qui mêle précocité intellectuelle et conscience sociale préfigure les thèmes qui traverseront ses romans ultérieurs. La justesse psychologique des personnages et l’acuité du regard social s’affirment comme des signatures de son écriture.
Les critiques soulignent la résonnance particulière du livre auprès des adolescents, notamment dans le cadre scolaire. Sa capacité à aborder des sujets complexes sans condescendance ni simplification excessive en fait un outil pédagogique apprécié, tout en conservant sa force littéraire pour un public adulte. Son succès dépasse les frontières françaises, avec des traductions en italien et en allemand qui témoignent de l’universalité de son propos. Zabou Breitman adapte le roman au cinéma en 2010, incarnant elle-même la mère de Lou aux côtés de Nina Rodriguez et Julie-Marie Parmentier.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 256 pages.
5. D’après une histoire vraie (2015)
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Résumé
Après le succès retentissant de son dernier roman consacré à sa mère, Delphine traverse une période de doute et d’angoisse. L’écrivaine ne parvient plus à écrire, pas même un simple courriel. C’est dans ce contexte de fragilité qu’elle fait la connaissance de L., une femme mystérieuse qui devient rapidement son amie la plus proche. L. s’immisce peu à peu dans la vie de Delphine, prend en charge sa correspondance, s’installe chez elle. Tandis que son compagnon François parcourt les États-Unis et que ses enfants quittent le foyer, Delphine se trouve sous l’emprise grandissante de cette femme énigmatique. L., qui rédige des autobiographies d’artistes sans apparaître comme autrice, pousse Delphine à écrire uniquement sur du vécu, sur du réel. Mais qui est véritablement L. ? A-t-elle seulement existé ?
Autour du livre
Suite au succès retentissant de « Rien ne s’oppose à la nuit », qui abordait la figure de sa mère bipolaire, Delphine de Vigan se trouve confrontée au vertige de l’après : comment poursuivre sa trajectoire littéraire quand les lecteurs demandent toujours plus d’intimité, toujours plus de vérité ? Cette question centrale irrigue les pages de « D’après une histoire vraie », publié aux éditions Jean-Claude Lattès en 2015, qui brouille savamment les frontières entre fiction et réalité. Plutôt que de céder à la tentation de reproduire la formule de « Rien ne s’oppose à la nuit », Delphine de Vigan choisit de faire de ses doutes et de ses peurs la matière même de son livre.
Delphine de Vigan y met en scène son propre personnage, une romancière prénommée Delphine, en proie à une paralysie créative totale. Le texte navigue sur une ligne de crête périlleuse : la narratrice vit avec François, critique littéraire reconnu, ses jumeaux s’apprêtent à quitter le nid, et elle reçoit des lettres anonymes qui l’accusent d’avoir trahi les siens dans son précédent livre. L’irruption de L., figure énigmatique qui devient rapidement indispensable, transforme ce qui aurait pu n’être qu’une autofiction en thriller psychologique.
La mécanique narrative se déploie en trois mouvements – « Séduction », « Dépression », « Trahison » – chacun s’ouvrant sur une épigraphe tirée de Stephen King, notamment de « Misery ». Ces références ne sont pas gratuites : elles annoncent le basculement du texte vers l’emprise mentale et la terreur psychologique. Mais là où King plaçait son écrivain face à une lectrice fanatique, Delphine de Vigan installe un jeu de miroirs entre deux femmes qui écrivent – l’une sous son nom, l’autre dans l’ombre comme prête-plume.
Une réflexion sur le statut de l’écrivain contemporain se dessine ainsi en filigrane. À travers L., qui pousse Delphine à privilégier le réel sur la fiction, Delphine de Vigan questionne l’appétit vorace du public pour les histoires vraies, cette quête d’authenticité qui caractérise notre époque. « Les gens veulent du vécu », martèle L., incarnant cette pression qui pèse sur les auteurs. Ce questionnement prend une dimension vertigineuse quand le lecteur comprend que L. a puisé toute sa prétendue vie dans les livres de la bibliothèque de Delphine. La fiction se nourrit du réel qui lui-même se nourrit de fiction, dans une mise en abyme magistrale qui culmine avec la dernière page du livre, où un astérisque après le mot « FIN » vient semer un ultime doute.
Couronné par le Prix Renaudot et le Prix Goncourt des lycéens en 2015, ce texte a connu un succès considérable avec plus de 170 000 exemplaires vendus dès sa sortie. Roman Polanski en a tiré une adaptation cinématographique en 2017, avec Emmanuelle Seigner dans le rôle de Delphine et Eva Green dans celui de L.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 384 pages.
6. Les loyautés (2018)
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Résumé
Dans un collège parisien, Théo, 12 ans, vit une situation familiale difficile : une semaine chez son père au chômage qui sombre dans la dépression, une semaine chez sa mère qui voue une haine féroce à son ex-mari. Pour supporter ce déchirement, l’adolescent se réfugie dans l’alcool, entraînant avec lui son meilleur ami Mathis. Leur professeure Hélène, marquée par son propre passé d’enfant maltraitée, perçoit le mal-être de Théo et tente de l’aider, quitte à outrepasser ses prérogatives d’enseignante. Pendant ce temps, Cécile, la mère de Mathis, s’inquiète de l’influence de Théo sur son fils tout en découvrant que son mari n’est pas celui qu’elle croyait.
Autour du livre
Les loyautés auxquelles fait référence le titre du neuvième roman de Delphine de Vigan se manifestent comme des « liens invisibles qui nous attachent aux autres », selon les mots de l’autrice elle-même placés en exergue de l’ouvrage. Ces fidélités silencieuses constituent tantôt des forces qui permettent de tenir debout, tantôt des chaînes qui emprisonnent les personnages dans leurs traumatismes et leurs secrets.
Le roman adopte une construction chorale où s’entrecroisent quatre voix : celle d’Hélène, professeure de SVT marquée par une enfance violente, celle de Théo, adolescent écartelé entre ses parents divorcés, celle de son ami Mathis qui le suit dans sa dérive, et celle de Cécile, la mère de Mathis confrontée à ses propres démons. Cette polyphonie permet de faire émerger différentes facettes d’une même réalité, où chaque personnage se débat avec ses propres loyautés.
L’histoire s’inscrit dans la veine des romans sociaux de Delphine de Vigan, comme « Les heures souterraines », en abordant des thématiques contemporaines : l’impact psychologique des divorces conflictuels sur les enfants, la précarité sociale, l’alcoolisme précoce, la violence invisible au sein des familles. La trame narrative se resserre progressivement autour des personnages, créant une tension croissante jusqu’à une fin ouverte qui laisse le lecteur face à ses propres interrogations.
Dans cette chronique au scalpel de la société contemporaine, Delphine de Vigan met en lumière la façon dont les traumatismes se transmettent d’une génération à l’autre. Hélène retrouve dans le comportement de Théo les échos de sa propre enfance maltraitée. Cette résonance la pousse à outrepasser son rôle d’enseignante, quitte à commettre des impairs professionnels. Le roman questionne ainsi la frontière entre empathie salvatrice et identification excessive.
Le texte frappe par son économie – moins de 200 pages – et sa précision chirurgicale. Les chapitres courts alternent les points de vue, créant un effet de mosaïque où chaque voix vient éclairer les zones d’ombre des autres récits. Cette construction en miroir permet d’observer comment les personnages se protègent et se détruisent simultanément par leurs silences et leurs non-dits.
« Les loyautés » marque un retour aux thèmes de prédilection de Delphine de Vigan après l’expérimentation formelle de « D’après une histoire vraie ». La romancière renoue avec une veine plus sociale, déjà présente dans « No et moi », en posant un regard acéré sur les dysfonctionnements familiaux et institutionnels de notre époque. Le texte interroge la capacité du système scolaire à détecter et prendre en charge la souffrance des élèves, tout en soulignant les limites de l’action individuelle face aux mécanismes de protection que développent les victimes elles-mêmes. Il questionne la manière dont nos fidélités peuvent devenir des « ailes » qui nous portent ou des « carcans » qui nous emprisonnent, selon la belle formule qui ouvre le livre.
« Les loyautés » s’inscrit dans une lignée d’œuvres qui interrogent la complexité des liens familiaux et la transmission des traumatismes, rappelant par certains aspects « La maladroite » d’Alexandre Seurat ou « L’enfant aux cailloux » de Sophie Loubière. Le roman a reçu un accueil contrasté de la critique, certains saluant sa puissance émotionnelle et sa sobriété, d’autres pointant un certain systématisme dans l’accumulation des drames.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 192 pages.
7. Jours sans faim (sous le pseudonyme de Lou Delvig, 2001)
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Résumé
Laure, dix-neuf ans, arrive à l’hôpital dans un état critique : trente-six kilos pour un mètre soixante-quinze. L’anorexie l’a menée aux frontières de la mort, avec une température de trente-cinq degrés et une tension de huit. Le docteur Brunel la prend en charge dans son service de nutrition. Durant trois mois d’hospitalisation, la jeune femme lutte pour reprendre du poids via une alimentation par sonde nasogastrique, son estomac ayant retrouvé la taille de celui d’un nourrisson. Entre les pesées quotidiennes et les repas supervisés, Laure noue des liens avec d’autres patientes, notamment Corinne et Fatima. À travers son journal intime et ses souvenirs, elle tente de comprendre ce qui l’a conduite à cette autodestruction : une mère bipolaire internée, un père alcoolique colérique, une petite sœur Louise qu’elle culpabilise d’avoir abandonnée.
Autour du livre
Premier roman de Delphine de Vigan paru en 2001 sous le pseudonyme de Lou Delvig, « Jours sans faim » marque le début d’un parcours littéraire hors-norme. Ce choix d’anonymat n’est pas anodin : l’autrice souhaite alors préserver sa famille, tant le sujet abordé touche à l’intime. Le récit s’inscrit comme le prélude naturel à « Rien ne s’oppose à la nuit », qui ne verra le jour que dix ans plus tard. Ces deux œuvres se répondent et se complètent autour des traumatismes familiaux : la mère, la fille, chacune aux prises avec ses démons.
La narration à la troisième personne instaure une distance salvatrice avec le vécu. Cette mise à distance permet de transformer l’expérience personnelle en matériau littéraire, sans tomber dans le pathos ou l’auto-apitoiement. Les phrases brèves, incisives, presque cliniques, transcrivent avec acuité les sensations physiques : le froid qui transperce, les genoux qui cognent, l’insomnie qui accompagne la faim qu’on ne reconnaît plus. Cette écriture sobre restitue la violence du combat intérieur sans jamais verser dans le sensationnalisme.
La maladie n’apparaît pas comme un simple désordre alimentaire, mais comme le symptôme d’une blessure plus profonde. Les rapports familiaux dysfonctionnels – une mère « folle », un père alcoolique perpétuellement en colère – constituent la toile de fond d’un mal-être existentiel. La quête de contrôle absolu sur le corps traduit paradoxalement une perte totale de maîtrise sur l’existence.
Le cadre hospitalier devient le théâtre d’une renaissance possible. Les rencontres avec les autres patientes dessinent une micro-société où chacun porte sa propre histoire : Fatima rejetée par son mari pour cause de stérilité due à l’anorexie, Corinne qui a repris du poids, Anaïs pas encore prête à guérir. Ces portraits en miroir illustrent les différentes étapes et issues possibles de la maladie.
Au cœur du récit se tient la figure du docteur Brunel, personnage pivot qui incarne l’espoir d’une guérison. Sa présence bienveillante et son approche par métaphores et contes créent un espace thérapeutique où la parole peut enfin émerger. Plus qu’un simple médecin, il devient le « sauveur » qui permet à Laure de renouer avec son désir de vivre.
« Jours sans faim » interpelle par son refus des clichés sur l’anorexie. Loin des poncifs sur l’influence des magazines de mode, le texte met en lumière la complexité psychologique de ce trouble. Il révèle comment l’anorexie peut devenir une forme paradoxale d’existence : en vidant son corps, Laure cherche à combler un vide intérieur, à faire payer cette culpabilité qui la relie à sa famille. La dimension thérapeutique de l’écriture transparaît dans la structure même du récit. Les notes prises « miette par miette » durant l’hospitalisation constituent la matrice du roman, comme si l’acte d’écrire participait déjà au processus de guérison.
« Jours sans faim » se démarque dans la littérature consacrée à l’anorexie par son refus du spectaculaire et sa recherche constante de justesse. La sobriété du style sert admirablement le propos : dire l’indicible sans jamais le trahir. Cette première œuvre pose les jalons d’une écriture qui ne cessera d’interroger les failles intimes et familiales, faisant de la littérature un outil de reconstruction. L’adaptation théâtrale du roman en 2021 par Violaine Brébion, mise en scène par Xavier Clion, témoigne de la puissance universelle de ce récit intime.
Aux éditions FOLIO ; 176 pages.
8. Les heures souterraines (2009)
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Résumé
Mathilde, veuve quarantenaire mère de trois enfants, subit depuis plusieurs mois un harcèlement moral sans relâche dans l’entreprise parisienne où elle travaille comme cadre marketing. Son supérieur Jacques, qui fut autrefois son mentor, s’acharne désormais à la détruire professionnellement après qu’elle eut osé le contredire lors d’une réunion. Isolée dans un bureau près des toilettes, privée de ses missions et de ses responsabilités, elle s’enfonce peu à peu dans une spirale destructrice. Une voyante lui prédit qu’un homme changera sa vie le 20 mai. Ce même jour, Thibault, médecin urgentiste de 43 ans, rompt avec Lila qui ne partage pas ses sentiments. Confronté quotidiennement à la détresse humaine dans les rues de Paris, il traverse lui aussi une période de profonde remise en question.
Autour du livre
Paru en 2009 aux éditions Jean-Claude Lattès, « Les heures souterraines » s’inscrit dans la lignée des romans sociaux de Delphine de Vigan, qui met sa plume au service d’une réflexion sur la violence silencieuse du monde du travail. Elle y brosse le portrait d’une société urbaine déshumanisée à travers les destins croisés de Mathilde et Thibault, deux êtres brisés par la vie parisienne.
Le texte prend racine dans la propre expérience de l’autrice qui, comme elle le révèle dans « Rien ne s’oppose à la nuit », a elle-même subi un « long bras de fer » professionnel l’ayant laissée « exsangue » avant son licenciement. Cette dimension autobiographique confère au récit une authenticité saisissante dans sa description du harcèlement moral. La narration alterne entre les deux protagonistes, créant un effet de miroir entre leurs solitudes respectives qui ne parviennent jamais vraiment à se rencontrer.
L’originalité du roman réside dans son refus des conventions romanesques traditionnelles. Là où le lecteur attend une rencontre salvatrice entre les deux personnages principaux, Delphine de Vigan choisit délibérément de maintenir leur isolement. Cette construction narrative souligne avec force l’impossibilité de la rencontre dans une métropole où les individus se croisent sans jamais véritablement se voir.
Le succès critique ne tarde pas à récompenser cette œuvre ambitieuse. Finaliste du Prix Goncourt 2009, « Les heures souterraines » obtient le Prix Goncourt du choix polonais et le Prix du Roman d’entreprise. Sa réception dépasse rapidement le cadre littéraire pour susciter un véritable débat social sur le harcèlement moral au travail, thématique alors peu traitée en littérature.
L’impact du livre se prolonge à travers plusieurs adaptations. En 2014, Philippe Harel en tire un téléfilm avec Marie-Sophie Ferdane et Mehdi Nebbou dans les rôles principaux. Cette version télévisuelle reçoit le Pyrénées d’Or du meilleur téléfilm au Festival de Luchon en 2015, ainsi que le Prix d’interprétation féminine pour Marie-Sophie Ferdane. La même année, le roman est porté sur les planches du Théâtre de Paris dans une mise en scène réunissant Anne Loiret et Thierry Frémont.
Quelques années plus tard, l’ouvrage trouve un écho particulier lors des vagues de suicides chez France Télécom, confirmant sa valeur de témoignage sur les dérives du management moderne. Les lecteurs se reconnaissent massivement dans cette chronique du mal-être au travail, comme en témoignent les nombreux courriers reçus par Delphine de Vigan de la part de victimes de harcèlement moral.
« Les heures souterraines » brille par son refus du pathos malgré la gravité de son sujet. La ville de Paris devient le troisième personnage du roman, monstre tentaculaire qui broie ses habitants dans l’indifférence générale. Cette dimension urbaine rappelle « Nous étions des êtres vivants » de Nathalie Kuperman, autre roman sur le monde de l’entreprise, avec lequel les critiques universitaires ont établi des parallèles pertinents.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 256 pages.
9. Un soir de décembre (2005)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Matthieu Brin, 45 ans, mène une existence paisible à Paris entre son métier de publicitaire, sa femme Élise et leurs deux fils. Son premier roman rencontre un succès inattendu qui le propulse sur les plateaux de télévision. Parmi les nombreuses lettres d’admiratrices qu’il reçoit, l’une se distingue : non signée, elle provient de Sara, une femme qu’il a passionnément aimée dix ans plus tôt, juste avant son mariage. D’autres missives suivent, dans lesquelles Sara se raconte et évoque leur liaison passée. Ces lettres réveillent chez Matthieu un désir enfoui qui le consume peu à peu. Incapable de résister à cette obsession mais aussi de quitter sa famille, il sombre dans une profonde dépression. Son seul exutoire devient l’écriture d’un second roman, nourri par cette passion ressuscitée qui menace de tout détruire sur son passage.
Autour du livre
« Un soir de décembre » est le deuxième roman de Delphine de Vigan, publié en 2005, soit six ans avant le succès phénoménal de « Rien ne s’oppose à la nuit » (2011) qui la propulsera sur le devant de la scène littéraire. Cette œuvre précoce porte déjà en germe les thèmes qui deviendront sa signature : l’intimité des sentiments, la fragilité des êtres, les non-dits qui minent les relations.
La narration s’articule autour d’une construction en miroir : d’un côté les lettres de Sara qui réécrit leur histoire commune, de l’autre le roman en gestation de Matthieu qui tente d’exorciser ce passé ressurgi. Cette mise en abyme interroge la nature même de l’acte d’écrire : peut-on écrire seulement pour se rapprocher de quelqu’un ? Un livre peut-il porter à ce point la trace d’une femme ?
Le désir occupe une place centrale dans le récit, mais pas uniquement le désir charnel. Il s’agit aussi du désir d’écrire, viscéral, qui s’empare de Matthieu à mesure que les lettres de Sara le replongent dans leur passion passée. L’écriture devient alors le seul moyen d’assécher son corps, d’exorciser ses fantômes. La dépression qui s’ensuit prend racine dans cette résistance au désir plus que dans le désir lui-même.
Sara incarne ces femmes que les hommes dévorent avec passion puis abandonnent. Son personnage n’existe que par ses lettres, comme un fantôme qui hante les pages. Cette absence physique renforce paradoxalement sa présence obsédante dans l’esprit de Matthieu. Elle symbolise aussi la muse, celle qui insuffle l’inspiration tout en détruisant l’artiste.
Le couple formé par Matthieu et Élise représente l’usure du quotidien, la routine qui érode peu à peu les sentiments. La myopie de Matthieu, qui choisit d’arrêter de porter ses lunettes le jour de son mariage avant de les remettre à la réception des lettres, devient métaphore de son aveuglement volontaire face à sa vie.
Des similitudes thématiques émergent avec « D’après une histoire vraie », notamment autour de l’angoisse de la page blanche et de l’emprise psychologique exercée par un tiers sur l’écrivain. Cette emprise nourrit paradoxalement l’inspiration tout en paralysant physiquement celui qui écrit. Delphine de Vigan questionne ainsi le lien entre création et destruction, entre inspiration et folie.
La brièveté du texte – moins de 200 pages – contraste avec la densité des thèmes abordés. L’absence presque totale de dialogues crée une atmosphère ouatée qui mime l’isolement progressif du personnage principal. Le choix de la narration à la troisième personne, inhabituel pour décrire des tourments si intimes, instaure une distance qui renforce l’impression d’aliénation.
Si certains critiques reprochent au roman une intrigue ténue, d’autres saluent justement cette économie de moyens qui permet de se concentrer sur l’essentiel : la destruction d’un homme par le souvenir d’une passion qu’il croyait éteinte. « Un soir de décembre » pose ainsi les jalons d’une œuvre qui ne cessera d’interroger la fragilité des êtres face aux fantômes du passé.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 192 pages.
10. Les jolis garçons (2005)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Paris, milieu des années 2000. Emma Pile, jeune femme de vingt-six ans en quête d’amour, enchaîne trois relations qui la marquent durablement. D’abord victime d’une érotomanie qui la pousse à s’isoler du monde pour vivre une passion imaginaire avec Mark Stevenson, un avocat qu’elle idéalise totalement, elle parvient à s’en libérer. Elle rencontre ensuite Ethan Castor, romancier mondain qui la séduit le temps d’une soirée avant de l’abandonner, fidèle à sa réputation d’homme à femmes. Sa troisième histoire l’amène dans l’univers de la télévision aux côtés de Milan Mikaev, animateur narcissique qui transforme leur relation en spectacle permanent. Ces trois expériences, entre folie amoureuse et désenchantement, révèlent la vulnérabilité d’Emma face à des hommes qui ne peuvent lui apporter le bonheur qu’elle recherche.
Autour du livre
Publié en 2005, « Les jolis garçons » est l’une des premières œuvres de Delphine de Vigan sous son véritable nom. Ce court roman de 160 pages se distingue du reste de sa bibliographie par sa structure triptyque singulière qui dépeint trois relations amoureuses d’Emma Pile, une trentenaire parisienne. Chaque partie représente une temporalité de la vie sentimentale d’Emma, entre ses 26 et 32 ans. Le choix du prénom « Emma Pile » ne relève pas du hasard – il s’agit d’un clin d’œil à Emma Peel, personnage emblématique de la série « Chapeau melon et bottes de cuir ». Cette référence établit d’emblée un contraste saisissant entre l’héroïne de la série, femme forte et indépendante, et le personnage du roman, en proie à ses illusions amoureuses.
La première partie se démarque par sa construction en nouvelle à chute, où Delphine de Vigan manie l’art de la suggestion et du non-dit avec une remarquable habileté. Les indices disséminés tout au long du texte prennent leur pleine signification lors du dénouement, invitant à une seconde lecture pour en apprécier toute la subtilité. Cette partie questionne notamment la frontière entre réalité et délire érotomaniaque.
Dans les deux parties suivantes, Delphine de Vigan déplace sa focale vers une critique acerbe du milieu médiatique parisien. À travers les figures de l’écrivain narcissique et du présentateur télé égomaniaque, elle décortique les mécanismes de l’illusion amoureuse dans l’univers du show-business. La dernière partie, en particulier, offre une satire mordante du monde télévisuel, avec des allusions à peine voilées à certaines figures médiatiques de l’époque.
Le fil conducteur qui relie ces trois récits réside dans l’exploration des différentes facettes de l’illusion amoureuse. Emma incarne une femme qui se perd dans ses projections, toujours à la recherche d’hommes célèbres ou influents, comme si leur statut social pouvait combler un vide existentiel. Cette quête perpétuelle d’amour s’accompagne d’une évolution psychologique subtile du personnage, qui passe de la folie obsessionnelle à une forme de lucidité désabusée.
La brièveté du roman, loin d’être un handicap, sert admirablement le propos en créant un effet de concentration narrative. Chaque histoire fonctionne comme une variation sur le thème de l’illusion, avec ses propres tonalités : dramatique pour la première, cynique pour la deuxième, satirique pour la dernière.
« Les jolis garçons » préfigure déjà certains thèmes chers à Delphine de Vigan, notamment le rapport entre réalité et fiction qu’elle développera plus tard dans « D’après une histoire vraie ». Toutefois, cette œuvre de jeunesse tranche avec le reste de sa bibliographie par son ton plus léger et son humour grinçant, particulièrement présent dans la dernière partie.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 160 pages.