Anne Rice, née Howard Allen Frances O’Brien le 4 octobre 1941 à La Nouvelle-Orléans, est une romancière américaine célèbre pour avoir révolutionné la littérature vampirique. Son prénom inhabituel « Howard » fut changé en « Anne » dès son premier jour d’école, choix qu’elle fit elle-même et qui fut officialisé en 1947.
Sa vie fut marquée par plusieurs événements tragiques, notamment la mort de sa fille Michèle en 1972, qui la poussa à écrire son premier grand succès « Entretien avec un vampire » (1976). Ce roman, comme beaucoup de ses œuvres ultérieures, s’inspire fortement de sa ville natale, La Nouvelle-Orléans, où elle passa une grande partie de sa vie.
Autrice prolifique, elle est principalement connue pour ses « Chroniques des vampires » et ses romans fantastiques, mais a également écrit des nouvelles érotiques et des livres à thème religieux. Ses œuvres se sont vendues à près de 100 millions d’exemplaires dans le monde.
Sur le plan personnel, elle fut mariée à Stan Rice jusqu’à la mort de celui-ci en 2002. Son parcours spirituel fut complexe, passant de l’athéisme au catholicisme, puis au christianisme « indépendant » en 2010, notamment en raison de son désaccord avec la position de l’Église sur l’homosexualité.
Après avoir quitté La Nouvelle-Orléans en 2004, elle s’installa finalement à Rancho Mirage, en Californie, où elle continua d’écrire jusqu’à ses derniers jours. Anne Rice est décédée le 11 décembre 2021 des suites d’une attaque cérébrale, à l’âge de 80 ans.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Chroniques des vampires – Entretien avec un vampire (1976)
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Résumé
Dans une chambre d’hôtel à San Francisco, un jeune journaliste s’apprête à recueillir le témoignage d’un mystérieux inconnu qui prétend être un vampire. Louis de Pointe du Lac va lui raconter son histoire, depuis sa transformation en créature immortelle dans la Louisiane de 1791 jusqu’à leur rencontre deux siècles plus tard.
Le récit de Louis retrace deux siècles d’existence dans l’ombre. D’abord aux côtés de Lestat dans sa plantation, puis à La Nouvelle-Orléans où ils adoptent Claudia, une enfant de cinq ans qu’ils transforment en vampire. Pendant des décennies, ils forment une famille singulière, tiraillée entre amour et haine. Mais Claudia, prisonnière d’un corps qui ne vieillira jamais, développe une rancœur grandissante envers Lestat. Sa soif de vengeance pousse Louis à fuir avec elle vers l’Europe.
Louis et Claudia partent alors en quête d’autres vampires à travers l’Europe. Après des années d’errance, ils arrivent à Paris où ils rencontrent une troupe de vampires dirigée par le mystérieux Armand. Mais cette rencontre tant espérée va révéler de cruelles vérités sur leur nature et déclencher une série d’événements tragiques qui hanteront Louis jusqu’à son entretien avec le journaliste.
Autour du livre
La genèse d’ « Entretien avec un vampire » s’enracine dans une période sombre de la vie d’Anne Rice. En 1972, la mort de sa fille Michelle, âgée de six ans, emportée par une leucémie, précipite l’autrice dans une profonde dépression dont elle ne s’extirpe qu’en se réfugiant dans l’écriture. De cette douleur naît le personnage de Claudia, fillette vampirique dont l’apparence physique s’inspire directement de Michelle. Cette transposition littéraire, d’abord inconsciente selon Rice elle-même, devient cathartique lorsqu’elle décide de faire mourir Claudia dans la version finale du roman, alors que le personnage survivait dans la première mouture.
L’écriture du roman s’effectue en deux temps. À l’origine simple nouvelle d’une trentaine de pages rédigée durant ses études, le texte prend toute son ampleur en 1973 quand Rice, fraîchement diplômée en sciences politiques, le retravaille pour y insuffler sa souffrance. En cinq semaines seulement, elle métamorphose cette esquisse en un roman complet. La version définitive s’enrichit notamment du passage sur le Théâtre des Vampires, absent de la première version, et d’une refonte majeure de la fin qui voit réapparaître Lestat et redéfinit les relations entre Louis et Armand.
L’originalité de l’œuvre réside dans sa rupture avec les codes traditionnels du genre vampirique. Rice s’affranchit des poncifs comme l’ail, les croix ou les pieux en bois pour créer des vampires plus complexes, tourmentés par des questionnements existentiels. Le vampirisme devient métaphore de la condition humaine : Louis, transformé contre son gré, incarne cette « condamnation » à la vie et à la liberté qu’évoque Sartre. Sa quête d’identité et ses interrogations sur l’existence de Dieu font écho aux préoccupations de la romancière, élevée dans le catholicisme avant de découvrir le « monde moderne ».
La dimension homoérotique, perceptible dans la sensualité des scènes de morsure entre personnages masculins, s’inscrit dans un contexte personnel : le fils de Rice, Christopher, est ouvertement homosexuel. En 2002, l’autrice qualifiera même Louis et Lestat de « premiers vampires gay élevant leur fille ». Cette thématique LGBT, d’abord implicite, s’affirme progressivement au point de faire de Rice une alliée revendiquée des communautés concernées.
Le succès commercial ne tarde pas à suivre la parution : en 2008, le roman totalise huit millions d’exemplaires vendus dans le monde. Son influence sur la littérature vampirique s’avère considérable en définissant un nouveau type de vampire, être sensible capable d’aimer et de souffrir. Cette vision moderne du mythe s’éloigne radicalement du Dracula de Stoker pour inaugurer l’ère du vampire romantique qui dominera les XXe et XXIe siècles.
Le roman puise ses influences dans un vaste panthéon littéraire : Shakespeare, dont les héros tragiques comme Macbeth ou Hamlet trouvent un écho dans le personnage de Louis, Oscar Wilde qui inspire la première version de Louis, Charles Dickens dont « Un chant de Noël » influence la quête identitaire du protagoniste. S’y ajoutent Dante, John Milton, les sœurs Brontë, Herman Melville, et Richard Matheson avec sa nouvelle « La robe de soie blanche » qui narre l’histoire d’un enfant vampire.
La chanson « Moon Over Bourbon Street » de Sting, parue sur l’album « The Dream of the Blue Turtles » (1985), témoigne de l’impact culturel du roman : le musicien s’inspire directement du personnage de Louis, séduit par sa dualité intrinsèque. Les adaptations se multiplient : film en 1994 avec Tom Cruise et Brad Pitt, série télévisée en 2022, manga au Japon en 1994, comics chez Innovation entre 1991 et 1994. La version cinématographique, malgré les réticences initiales de Rice concernant le casting de Tom Cruise, rencontre un tel succès qu’elle finance une page entière dans le Daily Variety pour s’excuser publiquement d’avoir douté de l’acteur.
Aux éditions POCKET ; 448 pages.
2. La saga des sorcières – Le Lien maléfique (1990)
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Résumé
Dans la moiteur de la Nouvelle-Orléans, une femme catatonique se balance dans un rocking-chair sous le porche d’une imposante demeure victorienne. C’est Deirdre Mayfair, héritière d’une puissante lignée de sorcières dont l’histoire remonte au XVIIe siècle en Écosse. Seuls quelques rares témoins aperçoivent l’homme mystérieux qui se tient à ses côtés : Lasher, un esprit aux pouvoirs considérables qui hante la famille depuis des siècles.
À San Francisco, la neurochirurgienne Rowan Mayfair ignore tout de ses origines jusqu’à ce qu’elle hérite de l’immense fortune des Mayfair à la mort de Deirdre, sa mère biologique. Sa vie bascule quand elle sauve de la noyade Michael Curry, un entrepreneur qui, suite à cette expérience de mort imminente, développe un don de psychométrie – la capacité de percevoir le passé des objets qu’il touche. Leur histoire d’amour naissante les mène à la Nouvelle-Orléans, où ils découvrent l’histoire sulfureuse de la famille grâce aux archives du Talamasca, une société secrète qui étudie le surnaturel depuis des siècles.
L’arrivée de Rowan à la demeure familiale de First Street déclenche une série d’événements qui révèlent peu à peu la véritable nature de Lasher et ses intentions maléfiques. Cet esprit, qui a guidé douze générations de sorcières Mayfair vers toujours plus de pouvoir et de richesse, poursuit en réalité un objectif bien plus sinistre : retrouver une forme charnelle grâce à la treizième sorcière de la lignée.
Autour du livre
« Le Lien maléfique » marque en 1990 un nouveau virage dans l’œuvre d’Anne Rice. Après le succès considérable des « Chroniques des vampires », elle s’aventure sur un nouveau territoire surnaturel avec cette première incursion dans l’univers de la sorcellerie. Le roman remporte le Prix Locus du meilleur roman d’horreur en 1991 et se hisse rapidement à la deuxième place du classement des best-sellers du New York Times, position qu’il conserve pendant quatre semaines.
Cette saga familiale déploie une fresque historique monumentale qui s’étend sur plus de trois siècles, de l’Écosse du XVIIe siècle jusqu’à la Nouvelle-Orléans contemporaine. La demeure des Mayfair sur First Street, pivot central du récit, n’est autre que l’authentique résidence d’Anne Rice, acquise grâce à l’avance obtenue pour ce roman. Cette maison y devient un personnage à part entière, imprégnée par les drames et les secrets qui s’y sont déroulés au fil des générations.
La dimension historique du récit prend une ampleur considérable à travers les archives du Talamasca, organisation secrète qui étudie les phénomènes paranormaux. Ce dispositif narratif original permet de retracer l’histoire des treize sorcières Mayfair et leurs liens avec l’énigmatique esprit Lasher. Rice construit ainsi une mythologie élaborée où s’entremêlent pouvoir, malédiction et héritage familial.
L’originalité de l’œuvre tient notamment dans sa structure narrative complexe. Le récit alterne entre le présent, centré sur Rowan Mayfair et Michael Curry, et les chroniques du Talamasca qui occupent près de la moitié du roman. Cette architecture divise les lecteurs : certains saluent la profondeur historique qu’elle apporte au récit, d’autres critiquent sa lourdeur et ses redondances.
La dimension féministe transparaît dans le portrait de cette lignée matriarcale où le pouvoir se transmet de mère en fille. Les Mayfair constituent une famille où les femmes détiennent l’autorité et la fortune, phénomène rare pour l’époque. Cette succession matrilinéaire s’accompagne toutefois d’aspects plus troubles comme l’inceste, thème récurrent qui contribue à l’atmosphère gothique du récit.
Le roman marque également les prémices d’un univers partagé avec les « Chroniques des vampires ». Cette interconnexion se concrétise plus tard dans « Merrick » (2000), « Le Domaine Blackwood » (2002) et « Cantique sanglant » (2003), où certains personnages des deux séries se rencontrent. Cette fusion des univers témoigne de l’ambition d’Anne Rice de créer un vaste cycle cohérent, bien avant la mode actuelle des univers partagés.
La série connaît une nouvelle vie en 2023 avec son adaptation télévisée « Mayfair Witches » sur AMC, dans laquelle Alexandra Daddario incarne le rôle de Rowan Mayfair. Cette adaptation s’inscrit dans le cadre plus large de « l’Immortal Universe » d’AMC, qui inclut également une nouvelle version d’ « Entretien avec un vampire ».
Aux éditions POCKET ; 992 pages.
3. Le Sortilège de Babylone (1996)
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Résumé
Dans un appartement new-yorkais des années 1990, un être surnaturel nommé Azriel apparaît devant Jonathan Ben Isaac, professeur d’histoire spécialiste de l’Antiquité. Il lui raconte alors son destin tragique : celui d’un jeune Juif de Babylone métamorphosé en esprit immortel par un rituel maléfique, deux millénaires plus tôt.
L’histoire commence en 539 avant J.-C. Azriel, remarqué pour sa ressemblance avec le dieu Marduk, accepte de participer à une cérémonie censée garantir la libération de son peuple par Cyrus le Grand. Mais le rite tourne au cauchemar : il périt dans d’atroces souffrances et son âme se retrouve liée à ses ossements, le condamnant à servir quiconque les possède. Errant à travers les siècles, de la Grèce antique à la Strasbourg médiévale, il finit par se réveiller dans le New York contemporain. Le meurtre d’une jeune femme le pousse alors à enquêter sur une mystérieuse secte aux ambitions apocalyptiques.
Autour du livre
Avec « Le Sortilège de Babylone » (1996), Anne Rice délaisse momentanément ses créatures surnaturelles habituelles pour s’aventurer sur le territoire des djinns et des esprits. Cette incursion dans la mythologie babylonienne et juive constitue une variation sur les thèmes qui lui sont chers : l’immortalité, la quête spirituelle, la condition d’outsider.
La structure narrative reprend la formule éprouvée d’ « Entretien avec un vampire » : un être surnaturel se confie à un scribe mortel. Cette fois-ci, le confident est Jonathan Ben Isaac, universitaire spécialiste du Moyen-Orient antique, choisi avec soin pour sa capacité à comprendre les subtilités historiques du récit d’Azriel. Ce dispositif narratif, qui pourrait sembler redondant, prend ici une dimension particulière en établissant un pont entre l’érudition académique et le surnaturel.
L’originalité du roman réside dans sa fusion des traditions religieuses et mystiques. Le protagoniste, jeune juif babylonien qui entretient un dialogue privilégié avec le dieu païen Marduk, incarne cette synthèse improbable. Son destin tragique – sa transformation en « Serviteur des Ossements » – constitue une variation singulière sur le mythe du golem, cette créature de la mystique juive animée par la volonté de son maître.
La dimension politique et sociale transparaît à travers le portrait de la Babylone antique, carrefour des cultures où coexistent différentes communautés religieuses. Cette tolérance relative contraste avec les épisodes ultérieurs du récit, notamment les persécutions antisémites dans la Strasbourg médiévale. Anne Rice établit ainsi un parallèle implicite entre les différentes formes d’extrémisme religieux à travers les âges.
La transposition de ces thématiques dans le New York contemporain révèle une critique à peine voilée des dérives sectaires modernes. Le Temple de l’Esprit, avec son mélange de technologie et de messianisme, fait écho aux mouvements apocalyptiques des années 1990, période marquée par la tragédie du Temple du Peuple de Jim Jones.
L’accueil critique s’avère contrasté. Si certains saluent l’érudition historique et la complexité psychologique du protagoniste, d’autres déplorent une narration parfois laborieuse, particulièrement dans sa première moitié. Le Publishers Weekly souligne notamment que les 300 premières pages, consacrées à la métamorphose progressive d’Azriel, exigent une patience certaine du lecteur.
Le roman connaît une adaptation en bande dessinée par IDW Publishing entre 2011 et 2012, sous forme d’une mini-série de six numéros supervisée par Mariah McCourt.
Aux éditions 12-21 ; 387 pages.
4. La voix des anges (1982)
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Résumé
Italie, XVIIIe siècle. Tonio Treschi mène une existence privilégiée au sein de l’aristocratie vénitienne. À quinze ans, sa vie bascule brutalement : son frère aîné Carlo, banni de la famille et assoiffé de vengeance, le fait castrer pour l’empêcher d’assurer la descendance des Treschi. Privé de sa virilité mais doté d’une voix exceptionnelle, Tonio est envoyé au conservatoire de Naples.
C’est là qu’il rencontre Guido Maffeo, ancien castrat devenu professeur après avoir perdu sa voix à dix-huit ans. Sous sa tutelle, Tonio développe ses talents de chanteur d’opéra tout en nourrissant sa haine envers son frère. Entre les cours de chant et les représentations, il poursuit secrètement son apprentissage de l’escrime et des armes à feu, préparant sa vengeance. Sa carrière le mène jusqu’à Rome où il obtient la protection d’un puissant cardinal et devient l’un des plus grands castrats de son temps.
Autour du livre
Publié en 1982, « La voix des anges » marque une rupture dans la bibliographie d’Anne Rice, principalement connue pour ses récits fantastiques. Cette parenthèse historique témoigne d’un travail de documentation considérable sur l’univers des castrats dans l’Italie du XVIIIe siècle. L’écriture du roman s’enracine dans une recherche méticuleuse : les techniques vocales s’inspirent de « Early History of Singing » de W.J. Henderson, tandis que les représentations d’opéra puisent leur substance dans les écrits de Vernon Lee sur Metastasio. La musique elle-même insuffle son rythme au texte : l’enregistrement « Baroque Venice » de 1972 nourrit les scènes à San Marco, et les compositions d’Alessandro Scarlatti colorent les duos entre Tonio et Christina.
Le manuscrit connaît une genèse tourmentée. Initialement conçu comme un roman sur la Révolution française avec un violoniste pour protagoniste, le projet bifurque lorsque Rice découvre l’existence des castrats napolitains. Les deux cents premières pages s’écrivent comme un contrepoint à la vie future de Tonio. Le rythme narratif s’accélère délibérément pour éviter l’écueil qui avait nui au succès de « The Feast of All Saints ». Des fragments d’une nouvelle inédite de 1966, « Nicholas and Jean », s’incorporent au texte, notamment dans les scènes de travestissement.
L’ambivalence sexuelle irrigue le récit. Les castrats, ni hommes ni femmes, jouissent d’une liberté particulière dans leurs relations amoureuses, qu’ils entretiennent indifféremment avec les deux sexes. Cette fluidité rappelle celle des vampires dans les « Chroniques », où Lestat manifeste la même indifférence au genre de ses partenaires. La dimension surnaturelle, bien qu’absente, transparaît dans le portrait de Tonio, dont la silhouette élancée et la voix céleste évoquent une créature quasi fantomatique.
Le roman soulève des questionnements sur l’identité masculine et la nature même de l’humanité. Tonio lutte contre son corps modifié, ses bras et ses jambes qui s’allongent anormalement, sa cage thoracique qui s’élargit pour accueillir des poumons plus puissants. Cette transformation physique s’accompagne d’une métamorphose sociale : objet de désir pour les hommes comme pour les femmes, il incarne un troisième sexe dans une société aux conventions rigides.
La dimension historique se mêle intimement à la trame narrative. Les scènes d’opéra restituent avec précision les rivalités entre factions de supporters, capables de faire ou défaire une carrière en une soirée. La description des conservatoires et de l’enseignement musical s’appuie sur des sources d’époque, bien que Rice déplore la rareté des documents concernant ces institutions.
« La voix des anges » pâtit d’une réception mitigée à sa sortie. Les ventes en format relié restent inférieures à celles de « The Feast of All Saints », qui n’avait lui-même pas dépassé les 20 000 exemplaires. La critique salue néanmoins l’immersion dans un univers méconnu et la construction psychologique des personnages, tout en relevant parfois un certain mélodrame dans les dialogues et une tendance à la surenchère émotionnelle.
Rice elle-même pose un regard nuancé sur cette œuvre, regrettant un manque de spontanéité et une prédominance excessive de l’aspect historique. Cette expérience la pousse à revenir vers une écriture plus instinctive pour ses œuvres ultérieures, retrouvant l’élan qui avait présidé à la création d’ « Entretien avec un vampire ».
La postérité replace cependant « La voix des anges » parmi les œuvres majeures de Rice. Le New York Times l’utilise régulièrement comme étalon pour évaluer ses romans historiques ultérieurs, souvent à leur désavantage. Cette reconnaissance tardive souligne la singularité d’une œuvre qui transcende les genres pour interroger les fondements de l’identité et de l’art.
Aux éditions 12-21 ; 687 pages.
5. Les infortunes de la Belle au bois dormant – Initiation (sous le pseudonyme A.N. Roquelaure, 1983)
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Résumé
Une princesse dort depuis cent ans dans son château, jusqu’à ce qu’un prince vienne la réveiller. Mais contrairement au conte de notre enfance, point de baiser ici : c’est en la violant que le Prince rompt le sortilège. Ainsi commence « Les infortunes de la Belle au bois dormant », premier volet d’une trilogie sulfureuse signée Anne Rice sous le pseudonyme d’A.N. Roquelaure en 1983.
Le Prince fait de Belle son esclave et l’emmène dans son royaume, où elle découvre que d’autres princes et princesses subissent le même sort. Tous ces jeunes nobles sont envoyés comme tributs par leurs parents pour servir la reine Eleanor et sa cour. Entièrement nus, ils doivent se soumettre aux désirs de leurs maîtres qui leur infligent punitions et humiliations. Malgré les avertissements, Belle désobéit et se voit condamnée à l’esclavage dans un village voisin.
Autour du livre
Après l’immense succès d’ « Entretien avec un vampire » (1976), Anne Rice s’aventure sur un nouveau terrain avec « Les infortunes de la Belle au bois dormant ». La genèse de cette trilogie sulfureuse prend racine dans une période difficile pour l’autrice : ses romans historiques « The Feast of All Saints » (1979) et « La voix des anges » (1982) reçoivent un accueil mitigé, voire hostile de la part des critiques. Cette expérience pousse Rice à revenir vers l’écriture érotique qu’elle avait déjà expérimentée dans les années 1960.
Pour se libérer des contraintes éditoriales, Rice choisit le pseudonyme d’A.N. Roquelaure, tiré du nom d’un manteau porté par les hommes européens au XVIIIe siècle. Ce n’est que dans les années 1990 qu’elle révèle publiquement être l’autrice de la trilogie. La publication de cette série dans les années 1980 s’inscrit dans un contexte particulier : les mouvements féministes dénoncent alors la pornographie comme une atteinte aux droits des femmes. Rice, en opposition frontale avec cette position, considère la trilogie comme son manifeste politique, défendant le droit des femmes à lire et écrire ce qu’elles souhaitent.
Les folkloristes ont depuis longtemps relevé les éléments érotiques latents du conte originel de « La Belle au bois dormant ». Certaines versions mentionnent même un viol et une grossesse pendant le sommeil de la princesse. Le psychologue Bruno Bettelheim souligne l’omniprésence du « symbolisme freudien » dans le conte. Rice transforme ces symboles sexuels implicites en érotisme explicite, tout en subvertissant la dynamique traditionnelle entre genre et masochisme grâce à l’identification croisée avec les personnages masculins soumis.
La réception critique oscille entre fascination et répulsion. La trilogie connaît un succès commercial indéniable et se forge un statut culte. Le succès permet à Rice d’obtenir un contrat de 35 000 dollars pour son prochain roman érotique « Exit to Eden » (1985). Certaines rumeurs suggèrent même que Rice pratique le BDSM, ce que son mari Stan dément avec humour : « elle n’est pas plus sadomasochiste qu’elle n’est vampire ».
En 1996, une controverse éclate lorsque le directeur de la bibliothèque métropolitaine de Columbus retire tous les exemplaires des rayonnages, qualifiant l’œuvre de « pornographie hardcore ». Rice s’oppose à cette censure, défendant le caractère « élégamment sensuel » de son travail. La trilogie figure désormais dans la liste des « 100 livres les plus contestés » des années 1990 établie par l’American Library Association.
L’adaptation cinématographique reste à ce jour en suspens. En 2014, Televisa U.S.A acquiert les droits pour une série télévisée, avec Rice comme productrice exécutive aux côtés de Rachel Winter (productrice de « Dallas Buyers Club »). Le projet, encore en développement en 2016, semble depuis être tombé dans les limbes de la production.
Un quatrième tome, « Beauty’s Kingdom », paraît en 2015, trente ans après la publication initiale de la trilogie. L’histoire se déroule vingt ans après les événements du troisième tome et présente une évolution significative : la servitude sexuelle devient volontaire, marquant peut-être une adaptation aux sensibilités contemporaines concernant le consentement.
Aux éditions MICHEL LAFON ; 236 pages.