Née le 16 mai 1963 à Paris, Catherine Cusset grandit à Boulogne-Billancourt dans une famille où se mêlent les origines bretonnes catholiques de son père et les racines juives parisiennes de sa mère. Après des études brillantes aux lycées La Fontaine puis Louis-le-Grand, elle intègre l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Agrégée de lettres classiques, elle soutient une thèse sur le marquis de Sade avant de s’envoler pour les États-Unis, où elle enseigne la littérature française du XVIIIe siècle à l’université Yale de 1991 à 2002.
Son entrée en littérature se fait en 1990 avec « La Blouse roumaine », publié dans la collection L’Infini chez Gallimard. Au fil des années, elle développe une œuvre où se mêlent autofiction et romans plus traditionnels, sur des thèmes récurrents comme la famille, le désir, les conflits culturels entre la France et l’Amérique. Son écriture directe et incisive, influencée par la littérature anglo-saxonne, lui vaut une reconnaissance critique et publique, notamment avec « Le problème avec Jane » qui reçoit le grand prix des lectrices de Elle en 2000, et « Un brillant avenir » qui obtient le prix Goncourt des lycéens en 2008.
Installée à Manhattan avec son mari américain et sa fille, Catherine Cusset partage aujourd’hui sa vie entre les États-Unis et la France. Son œuvre, traduite dans dix-huit langues, continue de s’enrichir, comme en témoignent ses publications récentes dont « Vie de David Hockney » (2018), qui reçoit le prix Anaïs-Nin, et « La définition du bonheur » (2021). Elle est nommée Officière de l’ordre des Arts et des Lettres en 2016.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Un brillant avenir (2008)
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Résumé
Dans la Roumanie des années 1950, Elena Tiberescu grandit sous le régime communiste de Ceausescu après avoir été adoptée par son oncle et sa tante suite au décès de ses parents. Brillante étudiante promise à une carrière de physicienne, elle tombe amoureuse de Jacob, un jeune homme juif. Malgré l’opposition farouche de ses parents adoptifs qui craignent de la voir quitter le pays, Elena épouse Jacob. Le couple fuit alors la Roumanie antisémite pour s’installer d’abord en Israël, puis aux États-Unis où Elena devient Helen.
Vingt ans plus tard, Helen et Jacob mènent une vie confortable dans la banlieue new-yorkaise. Leur fils unique Alexandru, diplômé d’Harvard, fait leur fierté. Mais lorsqu’il décide d’épouser Marie, une jeune Française que Helen juge égoïste et arrogante, les tensions éclatent. Helen reproduit inconsciemment le schéma de ses propres parents en s’opposant à cette union, craignant que son fils ne quitte l’Amérique pour suivre sa femme en France. Entre la belle-mère et la belle-fille s’engage alors une lutte silencieuse pour l’amour d’Alexandru, jusqu’à ce que la maladie de Jacob et la naissance d’une petite-fille viennent redessiner les contours de leur relation.
Autour du livre
Avec ce neuvième roman, Catherine Cusset, normalienne installée à New York depuis vingt ans, puise dans sa propre expérience d’expatriée et son mariage avec un Roumain devenu américain pour créer une œuvre qui transcende l’autobiographie. La construction s’articule autour de quatre périodes – fille, amante, épouse et mère, veuve – qui scandent la vie d’Elena/Helen. Cette architecture temporelle fait alterner les chapitres entre présent et passé, créant un effet de miroir entre deux époques : l’une écrite au passé pour les épisodes roumains et israéliens, l’autre au présent pour la période américaine. Cette structure permet d’éclairer les comportements des personnages à la lumière de leur histoire.
Les thèmes abordés s’entrelacent avec maestria : l’héritage familial et sa transmission, l’incommunicabilité entre générations, la répétition inconsciente des schémas parentaux. La dimension politique s’incarne à travers des épisodes historiques précis : la Roumanie sous Ceaușescu, l’antisémitisme d’État, l’émigration vers Israël, l’intégration aux États-Unis. Le chant hébreu traditionnel « Hava Nagila » insuffle un dynamisme constant au récit, même dans ses moments les plus sombres.
Couronné par le prix Goncourt des lycéens en 2008, « Un brillant avenir » séduit par sa sobriété et sa justesse psychologique. La méfiance initiale d’Helen envers Marie, qu’elle juge « égoïste, arrogante, imbue d’un sentiment de supériorité presque national », évolue progressivement vers une forme d’acceptation. Cette transformation s’opère sans pathos excessif, portée par une écriture incisive qui refuse les épanchements mélodramatiques.
Catherine Cusset livre ici une méditation sur l’exil et ses conséquences, sur la difficulté de s’affranchir de son passé tout en préservant son identité. La force de « Un brillant avenir » réside dans sa capacité à transformer une histoire familiale en une réflexion universelle sur la transmission et la liberté. Le succès critique et public confirme la réussite de cette ambition.
Aux éditions FOLIO ; 366 pages.
2. L’autre qu’on adorait (2016)
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Résumé
En 2008, Thomas Bulot se donne la mort à l’âge de 39 ans dans son bureau de l’université de Richmond en Virginie. Catherine Cusset, qui fut son amante avant de devenir sa meilleure amie, retrace dans « L’autre qu’on adorait » les vingt années qui ont précédé ce geste fatal. Leur histoire débute en 1986, lors des manifestations contre la loi Devaquet. Thomas a 18 ans et Catherine 26. Brillant élève de khâgne, il échoue pourtant au concours d’entrée de l’École normale supérieure. Cette première déconvenue le pousse à tenter sa chance aux États-Unis où il est admis à l’université Columbia.
À New York, Thomas mène une vie intense, partagée entre ses études, ses passions pour Proust, le cinéma et le jazz, et ses nombreuses conquêtes féminines. Mais derrière cette existence flamboyante se dessine peu à peu le portrait d’un homme instable qui accumule les échecs professionnels et sentimentaux. Sa thèse sur Proust s’éternise, les postes universitaires convoités lui échappent, et ses relations amoureuses se soldent invariablement par des ruptures douloureuses. D’université en université, de ville en ville, Thomas s’enfonce progressivement dans une spirale destructrice.
Ce n’est que tardivement que sera diagnostiquée sa bipolarité, trouble qui explique ses alternances d’euphorie et de profond désespoir. La maladie, l’alcool et la précarité auront finalement raison de cet esprit brillant que tous adoraient pour son intelligence et son humour.
Autour du livre
L’écriture de « L’autre qu’on adorait » s’inscrit dans la continuité des textes autobiographiques de Catherine Cusset, qui construit depuis plusieurs années une œuvre largement inspirée de sa propre vie, à l’instar d’Annie Ernaux ou Anne Wiazemsky. La singularité de ce treizième opus réside dans le choix d’un « tu » omniprésent qui s’adresse directement au défunt, créant une forme d’oraison funèbre moderne.
Cette utilisation de la deuxième personne divise profondément les critiques. Certains y voient un artifice qui complique inutilement la narration et crée une distance avec le lecteur. D’autres, au contraire, considèrent que ce procédé abolit les frontières et permet d’incarner littéralement Thomas sous nos yeux. Le rythme même de l’écriture épouse les variations de son état mental : les phrases s’accélèrent durant ses phases maniaques et ralentissent pendant ses périodes dépressives.
Pendant près de dix ans, Catherine Cusset a tenté d’écrire ce texte sans y parvenir. Elle envisage d’abord un livre sur le chagrin d’amitié, puis sur une trajectoire cabossée, enfin sur un deuil impossible. Les titres provisoires se succèdent : « L’Amérique profonde », « À l’ami dont on n’a pas sauvé la vie ». C’est finalement dans une chanson de Léo Ferré qu’elle trouve son titre définitif.
La publication révèle un aspect méconnu de leur relation : quelques années avant son suicide, Thomas avait lu un passage que Catherine Cusset lui consacrait dans un projet de livre sur ses amitiés. Profondément blessé, il lui avait alors lancé : « Tu sais, Catherine, les gens ont quand même une vie intérieure. » Cette remarque transforme durablement son approche de l’écriture. « L’autre qu’on adorait » témoigne de cette évolution : Cusset ne se contente plus de juger une existence « à l’aune du succès en suivant des critères purement sociaux », mais tente de pénétrer cette « ombre où nous ne pouvons jamais pénétrer », selon la citation de Proust placée en exergue.
Le livre soulève aussi des questions éthiques qui divisent les critiques : peut-on ainsi exposer la vie intime d’un disparu ? La légitimité de l’écrivain s’arrête-t-elle aux portes de la vie privée d’autrui ? Ces interrogations trouvent un écho particulier dans le contexte d’une société où la frontière entre public et privé devient de plus en plus poreuse.
Aux éditions FOLIO ; 336 pages.
3. La définition du bonheur (2021)
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Résumé
Le décès de Clarisse en janvier 2021 rassemble une assemblée de proches au cimetière de Bagneux, dont Eve, venue spécialement de New York. Le fils aîné de la défunte lui remet une clé USB contenant ses écrits, point de départ d’un récit qui remonte aux années 1980 pour dévoiler le parcours de ces deux femmes.
L’adolescence de Clarisse bascule à seize ans lors d’un viol collectif qu’elle garde secret. Elle fuit alors sa mère alcoolique et son quotidien parisien pour parcourir l’Asie. Sa rencontre avec Hendrik, un Hollandais séduisant mais instable, débouche sur un mariage et la naissance de trois garçons. Quand il la quitte pour sa meilleure amie, Clarisse enchaîne les relations passionnelles, persuadée que le bonheur réside dans l’intensité fugace.
Eve grandit dans un milieu bourgeois jusqu’à ce qu’elle découvre que l’homme qui l’a élevée n’est pas son père biologique. Elle s’installe à New York, épouse Paul et monte une entreprise de traiteur prospère. Si leur union est solide, elle connaît une parenthèse adultérine avec Sébastien, un parent d’élève féru de littérature.
Ces deux trajectoires finissent par se croiser quand un lien mystérieux entre les deux femmes est révélé. Leur rencontre permet à Eve de percevoir les signes de la relation toxique dans laquelle Clarisse s’est enfermée avec un homme plus jeune qu’elle. Elle tente alors de l’aider, mais ses efforts précipitent un dénouement tragique.
Autour du livre
« La définition du bonheur » marque la quatorzième publication de Catherine Cusset, une œuvre qui s’inscrit dans une évolution notable de son écriture. Les critiques soulignent qu’après une série de textes autobiographiques comme « Jouir » et « La haine de la famille », l’autrice semble désormais s’orienter vers une forme plus apaisée de narration, comme en témoignent ses trois derniers ouvrages : « Vie de David Hockney », « L’autre qu’on adorait » et ce dernier opus.
Ce choix de suivre deux destins de femmes en parallèle s’inscrit dans la tradition littéraire, rappelant notamment « Mémoires de deux jeunes mariées » de Balzac, où Louise de Chaulieu et Renée de Maucombe débattent de leurs conceptions respectives du bonheur. Mais là où le roman balzacien cultivait l’optimisme, la version contemporaine de Cusset prend un tournant plus sombre.
La narration jongle entre les trajectoires des protagonistes pendant les deux premiers tiers du livre, avant de laisser la parole à Eve seule dans le dernier tiers. Cette architecture permet de disséquer les grands moments qui ont marqué les quatre dernières décennies : la chute des tours jumelles, les attentats parisiens, le mouvement #MeToo, l’épidémie de Covid. Ces événements ne servent pas de simple toile de fond mais s’entremêlent intimement aux destins des personnages, comme lorsqu’Eve manque de peu d’être victime des attentats du Petit Cambodge.
Les critiques divergent sur la pertinence de cette accumulation thématique. Certains y voient une tentative marketing de cocher toutes les cases des sujets d’actualité : violences faites aux femmes, féminicides, maternité contrariée. D’autres saluent la manière dont ces thèmes s’intègrent naturellement à la narration, portés par des personnages secondaires soigneusement développés, à l’image de Mohammed, le photographe sans-abri qui vient nuancer le propos sur l’Islam.
Un point fait consensus : l’habileté avec laquelle le titre trouve sa justification dans les dernières pages, quand Eve médite sur les deux conceptions du bonheur qui ont guidé leurs existences. Pour Clarisse, il réside dans « le fragment, sous forme de pépite qui brillait d’un éclat singulier, même si cet éclat précédait la chute ». Pour Eve, il se construit « dans la durée et la continuité ». Cette dualité constitue la clé de voûte philosophique de l’œuvre.
La rabbine Delphine Horvilleur, qui officie aux funérailles de Clarisse, résume le personnage comme « une femme passionnée qui toute sa vie avait cherché l’amour ». Cette épitaphe pourrait servir d’épigraphe à ce livre qui questionne la possibilité même du bonheur dans une société marquée par la violence et l’instabilité.
Aux éditions FOLIO ; 368 pages.
4. Le problème avec Jane (1999)
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Résumé
Années 1990. Jane Cook enseigne la littérature française du XIXe siècle dans une petite université d’Old Newport, près de New York. Un matin, elle découvre devant sa porte un mystérieux paquet contenant un manuscrit intitulé « Le problème avec Jane ». En parcourant les premières pages, elle constate avec effroi qu’il s’agit du récit intime de sa propre vie, jusque dans ses moindres secrets.
Bouleversée par cette intrusion dans son intimité, Jane tente de découvrir qui, parmi ses proches, pourrait en être l’auteur. Au fil de sa lecture, elle revit les moments marquants de son existence : sa relation passionnée avec Eric qui deviendra brièvement son mari, ses aventures avec Josh son étudiant, sa complicité ambiguë avec Francisco son confident, ses démêlés avec Norman Bronzino son supérieur hiérarchique. Le manuscrit dévoile également ses luttes pour faire carrière dans le milieu universitaire américain, ses échecs à publier ses travaux sur Flaubert, ses questionnements existentiels sur l’amour et l’amitié.
Entre les chapitres du mystérieux manuscrit s’intercalent les commentaires de Jane, qui tantôt confirme, tantôt conteste la version des faits. Un jeu de perspectives vertigineux où la vérité semble toujours se dérober, jusqu’à un dénouement qui remet en question l’ensemble du récit.
Autour du livre
À travers une construction en miroir ingénieuse, « Le problème avec Jane » oscille entre deux récits : celui du manuscrit mystérieux et celui des réactions de Jane à sa lecture. Cette architecture narrative permet de confronter différentes versions d’une même réalité, questionnant ainsi la notion de vérité subjective. La force du texte réside dans cette tension permanente entre le regard extérieur porté sur Jane et sa propre perception d’elle-même.
Les années 1990 servent de toile de fond à ce portrait sans concession du milieu universitaire américain. Catherine Cusset, elle-même enseignante à Yale pendant une décennie, dépeint avec acuité les luttes de pouvoir, le système de publication sous pression et les relations complexes entre professeurs et étudiants. Elle aborde également les questions du harcèlement et du plagiat dans le monde académique, thématiques qui résonnent particulièrement aujourd’hui.
Couronné par le Grand Prix des lectrices de Elle en 2000, ce cinquième opus de Cusset divise pourtant la critique. Si certains saluent l’originalité du dispositif narratif, d’autres pointent les longueurs du récit et le caractère parfois agaçant de l’héroïne. Cette polarisation des avis reflète la complexité du personnage de Jane : femme moderne tiraillée entre ses aspirations professionnelles et personnelles, elle incarne les contradictions d’une époque où l’émancipation féminine se heurte encore à de nombreux obstacles.
La dimension psychologique occupe une place centrale dans l’œuvre. À travers le prisme des relations amoureuses et amicales de Jane, Cusset sonde les mécanismes de l’amour-propre, de la trahison et de la manipulation. Le dénouement, qualifié d’imprévisible par de nombreux lecteurs, vient bouleverser l’ensemble des pistes suggérées tout au long du récit, dans une conclusion qui interroge les fondements mêmes de l’identité.
Aux éditions FOLIO ; 464 pages.
5. Vie de David Hockney (2018)
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Résumé
« Vie de David Hockney » retrace le parcours d’un des artistes britanniques les plus influents du XXe siècle. Né en 1937 dans une famille modeste du Yorkshire, David Hockney manifeste très tôt une passion dévorante pour la peinture. À quatorze ans, il décide de consacrer sa vie à l’art et intègre l’école des Beaux-Arts de Bradford, puis le prestigieux Royal College of Art de Londres. Sa carrière décolle rapidement : à vingt-quatre ans, il s’envole pour New York où il commence à se faire un nom.
C’est en Californie que le jeune peintre trouve véritablement sa voie. Séduit par la lumière et l’atmosphère de Los Angeles, il y développe son style caractéristique : des toiles lumineuses aux couleurs éclatantes, notamment sa célèbre série des piscines. Sa vie privée nourrit son art : ses amants, dont Peter qui lui inspire plusieurs œuvres majeures, deviennent ses modèles. Les années 1970-1980 sont marquées par une succession de succès, mais aussi par le drame du sida qui décime son cercle d’amis. Malgré les épreuves et deux crises cardiaques, Hockney poursuit inlassablement ses recherches artistiques, expérimentant sans cesse de nouvelles techniques.
Autour du livre
La genèse de « Vie de David Hockney » s’inscrit dans une démarche inédite : écrire sur un artiste vivant sans l’avoir jamais rencontré. Catherine Cusset s’explique dans son avant-propos : « C’est plutôt lui qui s’est emparé de moi. Ce que j’ai lu sur lui m’a passionnée. Sa liberté m’a fascinée. » Le pari était osé : transformer une documentation exhaustive en narration intime, tout en inventant pensées et dialogues.
Ce livre, couronné par le Prix Anaïs Nin qui récompense « une œuvre qui se distingue par une voix et une sensibilité singulières », se démarque des biographies traditionnelles. À mi-chemin entre roman et document, il met en scène la création artistique sans jamais tomber dans le didactisme. Les tableaux de Hockney ne sont pas simplement décrits : ils émergent naturellement du récit, liés aux émotions et aux expériences qui les ont fait naître. Catherine Cusset recrée notamment l’atmosphère électrique des années 1960-1970, période charnière où l’artiste affirme son style contre les diktats de l’art abstrait.
La sortie du livre coïncide avec plusieurs rétrospectives majeures consacrées à Hockney : Beaubourg en 2017, la Tate Britain et le Metropolitan Museum. Cette conjonction offre aux lecteurs la possibilité de confronter directement le texte aux œuvres. Une seule lacune, relevée par plusieurs critiques : l’absence d’illustrations, qui oblige à une consultation parallèle des tableaux évoqués. Mais cette contrainte crée paradoxalement une lecture active, où chacun doit rechercher les œuvres mentionnées, prolongeant ainsi l’expérience par-delà le texte.
« Vie de David Hockney » se distingue surtout par son traitement de la liberté artistique. La devise de Hockney – « Je peins ce que je veux, quand je veux, où je veux » – résonne comme un manifeste. À travers le portrait de cet artiste qui a su imposer sa vision envers et contre tout, Catherine Cusset livre une réflexion plus large sur l’indépendance créatrice et le courage d’être soi-même.
Aux éditions FOLIO ; 224 pages.
6. La haine de la famille (2001)
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Résumé
« La haine de la famille » suit la trajectoire des Tudec, une famille de la bourgeoisie intellectuelle parisienne des années 1960-1990. La narratrice Marie dresse d’abord le portrait de son père Philippe, ancien élève de l’ENA aux manies obsessionnelles, qui terrorise son entourage par ses explosions de colère dès qu’un objet n’est pas à sa place. Sa mère Elvire, magistrate brillante mais perpétuellement insatisfaite, clame son dégoût pour les contraintes familiales tout en surveillant avec une autorité inflexible la réussite scolaire de ses quatre enfants.
Le récit jongle entre la vie parisienne et les étés à Ploumor, maison familiale en Bretagne où se cristallisent les tensions. Anne, l’aînée, multiplie les conquêtes et les divorces. Pierre poursuit une carrière de philosophe, tandis que Nicolas, le « préféré de sa mère », devient comédien. Marie, la narratrice, observe et consigne la dynamique familiale, où l’amour se manifeste souvent sous forme de reproches et d’exigences.
L’histoire prend une autre dimension quand elle remonte aux origines du caractère maternel : en 1943, la grand-mère Simone, juive, échappe de justesse à la déportation. Cet épisode traumatique façonne durablement la personnalité d’Elvire et continue d’influencer les relations familiales jusqu’au récit bouleversant de la fin de vie de Simone.
Autour du livre
Cette chronique familiale de Catherine Cusset s’inscrit dans la continuité de ses œuvres précédentes, notamment « Le problème avec Jane » où apparaissait déjà Alex, son mari américain. La force des portraits tient à leur dimension autobiographique assumée – Marie, la narratrice, n’est autre que l’autrice elle-même – et à l’absence de toute complaisance dans la description des personnages.
Le texte frappe par son architecture en sept parties distinctes : « Papa », « Maman », deux chapitres consacrés à Ploumor (la maison bretonne), « 1943 », « L’Amérique » et enfin « Grand-maman ». Cette structure permet d’isoler chaque protagoniste tout en montrant comment leurs histoires s’entremêlent inévitablement, les chapitres débordant les uns sur les autres à l’image des relations familiales elles-mêmes. Les vacances à Ploumor servent de point d’ancrage récurrent où se cristallisent les tensions et se révèlent les personnalités.
Le titre paradoxal « La haine de la famille » dissimule en réalité une réflexion sur l’amour filial qui se manifeste souvent sous forme de reproches et d’exigences. Comme le suggère un passage du livre : « Quand on connaît la joie de s’oublier dans un roman, on ne peut que plaindre les malheureux qui ignorent cette félicité, les pauvres qui se soucient de mesquines choses réelles, les exclus du royaume de la phrase. » Cette citation illustre comment la littérature transcende les petites mesquineries du quotidien pour atteindre une vérité plus profonde sur les relations humaines.
La publication de ce livre en 2001 a provoqué des remous considérables dans la famille Cusset, certains membres se reconnaissant sans peine dans ces portraits au vitriol. Les critiques oscillent entre admiration pour la lucidité du regard et malaise face à ce qui peut apparaître comme un règlement de comptes familial. La dernière partie consacrée à la fin de vie de la grand-mère se démarque particulièrement, insufflant une dimension plus universelle à ce qui aurait pu n’être qu’une simple chronique bourgeoise.
La présence en filigrane de l’épisode traumatique de 1943, quand la grand-mère juive échappe de justesse à la déportation, donne une profondeur historique au récit et éclaire notamment le comportement d’Elvire, la mère, marquée à vie par cet événement. Cette dimension confère au texte une portée qui dépasse le simple cadre des querelles familiales pour interroger la transmission des traumatismes entre générations.
Aux éditions FOLIO ; 337 pages.