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Arto Paasilinna en 10 romans – Notre sélection

Arto Paasilinna (1942-2018) est l’un des écrivains finlandais les plus célèbres à l’international. Né dans des circonstances exceptionnelles – dans un camion lors de l’exode de sa famille fuyant l’avancée soviétique pendant la Guerre de Continuation – il grandit en Laponie finlandaise. Dès l’âge de 13 ans, il exerce divers métiers manuels, notamment bûcheron et ouvrier agricole, avant de devenir journaliste à vingt ans.

Sa carrière littéraire débute dans les années 1970, et il devient l’auteur de trente-cinq romans traduits en plus de vingt-sept langues. Son œuvre la plus connue, « Le lièvre de Vatanen » (1975), a été adaptée deux fois au cinéma. Ses romans se caractérisent par un humour doux-amer et burlesque, avec une forte présence de la nature finlandaise et des personnages singuliers. Il est souvent considéré comme un auteur de « romans d’humour écologiques ».

En 2009, Paasilinna est victime d’un accident vasculaire cérébral qui l’oblige à se retirer en maison de soins. Il décède le 15 octobre 2018 à Espoo, laissant derrière lui une œuvre majeure de la littérature finlandaise contemporaine, aux côtés de Mika Waltari et Sofi Oksanen.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Le lièvre de Vatanen (1975)

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Résumé

En 1975, dans une Finlande encore marquée par la guerre froide, un journaliste quadragénaire d’Helsinki percute un lièvre sur une route de campagne. Descendu pour secourir l’animal blessé, Vatanen ne remonte pas dans la voiture. Il laisse son collègue repartir sans lui et s’enfonce dans la forêt, le lièvre dans les bras. Cette rencontre impromptue devient le point de bascule d’une existence étriquée.

À quarante ans, ce reporter désabusé d’Helsinki ne supporte plus son métier ni sa femme. La rencontre fortuite avec ce petit mammifère sauvage agit comme un déclic. Il vend son bateau, seule possession qui compte à ses yeux, et part sur les routes de Finlande avec son nouveau compagnon. Du sud du pays jusqu’au cercle polaire, Vatanen enchaîne les petits boulots : bûcheron, berger, débardeur. Les péripéties s’accumulent, de plus en plus loufoques, entre incendies de forêt, manœuvres militaires et chasse à l’ours qui le mène jusqu’en territoire soviétique.

Autour du livre

Publié en 1975 en Finlande, « Le lièvre de Vatanen » est considéré comme l’œuvre majeure d’Arto Paasilinna. Ce roman atypique, traduit dans une trentaine de langues, marque la naissance d’un nouveau genre littéraire : le roman d’humour écologique. L’histoire de ce journaliste qui abandonne sa vie citadine pour partir à l’aventure avec un lièvre blessé résonne particulièrement dans les pays nordiques, où elle acquiert rapidement un statut de livre culte.

La rencontre fortuite avec le lièvre agit comme un détonateur pour Vatanen, lui permettant de rompre avec une existence étriquée qui l’étouffe. Sa fuite vers le Nord de la Finlande se mue en une odyssée picaresque, où s’enchaînent des situations aussi cocasses qu’improbables. Paasilinna excelle dans l’art de tisser des péripéties loufoques tout en distillant une critique mordante de la société finlandaise des années 1970. À travers les tribulations de son héros, il égratigne tour à tour l’administration, la bureaucratie, l’armée et même le président Kekkonen, dont la longévité au pouvoir alimente les théories les plus folles.

La dimension politique du récit se révèle particulièrement saisissante lorsque Vatanen franchit la frontière soviétique. Écrit en pleine période de Finlandisation, le roman aborde avec tact les relations complexes entre la Finlande et l’URSS. La scène de la chasse à l’ours sur la Mer Blanche gelée illustre cette tension géopolitique tout en célébrant le « sisu » finlandais – ce mélange de courage, de volonté et de détermination propre à ce peuple.

L’importance du « Lièvre de Vatanen » se mesure à sa reconnaissance institutionnelle : en 1994, l’UNESCO l’intègre à sa collection d’œuvres représentatives. La critique salue unanimement l’originalité de cette fable moderne qui marie avec brio humour décalé et questionnement existentiel. Deux adaptations cinématographiques voient le jour : « L’Année du lièvre » en 1977 par le réalisateur finlandais Risto Jarva, puis « Le Lièvre de Vatanen » en 2006 par le Français Marc Rivière, avec Christophe Lambert dans le rôle-titre. Ces transpositions à l’écran peinent toutefois à restituer la magie du texte original, dont la force réside dans cet équilibre entre absurde et poésie.

Aux éditions FOLIO ; 224 pages.


2. Petits suicides entre amis (1990)

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Résumé

Un matin de la Saint-Jean, deux hommes se croisent dans une grange abandonnée de Finlande. Onni Rellonen, petit entrepreneur criblé de dettes, s’apprête à se tirer une balle dans la tête quand il découvre le colonel Hermanni Kemppainen, la corde au cou. Cette rencontre improbable les sauve tous deux et fait naître une idée : pourquoi ne pas réunir d’autres désespérés ?

Suite à une petite annonce dans la presse, ils reçoivent plus de 600 réponses et organisent un symposium à Helsinki. Une quarantaine de volontaires embarquent à bord d’un car de luxe pour un périple qui les mènera des falaises de l’océan Arctique jusqu’au cap Saint-Vincent au Portugal. Chaque étape devient prétexte à reporter l’échéance finale, entre beuveries mémorables et situations rocambolesques.

Autour du livre

Publié en 1990, « Petits suicides entre amis » s’inscrit dans une veine tragicomique où l’absurde le dispute au désespoir. Cette satire sociale mordante pointe du doigt un fléau national : la Finlande occupe alors le cinquième rang mondial des pays touchés par le suicide, avec 28 cas pour 100 000 habitants contre 20 en France.

À travers cette histoire de désespérés qui repoussent sans cesse l’échéance fatale, Arto Paasilinna dépeint une société finlandaise minée par la mélancolie, « un insondable spleen plus impitoyable que l’Union soviétique ». Le périple rocambolesque de ces candidats à la mort à travers l’Europe – du Cap Nord aux falaises portugaises – devient paradoxalement une célébration de la vie. La solitude et l’isolement, présentés comme les principaux moteurs du désespoir, se dissolvent dans la chaleur des relations humaines qui se nouent au fil des kilomètres.

L’humour grinçant, typiquement nordique, s’exprime à travers des situations aussi incongrues qu’hilarantes, comme cette bagarre avec des skinheads allemands ou ces escapades bachiques en Alsace. Le ton reste toujours léger malgré la gravité du sujet, sans jamais tomber dans le pathos ni la facilité. Cette approche décalée permet d’aborder frontalement la question du suicide tout en évitant l’écueil du morbide.

Les critiques divergent sur la réussite du roman. Si certains saluent son « humour noir absolument décapant » et sa capacité à traiter avec légèreté un sujet grave, d’autres pointent des longueurs et un style parfois pesant. Le livre est néanmoins recommandé par les psychiatres finlandais à leurs patients dépressifs pour ses prétendues vertus thérapeutiques.

Le roman a été adapté au cinéma en 2000 par le réalisateur finlandais Ere Kokkonen, avec Tom Pöysti et Heikki Kinnunen dans les rôles principaux. Une comédie musicale sud-coréenne en a également été tirée en 2009. Traduit dans de nombreuses langues, dont le français en 2003, « Petits suicides entre amis » compte parmi les œuvres majeures de Paasilinna aux côtés du célèbre « Lièvre de Vatanen ».

Aux éditions FOLIO ; 304 pages.


3. Le meunier hurlant (1981)

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Résumé

Dans un village reculé du nord de la Finlande, peu après la Seconde Guerre mondiale, l’arrivée de Gunnar Huttunen bouleverse la quiétude des habitants. Ce nouveau venu, qui rachète et remet en état le vieux moulin abandonné, se distingue par une étrange manie : à la moindre contrariété, il s’enfuit dans les bois pour hurler à la Lune, réveillant au passage tous les chiens des environs.

D’abord bien accueilli par les villageois qui apprécient son travail et son habileté, Huttunen devient rapidement la cible de leurs critiques. Son comportement atypique et ses crises nocturnes finissent par exaspérer la communauté qui décide de le faire interner. Seule la conseillère rurale Sanelma Käyrämö prend sa défense, touchée par la sensibilité de cet homme hors du commun. S’ensuit alors une lutte acharnée entre le meunier, qui s’échappe de l’asile et vit en fugitif dans la nature, et les villageois déterminés à le faire enfermer définitivement.

Autour du livre

Publié en 1981, « Le meunier hurlant » s’inscrit dans la veine des romans de Paasilinna qui dépeignent des personnages en marge de la société finlandaise. L’action se déroule dans le nord de la Finlande au début des années 1950, dans un contexte d’après-guerre encore marqué par les conflits avec l’Union soviétique et les nazis. Cette période de reconstruction voit s’affronter deux visions : celle d’une modernité triomphante incarnée par la mécanisation et les coopératives agricoles, et celle plus traditionnelle représentée par le moulin artisanal de Gunnar Huttunen.

La singularité du protagoniste ne réside pas tant dans sa folie supposée que dans son refus des conventions sociales. Son rapport fusionnel avec la nature, sa capacité à imiter parfaitement les animaux et son besoin viscéral de hurler à la lune en font un personnage à contre-courant d’une société qui privilégie l’ordre et la normalité. Le récit soulève ainsi la question universelle du traitement réservé aux marginaux, tout en livrant une critique acerbe des institutions psychiatriques de l’époque.

Les séquences dans l’asile psychiatrique révèlent un système où le pouvoir médical règne sans partage. Les patients, qu’ils soient réellement malades ou simplement différents, se retrouvent à la merci d’un personnel souvent brutal et d’une administration toute-puissante. Cette dénonciation s’accompagne d’une dimension satirique, notamment à travers le personnage d’Happola, un homme d’affaires qui simule la folie tout en continuant à gérer ses activités depuis l’asile.

Le Times Literary Supplement y voit une œuvre qui oscille entre conte populaire et critique sociale, tandis que The Guardian compare le protagoniste au Bartleby de Melville pour son excentricité subversive. Maya Jaggi met en avant la manière dont le roman conjugue « la subversion désabusée de M*A*S*H avec un héroïsme de bande dessinée ».

« Le meunier hurlant » a connu deux adaptations cinématographiques : une version finlandaise en 1982 sous le titre original « Ulvova mylläri », puis une adaptation française en 2017 par Yann Le Quellec intitulée « Cornélius, le meunier hurlant ». Il a également été adapté en roman graphique par le dessinateur français Nicolas Dumontheuil.

Aux éditions FOLIO ; 288 pages.


4. La douce empoisonneuse (1988)

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Résumé

Dans la campagne finlandaise des années 1980, une veuve de colonel de 78 ans subit chaque mois le même calvaire : son neveu Kauko et ses deux compères envahissent sa maison, la dépouillent de sa pension et saccagent les lieux dans des beuveries interminables. Linnea Ravaska encaisse les coups, jusqu’au jour où ils la contraignent à rédiger un testament en leur faveur.

La vieille dame décide alors de prendre la fuite. Réfugiée chez un ami médecin à Helsinki, elle commence à s’intéresser aux poisons, d’abord dans l’idée de s’en servir contre elle-même si ses bourreaux la retrouvent. Pendant ce temps, le trio de voyous, impatient d’hériter, complote pour précipiter sa fin. Mais le destin réserve quelques surprises à ces apprentis criminels.

Autour du livre

Dans « La douce empoisonneuse », publié en 1988, Arto Paasilinna dépeint avec mordant une Finlande bien éloignée de son image idyllique. Sous des dehors de comédie burlesque, cette fable grinçante aborde des thématiques sociales sombres : la maltraitance des personnes âgées, le parasitisme d’une jeunesse désœuvrée, l’alcoolisme endémique, l’indifférence des institutions.

Le personnage de Linnea Ravaska incarne une figure paradoxale : une veuve de colonel en apparence fragile qui se révèle redoutable lorsqu’elle est acculée. Sa transformation d’une victime résignée en une justicière involontaire s’opère par petites touches, entre comédie noire et satire sociale. Les références à son passé pendant la Seconde Guerre mondiale aux côtés des Allemands permettent également à Paasilinna d’évoquer avec distance cette période trouble de l’histoire finlandaise.

Face à elle, le trio de malfrats composé de son neveu et de ses acolytes représente une jeunesse nihiliste, persuadée que « la vraie dissidence » consiste à ne pas voter et que les peines pour meurtre devraient être indexées sur l’espérance de vie restante des victimes. Leur philosophie aberrante sert de prétexte à une critique musclée de certaines dérives sociétales.

Le roman mêle ainsi plusieurs registres : du vaudeville avec ses quiproquos en cascade à la comédie macabre rappelant « Arsenic et vieilles dentelles », en passant par la satire sociale. Les péripéties improbables s’enchaînent dans une mécanique implacable qui culmine lors d’une scène surréaliste impliquant un navire russe.

La critique salue majoritairement l’humour noir et l’art du décalage de Paasilinna, même si certains lecteurs restent décontenancés par la violence sous-jacente du récit. Plusieurs comparaisons sont établies avec l’univers de Jonas Jonasson, notamment « Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire ».

« La douce empoisonneuse » a fait l’objet de deux adaptations : une mini-série finlandaise de quatre épisodes réalisée par Ere Kokkonen en 1995, puis un téléfilm français réalisé par Bernard Stora en 2014 avec Line Renaud dans le rôle de Linnea.

Aux éditions FOLIO ; 256 pages.


5. La forêt des renards pendus (1983)

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Résumé

Dans la Finlande des années 1980, Rafael Juntunen, petit malfrat sans envergure, réussit un hold-up qui lui rapporte plusieurs lingots d’or. Tandis que ses complices purgent leur peine en prison, il cache précieusement son butin sous le fumier de sa ferme. Mais l’heure de la libération de ses anciens associés approche, et avec elle la menace de devoir partager le magot.

Pour échapper à leurs représailles, Rafael s’enfuit au fin fond de la Laponie. Dans ces étendues glacées, il croise la route d’un major de l’armée alcoolique mis en disponibilité, qui devient son improbable compagnon d’infortune. Le duo s’installe dans une cabane de bûcherons isolée, bientôt rejoint par Naska Mosnikoff, une nonagénaire skolte qui refuse catégoriquement d’être placée en maison de retraite. Un petit renard espiègle, baptisé « Cinq cents balles », devient le témoin privilégié de leur cohabitation improbable.

Autour du livre

Sous ses allures de fable loufoque, « La forêt des renards pendus » déploie une satire féroce de la société finlandaise contemporaine. Dans ce huis clos nordique publié en 1983, le trio improbable formé par un gangster, un major alcoolique et une nonagénaire lapone compose une microsociété alternative aux marges de la civilisation.

L’intrigue s’inscrit dans le contexte géopolitique tendu des années 1980, avec en toile de fond les relations complexes entre la Finlande, l’URSS et l’OTAN. Cette dimension politique transparaît notamment à travers le personnage du major Remes et ses manœuvres militaires. Paasilinna interroge également le traitement des personnes âgées par les institutions, à travers le personnage de Naska qui préfère fuir dans la nature plutôt que de se laisser enfermer en maison de retraite.

Le succès critique repose largement sur l’alchimie entre les personnages. Les lecteurs soulignent unanimement l’attachement qui se crée pour ces anti-héros moralement ambigus mais profondément humains. Le New York Times salue notamment l’humour pince-sans-rire typique du Midwest américain que Paasilinna transpose dans le Grand Nord.

« La forêt des renards pendus » s’inscrit dans la lignée du célèbre « Lièvre de Vatanen » du même auteur, auquel il fait d’ailleurs un clin d’œil métafictionnel explicite. Une femme skolte s’étonne ainsi qu’un homme puisse voyager avec un lièvre, tout en jugeant plus étrange encore de se déplacer avec un chat.

Une version radiophonique a vu le jour en 1985, mise en scène par Rauni Ranta. En 1986, Jouko Suikkari en a tiré un téléfilm finlandais. Plus récemment, en 2016, Nicolas Dumontheuil l’a adapté en bande dessinée aux éditions Futuropolis.

Aux éditions FOLIO ; 216 pages.


6. Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen (1995)

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Résumé

À l’aube de ses cinquante ans, le pasteur Oskari Huuskonen traverse une crise existentielle dans son petit village finlandais. Sa foi chancelle, son mariage s’effrite et ses sermons peu orthodoxes agacent sa hiérarchie. Le jour de son anniversaire, ses paroissiens lui offrent un cadeau singulier : un ourson orphelin dont la mère est morte électrocutée sur un pylône électrique en tentant de dérober le buffet d’un mariage.

Contre toute attente, le pasteur s’attache à l’animal qu’il baptise Belzébuth. Il lui construit une tanière pour l’hiver et y passe du temps avec une séduisante biologiste venue étudier le comportement de l’ours. Cette situation précipite son divorce et pousse l’évêché à le mettre en congé forcé. Sans attaches et sans le sou, Huuskonen part alors à l’aventure avec son compagnon à quatre pattes, dans un périple qui les mène de la mer Blanche jusqu’à Malte, en passant par Odessa et Haïfa.

Autour du livre

À la croisée entre fable écologique et conte philosophique, « Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen » narre les tribulations d’un homme d’Église en pleine crise existentielle. Publié en 1995 en Finlande, ce roman s’inscrit dans la lignée thématique du « Lièvre de Vatanen », une autre œuvre majeure de Paasilinna qui questionne le rapport de l’homme à la nature.

La narration oscille entre burlesque et méditation spirituelle, offrant une réflexion acérée sur la quête de sens dans une société moderne désenchantée. L’amitié improbable entre le pasteur et son ours devient le prétexte d’une critique sociale mordante, notamment envers l’institution religieuse et ses rigidités. Le thème de la liberté individuelle se mêle à celui de la nature sauvage, tandis que les pérégrinations du duo à travers l’Europe post-soviétique permettent d’aborder les bouleversements géopolitiques des années 1990.

Les personnages secondaires, hauts en couleur, incarnent différentes facettes de la société finlandaise : la pastoresse conventionnelle, la biologiste moderne, les paroissiens malicieux. L’ours lui-même transcende sa condition animale pour devenir un miroir de l’humanité, capable d’apprendre les gestes quotidiens les plus prosaïques comme les plus sacrés.

La dimension satirique s’exprime notamment à travers les sermons peu orthodoxes du pasteur, qui n’hésite pas à présenter Jésus comme un révolutionnaire communiste. Cette irrévérence théologique s’accompagne d’une réflexion plus large sur la place de la spiritualité dans le monde contemporain.

Les critiques saluent unanimement l’originalité de l’œuvre et sa capacité à mêler humour nordique et questionnements existentiels. Certains soulignent toutefois des longueurs dans la seconde partie du récit, où les péripéties semblent parfois se répéter. « Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen » a été adapté en bande dessinée en 2006 par Hannu Lukkarinen sous le titre « Karvainen kamaripalvelija ».

Aux éditions FOLIO ; 368 pages.


7. Prisonniers du paradis (1974)

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Résumé

En 1974, Arto Paasilinna imagine le destin d’une cinquantaine de naufragés échoués sur une île du Pacifique après le crash de leur avion. Le narrateur, journaliste finlandais embarqué par hasard sur ce vol de l’ONU, se retrouve coincé avec vingt-huit hommes – principalement des bûcherons nordiques – et vingt-six femmes – surtout des infirmières suédoises. Face à l’adversité, cette communauté improbable doit apprendre à cohabiter et à survivre.

Les premiers jours sont difficiles, mais les rescapés s’adaptent progressivement à leur nouveau cadre de vie. Les compétences de chacun sont mises à profit : les bûcherons construisent des abris, les soignantes organisent un dispensaire, tandis que d’autres fabriquent de l’alcool artisanal ou cultivent des légumes. Un conseil de trois personnes est élu pour gérer cette microsociété qui fonctionne selon des principes égalitaires, sans propriété privée. Pour attirer l’attention d’éventuels sauveteurs, le groupe entreprend de défricher un gigantesque « SOS » dans la forêt.

Autour du livre

Publié initialement en finnois en 1974, ce deuxième roman d’Arto Paasilinna transpose le mythe de Robinson Crusoé dans une perspective contemporaine teintée d’humour nordique. Le romancier y délaisse son habituel univers finlandais pour une île tropicale indonésienne, cadre propice à une réflexion sociale sous forme de fable légère.

Cette micro-société improvisée se mue en laboratoire d’expérimentation où se cristallisent les enjeux fondamentaux de toute communauté humaine : le choix d’une langue commune, la répartition équitable des ressources, l’établissement d’un système politique viable. À travers ces questionnements, Paasilinna esquisse une critique du monde occidental et de ses travers consuméristes. Le modèle socialiste qui émerge naturellement sur l’île souligne les limites du capitalisme et interroge la notion même de liberté.

La composition hétéroclite du groupe – bûcherons finlandais, infirmières suédoises, équipage britannique – permet à l’auteur d’exploiter les stéréotypes nationaux avec malice. Les tensions linguistiques entre Finlandais et Suédois font écho aux relations historiquement complexes entre ces deux pays. La présence massive de personnel médical et forestier confère une dimension ironique à cette utopie improvisée.

L’originalité de « Prisonniers du paradis » réside dans son traitement décalé du genre de la robinsonnade. Là où d’autres récits similaires privilégient le drame ou l’horreur, à l’instar de « Sa Majesté des mouches » de William Golding, Paasilinna opte pour une tonalité légère qui n’exclut pas la réflexion philosophique.

La réception critique salue majoritairement cette fable sociale teintée d’humour nordique. Certains relèvent néanmoins des faiblesses dans la construction des personnages et une certaine naïveté dans le traitement du propos politique. Le roman figure parmi les œuvres les plus traduites de Paasilinna, notamment en français (1996), suédois (2010), allemand, italien, espagnol ou hébreu.

Aux éditions FOLIO ; 208 pages.


8. Le fils du dieu de l’Orage (1984)

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Résumé

Dans la Finlande des années 1980, les dieux nordiques s’inquiètent : leurs fidèles les ont délaissés au profit du christianisme. Pour reconquérir les cœurs, Ukko, le dieu de l’Orage, décide d’envoyer son fils Rutja sur Terre, s’inspirant de la stratégie qui fit jadis le succès de Jésus.

Rutja choisit de s’incarner dans le corps de Sampsa, un antiquaire-agriculteur qui compte parmi les derniers adeptes du culte ancestral. Après avoir échangé leurs enveloppes charnelles, le fils divin découvre avec stupeur les contraintes de la condition humaine : la faim, le sommeil, la digestion. Il entreprend néanmoins sa mission en transformant la boutique d’antiquités en temple et en recrutant des disciples. Pour convaincre les Finnois, il s’inspire des miracles bibliques tout en maniant la foudre paternelle.

Autour du livre

En 1984, Arto Paasilinna signe avec « Le fils du dieu de l’Orage » une fable satirique qui conjugue mythologie finnoise et critique sociale. Le panthéon finlandais, mené par Ukko Ylijumala, le dieu de l’Orage, s’inquiète de la désaffection des Finnois pour leur culte ancestral au profit du christianisme. La solution ? S’inspirer directement de la méthode chrétienne en envoyant le fils du dieu sur Terre.

L’originalité du propos réside dans la déconstruction des codes religieux à travers le regard naïf de Rutja, le fils divin. Sa découverte des contingences humaines les plus triviales – manger, dormir, avoir des relations charnelles – offre un contrepoint comique aux questionnements plus profonds sur la place de la spiritualité dans la société moderne. Paasilinna s’amuse particulièrement des parallèles avec le christianisme, notamment lorsque Rutja étudie la Bible comme un manuel marketing pour comprendre les techniques de conversion qui ont fait leurs preuves.

La dimension satirique s’étend bien au-delà de la seule question religieuse. À travers le regard extérieur de Rutja, Paasilinna dresse un portrait sans concession de la Finlande des années 1980 : communisme, bureaucratie, système de santé, tout y passe. Les six commandements édictés par Rutja illustrent cette volonté de proposer une spiritualité adaptée aux enjeux contemporains.

La critique salue majoritairement l’inventivité du projet et l’humour décapant qui le porte, même si certains regrettent un dénouement quelque peu précipité. La comparaison avec « Les dieux sont tombés sur la tête » ou « Crocodile Dundee » revient régulièrement pour caractériser le ton du roman.

Aux éditions FOLIO ; 293 pages.


9. Un homme heureux (1976)

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Résumé

En 1970, dans le village finnois de Kuusmäki, l’arrivée de l’ingénieur Akseli Jaatinen bouleverse l’ordre établi. Chargé de construire un nouveau pont à l’endroit même où s’affrontèrent Rouges et Blancs lors de la guerre civile de 1918, il se retrouve malgré lui au cœur des vieilles tensions qui divisent encore la communauté.

Malgré ses compétences et son efficacité, Jaatinen se heurte rapidement à l’hostilité des notables locaux. Ses méthodes peu conventionnelles et sa proximité avec les ouvriers déplaisent au maire, au commissaire et au pasteur. La situation s’envenime jusqu’à son renvoi brutal. Mais l’ingénieur, loin de baisser les bras, décide alors de prendre sa revanche. Il monte sa propre entreprise et s’impose peu à peu comme la figure économique dominante du village, mettant méthodiquement à genoux tous ceux qui avaient voulu sa perte.

Autour du livre

Publié en 1976 en Finlande, « Un homme heureux » ne paraît en français qu’en 2005. Cette fable sociale s’inscrit dans la lignée des premiers romans d’Arto Paasilinna, avant que son inspiration ne s’émousse dans ses œuvres ultérieures.

Le récit prend racine dans un contexte historique particulier : celui des séquelles de la guerre civile finlandaise de 1918 qui opposa les « Blancs » aux « Rouges ». Cette fracture politique et sociale continue de diviser la population de Kuusmäki, petit village où se déroule l’action. Le pont qui donne son nom à la rivière « la Tuerie » symbolise cette mémoire douloureuse, rappelant le massacre des forces rouges par les Blancs.

À travers le personnage de Jaatinen, Paasilinna dépeint la confrontation entre modernité et traditions, entre individualisme et conformisme social. L’ingénieur incarne la figure de l’étranger qui bouleverse l’ordre établi d’une communauté repliée sur elle-même. Sa méthode de management participative, son refus des hiérarchies et sa proximité avec les ouvriers heurtent frontalement les codes sociaux d’une société rurale sclérosée.

L’évolution psychologique du protagoniste soulève des questions éthiques fondamentales. D’abord victime d’ostracisme et d’injustice, Jaatinen se transforme progressivement en vengeur impitoyable, utilisant les mêmes armes que ses persécuteurs – la manipulation, l’abus de pouvoir, la coercition économique. Cette métamorphose interroge les notions de justice et de proportionnalité dans la vengeance.

La critique souligne la dimension satirique du texte, qui épingle avec causticité les travers de la société rurale finlandaise : le poids des traditions, l’hostilité envers la nouveauté, les rivalités mesquines. Certains y voient une puissante métaphore de la solidarité entre les hommes, tandis que d’autres déplorent le caractère manichéen des personnages et une certaine disproportion dans la vengeance du protagoniste.

« Un homme heureux » a fait l’objet d’une adaptation télévisuelle en Finlande en 1979, sous la forme d’un téléfilm réalisé par Hannu Kahakorpi.

Aux éditions FOLIO ; 272 pages.


10. La cavale du géomètre (1991)

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Résumé

En Finlande, au début des années 1990, Taavetti Rytkönen, un géomètre retraité de 68 ans atteint de démence sénile, se retrouve au milieu d’une rue, incapable de se rappeler qui il est. Une épaisse liasse de billets dans la poche, il tente maladroitement de nouer sa cravate quand Seppo Sorjonen, un jeune chauffeur de taxi, s’arrête pour lui venir en aide.

Le vieil homme monte dans le taxi et demande à Seppo de rouler sans destination précise. Cette rencontre fortuite marque le début d’une escapade à travers l’Ostrobotnie, région sauvage de l’ouest finlandais. Au fil des kilomètres, les deux hommes croisent la route de personnages excentriques : des paysans révoltés contre l’administration, un duo improbable formé par un architecte albanais et un interprète bosniaque, ainsi qu’une communauté de Françaises adeptes du végétarisme radical.

Autour du livre

Sous ses allures de comédie loufoque, cette odyssée finlandaise publiée en 1991 aborde avec tact la question de la démence sénile et de la place des personnes âgées dans la société contemporaine. La perte de mémoire du protagoniste Taavetti Rytkönen n’apparaît pas comme un handicap mais comme une forme de libération : « Donne une certaine sensation de légèreté de ne pas savoir qui on est, d’où on vient et où on va ». Cette amnésie devient paradoxalement le moteur d’une quête qui mène les personnages vers une forme d’authenticité.

La dimension sociale s’inscrit également au cœur du récit à travers la critique du monde agricole finlandais des années 1990. Le couple Mäkitalo incarne la révolte contre les contraintes administratives et les quotas européens qui étouffent les petites exploitations. Leur destruction méthodique de leur ferme symbolise le refus d’un système qui dépossède les agriculteurs de leur liberté et de leur terre.

Le ton décalé permet d’aborder des sujets graves comme la guerre, la solitude ou la nostalgie sans pathos. Les situations les plus rocambolesques – une reconstitution de bataille de chars dans un musée désert ou la destruction systématique d’une exploitation agricole – servent de contrepoint humoristique à la réflexion sur le vieillissement et la mémoire.

La critique souligne la capacité de Paasilinna à marier « les sujets les plus violents au ton le plus décalé », dans la lignée d’auteurs nordiques comme Ibsen. Si certains regrettent un manque de « mordant » par rapport à d’autres œuvres de l’auteur comme « Le lièvre de Vatanen », la majorité salue cette fable sur l’amitié et la quête de liberté.

Ere Kokkonen a adapté « La cavale du géomètre » au cinéma en 1996, avec Kalevi Kahra dans le rôle de Taavetti Rytkönen.

Aux éditions FOLIO ; 267 pages.

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