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Adolfo Bioy Casares en 4 romans majeurs – Notre sélection

Adolfo Bioy Casares (1914-1999) est l’un des écrivains argentins les plus importants du XXe siècle. Né dans une famille aisée de Buenos Aires, il développe très tôt une passion pour la littérature. Sa rencontre avec Jorge Luis Borges en 1932 marque le début d’une amitié féconde qui durera jusqu’à la mort de ce dernier en 1986.

En 1940, il épouse l’écrivaine Silvina Ocampo et publie son premier chef-d’œuvre, « L’invention de Morel », qui lance véritablement sa carrière. Son œuvre, traduite dans plus de seize langues, se caractérise par un mélange de fantastique, de science-fiction et de roman policier. Parmi ses romans majeurs figurent « Plan d’évasion » (1945), « Le songe des héros » (1954), et « Dormir au soleil » (1973).

Bioy Casares collabore régulièrement avec Borges sous divers pseudonymes, produisant notamment les « Chroniques de Bustos Domecq ». Son talent est couronné par de nombreuses distinctions, dont le prestigieux Prix Cervantes en 1990. Les dernières années de sa vie sont marquées par des pertes douloureuses : la mort de Borges (1986), puis celles quasi simultanées de son épouse Silvina (1993) et de sa fille Marta (1994). Il décède à Buenos Aires en 1999, laissant derrière lui une œuvre majeure de la littérature hispanophone.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. L’invention de Morel (1940)

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En 1940 paraît « L’invention de Morel », récit d’un fugitif qui trouve asile sur une île réputée maudite. Condamné à la prison à vie dans son Venezuela natal, il survit tant bien que mal dans ce lieu hostile où une mystérieuse maladie décime toute forme de vie. L’île n’est pas totalement déserte : un musée monumental, une chapelle et une piscine témoignent d’une ancienne présence humaine.

La solitude du narrateur prend fin avec l’arrivée impromptue d’un groupe d’estivants. Menés par un énigmatique scientifique nommé Morel, ils évoluent dans un monde parallèle, ignorant complètement sa présence. Le fugitif observe leurs allées et venues, particulièrement celles de Faustine, une femme dont il tombe amoureux. Mais quelque chose cloche : les mêmes conversations, les mêmes gestes se reproduisent à l’identique, semaine après semaine.

L’explication de ces événements surréalistes survient lorsque Morel révèle à ses invités la nature de son invention : une machine capable d’enregistrer et de reproduire la réalité dans sa totalité, y compris les sensations. Cette immortalité artificielle a un prix : les personnes enregistrées meurent peu après, leur corps se désagrégeant inexorablement. Le fugitif fait alors un choix radical.

Publié en 1940, ce court roman a marqué durablement la littérature latino-américaine. Jorge Luis Borges, qui en signe la préface, n’hésite pas à le qualifier de « parfait ». L’œuvre conjugue avec brio plusieurs genres : le fantastique, la science-fiction naissante, le roman d’amour. Elle anticipe de façon saisissante les questionnements contemporains sur la réalité virtuelle et l’immortalité numérique.

Le livre a inspiré de nombreuses adaptations, dont le film « L’Année dernière à Marienbad » d’Alain Resnais et la série télévisée « Lost ». En 1990, Adolfo Bioy Casares reçoit le prestigieux Prix Cervantes pour l’ensemble de son œuvre, dont « L’invention de Morel » constitue la pierre angulaire.

Aux éditions 10/18 ; 128 pages.


2. Plan d’évasion (1945)

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En 1914, le pénitencier des îles du Salut, au large de Cayenne, accueille un nouveau pensionnaire : le lieutenant Henri Nevers. Contraint de quitter la France et sa bien-aimée Irène pour des raisons familiales obscures, il doit seconder pendant un an le gouverneur Castel dans l’administration de ce bagne tropical. Dès son arrivée, les anomalies s’accumulent : une liberté de circulation inhabituelle accordée aux prisonniers, des comportements étranges, des rumeurs inquiétantes.

À travers sa correspondance avec son oncle Antoine, Nevers dépeint une réalité carcérale qui défie la logique. Le gouverneur Castel, personnage énigmatique, se livre à des activités suspectes sur l’île du Diable. Il déambule accompagné d’animaux singuliers et semble camoufler systématiquement l’intérieur de sa demeure. Quand une prétendue épidémie de choléra frappe la colonie et qu’un détenu évoque une possible révolte, Nevers commence à soupçonner que Castel mène des expériences secrètes.

La réalité s’avère plus terrifiante que ses hypothèses : le gouverneur utilise les prisonniers comme cobayes pour des opérations chirurgicales visant à modifier leur perception sensorielle. Son projet : créer une utopie carcérale en transformant la manière dont les détenus perçoivent leur environnement, allant jusqu’à provoquer des confusions entre leurs différents sens.

Publié en 1945, « Plan d’évasion » n’a pas connu le même succès que « L’invention de Morel », premier roman de Bioy Casares paru cinq ans plus tôt. Il a fallu attendre sa traduction française et le Prix du meilleur livre étranger en 1979 pour que l’œuvre soit reconnue à sa juste valeur. Le roman tisse des liens avec « L’île du docteur Moreau » de H. G. Wells et fait écho aux questionnements de l’époque sur les limites de la science et de la psychologie expérimentale. Jorge Luis Borges, ami proche de l’auteur, y voyait la création d’une « fiction inépuisable, la fable exemplaire où chacun trouve son propre reflet ».

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 171 pages.


3. Le songe des héros (1954)

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Buenos Aires, 1927. Emilio Gauna, jeune homme de vingt-et-un ans, remporte mille pesos aux courses hippiques. Euphorique, il décide de célébrer sa victoire pendant les trois nuits du Carnaval avec sa bande d’amis menée par le charismatique docteur Valerga. De cette fête débridée, Gauna ne garde que des bribes de souvenirs : une mystérieuse femme masquée croisée dans un bal, le reflet d’une lame de couteau sous la lune, un réveil confus au bord d’un lac.

Les années suivantes, ces fragments de mémoire le hantent sans relâche. Entre-temps, il rencontre et épouse Clara, la fille du sorcier-devin Taboada. Malgré son mariage et les avertissements de son beau-père qui pressent un danger, Gauna reste obsédé par cette nuit énigmatique dont il ne parvient pas à reconstituer le fil.

En 1930, comme un signe du destin, il gagne à nouveau de l’argent aux courses pendant le Carnaval. Déterminé à percer le mystère de cette soirée perdue, il décide de reproduire exactement le même parcours qu’en 1927, avec les mêmes compagnons.

Cette quête le mène de cabaret en cabaret, jusqu’à l’Armenonville où il retrouve la femme masquée – qui n’est autre que Clara. Mais la soirée bascule quand il aperçoit son épouse sourire à un inconnu. Aveuglé par la jalousie, Gauna quitte le bal et s’enfonce dans la nuit, suivi par Clara qui tente désespérément de le sauver du destin funeste qu’elle pressent.

Considéré par de nombreux critiques comme le chef-d’œuvre de Bioy Casares aux côtés de « L’invention de Morel », ce roman de 1954 marque une rupture avec ses précédents récits. Exit les îles désertes et les inventions fantastiques : l’intrigue se déroule dans les faubourgs populaires de Buenos Aires, entre bars enfumés et pistes de danse. Le surnaturel s’y glisse imperceptiblement, à travers les présages du sorcier Taboada et les distorsions temporelles qui brouillent les frontières entre 1927 et 1930. Le livre a été adapté au cinéma en 1997 par Sergio Renán, dans une version qui n’a pas marqué les esprits.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 237 pages.


4. Dormir au soleil (1973)

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Dans un quartier populaire de Buenos Aires, Lucio Bordenave coule des jours paisibles comme horloger après avoir été licencié de son poste à la banque. Sa vie s’organise entre son atelier, son épouse Diana – dont il supporte stoïquement le tempérament orageux – et Ceferina, leur fidèle gouvernante. L’équilibre de ce petit monde bascule le jour où un énigmatique dresseur de chiens allemand, le professeur Standle, persuade Bordenave de faire admettre sa femme dans l’institut psychiatrique du docteur Samaniego.

Le retour de Diana à la maison marque le début d’une série d’événements déconcertants. Son caractère s’est radicalement transformé : l’épouse autrefois exigeante et colérique est devenue d’une douceur presque irréelle. Plus troublant encore, elle semble avoir oublié les gestes du quotidien, ne reconnaît plus certains proches et manifeste une fascination inexpliquée pour la Plaza Irlanda. L’acquisition d’une chienne – qui porte aussi le nom de Diana – et les visites insistantes de sa belle-sœur Adriana María accentuent le sentiment d’étrangeté qui s’empare peu à peu de Bordenave.

La confrontation avec le Dr Samaniego révèle une vérité stupéfiante : la clinique pratique des transferts d’âmes entre humains et animaux. L’âme de Diana habite désormais le corps d’une chienne, tandis que son enveloppe corporelle accueille l’esprit d’une jeune femme mourante. Alors que Bordenave tente de s’opposer à ces manipulations, il se retrouve lui-même interné dans la clinique.

Cette fable métaphysique de 1973 déploie une réflexion vertigineuse sur l’identité et la nature de l’amour en conjuguant réalisme social et fantastique. Elle s’inscrit dans une longue tradition littéraire argentine où l’étrange surgit au cœur du quotidien le plus banal. Le livre fait écho à d’autres écrits de l’auteur, notamment par sa forme épistolaire – le récit se présente comme une longue lettre de Bordenave à son ami Félix Ramos. Alejandro Chomski en a tiré une adaptation cinématographique en 2010, avec Luis Machín dans le rôle de Bordenave.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 288 pages.

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